Catégories
FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES PAS CONTENT

Mon périple Bruxellois (1/3): trop sympa le KunstenFestivaldesArts !

Un festival est une articulation complexe entre un projet artistique, une communication à partir des valeurs et un management respectueux. Grâce à sa fondatrice Frye Lysen, le KunstenFestivaldesArts de Bruxelles promeut le dialogue entre Flamands et Wallons, encourage des esthétiques peu reconnues, ouvre le théâtre à la danse, invite des artistes du monde entier. Mais depuis deux années, cette dynamique s’essouffle et 2012 signe peut-être ma rupture. Dès le mois de mars, j’ai été particulièrement choqué par une annonce sur le site du festival («Le Kunstenfestivaldesarts cherche des bénévoles! Tu as du temps libre pendant le mois de mai? Tu as l’intention d’assister à beaucoup de spectacles au festival? Et bien sûr tu voudrais payer tes tickets moins chers? Nous avons une solution pour toi: contribuer au festival en intégrant notre équipe de bénévoles!”). Ainsi un langage publicitaire «sympa» fait la promotion d’un travail gratuit, en échange de billets soldés, signifiant qu’une relation à l’art se monnaye alors qu’elle est «censée nous faire réfléchir» (dixit le directeur Christophe Slagmuylder à la télévision belge). En avril, je m’étonne de lire la page Facebook du festival en anglais et non dans les deux langues (flamand et français) comme auparavant. La réponse ne se fait pas attendre : «Sur Facebook c’est en anglais et cela fait déjà un petit temps. C’est bien plus direct comme cela non? Et bien plus adapté à l’outil…». Ce n’est pas signé. Facebook n’est qu’un vulgaire tableau d’affichage alors qu’il est censé mettre du liant entre programmateurs, artistes et spectateurs. Et si la stratégie de communication et de management était liée au projet artistique du festival? Première démonstration à partir de mon périple festivalier du 16 au 20 mai inclus?

protokoll.png

La proposition du collectif Berlinois Rimini Protokoll confirme mon hypothèse. Au théâtre KVS-Bol, le staff divise les spectateurs en groupes. Je suis casé pour suivre le circuit bleu. On me parle en anglais. Je fais remarquer que je suis français. Aucune réaction. Le périple dans le théâtre commence par une série d’ateliers censés nous immerger au c?ur du Nigéria dont le PIB devrait dépasser celui de la France d’ici 50 ans. Un homme nous installe dans une salle de réunion pour évoquer l’économie du pays. En anglais. Je ne comprends pas. Je m’en inquiète auprès d’un membre du staff (probablement recruté comme “bénévole”) qui me tend un livret résumant la performance. L’oeuvre est ainsi réduite à un synopsis?dans lequel je lis qu’une salle des marchés est un théâtre avec un metteur en scène, des acteurs. Avec Rimini Protokoll, tout est une métaphore du théâtre. Soit. Au deuxième atelier, le scénario se reproduit et, fait rarissime, je quitte le KVS. Rimini Protokoll se représente l’économie en cases, exclusivement basée sur des échanges marchands. Faute d’artistes, il installe des acteurs (comme vous et moi) pour incarner leur propre jeu professionnel. L’art aurait pu nous immerger dans l’interdépendance, dans une articulation entre l’économique, le social et le culturel. Mais «Lagos Business Angels» est un dispositif inspiré par des communicants qui dénoncent, mais qui n’énoncent pas tout en excluant les spectateurs qui ne parlent pas la langue dominante. Un d’entre eux me faisait remarquer dans un mail : «j’ai eu l’impression d’être à un séminaire organisé par une ONG». Ainsi, l’esthétique de la communication d’entreprise a pris le pas sur l’art. Flippant.

