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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT Vidéos

Avignon 2015- Eszter Salamon et la tribalisation des esprits.

Il est rare que la lecture d’une feuille de salle interpelle. Celle du spectacle d’Eszter Salamon « Monument 0 »  est passionnante : « Adoptant une approche historique et archéologique, la chorégraphe et ses six interprètes se sont approprié des dizaines de danses populaires et tribales issues des cinq continents. Ces danses ont en commun une spécificité : toutes ont été ou sont pratiquées dans des régions marquées par des guerres et des conflits fortement liés à l’histoire de l’occident. Ces danses guerrières réinvesties nourrissent un scénario surréel où émanent des silhouettes, des états de corps et des rituels qui, par leur vitalité fantomatique, se dressent contre l’amnésie ».

Le projet parait passionnant. Déroutant. Questionnant. Rarement, je me suis ressenti dans une telle disponibilité pour accueillir un projet chorégraphique aussi complexe. C’est la première ce soir à la Cour du Lycée Saint-Joseph. Les « professionnels de la profession » sont présents. Comme à leur habitude, ils font régner une atmosphère pesante. Leur arrivée dans les gradins fait penser à une danse tribale, avant les luttes guerrières qui se trameront probablement en coulisse après le spectacle ! Ils sont là pour observer leur possible prochaine proie. À ce moment précis, je ne sais pas encore que cet étrange ressenti va s’avérer pertinent…

La scène est noire, tout comme l’ensemble du décor. Je n’ai pas le souvenir d’une telle atmosphère dans ce lieu. Les premiers tableaux se succèdent, lentement mais sûrement. Eszter Salomon avance doucement ses interprètes pour nous étonner et nous surprendre. Elle veut inclure ces danses dans l’histoire de nos imaginaires, mais aussi peut-être dans celle de ceux qui la produisent et la promeuvent! Solos, duos, quatuor, quintet, sextuor proposent des danses tribales et explorent ce que le corps peut dire de la guerre (avant, pendant ou après) tout en conjurant la mort. Très rapidement, je suis troublé de découvrir ces mouvements amples et lourds, d’entendre une musique et des chants qui viennent des profondeurs de l’âme et du corps. Comment la danse occidentale les a-t-elle à un moment donné ou un autre rencontré ? J’observe comme le visiteur d’un musée dédié aux arts primitifs, mais je peine à m’impliquer. Il manque à ce travail respectable une intensité dramaturgique comme si Eszter Salamon évitait de s’engager dans une articulation entre son propos artistique et ces états de corps patiemment récoltés. Car suffit-il de faire tomber les masques pour voir deux danseurs en short et Tshirt se fondre dans les tableaux? Ils s’incluent dans le mouvement mais ne révèlent rien. Là où le chorégraphe Philippe Lafeuille avec « Tutu » évoque cet objet mythique pour le mettre en relief et révéler notre histoire singulière et collective de la danse, Eszter Salamon ne peut que nous inviter à nous fondre dans son propos. Il y a pourtant un moment où tout aurait pu basculer  lorsque six danseurs masqués s’avancent et l’on pourrait penser à « May B » de Maguy Marin. Mon histoire de danse révèle celle proposée par Eszter Salamon. Magique….

Une fois le spectacle terminé, un metteur en scène, directeur d’un Centre Dramatique National, poste sur Facebook un message pour ameuter sa tribu et au-delà (si l’on en juge le nombre de like et de partage) sur l’agression antisémite dont il a été victime.

« Hier, Avignon. Réunion des directeurs de Centres Dramatiques Nationaux. Quand a été abordé la question cruciale de la diversité sur les plateaux de France et aux postes de directions des théâtres, deux directeurs ventripotents ont gloussé une blague : “bientôt ils nous demanderont des quotas de pauvres aux postes de directeurs”. Vieille garde qui ne rend pas les armes… Je n’ai pas hurlé.

Cet après-midi devant le logement que j’occupe à Avignon, je croise deux gars, l’un d’eux m’interpelle : ça pue, ça pue non ? Il fixe mon étoile de David autour du cou. Moi : non ça va je ne sens rien. Si si ça pue dans ce quartier. Il fixe mon étoile de David. Tu habites là, non ? Moi, toujours combatif, je n’ai pas été capable de dire quoi que ce soit, je suis rentré chez moi et je me suis couché.

