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Dix oeuvres majeures en 2012.

Dix œuvres majeures ont jalonné l’année 2012. Quasiment aucune n’est venue à moi. J’y suis allé, au prix de nombreux déplacements et de temps passé à arracher une place. Dix œuvres de l’humain vers l’humanité, de soi vers nous. Dix œuvres pour hurler, se faire entendre au moment où l’Europe s’effondre. Dix oeuvres pour trouver l’embarcation qui ne promet rien, mais qui rêve du tout.

«La Mouette» mise en scène par Arthur Nauzyciel a divisé la critique lors du festival d’Avignon. Rarement, je n’ai ressenti une telle humanité en jeu: les artistes ont accueilli mes fragilités pour me restituer une vision sur la place de l’art dans une société en crise. J’en suis sorti plus fort, plus habité. Mouette.

«Dopo la Battaglia» est une autre victoire. Celle de Pippo Delbono. Son Théâtre n’a pas abdiqué. À corps et à cris, il a dénoncé, en célébrant la danse: l’incurie médiatique, la lâcheté du politique, l’inculture triomphante des communicants qui torturent le sens des mots pour tordre les corps épuisés par la crise. «Dopo la Battaglia» a été un moment généreux: par vagues successives de tableaux vivants, ce théâtre-là a porté haut «l’être» l’humain, et posé son écume sur nos corps desséchés. Pippo Delbono est l’héritier de Pina Bausch et poursuit son œuvre: faire confiance en l’intime pour questionner la folie du monde.

Avec «Tragédie», Olivier Dubois a frappé fort avec efficacité. Avec 18 femmes et hommes nus, il a créé «l’image», celle qui pourrait faire «humanité» pour chacun d’entre nous. Il a réussi à sculpter le groupe pour qu’émerge un tout: celui qui nous sauvera de notre tragédie de n’être qu’homme, entité sociale et sexuée. «Tragédie» m’a offert une vision éclairée de notre destin commun.

Sophie Calle n’est pas une artiste de théâtre. Elle expose. Et pourtant, elle a créé la scène autour de sa mère, décédée en 2006, jusqu’à lire quotidiennement son journal intime. «Rachel, Monique» était à l’Église des Célestins. Tel un rendez-vous avec une chanson de Barbara, nous y sommes revenus plusieurs fois comme un besoin vital de ressentir une nostalgie créative. Le 28 juillet 2012 à 17h, nous étions présents alors qu’elle lisait les dernières pages. Sophie Calle a créé le rituel pour nous rassembler, celui qui nous a tant manqué pendant le festival.

«Salle d’attente» de Krystian Lupa a été un choc théâtral en deux actes, porté par une troupe de quinze jeunes comédiens. Ils ont incarné avec force la vision d’un idéal européen en miettes à l’heure où la Grèce s’accroche vaille que vaille. Tandis que le deuxième acte nous incluait dans une «renaissance», le premier nous plongeait dans nos «inexistences». Choc frontal et bilatéral.

«Mesure pour mesure» de William Shakespeare par Thomas Ostermeier m’avait impressionné. Sur scène, j’y ai vu le jeu d’une civilisation épuisée par un système démocratique où le pouvoir pulsionnel transforme la raison d’État en déraison psychique. Un  cochon pendu métaphorisait notre piètre condition humaine prise en tenaille entre le religieux et la finance toute puissante. Ne reste que la justice pour décrocher ou choisir le croc le plus adapté…

Le collectif flamand tg STAN est moderne: son interprétation des«Estivants» de Maxime Gorki m’a littéralement emporté dans un système de pensée revigorant. Cette œuvre du début du 20ème siècle décrit un groupe en vacances d’été dans une datcha et qui «s’occupe» pour ne pas sombrer. Ici, les conflits entre amis masquent finalement un accord souterrain pour que rien ne change entre le marteau ou l’enclume, entre penser ou subir…

Le collectif berlinois She She Pop est culotté: avec leurs pères, trois actrices ont interprété «Testament», écriture théâtrale en deux dimensions (le texte du «Roi Lear» de William Shakespeare enchevêtrés dans des dialogues percutants entre pères et filles). C’est ainsi que fut abordée la délicate question de la transmission et de la prise en charge de la vieillesse par une génération frappée par la récession économique. Avec She She Pop, le testament a perdu sa valeur juridique, mais a gagné en altérité métamorphosant le théâtre de Shakespeare en un dialogue social régénérant.

