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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Toujours ce manque de temps…

«Le temps nous manquera» de Stéphane Gasc nous laisse un peu dépités. Sa fin brutale est à l’image de la disparition, thème central de cette oeuvre délicate sur le deuil. Deux personnages (un homme, une femme) évoquent le suicide du troisième (présent sur scène, mais silencieux). Ils l’ont aimé, ensemble et côte à côte. Le sujet est périlleux, convenons-en. Mais la compagnie l’Employeur l’aborde en adoptant un ton, un temps particulier, fait d’accélérations, de lenteurs et de flash-back. Nous sommes loin d’une oeuvre tapageuse, désireuse d’être dans le coup : on n’y décèle aucun tic de langage du théâtre contemporain (vidéo, musique vrombissante). Juste un décor un peu lounge mais bancale, où l’on ne fait plus très bien la différence entre l’appartement privé du couple et l’espace public d’un bar. Aucun meuble ne tient tout à fait droit…

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Vous serez probablement interpellé par ce début énigmatique, aveuglant…lumière blanche pour soleil noir : une plongée hypnotique dans le tunnel de la mort pour entrer dans le noir des âmes torturées, de ceux qui restent. Autant préciser qu’ils ne vont pas bien du tout, mais allaient-ils mieux avant, près de lui ?

Les deux survivants (touchante Édith Mérieau, troublant Alexandre Le Nours)  se rapprochent pour mener un combat à fleuret moucheté, quand ce n’est pas au sol. Il a disparu, mais ils poursuivent leur jeu d’attraction-répulsion pour continuer à se projeter dans le regard de l’autre. Comme un réflexe de survie qu’une subtile «lumière sale» vient éclairer. Les dialogues sont ciselés comme des lames à double tranchant. Drôle car incisif. Cela saigne encore. Mais  ils ne trouvent jamais la réponse à leurs questions dont on peine d’ailleurs à cerner les contours: l’amour n’a pas d’explication en dehors de ceux qui s’aiment.

C’est un théâtre du non-dit où les mots s’enveloppent et cachent à l’image du décor magnifique de la deuxième partie (le voile blanc de la pudeur posé sur ce qui ne peut s’enfouir). À l’image de la crise d’exéma qui démange l’un, tandis que l’autre semble épuisée dans sa quête d’amour.

À ce «temps», il me manque une troisième dimension, pourtant incarnée par la présence du suicidé (Stéphane Gasc lui-même). Il aurait pu danser pour faire résonance, pour ancrer dans mon imaginaire, une image théâtrale du deuil. Pour m’accompagner à baisser ma garde amplifiée par le dialogue amusant et défensif des deux survivants.

Ce «temps» qui me manque est celui de la danse, l’art de la disparition.

Pascal Bély, Le Tadorne

« Le temps nous manquera », texte de Stéphane Gasc ; mise en scène de la compagnie l’Employeur. Au Festival Actoral de Marseille du 4 au 8 octobre 2011.