Ils étaient d’origine arabe. Je me dis que chaque jour, la France que l’on m’a donnée et celle qu’on leur a laissée s’éloigne un peu plus l’une de l’autre.

Ce soir je vais voir un spectacle de danse dans le in. Sur scène, des danseurs noirs. Ils sont représentés dans une violente caricature : danses tribales, costumes vaudou, mouvements traditionnels, ritualisés, polyphonies, respirations sonores qui accompagnent des mouvements percussifs au sol et des bonds, gestuelle hyper sexualisée pour faire rire. Amimalité gerbante : voilà la représentation des noirs sur les plateaux de France : un fantasme d’africanité ancestrale qui n’a plus rien à voir avec la réalité contemporaine des pays du continent africain. La chorégraphe évidemment n’est pas noire. Je suis resté jusqu’au bout, sans applaudir, abasourdi.

Maintenant, chez moi, je relis mon édito pour la brochure de saison 2 du CDN. Je me relis : “La Culture et l’éducation restent les meilleurs vecteurs des valeurs démocratiques, et par là même, elles nous donnent la force et les outils pour ne pas trembler, pour ne pas avoir peur devant l’horreur et l’injustice. Et pour n’abandonner personne.”

Aujourd’hui, j’ai eu peur, j’ai tremblé, je me suis couché, je n’ai pas hurlé, je n’ai pas été fort ».

Il évoque pêle-mêle la possibilité d’une  guerre tribale entre personnes « d’origine arabe »et juifs (précisons qu’arabe ne constitue pas une origine à moins de projeter une identité factice), une bataille fratricide entre jeunes directeurs de lieux cultuels et la vieille garde, et de manière implicite, un prétendu racisme de la part d’Eszter Salamon. Il nous propose une danse funèbre où l’on accumule les ressentis sans les mettre en perspective, sans les dépasser pour les transcender au profit d’une pensée reliante et éclairante. Les réseaux sociaux jouent donc un rôle de multiplication d’affects où l’on se cache derrière les masques, où se rediffuse à l’infini le message d’une agression antimésmite tout en communiquant sur le racisme implicite de la pièce d’Eszter Salamon. Tout se vaut, la confusion s’installe, la pulsion triomphe sur Facebook et dans la rue. Pourtant, même si le projet n’est pas abouti, Eszter Salamon essaye d’inscrire cette pulsion dans un cadre esthétique. Qu’importe ! La tribalisation des esprits est en marche.

Ainsi, ce directeur projette ses propres pulsions sur le travail d’Eszter Salamon qui se trouve ainsi, prise en otage dans un conflit qu’elle a pourtant tenté de dénouer et de résoudre.

Les artistes qui aujourd’hui s’aventureraient sur le terrain de l’histoire coloniale prennent donc le risque de voir se reproduire ces amalgames et ces manipulations de l’esprit.

Parvenus à ce point, il nous devient particulièrement difficile de discerner ce qu’on entend somme toute par le terme de « civilisé », sans pourtant nous laisser influencer par les exigences définies de l’un ou de l’autre idéal. Peut-être recourra-t-on d’abord à l’explication suivante : l’élément culturel serait donné par la première tentative de réglementation de ces rapports sociaux. Si pareille tentative faisait défaut, ceux-ci seraient alors soumis à l’arbitraire individuel, autrement dit à l’individu physiquement le plus fort qui les réglerait dans le sens de son propre intérêt et de ses pulsions ins- tinctives. Et rien ne serait changé si ce plus fort trouvait plus fort que lui. La vie en commun ne devient possible que lorsqu’une pluralité parvient à former un groupe- ment plus puissant que ne l’est lui-même chacun de ses membres, et à maintenir une forte cohésion en face de tout individu pris en particulier“. Freud, « Malaise dans la civilisation », 1929)

Pascal Bély – Le Tadorne.

