La compagnie “Image Aiguë” de Christiane Véricel fête ses 30 années d’existence. Sa dernière création “La morale du ventre” sera programmée au TGP à Saint-Denis du 20 au 23 mars 2013. Fêtons avec elle et sa troupe ce bel anniversaire!
En cadeau, un article d’amour pour cette femme remarquable.
L’espace Tonkin? Où est-ce? En Asie? Non, c’est à Villeurbanne. C’est un quartier à l’architecture des années 70. Une cité comme on ne les pense plus pour les habitants: un lieu de vie qui réunit tout ce dont on peut avoir besoin. On s’y sent bien. Un espace à l’image du théâtre de Christiane Véricel, directrice de la compagnie “Image Aigue“, où elle y joue ce soir sa dernière création, “La morale du ventre“. Ses propositions ont l’art de rassembler sur scène et dans la salle, les enfants, les adultes de toutes origines et de tout niveau sociologique. Nous, spectateurs Tadorne, la suivons depuis «Les ogres» en 2009. C’est-à-dire depuis peu malgré le fait qu’elle irrigue le paysage culturel avec sa compagnie depuis 1983.
D’une poigne forte, elle donne les indications à des artistes choisies pour leur personnalité et leur potentiel créatif. D’où qu’ils viennent, elle a l’intuition qu’ils iront loin. Avec elle, la fragilité et la force se confrontent avec des enfants, des adolescents et des adultes rencontrés lors d’ateliers menés en France et en Europe. Des jeunes catalogués «différents», à cause de leur étrangeté (nés ailleurs ou porteur de handicaps). Dans la compagnie, ils trouvent un véritable espace d’expression, respectueux, esthétique, joyeux, dans une liberté contenue.
Armand est sourd et muet. Dans «La morale du ventre», il développe son art autour de sa puissance musculaire. Dans le silence, il déploie ses forces dans une chorégraphie au croisement du Hip-hop et du cirque et nous ouvre son monde à l’image de cette scène majestueuse où sa danse en tutu fait voler en éclat le masculin dans le féminin.
Avec Christiane Véricel, la mondialisation s’incarne sur le plateau. A l’hyper globalisation qui dilue tout, elle joue de sa focale pour que nous ressentions dans le regard joyeux des enfants, la gravité du propos: en 2012, la faim est toujours un fléau. La libéralisation du commerce n’y a rien fait. Alors, elle dénonce en énonçant son art théâtral global: la musique borde les corps dans les pas de danse, le silence ourle leurs ombres, les mouvements virevoltent nourris par la grâce, tandis que la fluidité de la mise en scène crée des espaces de liberté, tout en étant pensée au millimètre prés.
Dans son théâtre, elle convoque des objets dont la portée symbolique traverse nos imaginaires et se transforme en métaphores dérouillant notre boite crânienne. L’échelle devient le chemin le plus court vers la nourriture vitale et l’utopie d’une richesse partagée. Les petites chaises invitent la poésie avant que ne s’installent les rapports de force. La corde de nos cours de gymnastique se fait frontière au sol à moins qu’elle ne soit là pour la sauter. Quant aux poulies, elles font descendre du ciel ce que la terre des hommes ne répartit plus. Avec Christiane Véricel, la petite valise contient les trésors des migrations tandis que le masque de l’humanité nous observe, dépité. Avec elle, rien n’est donné au premier degré : tout s’échange au second pour que le désespoir ne s’invite jamais au profit d’une vision réaliste et burlesque, à la Charlie Chaplin. Du vide créatif surgit le désir de vie, le collectif, l’utopie. Comment ne pas englober Christiane Véricel dans la famille de ceux qui ont su bâtir un parcours courageux et volontaire, où la vitalité du regard n’a plus d’âge ? Juste est-il en phase avec les questions qui traverse le devenir de l’Humanité. Ainsi, Edgar Morin, Stéphane Hessel, Claude Régy, trouveraient dans ce théâtre de capes et de fées le prolongement de leur pensée lumineuse.
Christiane Véricel est dans “la Battaglia”. Son travail est magistral. On l’aime autant qu’elle aime les autres. Sa douce exigence auprès de son équipe révèle les engagements de sa vie. De sa silhouette frêle se dégage la force de toute sa beauté et de son travail. C’est une inépuisable artiste, battante silencieuse.
Nous restons convaincus que son théâtre nous offre la possibilité de nous questionner sur l’avenir de l’humanité à partir de l’exploration du sensible. Nous ressentons au plus profond de nous que Christiane Véricel est l’une des artistes les plus en phase avec notre désir d’être un spectateur émancipé et humanisé.
Sylvie Lefrere – Pascal Bély – Tadornes.
Christiane Véricel sur le Tadorne:
Le théâtre de Christiane Véricel donne faim.
À Palerme, le serment du jeu de pommes de Christiane Véricel.