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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR OEUVRES MAJEURES PETITE ENFANCE Vidéos

En 2012, l’enfant phare.

En 2012, les plateaux m’ont offert de multiples opportunités  pour questionner  mon rapport à l’enfance et faire confiance au sensible pour ouvrir ma relation à l’art.

En premier lieu, je dois ce travail à Christiane Véricel et sa compagnie Image Aigüe. Avec sa dernière création, «La morale du ventre», adultes et enfants y incarnaient la mondialisation sur le plateau. À l’hyper globalisation qui dilue tout, elle a joué de sa focale pour ressentir dans le regard joyeux des enfants, la gravité du propos: en 2012, la faim a été un fléau. La libéralisation du commerce n’y a rien fait. Alors, elle a dénoncé en énonçant son art théâtral global: la musique pour border les corps dans les pas de danse, le silence pour ourler les ombres, les mouvements pour nourrir la fluidité de la mise en scène et créer des espaces de liberté. La création sera en tournée en 2013. C’est un moment précieux à ne pas laisser passer.

Dans «When the mountain change dits clothing» d’Heiner Goebbels, elles étaient quarante adolescentes à la voix de cristal (toutes appartenaient au Vocal Theatre Carmina Slovenica). Elles ont occupé toute la scène pour la métamorphoser à l’image de ce passage escarpé de l’adolescence au monde adulte. Heiner Goebbels leur a offert l’espace dont nous rêvions à leur âge: tout peut se dire tant que l’écoute est là; tout peut se jouer pourvu que la liberté soit célébrée; tout peut changer parce que rien n’est inéluctable. «When the mountain change its clothing» est une œuvre délicate, envoutante, émouvante et pour tout dire, utile.

Dans «Jours étranges», sous la direction de Catherine Legrand et d’Anne-Karine Lescop, ils étaient neuf adolescents à reprendre l’une des œuvres majeures de Dominique Bagouet. Avec une présence étonnante, un doux mélange de respect et d’affranchissement, ils ont démontré qu’une transmission pouvait être joyeuse et généreuse.

«L’alphabet des oubliés» de Florence Lloret fut une œuvre d’une belle texture. Son univers onirique a permis aux petits et grands d’écrire des poèmes dans une relation éducative bienveillante, accueillante, formatrice, ferme et ouverte sous la plume protectrice du poète de Patrick Laupin.

Certes, ce n’étaient pas des enfants, mais des acteurs handicapés mentaux. Pourquoi penser à l’enfance avec «Disabled Theater» de Jérôme Bel ? Peut-être parce qu’elle permet de  réduire la distance pour que la danse aille au-delà des codes usés de la représentation.

Avec «Conte d’amour», le suédois Markus Öhrn a bouleversé lui aussi les schémas classiques du théâtre. Il nous a donné rendez-vous au sous-sol pour y vivre, par caméra interposée, l’effroi de l’amour incestueux. Rarement je n’ai senti un public aussi présent face à une bâche de plastique qui nous séparait des acteurs. Nous sommes redevenus spectateurs aimants de cet art qui prend tous les risques, sans tabou et nous émancipe de la religion d’un théâtre français décidément trop conservateur pour descendre dans nos cavernes coulées dans le béton.

Comment ne pas rapproche ce conte du troublant «Chagrin des Ogres» de Fabrice Murgia. Telle une descente aux enfers dans les rêves volés de l’enfance, je me souviens encore de mon trouble. Tétanisé, j’ai compris que le théâtre avait cette force inouïe de réveiller le trauma pour le sublimer et faire de moi, un enfant qui a juste un peu grandi.

Pour ce couple Hollandais Wiersma & Smeets, l’imagination est une voute céleste ! «Lampje, lampje» est probablement l’une des propositions les plus enthousiasmantes de mon vécu de spectateur en compagnie des tout-petits! Avec deux rétroprojecteurs et divers ustensiles qui se projettent, ils ont créé la scène où l’infiniment petit devient gigantesque pour un univers de rencontres improbables teinté de lumières fugitives et multicolores. Peu à peu émerge un espace capable d’accueillir tous les imaginaires, où l’art contemporain fait dialoguer le sens de l’observation et le plaisir de la divagation. «Lampje, lampje» est un conte des cavernes pour lutins affamés d’histoires féériques.