"Monument 0" d'Eszter Salamon a été joué au Festival d'Avignon 2015.
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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON PAS CONTENT

À la Biennale de Lyon, la danse fait la manche, le théâtre de David Bobée accélère.

Quelles peuvent être les intentions d’une Biennale de la Danse d’inclure une oeuvre théâtrale dans sa programmation? Dans son éditorial, Dominique Hervieu, directrice, n’est pas avare de concepts lorsqu’elle promeut une «esthétique de la diversité» car «la danse est un art majeur qui influence aujourd’hui les autres arts» pour de «nouveaux horizons de la transdisciplinarité où le rapport au corps nourrit la dramaturgie“. Comprenne qui pourra. Ainsi, le metteur en scène David Bobée est-il invité à incarner ces intentions avec un «Roméo et Juliette» qui, dans ce contexte, fait événement. Mais ne vous emballez pas trop vite. Il est mentionné plus loin dans la fiche du spectacle que cette «création réalisée dans le cadre d’une résidence aux Subsistances constitue la première étape d’une collaboration au long cours entre la Biennale de la danse et ce laboratoire international de création». Pourquoi communiquer une telle information qui, après tout, n’est qu’une cuisine interne? À moins que cela ne soit une précaution d’usage pour signifier qu’il va falloir partager les budgets. «Roméo et Juliette» par David Bobée n’a rien d’un théâtre nourri par la danse. Tout au plus, donne-t-il une version moderne des luttes entre les clans Capulet et Montaigu où des acteurs d’origine arabe croisent le fer pour que finalement, l’amour triomphe. Pourtant, tout avait si bien commencé…

Dans un décor de cuivre chaleureux (délicieux contraste avec la verrière des Subsistances où la température chute à vue d’oeil), ce Shakespeare se veut d’emblée généreux, fougueux. Dans l’une des premières scènes, la danse s’invite, par la petite porte, au cours d’un bal. Cette humilité me touche d’autant plus que le plateau est à l’image de l’idée que je me fais d’une société ouverte: jeunes, plus âgés, blancs, noirs, métisses forment la bande des bandes. Mais rapidement, je comprends que la danse ne reviendra plus pour influencer. Tout juste a-t-on droit à  un jeu d’acrobates un peu vain qui pose le spectaculaire comme unique rapport dramaturgique au corps (en témoigne, les applaudissements du public). Il faudra attendre de longues minutes pour assister, médusé, à la belle danse de Pierre Bolo qui, dans le rôle de Mercutio, offre son hip-hop pour une joute verbale époustouflante! Pour le reste, «la transdisciplinarité» est un espace laissé vide, où la danse ne peut se glisser d’autant plus que la traduction dynamite de Pascal et Antoine Collin impose un rythme qui rend impossible toute écriture chorégraphique. Reste le «rapport au corps». «Nourrit-il la dramaturgie?». Il est très performé (du en grande partie à la présence de danseurs hip-hop et d’acrobates). Dans le rôle de Roméo, Mehdi Dehbi en impose par sa beauté fulgurante! Il saute, se jette, se relève, enjambe, ne se contente plus de la scène et finit par jouer en fond de gradin. Ces déplacements performatifs sèment le trouble: la mise en scène se résume peu à peu à une dynamique spatiale, laissant de côté le jeu d’acteur comme si David Bobée était totalement aveuglé par cette allégorie d’une société mondialisée métissée où tous les arts se valent, quitte à les réduire chacun au plus petit dénominateur commun (métaphore de la transdisciplinarité vue par les pouvoirs publics?). La majorité des acteurs ne viennent pas du théâtre et performent, habitent leur jeu à partir de leurs disciplines sans que cela ne fasse une oeuvre «transdisciplinaire». Tout au plus, «Roméo et Juliette» incarnent-ils une idéologie de la diversité. Or, le théâtre est plus qu’une somme de disciplines. Il me revient «La mouette», par Arthur Nauzyciel pour le Festival d’Avignon, où la danse chorégraphiait le théâtre pour créer de nouvelles interactions entre le sens donné par Tchekhov et la vision du metteur en scène. C’était sublime, car riche de messages qui traversaient mon inconscient (Au Festival d’Avignon, la beauté sidérante de “La mouette” d’Arthur Nauzyciel)

