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LE GROUPE EN DANSE OEUVRES MAJEURES

La danse révolutionnaire d’Hofesh Shechter.

Le Théâtre des Salins de Martigues est bondé. Adolescents, adultes et plus âgés, sont réunis pour et par la danse de l’Israélien Londonien Hofesh Shechter. Il nous présente ce soir deux propositions de trente minutes chacune. Je m’imagine dans une salle de concert tant elle est enfumée. Ce brouillard contribue à brouiller la vue pour mieux éclaircir notre vision sur cet espace où chacun pourra projeter une émotion, une image. Je suis tenté d’y percevoir l’atmosphère de guerre «larvée» qui mine tant de démocraties à l’heure des prémices d’un chaos planétaire.

Ce soir, tout semble reposer sur un équilibre précaire, à l’image de l’arrivée des sept danseurs, qui, face à nous, ne tiennent plus que sur une seule jambe. C’est par cette image saisissante qu’«Uprising» commence.

Je suis frappé par la profondeur de la scène : le contraste entre la fumée et l’espace la coupe en deux pour amplifier l’enchevêtrement entre l’ordre et le désordre, le climat de paix et la révolte urbaine, la conscience individuelle et l’inconscience groupale. Mais comment naissent ces groupes que nous voyons dans la rue? Comment émerge la révolte collective?  Sept jeunes hommes s’approprient le plateau pour l’obscurcir et nous éblouir. Hofesh Shechter nous offre sa lecture : la révolte est une danse. Elle se structure à partir d’apparitions et de disparitions où, telles des sauterelles, les corps furtifs véhiculent la vie et la mort, les valeurs du renouveau et le déclin mortifère. À première vue, rien ne change alors que tout se prépare…

Hofesh Shechter ne cesse de jouer sur le contraste entre la forme groupale et ce qui la structure (à savoir le processus d’individuation qui voit la personnalité individuelle se distinguer de la psychologie collective). L’énergie de sa danse est à chercher dans toutes les oppositions qu’il relie. Ainsi le tête-à-tête amical se conflictualise pour finalement se fondre dans le groupe à l’unisson porteur de valeurs. Le corps social se forme parce qu’il exclut ceux qui n’y trouvent pas leur place. Ici, pieds et mains sont liés pour créer la virtuosité d’un groupe qui puise ses mouvements dans un rapport au sol particulier: l’expression «ne pas toucher terre» trouve ici une illustration remarquable.

Puis vient le moment où l’espace s’élargit jusqu’aux coulisses du plateau: l’envers du décor est un désordre bien agencé. Il symbolise le cadre idéologique du groupe qui l’autorise à toutes les manoeuvres, à toutes les stratégies pour enrôler, encercler, terrasser et finir en apothéose,  drapeau rouge sang dressé en étendard. À cet instant prévis, Hofesh Shechter nous offre une danse picturale que j’accroche sur tous les murs où tombèrent ceux qui n’en sont pas revenus.

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Après une pause réparatrice, débute «The Art of not looking back». L’oeuvre réunit six danseuses. Le décor de couleur blanche est beaucoup plus neutre, plus resserré. Tout commence par un cri (celui de la naissance, de la douleur, de la tristesse, du dernier souffle) . L’image de «L’origine du monde» de Gustave Courbet me traverse. Pourquoi? Quel tour me joue l’inconscient? Précisément, cette chorégraphie est l’espace du vide créateur pour celui qui la regarde, un dialogue permanent entre  perception et projection, entre attente du spectateur et action du chorégraphe. Si bien que peu à peu, je vois parce que je ne vois plus.

Ces femmes me plongent dans un espace intrapsychique qui s’approche d’un état hypnotique où je retrouve les sensations du ventre maternel, où je projette mon expulsion lors de la naissance, où je ressens le deuil éprouvé, digéré, mais toujours en moi de celle qui n’est plus. Alors qu’elles désertent le plateau pendant quelques secondes interminables, je ne suis plus là. Ailleurs. Il faut le retour des danseurs d’Uprising pour me sentir à nouveau au théâtre.

Tel un cadeau offert au public, ces femmes et ces hommes donnent naissance à la danse du féminin dans le masculin pour une humanité en devenir.

