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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Patrice Chéreau fait naufrage.

Il y a des décors qui sont en soi une oeuvre d’art. Celui d’ «I Am the Wind» de Jon Fosse par Patrice Chéreau est de ceux-là. Tandis que le public s’installe, gît un morceau de bois dans l’eau boueuse, témoignage qu’un cataclysme est passé par là. Au loin, le fond de scène est d’un gris bleu profond. C’est infini. L’eau, le minéral, le végétal : mon regard s’égare déjà, mon  imaginaire fait  dialoguer les éléments et se fertilise. La scénographie happe tout en maintenant la distance : se perdre au loin pour reconstruire ici. Serions-nous l’explorateur de notre âme à la dérive ? Qu’emporter sur notre “Arche de Noë” ?

Nous sommes au centre: de nombreuses places sont condamnées à droite et à gauche. Nous voilà «concentrés». L’exigence est là : une salle se façonne comme une scène.

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Tom Brooke et Jack Laskey s’approchent.  Leurs vêtements mouillés nous collent à la peau. L’un porte dans ses bras l’autre. Le torse blanc de l’autre se fond dans le pull de l’un. Le contenu dans le contenant. À ce moment précis, me revient une scène créée par Pina Bausch. « Café Müller » ressurgit : l’essentiel est sauvé de la débâcle. Trois minutes où la chair nous dit tant de ces deux hommes et de leurs liens : un amour improbable où l’inconsciente légère de l’autre dialogue avec la lourdeur de l’un.

Vient l’instant où l’un entreprend de rhabiller l’autre. Les gestes de l’un pour mouvementer l’autre. Le silence est impressionnant et l’on entend le vacarme de la tendresse, le bruit sourd de l’angoisse, les froissements de la métamorphose. La chenille est papillon. Ce moment théâtral est sublime : le théâtre est chair. Patrice Chéreau est un chorégraphe de l’âme. Les mots qui suivront pourront-ils rivaliser avec une telle entrée en matière ?…

Commence alors leur voyage. Pieds dans l’eau, le corps squelettique de l’autre s’est habillé. Ils vont prendre la mer, manoeuvrer leur bateau, l’amarrer à une crique, déjeuner, reprendre la mer. L’autre disparaîtra.

 «Je ne suis plus que mouvement

je suis parti avec le vent

je suis le vent» dira-t-il avant de sombrer dans l’eau.

Mais pourquoi Patrice Chéreau les a-t-il abandonnés, confiant leurs corps et leur âme à un dispositif scénique tout puissant? Le bateau monte et descend sous la pression d’une machine censée restituer une réalité, celle d’une mer calme ou en furie. Entre questionnements métaphysiques et matérialité, je m’égare dans une machinerie théâtrale qui objective : c’est elle qui fait mouvement. Sans chorégraphie, ce théâtre-là n’est qu’une armature. La chair a disparu. Le texte s’amarre à l’action, aux faits et gestes et la mise en scène ne suit plus.

On rêverait presque de les voir nus pour entendre leur âme. Car «I am the Wind» est une oeuvre sur l’insondable. Mais les corps ne sont plus traversés et font semblant de tomber à l’eau : c’est tout simplement insupportable. Les deux hommes sont sur le registre de la conversation, de celle qui pollue notre espace social. Leurs gestes illustrent et finissent par créer peu à peu la distance : les corps s’automatisent, le chaos intérieur ne s’entend plus pris dans la mécanique de la machine. Qu’est donc devenue l’intensité de la première scène, la puissance poétique de certains dialogues ? Entre l’un qui s’attache à la vie et l’autre qui la transcende, Patrice Chéreau préfère un théâtre de masques, un théâtre d’images où la scénographie fascine.

«I Am the Wind» est un naufrage : celui d’un théâtre qui séduit là où il devait créer la turbulence entre notre un et nous autres.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« I Am the Wind » par Patrice Chéreau a été joué du 15 au 18 juin 2011 aux Nuits de Fourvière à Lyon. Au Festival d'Avignon du 8 au 12 juillet 2011.
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LECTURE

Patrice Chéreau et Philippe Calvario pensent à Hervé Guibert.

Sur le programme distribué à l’entrée du Théâtre des Salins de Martigues, on peut lire une citation de l’écrivain Hervé Guibert, mort en 1991 : «Tant de gens pensent à moi que je n’ai presque plus besoin d’exister maintenant». Patrice Chéreau et Philippe Calvario ont pensés à cet écrivain dont le SIDA a marqué, vers la fin de sa vie, l’œuvre littéraire.
La lecture – spectacle «Le mausolée des amants» qui nous est proposée ce soir est un bel hommage. Sur la scène, un grand bureau avec deux chaises à leur extrémité. L’éloignement entre les deux artistes métaphorise leur distance affective à l’égard d’Hervé Guibert. Si Chéreau l’a connu personnellement, Calvario s’approche de l’écrivain en tant que lecteur,  engagé dans la lutte contre le Sida. Cet éloignement n’est qu’apparent tant la complicité est évidente entre ces deux metteurs en scène: ils habitent à tour de rôles Hervé Guibert. C’est troublant et parfois très émouvant lors de la lecture d’extraits de «Cytomégalovirus». A travers ce passage, c’est toute une génération des années 1985 – 1995 qui revit l’enfer du Sida, l’exclusion qu’il provoquait et le manque d’humanité du système hospitalier. Je pense à Thierry.

Le ton se veut plus léger quand Chéreau (le maître) et Calvario (le valet) lisent «Mon Valet et moi». C’est toute la force tragi-comique de l’écriture d’Hervé Guibert qui se trouve alors merveilleusement interprétée. Troublant…

Mais le moment le plus émouvant, le plus beau est sans aucun doute un extrait de «La mausolée des amants» lu par Calvario : dans un train, deux hommes se regardent et s’aiment déjà, alors qu’à l’arrêt, l’un descend, l’autre pas. Je frissonne en écoutant ce concentré d’amour, d’érotisme, et de mort. C’est à ce moment précis que la lecture – spectacle trouve toute sa force pour nous faire (re)découvrir le talent de cet écrivain. Troublant…
La lecture se termine
sur «Les secrets», comme elle avait commencée, par le duo Chéreau – Calvario . Nous sommes mis dans la confidence et la transmission s’opère. Hervé Guibert fait partie maintenant de mon univers littéraire. Il fallait ce duo complémentaire pour que le lien s’opère entre Guibert et le public à l’image d’une transmission, d’une génération à l’autre. La salle (à moitié vide) applaudit et les lycéens, d’habitude présents à chaque représentation théâtrale, sont absents. L’homosexualité de l’auteur doit encore effaroucher nombre d’enseignants, toujours prompts à dénoncer les injustices. Cette absence en est une.
Pour cette transmission là, il faudra attendre…Le VIH, lui, continue.

Troublant…

Pascal Bély- Le Tadorne