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Mais ici, point de «traversée» d’autant plus que l’actrice Véronique Stas (la nourrice), l’une des rares à se positionner «clairement» sur le champ théâtral, m’empêche de «travailler». Difficile de faire abstraction: habit décalé, intonations issues du café-théâtre, ponctuation de chaque phrase par un tapement sur les cuisses. Elle fait son show et parvient à tout écraser: sa performance n’est plus un jeu, mais une posture empruntée à la société du divertissement. Juliette fait ce qu’elle peut (Sara Llorca) mais manifestement, le rôle-titre lui échappe

Peu à peu, le théâtre n’est qu’une scénographie extrêmement sophistiquée nourrie par des performances physiques et une accélération du temps qui me laisse totalement sur le côté. La présence d’acteurs plus âgés (Jean Boissery et Alain d’Haeyer) n’y change rien : ils font preuve d’une passivité déconcertante face à ce jeu «consumériste» dévastateur.

À mesure que l’intrigue s’écoule, des acteurs-amateurs tentent de se professionnaliser (j’aurais préféré l’inverse?). Est-ce cela que l’on nous promet sur les scènes où, sous couvert de transdisciplinarité, la forme l’emporte sur le fond, où la complexité se réduit à une somme de performances physiques séduisantes en phase avec une époque où le toujours plus écrase le temps nécessaire pour qu’émerge le sens du fragile?

Je reste convaincu qu’une biennale de la danse peut explorer de nouveaux territoires. Mais avec les chorégraphes. Pas contre eux.

Pascal Bély, Le Tadorne

«Roméo et Juliette» de William Shakespeare, mise en scène par David Bobée à la Biennale de la Danse de Lyon du 13 au 22 septembre 2012.

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Quel cirque (!)(?)

Je vois rarement du cirque : en l’absence de dramaturgie, je m’y ennuie. Le cirque contemporain que l’on me promet depuis tant d’années ne semble pas venir. Pourtant en 2004, au Festival d’Avignon, la rencontre avec  Johann Le Guillerm dans «Secret» fut un choc. Il m’aura fallu attendre 2010 et le collectif  “Petit travers” pour ressentir à nouveau la puissance d’un cirque révélé par un propos artistique.

C’est avec curiosité que je me rends à la Villette pour «The End» du metteur en scène David Bobée, spectacle de fin d’études de la 23ème promotion du Centre National des Arts du Cirque de Châlons-en-Champagne. En dix épisodes, les douze étudiants évoquent leurs cinq dernières minutes avant la fin du monde. Joli propos pour un projet global, au croisement d’une discipline de cirque et d’un drame collectif. Sauf que…

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Le décor joue un rôle important : c’est un appartement avec son lot de canapés et de meubles sans fond (donc sans livres). Il tourne et fait l’objet de divers changements pour mettre en relief la mise en scène. Ou plutôt, pour faire place aux différents exploits de ces beaux circassiens illustrés par des textes de Christian Soto. À l’apparition du numéro projeté en vidéo (10, 9,…), je comprends vite que les exploits vont se succéder. Le travail de David Bobée devant probablement consister à relier les différentes esthétiques dans un tout. Pas si simple…

En effet, entre la jeune fille et sa corde qui doute et se fait peur dans le vide et trois jeunes jouant au trampoline (et à la devinette: «si j’étais la seule femme, me ferais-tu l’amour?»), comment générer une dramaturgie d’ensemble ? Peu à peu, je prends conscience que le corps performatif illustre, sidère, mais ne transcende jamais le texte. Le «moi je» véhicule un narcissisme assez pénible là où j’attends qu’à cinq minutes de la fin, un chaos intérieur vienne me percuter. À d’autres moments, on frôle la géopolitique “romantique” tandis qu’une jeune fille avec une voile, évoque le voile et la Palestine?Applaudissements garantis. Mais pour quel propos? Est-ce le portrait d’une jeunesse déboussolée? Est-ce une mise en jeu des corps pour expliciter l’implicite? Et si «les cinq dernières minutes» n’étaient qu’un procédé, pour masquer l’impossible théâtralité? David Bobée finit par se perdre, mais nous rattrape en amplifiant l’exploit physique teinté de bons sentiments à l’image de ce duo d’artistes cambodgiens (l’un d’eux est sourd), dont les différents sauts nous éloignent un peu plus du propos initial !

