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LES EXPOSITIONS

Pour un retour des Lucioles.

Dans l’émission «Hors-Champs» sur France Culture, à la question de Laure Adler, «est-ce qu’un film peut transformer le rapport aux autres?», Catherine Deneuve hésite : ‘Transformer, peut-être pas. Changer le regard… oui, c’est possible, s’il y a une vraie rencontre ». Pour évoquer cette rencontre à Avignon l’été dernier, j’ai choisi d’attendre. Car, il n’est de rencontre que celle qui résiste à l’immédiateté d’en rendre compte…

Juillet 2014 : alors que je suis envoûté par le tourbillon des spectacles du festival d’Avignon, je n’ai pas pris le temps d’aller m’enfermer dans l’ancienne prison Sainte-Anne de la ville qui accueillait l’exposition de la Collection Lambert « La Disparition des Lucioles ».

Quelques semaines plus tard, je retourne en Avignon pour consacrer une journée à cette exposition. Et ce ne fut pas de trop pour les quelques deux cents œuvres présentées provenant aussi bien de la Collection Lambert que de la prestigieuse collection privée d’Enea Righi (à laquelle s’ajoutent d’autres grandes collections). C’est une expérience assez glaçante que de franchir les portes et les murs d’une prison, d’y longer ses immenses couloirs et de pénétrer dans des cellules exiguës où l’on croise encore les fantômes des prisonniers à travers leurs graffitis et leurs photographies laissées sur les murs. L’enfermement carcéral est perceptible aussi à travers les œuvres choisies: on est accueilli dans les couloirs de la prison par le néon clignotant de Ross Sinclair qui annonce la couleur « Abandonnez tout espoir, vous qui entrez ici » et par les sculptures en résine de Xavier Veilhan représentant cinq policiers à taille humaine et au visage livide montant la garde. Le parcours de l’exposition nous amène ensuite à passer d’une cellule à une autre pour découvrir les foisonnantes propositions artistiques et pour accomplir un chemin de croix douloureux avec ses moments de compassion et d’espérance.

Les œuvres exposées parviennent bien souvent à faire revivre l’espace dans lequel elles se trouvent. Ainsi en voyant les visages inquiétants des photographies en noir et blanc de Roger Ballen on pense aussitôt aux visages meurtris et déshumanisés des prisonniers. Dans ce lieu lugubre, l’accès à certaines cellules est parfois interdit et le contact avec les œuvres ne peut se faire que par des judas : la distance qui nous est alors imposée se marie tout à fait aux sujets exposés comme la silhouette sculptée par Kiki Smith d’une petite fille qui est condamnée par un couperet sphérique flottant au-dessus d’elle et qui tente de nouer un dialogue solitaire. Nul besoin d’ailleurs d’intégrer un quelconque éclairage artificiel pour cette exposition : les œuvres d’art se suffisent à elles-mêmes.

Dans ce lieu voué à l’enfermement, les échappées restent possibles même si les vagues de l’installation de Massimo Bartolini ne parviennent pas à déborder et à s’extraire du bassin dans lequel elles se trouvent et qu’elles sont soumises à un perpétuel recommencement.

 

Pourtant l’installation de Claude Lévêque représentant une ligne serpentine de néons rouges évoluant dans un brouillard diffus ne vient-elle pas tracer une évasion mentale dans ce long couloir sombre où elle se trouve placée ? À moins que son titre avec toute son ironie « J’ai rêvé d’un autre monde » ne suggère que l’œuvre est bien à sa place dans le couloir de cette prison et qu’elle véhicule une tout autre expérience qu’au dernier étage de l’Hôtel de Caumont où elle se trouvait jusqu’à présent confinée. Quoi qu’il en soit les lucioles de l’espoir parviennent à scintiller, plus particulièrement dans la cour des Isolés de la prison à travers les lamelles en plexiglas torsadées de l’artiste polonais Miroslaw Balka suspendues à un grillage qui s’agitent au gré du vent et reflètent à travers des gouttes de lumière notre visage à l’infini qui peut lui-même tourner, s’envoler, s’élever dans les airs pour rejoindre les « Hurleurs » du rocher des Doms (situé au dessus de la prison d’Avignon) photographiés par Mathieu Pernot qui flottent eux aussi dans la ville.

Ce lieu où respire habituellement la désolation se voit ainsi transfiguré non seulement par la poésie inscrite dans les œuvres mêmes, mais aussi parce qu’il parvient grâce à cette exposition à dégager une certaine poésie. D’ailleurs les grands poètes tels que Verlaine y sont convoqués avec l’original de son poème «Le ciel par dessus le toit… » qui vient en écho aux Hurleurs propageant une «  rumeur […] qui vient de la ville » et qui suggère que même si l’on est prisonnier notre image peut toutefois s’élever. Ainsi les deux dernières cellules de l’exposition consacrées aux œuvres réalisées dans le cadre d’ateliers de peinture par les actuels détenus de la prison du Pontet révèlent tout comme l’ensemble de l’exposition que l’art a bien sa place dans la prison et qu’il procure aussi aux visiteurs une réelle sensation de Liberté !

Jérôme Marusinski – Tadorne