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Les Rencontres Photographiques d’Arles (2/2) : le noir à blanc.

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Vous souvenez-vous (pour les plus anciens), de la chambre noire du club photo du lycée ? Elles font l’objet d’une exposition passionnante aux Rencontres Photographiques d’Arles. Michel Campeau dévoile ce qui est longtemps resté caché pour les non-initiés. Comment ne pas penser aux grottes rupestres des hommes préhistoriques ? Comment ne pas voir dans ces installations précaires faites de rubans adhésifs pour collages de travers, l’antichambre de la créativité ? Michel Campeau ouvre sa focale pour détourner les lieux : ici un décor de théâtre, là une ?uvre plastique, plus loin un atelier clandestin. Comme une mise en abyme, la photo sur la photo stimule notre regard, car Michel Campeau n’oublie pas que notre imaginaire est aussi une chambre noire?

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Le noir, toujours lui, nous va si bien. Avec l’italien Mario Giacomelli, « le noir attend le blanc » (titre de son exposition) et finit par nous faire voir la vie en couleur… Il y a ces curés qui dansent sous la neige : ils sont corbeaux, libérés du poids de leur statut. Sur un autre mur, je suis sidéré par une série de photographies sur les vieux. Au temps des trente glorieuses, ils étaient parqués dans des mouroirs. Mario Giacomelli photographie la vieillesse, comme une valse à deux temps : le  blanc pour éclairer le chemin inéluctable vers la mort, le noir pour ne pas fermer nos yeux. Cette exposition est sans aucun doute l’une des plus émouvantes de ces Rencontres.

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Ici aussi le noir semble attendre le blanc. Le photographe Peter Hujar immortalise Candy Darling, Divine et tant d’autres. Les corps statufiés canalisent l’énergie vers la tragédie théâtrale. Bouleversant.
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Autre dévoilement. Autre chambre noire, bien plus éclairée…C’était le temps où la caste « bling bling » ne faisait pas de politique (ouvertement). Jean Pigozzi nous propose son album souvenir de photos de vedettes, de seins à demi dévoilés, de poils, de chiens décoiffés et « mastérisés » ! On rit souvent, car il voit ce qu’ils cachent. C’était au bon vieux temps des trente glorieuses, à moins que ce ne soit les trente gonflantes à force de nous narguer de leur toute-puissance?

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Tout n’est pas noir et blanc. Il y a aussi la couleur de résistance des photographies de Paolo Woods sur la société iranienne. Tout semble figé par la censure et la répression policière mais le mouvement est là. Les femmes jouent un rôle déterminant pour que la démocratie avance, jusqu’à poser des actes de résistance inattendus (saviez-vous que l’Iran a le record mondial de rhinoplastie ?). Woods capte la violence de la rue, mais aussi celle d’un pays prêt à se jeter corps et âme dans la société de consommation. Pays complexe, l’exposition met à mal nos clichés, amplifiés par la vision réductrice de nos médias.

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Avec l’Américaine Taryn Simon, on navigue en eaux troubles. Ici aussi, la couleur éclate pour dévoiler une vérité : celle des institutions judiciaires et policières. « The innocents » est une exposition troublante, qui relate l’histoire de ceux, condamnés à de lourdes peines pour des crimes qu’ils n’ont pas commis. Taryn Simon accuse la photographie, responsable d’erreurs judiciaires, quand elle permet à des témoins « oculaires » de désigner des coupables. Au flou des accusations, elle répond par une photographie d’une précision stupéfiante où les « accusés » reviennent sur le lieu du crime, de l’arrestation, de l’identification incorrecte. Les corps sont de marbres, le regard déterminé. C’est une photo qui réhabilite et nous renvoie notre fragilité de « témoin oculaire ».

« The innocents » est une exposition de chefs d’oeuvre où le noir éclaire  pour que le blanc innocente.
Pascal Bély – www.festivalier.net.

A lire aussi l’article précédent sur les Rencontres d’Arles. C’est ici.

Michel Champeau, Jean Pigozzi, Peter Hujar, Taryn Simon – Parc des Ateliers jusqu’au 19 septembre.
Mario Giacomelli – Chapelle Saint-Martin du Méjan jusqu’au 19 septembre.
Paolo Woods – salle Henri-Comte jusqu’au 29 août.

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Rencontres Photographiques d’Arles (1/2) : aux â(r)mes et cætera…

« Arles-Avignon », n’est pas qu’une équipe de football. C’est aussi une diagonale apparue au hasard de plusieurs expositions, entre un festival de théâtre et les Rencontres de la Photographie.

