Cela fait vingt ans qu’elle entraîne avec elle des minots et des plus âgés (amateurs et professionnels) dans ses aventures chorégraphiques. Installée à Aix en Provence, Josette Baïz parcourt la France et l’Europe et nous accompagne à nous projeter dans la danse, cet art qui véhicule tant de fantasmes, de mystère, de peurs, de désirs inavoués. Avec Josette Baïz, les enfants sur scène, sont les nôtres, sous la responsabilité de notre regard bienveillant. Parce qu’eux, c’était peut-être nous?
Ce soir, au Grand Théâtre de Provence à Aix, elle nous convie à fêter les vingt ans de sa compagnie. Philippe Découflé, Jean-Claude Gallotta, Michel Kelemenis, Jean-Christophe Maillot, Angelin Preljocaj et Jérôme Bel sont invités à transmettre un extrait d’une oeuvre. Ce choix est pertinent: ils ont positionné la transmission au centre de leur projet artistique.
Au final, une heure trente où la cohérence est une transe-en-danse : loin d’empiler des morceaux, Josette Baïz créée un fil conducteur pour ne plus différencier les esthétiques, mais pour les articuler. Une transmission sur la transmission, en quelque sorte ! Ce fil, c’est son projet, celui qu’elle tend depuis 20 ans. Seule une pause de quelques minutes me permet d’identifier les deux derniers moments de «The Show Must Go On» de Jérôme Bel, métaphore d’un final ouvert vers le public, vers un nouveau projet. Ils sont si nombreux à danser «Let’s Dance» de David Bowie, «I Like to move it» de Reel to real ou encore «Every Breath You Take» de Police, que cela en devient étourdissant! Quel âge a le plus petit ? Le plus grand ? Je ne sais plus…Ils sont colorés, ensemble, ouverts pour que nous entrions dans la danse. Ils s’arrêtent puis reprennent le même geste; s’avancent vers nous pour nous fixer du regard, avec détermination, sans bouger. À ce moment, la salle est prête à danser (certains spectateurs, croyant à un final, se lèvent pour applaudir). Mais la force de leur regard est une danse: nous vous confions la puissance que Josette Baïz nous a transmise, afin que cette belle aventure se poursuive, contre vents et marées. Message reçu. La danse est bien une histoire de «fils» et de pelotes dont il faut sans cesse démêler le geste de l’ivresse?
Que retenir de ces transmissions? Malgré le temps qui passe, aucune oeuvre n’a perdu de sa justesse. Ces jeunes enfants, ces adolescents s’en emparent pour s’en amuser jusqu’à moquer le processus dans le duo savoureux de «Mammame» de Jean-Claude Gallotta. «Tu tiens?» dit l’un, avant de le bousculer pour le faire basculer: apprendre à danser déjoue bien des codes de la pédagogie! Puis vient le collectif où un danseur (incarnerait-il Josette Baïz ?) organise cette cour de (ré)création, apologie de la diversité des esthétiques où se tresse tant de modalités d’apprentissages que l’on finit par ne plus savoir qui apprend à qui! Dans un duo extrait de «Codex» de Philippe Decouflé, la casquette du rappeur du plus grand se fait coquille pour accueillir le plus petit. À moins que l’un et l’autre ne se transmettent l’énergie de la métamorphose de leurs corps, de celle qui les guidera vers ce faune, chorégraphié par Michel Kelemenis et interprété par Kader Mahammed. Ici, la question du corps dans l’espace lui est transmise, le tout dans une exploration de la musique par le geste. Kader me fait immédiatement penser à la grâce d’Olivier Dubois : ses rondeurs élargissent le cadre pour nous y perdre…
Plus matures, les voici débarquant pour apprivoiser la danse néo-classique de Jean-Christophe Maillot. De nouveau à deux puis en collectif, comme s’il fallait s’écouter dans la relation duelle avant de se fondre dans le groupe. Ici, le duo de Philippe Decouflé se transforme en apprentissage de l’asymétrie dans un interstice entre proximité et distance (“Miniatures“). Émergent alors de belles figures entre tableaux cubistes et mouvements plus attendus.
Ils sont prêts pour oser s’aventurer dans le «Marché noir» d’Angelin Preljocaj. Un adolescent à l’élégance fulgurante transmet une mécanique des fluides à deux jeunes filles, échappées d’une boîte à musique trop longtemps cachée. À trois, l’autonomie de chacun se déploie à partir de rapports interdépendants subtilement dosés. À cet instant précis, le projet global de Josette Baïz prend tout son sens : pour en arriver à une telle justesse et sincérité, ces jeunes gens se sont nourris de différentes esthétiques pour nous transmettre, le gout des autres, le gout de la danse.
Et que croyez-vous qu’un spectateur assis derrière moi eut dit à son voisin euphorique: “Tu vois, la danse c’est pour toi. Maintenant, tu prends un abonnement au Pavillon Noir et tu viens avec moi“.
Pascal Bély, Le Tadorne
« Grenade, les 20 ans » par Josette Baïz au Grand Théâtre de Provence les 18 et 19 novembre 2011. Les dates de la tournée :ici.