Par Sylvie Lefrere.
En qualité de professionnelle de la petite enfance, je ne pouvais faire l’impasse sur la deuxième édition du festival «Petits et grands» à Nantes. Il y a deux ans, «Le bal des bébés» du Théâtre de la Guimbarde me faisait déjà rêver. Reprogrammé cette année, je voulais absolument le vivre.
Je suis donc partie trois jours en vacances, sur les côtes de Loire Atlantique, pour y découvrir un autre Océan : celui de l’art et du tout petit. Ma motivation fait suite à la rareté dans ma région des propositions pour les enfants de moins de trois ans. Je savais que j’allais retrouver les acteurs du festival Méli Mélo de Reims, ceux qui m’avaient sensibilisé il y a quelques années. Ma programmation s’est articulée autour de tranches d’âges différentes afin de suivre l’évolution du théâtre jeune public. Ce festival est important pour mes projets à venir. Il me permet de sentir la créativité, de rencontrer des artistes, d’observer les touts petits et leurs parents, de me mettre en réseau et partager des visions.
Depuis quelques années, j’ai compris les bénéfices de la relation entre le tout petit et l’art sous toutes ses formes. Les corps se libèrent, la parole se délie, les interactions se fluidifient. Les rencontres s’opèrent entre les petits et les grands, sur un champ de découvertes partagées. Tout est déhiérarchisé afin que le regard change de point de vue vers des horizons communs. Ce regard offert est celui de la première fois, comme si sans l’art, on ne se serait jamais rassemblé à ce point. Au lieu de l’éducatif, nous touchons le vécu sensible, le partage de l’instant. La sensibilisation des sens vers les arts nous entraîne vers la recherche créative, et met notre pensée en mouvement.
«Le bal des bébés» est un temps suspendu proposé aux parents et aux bébés. La consigne : avoir moins d’un an ou ne pas marcher. L’accueil est feutré. Nous sommes attendus et introduits dans le lieu par les artistes. Coussins et matelas au sol sont nos terrains d’exploration. Nous déposons nos chaussures et nos couches de vêtements du dehors pour laisser nos corps respirer. Le regard, de la douzaine de petits invités, est puissant. L’interrogation transpire. Que va-t-il nous arriver…
Une violoncelliste et son binôme percussionniste, chanteur et joueur de carillon, ouvrent le bal. Ils sont dans l’alcôve de la grande cheminée du château d’où ils diffusent leur chaleur. Chaque parent garde son enfant sur les genoux et observe intensément les grands qui se déplacent sur le sol : quels sont ces drôles d’humains rampants ? Puis l’invitation se met en mouvement, et du sol, les enfants sont transportés doucement dans les airs pour rencontrer l’autre dans une forme de légèreté. Petit à petit, les enfants se délient dans une liberté corporelle. En parallèle, les parents commencent à lâcher prise. Les enfants investissent l’espace, en confiance. Les premiers babilles se font entendre. Le tout petit part à l’aventure contenue, par le regard accompagnant de son parent et des deux artistes. Les genoux protecteurs sont quittés pour se déplacer vers l’autre. La séparation nécessaire se joue. Les enfants qui étaient en posture de résistance, épanouissent leur visage d’une expression de plaisir.
Le parent interrogateur se laisse émerveiller par la magie de l’instant. Le temps va être suspendu dans une atmosphère collective de bien-être partagé. Les parents en couple semblent se retrouver, unis, autour de leur enfant au centre. C’est un moment unique d’accompagnement à la parentalité. Des pas de danse, des vols de tissus, nous mettent en lien ouvert. Dans ce jeu de va-et-vient, une vague nous emporte ensemble. Aucune contrainte n’est palpable. Protégés comme dans espace ouatiné, utérin, libre de corps et d’esprit. Valorisés dans la relation. De un, nous sommes devenus deux, puis trois, puis tous ensemble à l’unisson, réuni sous un halo léger de lumière, recouverts d’un grand tissu rose, métaphore de la légèreté de nos pensées.
La séance se termine en douceur. Chacun peut utiliser la salle comme il le souhaite, sans consigne particulière. Les discussions s’animent pour certains ; une maman allaite son bébé, calée contre un pilier de pierre. Nous sortons lentement de cette bulle, chacun à notre rythme.
Nous sortons du spectacle comme nous y sommes rentrés, dans un temps sans rupture : persuadés d’avoir passé un moment rare.
Sylvie Lefrere – Tadorne
“Le bal des bébés” par le Théâtre de la Guimbarde au festival “Petits et grands” de Nantes du 11 au 14 avril 2013.