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À Mantova, j’ai trouvé une brebis dans un kinder surprise.

Rendez-vous m’a été donné par Cristina Cazzola, directrice artistique du festival «Segni d’Infanzia» à Mantova. Nous nous étions rencontrés à «Petits et grands» à Nantes. Avec une détermination qui force le respect, elle anime depuis plusieurs années un festival pour les enfants dans un contexte économique particulièrement délicat en Italie. Afin d’amplifier la lisibilité de la programmation, elle propose au public et aux professionnels, d’entendre différents regards, d’où qu’ils viennent (de spectateurs et de journalistes). Six critiques internationaux ont donc été invités à débattre, démontrant pour l’occasion que le théâtre dit «jeune public» suscite un échange de qualité capable de transcender le clivage entre critique professionnel et amateur. Les contributeurs du Tadorne aimeraient que cet exemple soit suivi en France…

Quelles visions émergent de ce festival? Globalement, la parole est fortement présente sur les plateaux. Certaines propositions font le pari d’une approche didactique à partir d’une pédagogie créative de la différence entre forme et matière tandis que d’autres utilisent des effets de mise en scène au détriment du jeu de l’acteur. À l’enfant souvent bruyant dans la salle, répondent certaines oeuvres qui le sont tout autant parce que l’esthétique s’efface au profit de la démonstration. À la saturation de l’imaginaire des enfants par la société consumériste, répond sur scène une avalanche d’effets et de mots où l’objet tout puissant gomme le sujet. Le poids de la crise et la fatigue d’une civilisation sont palpables: corps courbés, habits des années soixante-dix, mécanismes de répétition, logiques de domination. Le tout dégage parfois un parfum nostalgique, voire mélancolique pour rejeter notre époque.

La créativité est alors la seule ressource pour résister, l’unique solution pour redonner une autre parole, trop longtemps confisquée comme dans « Pour la petite histoire » de la compagnie Sémaphore, où l’on questionne la manière de  raconter les histoires tout en y invitant le théâtre. Le dialogue entre la narratrice et “Scribout » (petite souris) est une occasion de renouveller le genre : au traditionnel Petit Chaperon Rouge, vient se substituer un petit prince né dans un livre qui se met en mouvement sur différents écrans vidéos de papiers mobiles et fragiles. L’histoire est un paysage de passages dans laquelle le tout-petit et son éducateur sont du voyage. On aurait aimé une chorégraphie pour fluidifier les liens entre les beaux moments de vidéo et la scène : car au-delà des mots, c’est le corps qui est langage. Mais là, c’est une tout autre histoire…

Avec « The House » par les Britanniques Sofie Krog et David Faraco, les plus grands sont gâtés. Cette compagnie anglaise nourrit le genre hitchcockien avec pour protagonistes les habitants d’une maison…hantée par la mort. Sujet délicat, mais abordé avec malice par des marionnettes aussi adroites que leur désir d’en découdre avec l’art funéraire ! Sur le plateau, la maison en miniature en impose et voit s’affronter des morts-vivants, des croque-morts, des cambrioleurs apeurés par leurs ombres…L’histoire trouve ses ressorts dans un rythme qui ne faiblit jamais et joue avec nos fantasmes sur la mort. Le public rit d’autant plus que la maison se dévoile là où l’on ne l’attend pas toujours. Mais j’aurais aimé une pause, une fragilité, une émotion : évoquer la mort n’exclut pas la profondeur poétique d’une tristesse.

Nous la trouvons dans « La bicicletta rossa » par la compagnie Attivo Teatro, l’un des spectacles les plus forts du festival. Ici, l’appartement d’une famille pauvre est aussi unité de production de boules en plastique où se cache une surprise. Les enfants connaissent bien cette friandise martelée à coup de publicités avant leur dessin animé préféré. Sauf qu’ici, le jeu a un gout amer : la famille s’épuise dans ce travail et doit produire toujours plus pour satisfaire un homme à l’allure berlusconnienne qui contrôle également les ressorts de leur imaginaire. Tandis que le plus petit rêve d’une bicyclette pour se promener dans la voie lactée, les plus grands s’appuient sur le système économique pour le corrompre de l’intérieur et appeler les enfants à la révolution ! La mise en scène est majestueuse, car elle sait humaniser la mécanique des corps, poétiser le désir d’émancipation, incarner le rêve par un dispositif vidéo particulièrement inventif.

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Changement radical de registre avec « Ode Alla Vita » par la compagnie Rodisio. Un couple âgé, habillé façon Deschiens (que l’on imagine parent avec la famille de la «bicicletta rosa»), débarque lentement sur scène, plié en deux, de fatigue, mais aussi de rire ! Ces deux-là veulent en découdre avec cette fin inéluctable que leur promettent leurs corps cassés. Leur créativité les guide vers un imaginaire florissant où la fête est une danse. Ils ne reculent devant aucune de leur invention pourvu qu’elle provoque amour, gloire et beauté ! C’est parfois répétitif parce que l’autre en redemande jusqu’à plus soif…Le public est convié à ce délire sénile, rit beaucoup, mais je me questionne encore : la vieillesse est-elle un retour à la liberté créative de l’enfant ? Ce spectacle rencontre-t-il le monde de l’enfance ? N’est-il pas une façon pour les adultes de se justifier d’être si peu créatifs,  de se rattraper de leurs erreurs présentes, de se promettre un futur joyeux ? J’ai eu l’étrange impression que les enfants étaient spectateurs passifs d’un rendez-vous entre adultes. J’ai moi-même attendu une «bicicletta rosa» qui n’est jamais venue…

«La pecora nera» du Teatro Distinto a réussi le pari de réunir petits et grands avec une œuvre d’une belle qualité d’écriture. Ils sont deux, tel Laurel et Hardy : moi le petit blanc chauve avec une cloche autour du cou, toi le grand noir avec grosse touffe de cheveux. L’un protège ses brebis blanches ; l’autre accueille un cochon dans son pré capillaire ! L’un semble avoir le pouvoir ; l’autre la puissance créative. À ce petit jeu sans parole où la danse et le jazz se taillent la part du lion (!), rien d’étonnant à ce que l’un impose à l’autre sa vision de l’animalité: ce cochon sera recouvert de laine! Après d’âpres négociations et de batailles, il sera brebis mi-blanche, mi-noire. La scène métaphorise à merveille le cloisonnement entre les genres, l’antagonisme entre deux approches de l’humanité : biologique et culturelle. Je n’ai pu m’empêcher de faire le lien avec le récent débat autour du mariage pour tous. La force de «La pecora nera» est de nous proposer un langage artistique qui transcende les différences, qui offre une vision dynamique de la mondialisation où la diversité crée l’unité pourvu que le lien soit au service du sens. C’est rondement bien interprété, joliment scénographié, musicalement astucieux. Ce spectacle est un tour de force parce qu’il invite petits et grands à questionner leur image du village global là où le politique leur promet de faire sienne une maxime populiste : «chacun sa brebis, les cochons seront bien gardés».

Pascal Bély – Le Tadorne.

« La pecora nera » du Teatro Distinto ;  « Ode Alla Vita » par la compagnie Rodisio ; « La bicicletta rossa » par la compagnie Attivo Teatro ; « The House » par Sofie Krog et David Faraco ; « Pour la petite histoire » de la compagnie Sémaphore ; au Festival Segni d’Infanzia à Mantova du 30 octobre au 3 novembre 2013.