tour.jpg

Mais je n’ai encore rien vu. Le lendemain Anna Rispoli et Edurne Rubio nous convoquent au pied de la tour de l’École Hôtelière du Campus Elishout à Anderlecht. Ici aussi, nous voici divisés en deux groupes de spectateurs, casques sur la tête pour y entendre des bruits de circulation, des champs d’oiseaux et une narratrice dans le rôle de?la tour (sic). Une des «actrices» nous accompagne. Je la sens?«habitée» dans son statut de «médiatrice» performeuse tandis qu’elle ralentit nos pas au c?ur du parc du campus. Ce périple nous guide au 13ème étage (je vous épargne les arrêts?) où «la voix» nous parle de son statut peu enviable de tour. Le texte est sans distance, collé au réel (jusqu’au passage digne d’une publicité pour site porno où d’une voix langoureuse, elle évoque les mains qui s’accrochent à sa rampe d’escalier et les corps qui frôlent ses murs). C’est vulgaire, sans recherche, à l’image des produits confectionnés par les Offices du Tourisme. C’est du «théâtre réalité» sans  poète, sans artiste en chair capable de nous extraire de cette écriture métaphorique sans relief. C’est de l’installation pour nous faire vagabonder. Mais qui suis-je au final ? Un spectateur  qui consomme de  la com’. «C’est sympa» me dit une spectatrice. Suffisamment sympathique pour empêcher tout regard critique au risque de passer pour un «emmerdeur».

Mais je n’ai encore rien vu. Cette fois-ci, ils sont quatre (Inne Goris, Dominique Pauwels, Kurt d’Haeseleer et Ief Spincemaille) pour «Hoog Gras». C’est une installation posée sur la scène du KVS. Ici encore, les spectateurs sont divisés en plusieurs groupes, entourés de différents écrans et de haut-parleurs. Il s’agit de nous immerger dans la psychologie d’un enfant soldat tout en proposant au public «un spectacle sensoriel». Sauf que je n’ai strictement rien ressenti de ce flot d’images si ce n’est une belle esthétique sur un sujet terrible. La sophistication de l’installation renforce ce sentiment d’un «art» qui nous prend de haut et nous éloigne durablement de la profondeur de la musique de Dominique Pauwels et des voix du ch?ur des enfants du Théâtre de la Monnaie. Ce «théâtre-là» est effrayant, car désincarné alors que son propos réclame la chair. À corps et à cris.

Mais je n’ai encore rien vu. Le chorégraphe Brice Leroux présente «Flocking-Quintet». S’inspirant des systèmes d’autoorganisation spatiale des groupes d’animaux, cinq danseurs (affublés d’une robe rigide pour princesse obsessionnelle) tournent sur eux-mêmes à côté d’un piano mécanique qui se déplace également accompagné d’une boule de lumière blanche. Pendant une heure, ça tourne entre chien et loup. Ça tourne. Dans le vide sidéral. J’ai encore en mémoire, la grâce mécanique d’Anne Teresa de Keersmaeker dans «Rosas Danst Rosas». On ne devrait jamais penser à elle. Cela coupe tout. Brice Leroux conceptualise, mais ne dit pas. Il cherche, mais ne trouve rien. Mais, comme me le soufflera une spectatrice, «c’était sympa à voir».

Ces quatre propositions ne créent pas les conditions d’un renouvellement de la pensée et du regard critique. Elles s’appuient sur l’illusion groupale comme vecteur de communication entre l’artiste et l’individu. Mais à aucun moment, celui-ci n’est considéré dans ses particularités. Il consomme de la performance et de l’esthétique sans qu’il lui soit possible d’interroger la pertinence de ce qu’il voit. La relation à l’art est si distendue qu’elle ne permet pas la rêverie, tout au plus l’éloignement. Le caractère «sympathique» de la proposition joue sur un lien affectif factice, prémice d’un autoritarisme qui ne dit pas son nom.

L’art se déploie dans la pensée. Hors d’elle, il n’est que produit et finit sa trajectoire sur le page Facebook du Festival. Sans amis.

Pascal Bély, Le Tadorne.

A lire aussi:

Mon périple bruxellois (2/3) : le KunstenestpasmonFestivaldesArts.

Mon périple bruxellois (3/3) : du haut de la Montagne, les tout-petits voient grand.