Pascal Bély, Le Tadorne.

Hofesh Shechter sur le Tadorne: À la Biennale de Lyon, spectateur (r)échauffé par Hofesh Shechter.

«Uprising»  et « The Art of not looking back » d’ Hofesh Shechter au Théatre des Salins de Martigues le 29 novembre 2011.

Tournée:

Du 7 au 10 février 2012 à Sète.

Du 14 au 29 février 2012 au Théâtre des Abesses à Paris.

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A quoi reconnaît-on un chef d’oeuvre ?

A quoi reconnaît-on un chef d’oeuvre? A ce sentiment profond de l’évidence.

Dans “Political Mother” d’Hofesh Shechter, tout coule de source. Après une scène inaugurale de hara-kiri, ce jeune chorégraphe israélien balaye dans son spectacle les différentes étapes de l’aliénation produit par tout système totalitaire : l’abandon initial de certains, la lutte contre la contrainte généralisée de certains autres et la soumission finale. Son leitmotiv est une danse animale, le corps en dedans et tête en avant, la danse de pantins traversés de soubresauts, la danse de marionnettes électrisées.  Une danse qui évite soigneusement le port de tête dégagé et raide qui codifie habituellement la danse contemporaine.

Cela est bien normal car les personnages d’Hofesh Shechter sont victimes. Ils ne maîtrisent pas plus leurs gestes que la force motrice qui les anime. Ils s’agitent dans un monde gouverné par un dictateur hard core proche du général enragé mis en scène par Guy Cassier dans “ Mefisto for ever“. Pour Hofesh Shechter nous avançons dans une brume nimbée d’apocalypse, dans un univers de contrainte où nous ne sommes plus maîtres de rien : plus libres de nos mouvements, ni de nos singularités, ni même de nos envies.

Pour faire ce constat, l’outil d’Hofesh Shechter est simple : la même danse est reprise dans l’ouverture tribale  rythmée par le solo de batteries “End of de world”, dans une danse folklorique et dans la comédie musicale de clôture. Ou plutôt, dans la soumission ultime que représente ce dernier ballet car pour Hofesh Shechter le monde n’est finalement qu’un vaste théâtre kitsch au décor doucereux.

Ce final fait sourire et effraye dans le même temps : comme la jolie risette du bébé Cadum qui vue sous un certain angle n’est qu’un rictus glaçant.

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Si Hofesh Shechter porte la rage et l’énergie sourde de Wim Vandekeybus  qui l’a formé, il a ôté toute sophistication au geste dansé pour créer une danse mue par un mouvement qu’on ne choisit pas. Avec un propos proche de celui du photographe Martin Parr ou de Jérôme Bel dans “The Show must go on”,  Hofesh Shechter nous montre que dans un univers affreusement brutal, conçu pour conditionner les êtres afin de leur ôter toute humanité, le système établi en a recréé un autre de toutes pièces : celui de  la Walt Disney Compagny et de la danse folklorique figée de “Riverdance”.

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C’est d’ailleurs une évidence pour Hofesh Schecter  alors qu’un néon apparaît en fond de scène: « Where there is pressure there is folkdance ».  Hannah Arendt ne dit pas autre chose dans “la crise de la culture” : « La société de masse, ne veut pas la culture, mais les loisirs ».

Galvanisé et éreinté à la fois, on sort donc de “Political Mother” avec la certitude d’avoir vu un chef d’oeuvre. A quoi le sait-on ? A ce même sentiment d’évidence qui celui qui nous traverse quand on tombe amoureux. On se re-connaît.

Et avec “Potical Mother” ça fait froid dans le dos.

Elsa Gomis – www.festivalier.net

Political Mother d’Hofesh Shechter a été présenté à Paris au Théâtre de la Ville du 21 au 25 septembre 2010, pour les autres dates : http://www.politicalmother.co.uk/

 

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À la Biennale de Lyon, spectateur (r)échauffé par Hofesh Shechter.