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Léon Ferrari est Argentin. Ce n’est pas à proprement parler un photographe. C’est un « plasticien » dont les oeuvres plastiquent. D’un tableau de roses en tissu émergent des cafards. Des poèmes d’amour en braille sont posés sur des photos de femmes nues. Dans l’autel de l’Église Sainte-Anne, un christ est cruxifié sur un avion de l’US Army. On devine tout le sang versé au nom de l’Église, au nom de la politique. Cela me  poignarde.

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Il me revient « La casa de la fuerza  » de l’auteuse et metteuse en scène espagnole Angélica Liddell vue à Avignon le mois dernier. Théâtre, photo, installation semblent traversés par le sang mêlé aux corps intime, social et politique. Ces deux artistes font pousser des fleurs sur des terreaux improbables, tout en dénonçant les collusions politico-religieuses qui amplifient la douleur du corps intime.

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Cette atmosphère sanguinolente se retrouve chez un autre photographe argentin,  Marcos Lopez. Ses personnages auraient pu rencontrer Liddell tant ils incarnent la douleur, l’angoisse liée à la perte d’un paradis perdu, celle de l’Argentine qu’il qualifie de pays en « carton pâte ».

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Plus loin, les visages des mères d’enfants disparus qui défilent sur la place de mai à Buenos Aires photographiés par Marcos Adandia portent les stigmates de la sauvagerie du politique. C’est beau et terrifiant.

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Et que dit mon visage ? Qu’incarne-t-il alors que je vis dans un pays démocratique? Le photographe Hans-Peter Feldmann a pris 101 photos de personnes de sa famille et de ses amis. De 0 à 100 ans, je parcours les âges pour m’arrêter sur le portrait d’un homme de 46 ans. Je me projette dans ce miroir  (« il fait plus vieux que son âge » !) et comprends aussitôt que mon corps vieillit dans un pays riche.

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En 2010, je n’ai plus l’opportunité de me « faire tirer le portrait» comme au bon vieux temps des fêtes foraines où  un fusil déclenchait l’appareil à photo. L’exposition « Shoot !» présentée par le commissaire Clément Chéroux est un tour d’horizon vivifiant sur ces portraits à couteaux tirés. Il y a bien sûr le plus connu (Beauvoir / Sartre) et tant d’autres (personnes célèbres ou inconnues). Mais une femme attire l’attention : Ria van Djik, âgé de 90 ans, se tire une balle chaque année depuis son adolescence pour s’immortaliser seule ou accompagnée. A chaque cliché, toujours cette étrange impression : l’instant est entre la vie et la mort, entre force et fragilité ; comme si tous les contraires étaient convoqués. Au spectateur de vérifier qu’elle a bien tiré dans le mille !

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Eux, ils n’ont pas eu besoin de jouer avec le feu pour être immortalisés.  Claude Gassian s’en est chargé. Iggy Pop, Keith Richards, Beth Ditto, Justice, Françoise Hardy, Beth Ditto (photo) et tant d’autres tapissent les murs de l’espace. Sans musique, ils sont icônes. Le rock est religion. Je suis prêt à m’agenouiller. Il me revient le spectacle du chorégraphe Pierre Rigal, «  Micro », présenté le mois dernier à Avignon. Avec un collectif de musiciens, il a mis en mouvement nos « clichés » sur le rock pour en dégager sa poésie, ses aspects sulfureux, sa religiosité et sa fragilité. Je les imagine habiter les salles de concert et de studios d’enregistrement inoccupés photographiés par l’Américaine Rhona Bitner. Quand le théâtre s’occupe de la photo, je crée de l’écho. Jouissif.

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Tout comme l’exposition consacrée à Mick Jagger. L’icône parfaite. Son corps a traversé toutes les tendances et les extravagances du rock. Mais où sont donc « les enfants du rock» en 2010 ? Probablement tous marketés. Claude Gassian est encore là pour nous aider à continuer d’y croire tandis que la vidéo de l’artiste américain Christian Marclay poursuit le vacarme. Un camion traîne une guitare sur les routes abîmées. Le bruit rappelle le cri de naissance, de la jouissance, de la douleur, de l’agonie. Troublant.

Je suis soulagé. La révolution rock poursuit sa route dans les espaces d’art contemporain…à moins qu’elle ne se joue au théâtre, avec Angelica et Léon en guest star.

Pascal Bély – www.festivalier.net

A lire aussi l’article suivant sur les Rencontres d’Arles. C’est ici.

Leon Ferrari – Eglise Saint-Anne jusqu’au 29 août.

Marcos Lopez – Marcos Adandia – Hans-Peter Feldmann – « Shoot ! » – Claude Gassian – Rhona Bitner – Christian Marclay –  Parc des Ateliers jusqu’au 19 septembre.

Mick Jagger – Eglise des Trinitaires jusqu’au 12 septembre.