Brice Leroux –  «Flocking-Quintet » – du 19 au 23 mai 2012.

Rimini ProtoKoll « Lagos Business Angels » – du 17 au 19 mai 2012.

Anna Rispoli et Edurne Rubio , « Retroterra : audio tour / performance » du 12 au 18 mai 2012.

Inne Goris, Dominique Pauwels, Kurt d’Haeseleer et Ief Spincemaille – «Hoog Gras» – du 12 au 20 mai 2012.

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Au Festival d’Avignon, l’Islam se noie dans le Protokoll.

 

À la sortie de « Radio Muezzin » du Suisse Stefan Kaegi, le malaise est perceptible parmi les spectateurs. Mais ne l’était-il pas sur scène alors que l’un des acteurs fut pris d’un fou rire contagieux, signe d’un cadre qui ne contient plus mais qui enferme? Comme à son habitude, Stefan Kaegi, issu du collectif Rimini Protokoll nous propose son théâtre documentaire dont il a seul le secret. Pour la troisième fois depuis 2006, il est l’invité du Festival d’Avignon. Cette année, c’est l’Egypte et ses « muezzins », hommes sélectionnés sur concours et dont la mission est d’appeler à la prière. Il y autant de muezzins que de mosquées sauf que l’État Égyptien prévoit une « radiodiffusion systématique ». « Que devient l’aura de cette cérémonie ? », s’interroge Stefan Kaegi.  Il a donc invité quatre muezzins et un technicien à monter sur scène pour y raconter leur art, ponctué de témoignages sur leur quotidien, d’appels à la prière et de chants religieux.

 

Aux corps souvent statiques et lourds des invités (le poids de la religion et l’enjeu d’être en Avignon n’y sont pas étrangers), répond une mise en espace classique et sans créativité de Stefan Kaegi. Suffit-il de projeter des images vidéo de circulation au Caire pour créer le mouvement ? Suffit-il de reproduire l’éclairage des mosquées pour nous immerger ? Suffit-il d’accompagner la présentation des muezzins par un diaporama de photos personnelles pour créer l’intimité ? À toutes ces insuffisances, vient s’ajouter un malaise sur le propos lui-même. Si la métaphore de la mondialisation qui uniformise et fait disparaître le singulier a toute sa place ici, il en est tout autrement du sens implicite qui parcours la pièce. À la frontière de la fiction et du réel, le spectateur joue l’équilibriste, sur un fil, faute d’une mise en scène qui transcende le propos.

C’est la faiblesse de Kaegi qui jongle avec les limites pour ne pas s’engager et faire supporter aux amateurs le poids de leurs fragilités.  Comment écouter ces hommes qui réduisent la visibilité du féminin à une présence derrière un paravent, femme remplacée ce soir par un matériel d’haltérophilie? Comment entendre ces chants religieux sur la scène d’un théâtre dans un pays laïc ? Comment ne pas réagir quand ces hommes font du prosélytisme comme au bon vieux temps du théâtre catholique en France d’avant 1905 ? Mais le plus troublant, c’est l’utilisation des ficelles d’un théâtre propagandiste, utilisées en leur temps par les socialistes dans les années cinquante : créer la communion entre la salle et les acteurs ; orienter le propos vers des principes moraux ; susciter l’amitié entre acteurs et spectateurs ; mettre l’accent sur la pauvreté des moyens du peuple.  

Stefan Kaegi a probablement le souci d’ouvrir le théâtre vers un réel que nous ne voyons plus. Mais il doit éviter absolument de nous cacher la vue sous prétexte de vouloir inventer (ou de réinventer) un théâtre à lui tout seul.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Radio Muezzin” de Stefan Kaegi du 22 au 28 juillet 2009 au Festival d’Avignon.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage.

En mars dernier, à Berlin, la critique de Stéphanie Pichon.

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival d’Avignon, « Airport Kids » perd la partie.