Autre transmission avec Radhouane El Meddeb et Thomas Lebrun qui avec «Sous leurs pieds, le paradis», m’ont offert l’une des chorégraphies les plus sensibles de l’année. J’y ai vu Radhouane El Meddeb entrer dans la danse pour peu à peu se féminiser, embrasser la peau musicale d’Oum Kalthoum et y recevoir la force du baiser de la résistance. J’y ai vu une mer de courants artistiques où l’art chorégraphique a rencontré le chant. Sous leurs pieds, le théâtre a mis les voiles vers des contrées où la danse est un chant de la démocratie.

Autre voile, avec «La barque le soir» de Tarjei Vesaas, mise en scène par Claude Régy. À aucun moment l’embarcation n’est figurée: elle est bien là, au plus profond de notre imaginaire, en dialogue continu avec le corps qui danse (magnifique Yann Boudaud), avec le chaos de la scène vers la sérénité du tableau. Claude Régy sait créer l’espace où se rencontre le poète, l’acteur et le spectateur. Nous sommes liés, dans la même embarcation, celle qui nous guide vers un au-delà.

Entre les deux rives, notre unique bien-être: l’art comme embarcadère vers ces dix œuvres majeures.

1- “La mouette” par Arthur Nauzyciel (Festival d’Avignon)
2- “Dopo la Battaglia” par Pippo Delbono (Comédie de Valence).
3- “Tragédie» d’Olivier Dubois (Festival d’Avignon).
4- «Rachel, Monique» de Sophie Calle (Festival d’Avignon).
5- «Salle d’attente» par Krystian Lupa (Sortie Ouest -Béziers).
6- «Mesure pour mesure» par Thomas Ostermeier (Théâtre de l’Odéon, Paris).
7- «Les estivants» par la tg STAN (Festival d’ Automne de Paris).
8- ” La barque le soir” par Claude Régy (Festival d’Automne de Paris).
9- «Sous leurs pieds, le paradis» de Thomas Lebrun etRadhouane El Meddeb (Montpellier Danse)
10- «Testament» par She She Pop et leurs pères (Festival d’Automne de Paris).

Pascal Bély – Le Tadorne.

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FESTIVAL MONTPELLIER DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

Radhouane El Meddeb, c’est mon paradis.

Article écrit lors du dernier festival Montpellier Danse.

Le plateau est en soi une oeuvre. Aux rideaux noirs échoués sur la scène, répondent de longs morceaux de tissus sombres qui pendent sans toucher le sol. L’ensemble forme une architecture en plusieurs dimensions où les coulisses font décor. Le vent d’une révolution a dû souffler pour que cela soit si ouvert et conservé. L’espace paraît d’un coup immense et fait place nette à la danse tout en lui laissant sa part de mystères faits d’apparitions et de disparitions. Cette mise en jeu du dévoilement est sublime. La scénographie d’Annie Tolleter me guide déjà vers la danse de Radhouane El Meddeb et Thomas Lebrun: avec elle, le décor entraîne le regard dans un mouvement spiralé où le corps du danseur surgira des coulisses pour habiter peu à peu la scène et nous conduire vers l’indéfinissable.

Radhouane El Meddeb arrive discrètement: son visage se cache sous le voile du rideau. Son corps semble prêt à en découdre, comme lors d’un accouchement où il faut couper le cordon pour renaître. Il se tient droit, de biais. Est-il un unijambiste qui retrouvera tout le sens de ses membres tandis que les clameurs du concert d’Oum Kalthoum donné au Caire en 1966 font trembler les murs du théâtre.  Est-il cette femme voilée qui se dévoilera, parce que ce chant-là vous déleste à jamais de nos oripeaux ?