Finalement, tout est policé pour gommer la radicalité du contexte, réduite à des corps inanimés, et à une baignoire dont le sens m’a totalement échappé !

David Bobée connaissait probablement la difficulté de l’exercice. A-t-il conscience qu’il n’a pas réussi malgré ses tentatives pour créer un contexte dramaturgique (l’omniprésence de la musique, les changements de décor, les maniements de symboles)? La façon dont il impose le silence vers la fin en dit long sur l’impossibilité à théâtraliser ce cirque-là dans un cadre de fin d’études. 

Au-delà de l’artiste, c’est le projet de Centre National des Arts du Cirque que j’interroge: “qu’auriez-vous envie d’enseigner, cinq minutes avant la fin du monde?

Pascal Bély – Le Tadorne

“This is the end” de David Bobée à la Villette de Paris du 18 janvier au 12 février 2012.

David Bobée sur le Tadorne:

Je kiffe pour cet Hamlet-là.

Avec « Gilles », David Bobée abandonne « nos enfants ».

Au Festival ACTORAL, David Bobee réchauffe les hétéros. A La Villette, pas si sûr.

Washington ? Paris ? Mens ? Avignon- Brazzaville – Gennevilliers (1/2): David Bobée, l’artiste du puzzle, du peuple métissé.

 

 

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Je kiffe pour cet Hamlet-là.

Les Subsistances à Lyon savent séduire le public jeune. En titrant, « Hamlet version XXIè, un spectacle physique et intense, pour les temps présents », on s’amuse à lire entre les lignes. Autrement dit, un « Hamlet » loin du «théâââtre» de papa ! À voir le nombre de jeunes dans la salle, le pari est gagné. Qui plus est, le metteur en scène, David Bobée, n’a pas encore l’âge de raison requis en France (trente-deux ans!) et le rôle-titre est assumé par un jeune acteur – circassien (Pierre Cartonnet). Le Tadorne connaît bien David Bobée. Nous lui avons consacré plusieurs articles. Avec l’écrivain Ronan Cheneau, ses pièces ont souvent chroniqué l’époque pour nous offrir un théâtre sincère et inventif. Mais pour la première fois, David Bobée s’attaque à un classique, aidé par la traduction efficace de Pascal Collin en totale harmonie avec la création musicale de Frederic Deslias. 

Disons le tout net : les Subsistances ne nous ont pas menti. C’est une oeuvre physique pour les comédiens et les spectateurs. Jouée dans une verrière ouverte aux quatre vents, nous sommes sortis frigorifié de ces trois heures de grand spectacle. À la différence de « Warm » où le public transpirait à grosses gouttes! David Bobée souffle donc le chaud et le froid et sait jouer avec les contrastes. Dans « Hamlet », la langue de Shakespeare oscille en permanence entre une syntaxe contemporaine et ancienne. Même les costumes font le grand écart : entre la longue robe de la mère d’Hamlet (Gertrude) et le jean’s moulant du fils, nos pensées érotiques peuvent divaguer!

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Pour signifier que le pouvoir prend l’eau au Royaume du Danemark, la scène est inondée après avoir été  asséchée par de magnifiques effets vidéo autour de l’apparition du spectre. Comment ne pas penser aux oeillets de Pina Bausch dans “Nilken” à voir ces acteurs jouer avec autant de grâce sur ce plateau liquide?

Il y a ce décor stupéfiant fait de briques noires pour créer l’antichambre mortuaire du pouvoir, où l’on extrait des morts des tiroirs (caisse ?).

Il y a bien sûr Pierre Cartonnet, sa rage au ventre et au corps. Il inonde (sic) la pièce de sa beauté et de sa fougue.

Il y a cette troupe métissée où deux beaux acteurs de la Compagnie de l’Oiseau Mouche repérés dans « Gilles », nous offrent un moment théâtral sublime, une mise en abyme empruntée à l’imaginaire de Pippo Delbono.