«Azuki» d’Athénor par Aurélie Maisonneuve et Léonard Mischler fut une perle posée sur un écrin théâtral pour un opéra miniature en plusieurs dimensions picturales pour tout-petits et grands! De leurs voix profondes et accueillantes, ils ont dessiné un paysage de sables colorés et de galets. Peu à peu, on s’est laissé aller à ressentir le chant comme une matière à explorer à moins qui sonde nos contrées enfouies. Ces deux beaux acteurs aux gestes délicats ont délié et relié les matières, les sons et les corps à partir d’un fil qui, en toile de fond, traverse ce qui sépare le beau de l’Œuvre….Petits et grands, à l’unisson, avons lu sur la toile : «le fil se détend…maintenant le cerf-volant…est une portion de ciel». J’étais  aux anges…
Tout comme ce matin-là, au festival Off d’Avignon, où, avec des professionnels de la toute petite enfance, assistions à «Un papillon dans la neige» de la Compagnie O’Navio. Elles écrivirent : «D’une feuille blanche apparait en deux traits de crayon un papillon qui nous transporte sur un nuage de coton et nous fait planer au fil des saisons. Tout en musicalité, nous voyageons à travers les mers, l’espace et le temps. Au seul regret de n’avoir pu partager son instant gourmand… Feuilles, vent, mouvements, doux méli-mélo d’un spectacle pour enfants».
Doux méli-mélo d’une année 2012 d’une enfance, phare…

1- Christiane Véricel – « La morale du Ventre » – Espace Tonkin, Villeurbanne.

2- Jérôme Bel – «Disabled Theater»- Festival d’Avignon.

3- Markus Öhrn – “Conte d’amour” – Festival d’Avignon.

4- Fabrice Murgia –  « Le chagrin des Ogres » – Amis du Théâtre Populaire, Aix en Provence

5- Heiner Goebbels – «When the mountain change dits clothing» – Festival d’Automne, Paris.

6- Florence Lloret – “L’alphabet des oubliés” – La Cité, Maison de Théâtre, Marseille.

7-  Dominique Bagouet – «Jours étranges» – Klap, Marseille.

8-   Wiersma & Smeets – «Lampje, lampje” – Festival de la Montagne Magique – Bruxelles.

9- Aurélie Maisonneuve et Léonard Mischler  – «Azuki» – Festival de la Montagne Magique – Bruxelles.

10- Compagnie O’Navio – «Un papillon dans la neige » –  Festival Off d’Avignon.

Pascal Bély – Le Tadorne

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THEATRE MODERNE

Ados Ré Mi, ados unies.

Elles sont quarante adolescentes à la voix de cristal (elles appartiennent au Vocal Theatre Carmina Slovenica) à entrer sur la scène du Théâtre de la Ville de Paris. Leur silence fait un bruit assourdissant. On dirait une révolte, une invasion. Peu à peu, elles occupent toute la scène pour la métamorphoser à l’image de ce passage escarpé de l’adolescence au monde adulte. Le metteur en scène Heiner Goebbels leur offre l’espace dont nous rêvions à leur âge: tout peut se dire tant que l’écoute est là; tout peut se jouer pourvu que la liberté soit célébrée; tout peut changer parce que rien n’est inéluctable. «When the mountain change its clothing» est un spectacle qualifié de musical par le Festival d’Automne. Il est avant tout, une ?uvre délicate, envoutante, émouvante et pour tout dire, utile. Oui, utile, car à l’heure où l’enfance est maltraitée (souvenons-nous d’Enfant, chorégraphie de Boris Charmatz au Festival d’Avignon qui dénonçait nos agissements envers les plus petits), où elle peine à être au c?ur des politiques publiques, il est capital qu’une scène lui soit offerte. Après «…du Printemps » de Thierry Thieû Niang, danse pour séniors engagés présentée le mois dernier, le Festival d’Automne nous permet de poursuivre ce voyage poétique en traversant les âges de la vie.