Avec “Airport Kids“, Lola Arias et Stefan Kaegi invitent le public à s’immerger au coeur de la mondialisation. Je suis un habitué. Dans «Call Cutta in a box» présenté au KunstenFesitvalDesArts de Bruxelles en mai dernier, j’étais enfermé dans un bureau où, en direct d’un centre d’appel basé en Inde, une opératrice tirait les ficelles d’un théâtre virtuel. Il y a deux ans, « Mmenopark» dénonçait les conséquences de la mondialisation vue par des amateurs suisses de modélisme. Il y a quinze jours, au Festival de Marseille, dans “Cargo Sofia – Marseille“, j’étais transporté «telle une pastèque» dans un camion rempli de 45 voyageurs qui pendant deux heures, de Marseille à Vitrolles, nous a fait voyager entre Sofia et Marseille, au coeur du réseau des routiers mondialisés. Au Festival d’Avignon édition 2008, me voilà maintenant convié dans un sous-sol d’aéroport. Mais cette fois-ci cela se passe dans un théâtre où je suis normalement assis.
Une heure quinze avec neuf gosses de 7 à 14 ans, qui ont la particularité d’être «portables», c’est-à-dire de parents agents économiques mondiaux qui rayonnent de Lausanne vers l’ensemble de la planète. La mondialisation est un théâtre très fragile : ces enfants ne sont pas des comédiens. À chaque instant, tout peut se casser la figure.
Si au départ cette fragilité m’amuse, elle fatigue sur la durée, car elle appauvrit progressivement le propos. Du théâtre pour enfant, nous passons rapidement vers le jeu de rôles d’adultes, plaisant à regarder au demeurant, mais éthiquement contestable. Le plus troublant est la permanence de ce processus quelque soit le concept que développe Stefan Kaegi dans chacune des ?uvres mentionnées plus haut. Il y a une forte distorsion entre le beau témoignage de ces enfants (comme ceux des routiers, de l’opératrice et des personnes âgées suisses) et la capacité du dispositif à transcender le propos. On reste souvent collé à une réalité qui a du mal à nous donner les enjeux complexes de la mondialisation.
Stefan Kaegi et Lola Arias font un beau zoom (scénographie parfaite, alternance de moments poétiques et de rappels sur la mauvaise santé psychologique de ces gosses de riches) mais la focale me paraît toujours étroite. Il est à ce sujet intéressant de faire référence à Edgar Morin, auteur de la théorie sur la complexité qui déclarait sur le site internent Nonfiction.fr: «Non seulement une partie est dans un tout, mais aussi le tout se trouve à l’intérieur de la partie, comme par exemple la totalité du patrimoine génétique se trouve dans chaque cellule, y compris de notre peau, ou encore la société en tant que tout est présente par l’éducation, la culture, le langage dans l’esprit de chacun…tout est dans tout et réciproquement”. Or, les parties décrites par Kaegi et Arias ne me donnent pas les propriétés du tout. Pour résumer, la partie ne parle qu’aux parties! Alors, on salue à chaque fois la créativité des acteurs-amateurs, la manière dont ils sont mis en scène dans leur fragilité, manipulés pour la «bonne cause» : la méchante mondialisation face au gentil public d’Avignon.
À mesure que le jeu se déroule, je ressens le paradoxe: la globalisation réduit, casse, mais elle permet à Kaegi d’être dans une «hyper créativité». À sa façon, à force de comprendre certains processus réducteurs de la mondialisation, Kaegi les fait vivre à son public.
Dans «AirportsKids», tout nous est donné. Manque peut-être notre partie.
Pascal Bély – Le Tadorne.
“Airport Kids” de Lola Arias et Stefan Kaegi a été joué le 6 juillet 2008 dans le cadre du Festival d’Avignon
“Cargo Sofia – Marseille” du collectif Rimini Protokoll et de Stefan Kaegi a été joué le 4 juillet 2008 dans le cadre du Festival de Marseille.
«Call Cutta in a box” par Haug, Kaegi et Wettzel / Rimini Protokoll a été joué du 9 jusqu’au 31 mai 2008 à Bruxelles dans le cadre du KunstenFestivalDesArts.