Sous leurs pieds, le paradis  de Radhouane El Meddeb  & Thomas Lebrun

Radhouane El Meddeb est prêt pour s’engouffrer dans les plis du plateau joliment dessinés par Annie Tolleter.
Radhouane El Meddeb est prêt pour entrer dans la danse où l’homme va peu à peu se féminiser, embrasser la peau musicale d’Oum Kalthoum et y recevoir la force du baiser de la résistance.
Mais d’abord, il se doit de tout apprivoiser. D’occuper cet espace scénique où seul le chant résonne. En le parcourant par petites touches, le corps y trouve sa place. Avancer, s’arrêter. Se tenir droit. Et tendre un bras, puis deux, pour y chercher la force qui met tout le corps en mouvement. Ce bras tendu vers la terre, vers l’enfant, vers la vie que procure tout geste qui sort de soi. Oui, c’est cela. Radhouane El Meddeb sort de lui-même. À chaque instant où il s’arrête, il est statue. Il est peinture. Il est l’art qui apparaît. Peu à peu, le plateau ressemble à la salle d’un musée qu’il explore la nuit à la recherche des âmes: celle des artistes, celle des femmes. Celle de l’humanité. Il court, le regard ailleurs. Il danse l’égarement quand l’art nous transcende. Il marche à quelques mètres de moi: j’y suis. Je ne le quitte plus. Le corps de Radhouane El Meddeb est ma nacelle où je me déleste des poids. De cette exploration, il métamorphose la scène : les rideaux le dévoilent. Sa danse me voile. Le plateau est une mer de courants artistiques où l’art chorégraphique rencontre le chant d’Oum Kalthoum.

C’est l’entracte. Pas celui auquel nous sommes habitués. Ici, il est l’espace du recommencement pour que Radhouane El Meddeb, sous l’épais tissu du rideau, se voile à nouveau. Il semble porter le masque d’un personnage échappé de la Commedia dell’arte. Ses mains dansent: les bras ont trouvé leurs gestes! Peu à peu, il est double: je perçois le chorégraphe Thomas Lebrun avec lequel il cosigne ce magnifique «Sous leurs pieds, le paradis». Il est deux pour tout oser et faire la révolution : la danse se chante, le chant se danse parce que le changement est féminin à l’image de son visage qu’il transforme de ses mains de fée!  Pour «occuper» la «place», Thomas El Meddeb ose tout jusqu’à la transe où, couché, émergent les plis de son ventre, territoire des révolutions. Il ose la fusion avec Oum Kalthoum pour se séparer et la rejoindre. Radhouane Lebrun se métamorphose peu à peu en icône de l’évolution des corps pour une émancipation du mouvement. La scène semble balayée par le souffle de la liberté, traversée par un chant qui puise dans l’énergie des âmes «torturées» la force de vivre.
Radhouane et Thomas sont maintenant au paradis. Sous leurs pieds, le théâtre met les voiles vers les contrées où la danse est un chant de la démocratie.
Pascal Bély – Le Tadorne.
«Sous leurs pieds, le paradis » de Thomas Lebrun et Radhouane El Meddeb à Montpellier Danse du 1er au 3 juillet 2012.
 
Radhouane El Meddeb sur le Tadorne:
La danse du ventre. Ne me jette pas. A Montpellier Danse, Radhouane El Meddeb déroute.

 

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KLAP, MARSEILLE

La danse pose question.

Dans le contexte actuel, «Questions de Danse» est en soi un petit miracle. Imaginez neuf propositions chorégraphiques en cours d’élaboration où l’après spectacle avec le public, animé avec panache par Michel Kelemenis, s’inscrit dans le processus de création. Pour impulser cette démarche, il s’engage à faire venir les chorégraphes à Marseille invités en “préambule” du festival DANSEM, manière élégante d’échauffer le spectateur, les artistes et les programmateurs. Chacun est «parrainé» par une structure (Maison de la Danse de Lyon, CND Pantin, Théâtre Sévelin de Lausanne, El Teatro de Tunis, CDC Uzès Danse, 3 bis F d’Aix en Provence, Le Cuvier de Feydeau, Danse à Lille). Ainsi, la mise en réseau des institutions facilite la communication avec le public! Pour cette 5ème édition, neuf propositions nous sont présentées dont six vues par votre serviteur.