Car «When the mountain change its clothing» est avant tout un long poème musical où chaque scène est une strophe, chaque mouvement du corps est une rime, chaque chant un alexandrin. Le plateau est un espace mental où défilent les rêves, le bruit et la fureur, les utopies de l’adolescence. Je me surprends à y retrouver des images enfouies par le temps et la peur de se souvenir de cette époque où la rage d’en découdre pansait mes enchantements blessés.

Ce soir, elles bouleversent l’ordre établi du théâtre. Le décor, elles le montent elles-mêmes. Les chaises, symbole de la place, sont l’objet d’un magnifique ballet, comme un hommage sincère à Pina Bausch qui n’est plus là pour écouter leurs rêves dansants. «Chantez, sinon vous êtes foutus» semble lui répondre en écho Heiner Goebbels qui offre à ces jeunes filles toutes les scènes qu’il est encore possible d’imaginer. Là un carré de gazon pour évoquer ses rêves, ses révoltes, revivre tous les rituels du collectif et convoquer la scène de l’écoute. Tout autour des tables pour délimiter l’ici et l’ailleurs, mais surtout pour y jouer la petite Barbie, fantasme d’adultes d’une enfance formatée. Au milieu, une grande toile de cinéma où défilent différents décors, comme autant de tableaux (du paysage bucolique pour une enfance bien sage aux rêves joliment normés, à la forêt vierge pour y cacher leurs cabanes à désirs, vers des arbres hivernaux dont les formes évoquent le réseau et l’ouverture vers le monde). Il y a même l’envers du décor où nos jeunes filles se métamorphosent?

C’est ainsi que pendant quatre-vingts minutes, j’écoute. Profondément. Sans jamais me faire tomber dans la niaiserie parce que chaque scène est percutante. On apprend, non sans humour, que  l’école du savoir à l’heure du Google ne fait plus rêver, qu’elle est une mécanique pour formater. Je découvre médusé la lecture d’un superbe texte de Jean-Jacques RousseauÉmile, ou se l’éducation») qui commence par une interrogation qui va chercher loin («-Vous souvenez-vous du temps que votre mère était fille ?»), très loin: être jeune fille n’a pas d’âge si l’on veut bien s’inscrire dans la lignée et le questionnement du sens («-Qui est-ce qui vivait avant vous? ?Mon père et ma mère ?Qui est-ce qui vivra après vous? ?Mes enfants -Qui est-ce qui vivra après eux? ?Leurs enfants -Qui est-ce qui vivra après eux? ?Leurs enfants -Qui est-ce qui vivra après eux? ?Leurs enfants -Qui est-ce qui vivra après eux? ?Leurs enfants -Qui est-ce qui vivra après eux? ?Leurs enfants ?Vivrez-vous toujours? ? Oui!»).

Ces jeunes filles sont au travail?dans tous les sens du terme, jusqu’à déchiqueter leur peluche d’enfant et théoriser sur la pauvreté et les riches. L’utopie n’est plus à chercher de ce côté-là?mais à raisonner autrement, à changer de paradigme, celui où tout serait lié et non compartimenté. Elles n’en peuvent plus de cet environnement qui formate plus qu’il n’émancipe. En témoigne le magnifique passage écrit par Gertrude Stein qui clôt ce voyage en adolescence : «…les gens croient qu’ils s’intéressent à la bombe atomique, mais pas du tout, ça ne les intéresse pas plus que moi. Mais alors là, pas du tout. Ils ont peut-être un peu peur, moi pas trop, il y a tant de choses qui font peur, alors à quoi bon se faire peur, et si on n’a pas peur, la bombe atomique n’a aucun intérêt. On reçoit tant d’informations à longueur de journée qu’on en perd le sens commun. On en écoute trop, du coup on oublie d’en être naturel. Voilà une bien belle histoire

Retrouver le naturel, c’est probablement se ressentir sur un passage.  De l’adolescence à l’âge adulte?de l’adulte à nous autres.

Pascal Bély ?Le Tadorne

« When the mountain change dits clothing » d’Heiner Goebbels avec le Vocal Theatre Carmina Slovenica au Théâtre de la Ville à Paris dans le cadre du Festival d’Automne du 25 au 27 octobre 2012.

Heiner Goebbels sur le Tadorne:

Au Festival d’Avignon, la terre patrie d’Heiner Goebbels.