Il y a Abigail Green qui, dans le rôle d’Ophélie, illumine la scène sombre par des éclats de voix à la Bjork.

Il y a Pascal Collin, magistral Polonius, conseiller du royaume. Chacun reconnaîtra en lui les « conseillers du Prince » actuels, pétris de cynisme et de certitudes.

Cet “Hamlet-là” a donc de la tenue et intégre  certains processus des oeuvres précédentes de David Bobée. Il a l’insolence de «nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue», un certain regard porté sur la folie du couple de «Canibales», les tensions érotiques entre les hommes de «Warm». Tout est bien pesé pour éviter les foudres des garants de l’orthodoxie (si, si, ils existent), et effrayer par un propos politique trop subversif. La mise en scène est suffisamment poétique pour que chacun y puise du sensible. Oui, cet Hamlet-là est de son temps dans les formes convoquées.

On aurait cependant aimé plus d’audaces dans la conduite des acteurs comme si David Bobée appuyait plus sur l’effet du jeu que sur le jeu lui-même. On aurait apprécié qu’il évoque les ressorts de la folie d’un système plutôt que d’accentuer sur  la déraison des individus. Si bien qu’il est parfois difficile d’approcher la vision contemporaine d’Hamlet par David Bobée et Pascal Collin. Les rires sarcastiques du fossoyeur et les morts qu’on empilent ne suffisent pas à faire un propos politique global même si l’on ne peut s’empêcher de penser à « lui » et « eux ».

Serions-nous parfois trop distraits là où l’on aurait aimé être interpellé ? N’y a-t-il pas un registre émotionnel trop appuyé qui nous évite de tisser des liens entre l’oeuvre et l’époque ? Pourquoi une telle intensité physique de la part des acteurs qui fait parfois obstacle à une lecture du « corps politique » ?

David Bobée est incontestablement une étoile montante qu’il me plait d’observer dans le ciel parfois obscur du théâtre Français. Prêtons-lui cette phrase d’Hamlet pour lui donner rendez-vous : «le théâtre sera l’instrument avec lequel je piegerais la conscience du roi»

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Hamlet” par le Groupe Rictus, Compagnie David Bobée, aux Subsistances à Lyon du 23 septembre au 2 octobre 2010.

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Avec « Gilles », David Bobée abandonne « nos enfants ».

Propos du metteur en scène David Bobée, feuille de salle de “Gilles“: « Entre pluridisciplinarité et délire loufoque, début de narration et fragmentation des scènes, entre exigence et générosité, la liberté de création est grande ; c’est ainsi que je souhaitais réaliser ce spectacle : au fil des répétitions et des improvisations des acteurs. Je voulais avant tout le laisser vivre pour, petit à petit, le découvrir »

Sur le plateau, de la terre, une voiture, un réverbère…Tous ces éléments seront crédités par le récit, mais, comme un souvenir de déjà vu…dans « La mélancolie des dragons » de Philippe Quesne : même si la terre remplace la neige, on peut se questionner. Les « clins d’oeil » n’en sont pas toujours et les « hommages » sont parfois douteux. Nous en verrons «malheureusement» d’autres plus loin dans la soirée.

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” Gilles” – David Bobée.
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“la mélancolie des dragons” – Philippe Duquesne

Narration : « Ils ne savaient pas comment m’appeler “Gilles” c’est court à dire, comme ça c’est pratique». Le spectacle lui,  n’est pas court et il en perd toute sa force et sa puissance. « Pratique »… il l’est peut-être tant il est passe-partout, tant il veut éviter toute polémique, toute tension, toute émotion, tant il brosse dans le bienséant, le politiquement correct et le sens du poil, tant il gomme tout chemin de traverse. Pourtant, le chemin singulier de Gilles est hors des « sentiers battus » et remet en cause bien des conventions. Mais, on n’est là ni pour réfléchir, ni pour s’émouvoir, surtout pas pour être dérangés. Est-ce le «rejet» subit par « Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue », (sa dernière création, pamphlet anti gouvernemental), qui a poussé David Bobee à faire cela ?