Cette année, « Question de Danse » dessine un paysage chorégraphique fait de plaines et de montagnes, d’où se dégagent des climats contrastés. Le spectateur se promène parfois, s’arrête ou passe son chemin. Ici, il ne s’agit pas d’évaluer l’oeuvre, mais de ressentir l’accueil du public dans le processus.
Avec la chorégraphe franco-suisse Perrine Valli, la création est prête. « Je ne vois pas la femme cachée dans la forêt» sera présentée dans une semaine à Genève. Ce soir, nous avons droit à la bande-annonce! A l’issue des vingt minutes, la frustration est palpable. Perrine Valli articule à merveille la narration et l’abstraction donnant toute liberté au spectateur de faire son parcours entre corps sculptés par la danse et cadre métallique considéré comme un espace de projection picturale. Mais cette présentation ne permet pas d’entrer dans le processus de création d’autant plus que, si la danse de Perrine Valli offre une liberté, la froideur de l’ensemble ne facilite pas le dialogue. À voir donc dans son intégralité au Festival Faits d’Hiver à Paris les 14 et 15 janvier 2011. J’y serai!
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Deux propositions se sont clairement inscrites dans le principe de «Question de Danse». La première, de l’actrice Céline Romand et du chorégraphe Christian Ubl, est un travail de recherche. «La Semeuse», est un dialogue entre danse et théâtre (à partir d’une nouvelle de Fabrice Melquiot). Ici, la traversée est encore très fragile, car la danse ne se laisse pas «théâtraliser» facilement d’autant plus qu’entre abstraction et narration, le duo est en « travail ». À ce stade du processus, un dispositif plus intime avec les créateurs aurait été préférable pour qu’un retour ne soit pas entendu comme une évaluation de l’oeuvre, mais comme participant à la recherche. Le spectateur y a toute sa place, car l’exploration d’un nouveau langage est aussi son «travail». Pourquoi ne pas l’associer pour inclure dans le temps de la création, un temps partagé? La pièce sera jouée en avril 2011 au 3 bis F d’Aix en Provence.
La deuxième est présentée par Thomas Lebrun pour une «traversée» très étonnante. Avec «Six order pieces», les prémices sont inversées. Des collaborateurs (une vidéaste, un créateur lumière, une chorégraphe..) proposent et Thomas Lebrun dispose! Imaginerait-on en France un manager proposer à son équipe: «posez le cadre pour que je crée»? De notre place, nous ne percevons pas ce processus et c’est l’après-spectacle qui donne les clefs. Le dialogue qui s’engage entre Thomas Lebrun, Jean-Marc Serre (le créateur lumière) et Michel Kelemenis stimule la participation du public comme si la remise en jeu de la posture du chorégraphe interrogeait la perception du spectateur sur la place du créateur. Avec «Six order pieces», Thomas Lebrun pourrait imaginer un après-spectacle où, son équipe assise dans les gradins, assisterait à un échange entre spectateurs autour de ce changement de prémice. Cela serait d’autant plus intéressant que le travail de Thomas Lebrun est profond et permet toutes les audaces d’interprétation. A voir au printemps prochain à «Danse à Lille»!
Nejib Ben Khalfallah nous vient de Tunisie. «Mnema» est une danse très théâtralisée, sorte de «rêve mouvementé» (pour reprendre l’expression d’une des danseuses). Ici, l’après-spectacle avec le public provoque un dialogue brut, animé, sans langue de bois, comme si la distance entre le créateur et le spectateur était l’objet même du travail. Distance mise en scène par la compagnie Androphyne dirigée par Pierre-Johann Suc et Magali Pobel. « [?] ou pas » est encore à l’état d’embryon et a sans doute besoin d’un propos assumé pour que les spectateurs (acteurs de la pièce) puissent dans l’avenir s’inscrire dans un processus de co-construction.
Avec  “Guintche“, la portugaise Marlene Freitas réussit une forme d’exploit. Celle de nous présenter une étape de création stupéfiante et jamais vue ailleurs, mise en dialogue avec le public avec une belle sincérité. Sidérés par la proposition, nous avons applaudis chaleureusement cette transe où le corps explore la musique tel un organe vivant.

Ici «Question de Danse» se fait murmure pour  laisser Marlène travailler et nous revenir. A coup sûr, c’est une grande. Parole de spectateur.
Pascal Bély – www.festivalier.net.