– L’apocalypse d’Heiner Goebbels emporte le Festival de Marseille.

– Le Festival de Marseille fait tomber les murs de La Criée avec « Eraritjaritjaka, Musée des Phares »

 

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FESTIVAL D'AVIGNON FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES OEUVRES MAJEURES

Au Festival d’Avignon, la terre patrie d’Heiner Goebbels.

Avec un tatami, deux techniciens dispersent une poudre blanche sur des bacs posés au sol. Cela pourrait être une cérémonie mortuaire où l’on répand les cendres de la modernité pour qu’émergent des territoires encore inconnus. En l’absence de comédiens, nous sommes invités à nous immiscer dans un interstice où seul notre imaginaire peut nous conduire vers ce théâtre du mystère et de l’éphémère. Nous sommes ici au croisement du virtuel et de la matière organique, symbolisé par une imposante machine, un peu folle et si fragile, sur une scène maculée de liquides, tapissée de bruits et de couleurs. « Stifters Dinge » d’Heiner Goebbels est une merveille du monde, un spectacle si visuel qu’il ne peut se raconter. Seulement se ressentir, à fleur de peau.

L’eau se mélange petit à petit à la poudre. Une terre inexplorée émerge puis disparait et la nature reprend ses droits jusqu’à guider l’énorme machine de l’artiste allemand vers une épopée fantastique.  Cinq pianos, actionnés par des mains invisibles, vont sonoriser ce voyage au coeur de la nouvelle humanité, d’une terre patrie de tous, abri de chacun. Le spectateur scénarise lui-même les changements de décors, de lumières, de matières pour se projeter dans un monde où tant de territoires sont à découvrir si l’on fait confiance à l’artiste, à la technologie, à notre puissance créative, seule ressource inépuisable pour naviguer dans l’imprédictibilité. En soixante-dix minutes, la machine avance vers vous, puis recule et l’on se surprend à redevenir contemplatif dans un théâtre ! Car ces mouvements permanents ne sont pas seulement des effets de décor, mais ils font symboliquement bouger notre corps alors que nous sommes sagement assis, ouvrir notre regard en trois dimensions alors que nous sommes si prêts de ce territoire inaccessible. C’est alors que résonne une interview de Levi-Strauss par Jacques Chancel affirmant qu’il n’y avait plus aucun territoire vierge à découvrir. Vingt après, au Festival d’Avignon, la toute-puissance de l’expert ne peut plus rien contre la force de l’imaginaire. Jubilatoire !

Le voyage continue et l’on finit par perdre toute notion de temps mécanique et d’espace délimité  même quand Heiner Goebbels nous raconte sa marche dans une forêt où la glace tombe des arbres gelés. Ici, nulle approche culpabilisante sur notre lien avec la nature, mais au contraire, une réappropriation des bruits, des lumières, des changements de climats et de matières pour façonner notre regard face la complexité : la carte n’est pas le territoire ! Et l’on se surprend à constater qu’il n’y pas d’hommes sur scène, que l’on peut aimer cette musique jouée sans pianiste : sommes-nous au théâtre ou ailleurs dans une communauté virtuelle entre « Myspace » et la Foire du Trône? Des chants traditionnels résonnent du fond de la salle et l’on rêve de se retourner pour découvrir celui qui tient les ficelles de ce monde si bien articulé. Mais il ne doit y avoir personne. Pas d’être divin, mais une énergie venue d’une réappropriation de l’histoire et du devenir de l’humanité pour construire ces nouveaux espaces de communication entre l’homme et la nature. Me voilà habité par une éthique du développement durable. Sublime !

Heiner Goebbels signe là une oeuvre majeure : celle de nous repositionner dans l’évolution d’une humanité qui va puiser sa force dans un nouvel imaginaire.

Pour transmettre aux générations futures les commandes de cette machine post-moderne.

Pascal Bély – www.festivalier.net

Crédit photo (c) Dimitri Lauwers – Academie Anderlecht

 « Stifters Dinge» d’Heiner Goebbels a été joué le 11 mai 2008 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles et au Festival d’Avignon du 6 au 14 juillet 2008.