 C’est mon premier rendez-vous avec la Biennale de la Danse de Lyon. J’ai le trac pour cette rencontre inédite avec le chorégraphe Israëlien Hofesh Shechter. À 20h30, il présentera «Political Mother». Mais à 19h, je suis inscrit à un «échauffement du spectateur» animé par Anne Décoret-Ahia, anthropologue de la danse et coach. En s’inspirant du propos et du langage d’Hofesh Shechter, elle propose différents jeux d’étirements, d’occupation de l’espace, de rencontre avec l’autre et d’écoute du corps. Elle souhaite un travail sur «la résonance» avec l’oeuvre de ce chorégraphe. Ainsi, pendant une heure, je suis en interaction corporelle avec de parfaits inconnus qui semblent familiers  avec ce type d’exercice.

Aucun processus de socialisation n’est travaillé: pas de présentation (ni de l’intervenante, ni des spectateurs) et l’on nous met dans les bras de quelqu’un sans que nous contestions la brutalité du processus! Je me fonds dans le groupe anonyme à l’image de tant de salariés qui doivent fusionner et faire corps avec l’entreprise lors de séminaires pour produire des normes managériales efficaces. Je reconnaîtrais sur scène quelques mouvements expérimentés au cours de “l’échauffement”. Mais «la résonance» a des ressorts psychologiques qui ne peuvent se réduire à  une «expérience» en atelier qui mobilise nos capacités d’apprentissage et de mémorisation. À 20h, plus qu’échauffé, je suis épuisé et je m’interroge : entre le temps de la scène et le contexte du spectateur, quel espace médian peut-on créer pour libérer une parole autour de la danse et la métamorphoser en acte créatif ? Comment articuler parole singulière et structure sociale normalisatrice? Je ne me doute pas encore que ce seront des sujets abordés par Hofesh Schechter…

La salle de l’Auditorium est enfumée comme après un séisme. «Political Mother» est un «spectacle» de danse au coeur de la société du divertissement : pour dénoncer les processus d’embrigadement et d’asservissement du pouvoir, Hofesh Shechter crée une forme spectaculaire (dix danseurs, quatre bassistes à l’étage, quatre batteurs en bas) où il articule danse groupale, musiques rock, militaire et classique. Spectateur «conditionné», je dois accueillir cette oeuvre qui utilise les ressorts du grand spectacle (et donc du pouvoir sur les masses), ceux-là mêmes qui nous empêchent de nous émanciper des formes abrutissantes, de nous recentrer sur le sens.

Ce sont donc les faiblesses de «Political Mother» qui permettent de s’affranchir du «spectaculaire» : un langage chorégraphique plutôt minimaliste, mais sensible (succession de gestes incantatoires dansés sur la pointe des pieds pris dans le tourbillon de l’enrôlement groupal), des danseurs qui «théâtralisent» leur danse au lieu de la «performer», une mise en scène qui crée le vertige du pouvoir tout en humanisant ce qui par le bas le fragilise. Hofesh Shechter danse l’embrigadement sur scène, mais se garde bien de nous enrôler, tout juste mobilise-t-il notre imaginaire chorégraphique, musical et théâtral pour  repérer les formes utilisées par le pouvoir pour nous asservir.

Oeuvre profondément pédagogique sur les processus de domination à l’intérieur d’un groupe, vis-à-vis du chef ou de toute autorité verticale, elle est aussi à l’égard de la danse contemporaine. Il nous démontre qu’elle est aujourd’hui au croisement des langages (musical, théâtral, plastique), qu’elle peut ouvrir les codes de la narration pour laisser place à nos interprétations, qu’elle peut créer du silence en transformant la lumière en poussière, en «nuit et brouillard». Mais surtout, il s’appuie sur le spectaculaire (et le langage publicitaire qui l’accompagne) pour y puiser l’énergie de la résistance, pour donner la force à l’art chorégraphique de s’émanciper des pouvoirs autoritaires.

Plus globalement, «Polical Mother» nous rappelle que le corps est politique : loin de le statufier sous le poids des contraintes d’une Histoire qui nous échapperait, il nous invite au rassemblement.
C’est ainsi que le spectateur s’échauffe, prêt à défiler.
Pascal Bély – www.festivalier.net
“Political Mother” par la Hofesh Shechter Company à la Biennale de la danse de Lyon les 10,11 et 12 septembre 2010.
Crédit photo : Ben Rudick.