“Question de danse” du 26 octobre au 6 novembre 2010 à Marseille.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Thomas Lebrun et ses contes à découvert.

Au festival Off d’Avignon, le solo de danse se fait discret dans l’affichage orgiaque de la ville. Difficilement «vendable», c’est le bouche à oreille et la notoriété du lieu qui fait office de promotion. Thomas Lebrun jouit d’une excellente réputation. Remarqué dans le « in » avec «Parfois, le corps n’a pas de coeur», il présente au Off trois solis rassemblés dans le programme «Allone#3» qui permettent d’appréhender un propos chorégraphique complexe. En jouant sur les mots (Allone, alone, seul), le solo pour exprimer la solitude, le corps, la marchandisation de notre époque et approcher cette danse aux multiples facettes.

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Pour débuter, un solo épuré. « Gwiazda » est époustouflant. Interprété par Anne-Emmanuelle Deroo, votre coeur ne cesse de battre à la mesure de ce corps pris de légers spasmes à l’origine du  mouvement. Métaphore de la chrysalide, vous ne la quittez pas, car la limpidité du propos accueille votre sensibilité. L’hyperbole de l’énigme du Sphynx donnée à résoudre à Ulysse plane. De la naissance à la vieillesse, couchée, puis debout, Anne-Emmanuelle Derro s’envole comme un oiseau de nuit qui aurait peur de la lumière. Magistral !

L’arrivée de Lora Juodkaité dans « to do this, don’t do that » est plus tonitruante. Tailleur classique, perruque noire, lunettes bling-bling, elle arpente la scène d’un pas assuré, entre défilé de mode et parade de séduction dans une boîte de nuit. Le personnage déroute. Il faut attendre qu’elle crée le ralenti, pour qu’une fragilité émerge. La carapace tombe. Dépourvu de ses artifices, notre danseuse a du mal à nous regarder droit dans les yeux et seul un juste au corps doré la protège de la  nudité. Torche vivante, elle se consume à chercher sa place, à assumer un rôle, prise dans de multiples contradictions. Elle nous promène, nous perd parfois, nous récupère parce que le corps enfermé dans certains codes de la danse classique, s’affranchit par la recherche d’un langage où l’émotion transperce sa peau dorée. Elle est l’humain polymorphe préférant s’égarer dans les méandres de  la représentation sociale quitte à se perdre elle-même. Touché mais pas coulé.

À peine remis, le voilà qui arrive. Thomas Lebrun en personne ! Claquettes au pied, comportement nonchalant. Il interpelle l’administrateur – régisseur- technicien (on est au off !), prêt à insulter le public de le déranger dans la torpeur de l’été. Il dit nous proposer une pièce non terminée, présentée en son temps à Lyon. Clin d’oeil au Off qui autorise tous les recyclages, mais aussi au système de diffusion qui ne permet plus aux oeuvres de se déployer dans le temps et l’espace. Notre inquiétude de spectateur d’être largué en rase campagne se déplace peu à peu! Pris dans la tourmente d’une valse de Vienne, la lumière devient plus inquiétante et le voilà affublé d’un masque de banquier en queue de pie puis d’une créature « féminine »  cauchemardesque. Leur danse bat la mesure d’un mix composé de musiques  publicitaires. Apportant une charge contre notre système marchand (tout se vend, pas de perte, que du profit), les recycleurs des musiques classiques, tel André Rieu remplissant des stades avec ses Valses de Vienne, n’ont qu’à bien se tenir. Thomas Lebrun explore et démonte les mécanismes de notre société qui a oublié tout sens premier jusqu’à se perdre dans le mauvais goût. Le découragement initial du chorégraphe devient (notre) son cauchemar : il noie sa danse dans le brouhaha marchand où la banque, coproducteur, le poursuit.

Mais l’homme a des ressources. Il tombe le masque, nous offre sa danse virtuose qui vous soulève le coeur de tant de grâce. Le final gourmand signe l’exigence d’un chorégraphe prêt à métamorphoser son angoisse en mouvement généreux. Rare et précieux.

Pascal Bély-Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

« Allone#3 »de Thomas LEbrun à Présence Pasteur jusqu’au 14 juillet 2010. A suivre, “La constellation consternée” du 15 au 26 juillet à Présence Pasteur.