Comment va la danse ? Des journalistes se penchent régulièrement sur la question : entre Daniel Conrod de Télérama qui pense qu’elle peine à se renouveler et Philippe Noisette des Inrocks qui vante sa vitalité, rien n’est tranché. Toujours est-il que l’automne 2010, nous a offert deux manifestations pour évaluer la dynamique. «Question de Danse» proposée par Michel Kelemenis à Marseille (des chorégraphes présentent un processus de création puis engagent un dialogue avec le public), nous a éclairés avec deux noms sortis du lot (la Portugaise Marlène Freitas et le français Thomas Lebrun ont bouleversés).
Trois semaines plus tard, le concours chorégraphique « (re) connaissance » piloté par la Maison de la Danse de Lyon, le CDC Pacifique de Grenoble et accueilli par le Toboggan à Décines, semble vouloir se positionner comme un événement incontournable pour dénicher les talents malgré un système de diffusion qui paraît traverser une crise très inquiétante. Au total, onze compagnies concourent avec trois prix : deux attribués par un jury de professionnels, un par le public. La danse est un langage qui parle à tous: après avoir délibéré chacun de leur côté, on aurait pu imaginer que spectateurs et professionnels échangent publiquement, en éclaireurs, pour se nourrir les uns des autres et décerner le «prix du partage». La sortie de crise nécessitera d’inventer des systèmes d’interactions qui empruntent des chemins de traverse…
Pour la première soirée (je n’ai pas pu assister à la deuxième), j’ai retenu une proposition. Je fais volontairement l’impasse sur la chorégraphe franco-suisse Perrine Valli, vue et appréciée à Questions de Danse, prochainement à l’affiche du Festival Faits d’Hiver à Paris : sa présence dans ce concours était-elle vraiment justifiée?
Saluons le très beau travail de Yan Raballand qui, avec «Viola», a réuni professionnels et spectateurs lors des applaudissements pour finalement remporter le prix du public (je vous invite à regarder la vidéo où ce jeune chorégraphe parle de son travail).
Quatre interprètes très «habités» (Evguénia Chtchelkova, Bérengère Fournier, Jean Camille Goimard, Aurélien Le Glaunec) sur une musique de Walter Fähndrich («Viola II») entreprennent une danse collective d’où se dégage une grâce époustouflante. Je ressens une filiation avec Anne Teresa de Keersmaeker, dans cette façon de répéter un mouvement (souvent ample, gracieux et circulaire à partir des bras) tout en bousculant notre perception : tout change, parce que rien ne change ! Les moments où les corps basculent comme des statues prêtes à tomber sont sublimes : le déséquilibre de chacun nourrit l’équilibre de tous. Lorsqu’ils s’immobilisent, ils créent le contraste avec le mouvement et le mettent en relief. Saisissant. Je reconnais l’influence du chorégraphe Michel Kelemenis dans ce désir d’entrer dans la musique à partir du mouvement pour amplifier les processus du collectif.
Avec leur petite taille, ces quatre danseurs composent une partition chorégraphique d’une telle légèreté (avec cette étrange impression que le corps pèse deux plumes) qu’elle envoie des vibrations vers la salle délestées d’un propos qu’il faudrait comprendre. Yan Raballand chorégraphie sa vision du lien (on devrait donner cette consigne à tous pour concourir !) et c’est splendide. Avec peu d’espaces, sans envolées lyriques, il réussit une danse qui créée du souffle (au sens propre, comme au figuré) où l’unisson n’est pas une forme, mais bien un processus qui vient traverser le spectateur. C’est élégant, raffiné, précieux. Cette exigence lui permet toutes les audaces. Elle nous guide vers un futur où la danse touche, quitte à ne plus la comprendre.
Pascal Bély – www.festivalier.net
Concours “Re”connaissance à Decines (69) les 26 et 27 novembre 2010.
Premier prix du jury: Compagnie Etant Donné – Frédérike Unger et Jérôme Ferron.
Deuxième prix du jury: Ambra Senatore – Compagnie Ambra Senatore.
Prix du public: Compagnie
Contrepoint – Yan Raballand.
Contrepoint – Yan Raballand.