Les scènes sont sans fin et tuent tout le contenu émotionnel du propos. Allons-y, qui plus est accompagnés par un gentil “docteur » : naissance de Gilles (déjà sous les sunlights), mariage de Gilles, l’enfant qui grandit, le clown vagabond, le « vieil » homme qui ne veut plus de sa mémoire…Et de le faire descendre dans la salle pour se jeter dans des embrassades imposées et faire lever le public les bras en l’air. Et de faire descendre deux jeunes acteurs (ayant pour « particularité » d’être porteur de handicap) pour faire tournée de bisous à un public captif. Cela n’apporte rien, ni au propos, ni à la pièce, mais contribue à «plomber» un peu « l’ambiance ». « La Compagnie de l’oiseau mouche »(1) associée à ce projet  mérite meilleur écrin pour son talent que ce racket organisé qui la conduit à s’exhiber. Que se passerait-il si un spectateur agressé refusait les baisers, en ce lieu imposé ? Il me semble facile d’exploiter cette veine pour s’assurer (obliger) les applaudissements.

Le handicap, s’il empêche certaines choses, n’exclut pas le talent, mais ce qu’il renvoie, encore aujourd’hui, exige que le «metteur en scène» conduise le public, avec force, à lâcher les clichés et les peurs pour modifier son regard et laisser place à l’être. Le handicap, comme d’autres singularités, dérange encore et provoque de nombreux troubles de comportement, des lois seules n’y changeront rien.
Loin le temps où le fait d’être porteur de handicap ou d’une différence et d’être sur scène ne sera plus une performance en soi.
Loin le temps où la différence aura place comme « normale » et « évidence » au point de n’être même plus soulignée dans une feuille de salle. Cela aiderait pourtant probablement ces acteurs à se sentir reconnus comme vraiment « professionnels de la profession » ; et, par probable répercussion, aiderait, des milliers d’hommes et de femmes à se sentir reconnus. Ce n’est pas la personne porteuse de handicap qui doit changer pour se « mettre  dans » la société, c’est cette dernière qui doit bouger pour faire de la place à celui/celle, qui, quoi qu’il/elle fasse, ne pourra pas gommer sa particularité et de fait « rivaliser, comme il se doit ». Le « monde de l’art » peut offrir un espace possible pour changer les regards de nos peurs et nos intolérances. Que lorsqu’il s’y colle, il le fasse avec exigence, conviction et force.  J’oserais dire le mal-être de certains spectateurs autour de moi qui, de toute évidence, n’avaient qu’une envie, que ça finisse et sortir pour, peut-être, fuir le malaise d’avoir accepté « ce cirque » et applaudi quand même. Dois-je dire qu’il est loin d’être évident de rester bras croisés à attendre que le show des « claps claps » soit fini, qu’il est encore moins évident de se lever et de partir ou de se « lâcher » à contester. Mais quand on applaudit… qu’est-ce qu’on applaudit au juste ?
Au lendemain de ce « spectacle », ma colère est toujours là… j’en veux à ce « Gilles » raté, pour avoir, je crois, cherché le consensuel sur un « fond de boutique » compassionnel. Je suis en colère de n’avoir pu vivre les émotions allumées par un beau texte et qu’ont fait mourir cette mise en scène.  Je ne peux m’empêcher, tant certains tableaux en sont copie, de penser à une autre mise en scène et à un autre spectacle.
« Flash back » d’émotions qui, là, ont pu se vivre: « Questo buio feroce » de  Pippo DELBONO s’est joué dans la même salle quelques semaines avant « Gilles ». Il travaille avec des personnes en situation de handicap, elles sont indispensables à ses créations. Sans elles, il y aurait manque car ce qu’elles proposent comme acteurs ne peut être proposé que par elles. Le metteur en scène sait qu’il ne peut pas demander à un autre ce qu’il demande à celui-là, compte tenu de ce qu’il est et de ce qu’il peut seul traduire.
Là se montre la force de la singularité et se prouve la place de chacun comme indispensable à un tout.

