Si vous êtes sur Facebook, vous aurez peut-être constaté une invasion de sapins de Noël sur votre page, le tout accompagné de formules pour le moins dérangées: «Odéon : c’est bientôt Nawel» ou «le petit sapin de l’Odéon…avant le grand!» (voir la photo ci-dessous). Mieux encore, en plus chic, «comme un parfum de Noël au Théâtre de la Ville…il semblerait que le Père Noël ait pris un peu d’avance sur sa distribution» (notez le joli jeu de mots théâtral…). La région n’est pas en reste puisque le TNP de Villeurbanne nous gratifie de sept photos avec en légende, une formule sobre qui sent la guirlande : «le sapin de Noël est installé!»
On pourrait trouver ces messages sympathiques (ils le sont probablement), en phase avec le mois, mais aussi avec l’époque: l’important n’est pas le fond de ce qui est communiqué, mais l’acte de communiquer. Facebook est à ce titre, un outil idéal. Ainsi, les salariés des théâtres ressentent le besoin de se relier autrement avec le public tant leurs marges de manœuvre semblent étroites.
Les places (rares) sont achetées sur internet et les travailleurs culturels font l’objet d’agressions surtout quand la pénurie s’installe. Le «chacun-pour-soi» de la part de certains spectateurs est un rouleau compresseur au détriment de la qualité de la relation. Les médiations autour du spectacle vivant offrent bien peu d’opportunités de renouveler le genre même si fleurissent, ici ou là, des ateliers créatifs. Ce sapin est donc le symbole d’une certaine solitude de ce personnel souvent invisible, caché derrière les égos démesurés de leur direction.
Posté ainsi sur Facebook, le sapin fait misérabiliste: isolées, les équipes communiquent sur ce rituel comme si nous appartenions à la même famille. Cette «proximité» démontre à quel point les structures culturelles peinent à sortir d’un lien factice avec les spectateurs: leur page Facebook informe la plupart du temps sur l’envers du décor (ici le sapin, là les peintures que l’on refait, ailleurs le camion de la troupe stationné dans la rue) pour mieux masquer l’impossibilité de changer la relation. Le milieu du spectacle vivant est englué dans les codes de la communication consumériste qui entretiennent le lien consommateur-producteur. Si bien qu’aucune page Facebook ne fait mention des enjeux politiques de l’art; aucune n’est conjointement gérée par les spectateurs; aucune n’est un espace démocratique pour interroger les choix de programmation. Aucune n’est en phase avec l’esprit d’un réseau social: elles ne sont qu’un fichier amélioré pour diffuser de l’information.
Facebook n’est donc qu’une vitrine. Le sapin donne une piètre image de ce que sont les théâtres aujourd’hui: des lieux où à la solitude des uns fait écho à la perte du sens des autres tandis que quelques-uns osent poser la question, quitte à passer pour de méchants empêcheurs de guirlander en rond: pour quoi ce sapin?
Pascal Bély – Le Tadorne.