Je veux oser croire au “bousculement” qu’a fait vivre à David Bobée la rencontre avec le handicap psychique. Mais je m’autorise à penser qu’il doit autre chose à cette rencontre que ce « salmigondis » et que ce qu’elle a éveillé en lui est d’une autre teneur.

 « Puisqu’on allume les étoiles, c’est qu’elles sont à quelqu’un nécessaires » ( MAIAKOVSKI)

Allumer les étoiles pour qu’elles nous soient utiles et fassent pétiller nos intelligences, nos cerveaux et nos coeurs, cela me semble être le minimum à demander à un créateur.

Des tableaux accumulés, quand bien même ils soient « subjectivement beaux », ne font pas un bon spectacle.

Ici quarante-cinq minutes auraient probablement suffi à faire lever le vent. Ce texte le méritait, ces comédiens aussi ! Une heure trente ont tout tué.

Que le créateur montre aussi à ceux qui croient en « Nos enfants » que le théâtre (subventionné ou non) n’a pas vendu son âme et que les enfants de demain pourront encore pousser les portes de cet ailleurs pour se remettre vent debout en allant croiser les « Saltimbanques ».

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

Gilles”, de Cédric Orain, mise en scène de David Bobée a été joué du 12 au 14 janvier au Théâtre Universitaire de Nantes.

(1) Troupe professionnelle et permanente qui compte vingt-trois comédiens, personnes en situation de handicap mental.

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De l’identité nationale, par David Bobée, Frédéric Nevchehirlian et Eva Doumbia.

Trois artistes, trois visions, trois manières de traiter la question de l’identité nationale…

Le propos est d’abord posée par le metteur en scène David Bobée et  l’écrivain Ronan Chéneau en janvier dernier (voir la vidéo) à travers le prisme de la dénonciation de l’actuelle politique gouvernementale. Dans « Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue », ils nous renvoient à notre perception, notre ressenti vis-à-vis des nouvelles réglementations. Comment réagir quand la règle exige de prouver et de démontrer son attachement à la République?  Pourquoi cette nécessité, désormais, de fournir des preuves d’amour ? Et surtout, quelle(s) répercussion(s) envisager en cas de désintérêt, de désamour ? Et si je n’aime plus cette France-là, vais-je perdre mon identité nationale ?

Quelques semaines plus tard,   le slameur Frédéric Nevechirlian nous ouvre les portes du studio du Théâtre du Merlan à Marseille pour nous offrir une autre vision, complexe et artistique, de l’identité nationale.

Accompagné de musiciens classiques dont la pianiste Nathalie Negro, Frédéric Nevechirlian nous donne à entendre quelques textes dont un écrit par Eric Vuillard, dans le cadre d’une répétition de « j’ai des milliers de gestes »,  spectacle présenté en juin lors du festival de Marseille.  C’est une musique contemporaine qui hache les notes comme Frédéric scande les mots.

À travers la voix fiévreuse de Frédéric Nevechirlian, Eric Vuillard constate que « Les ancêtres sont des forces défavorables ». « Les ancêtres sont des corps gigantesques, des présences dont les dimensions soustraites à notre vue étirent les signes de la providence qui sont les agents de décomposition des cadavres. ( …) Les pensées semblent venues de notre esprit, mais elles paraissent tenir par une espèce de filament secret aux règnes des esprits antérieurs. Il existe dans nos pensées une accumulation mystérieuse d’angoisse et de splendeur. » Cette angoisse et cette splendeur, c’est un peu l’ambivalence de l’héritage de la France.

 «Mais ils s’introduisent comme du poison dans mes veines, ils viennent se coller sur mes yeux ; et je passe beaucoup de temps à les détruire, je passe beaucoup de temps à les retirer de moi,… ». L’héritage colonial de France, sa difficulté à construire un projet global.

Ces musiciens issus de la musique classique et le slameur Frédéric ont décidé de se croiser. Mais le  croisement n’est pas sans riper. Doit-on respecter la partition ou s’en éloigner pour laisser encore plus de champ à l’improvisation ? Doit-on laisser place à la surprise, à l’émotion, mais à davantage de chaos ? Car que cherche-t-on ? Le vidéaste Patrick Laffont, comme un passeur, fait le lien. Ces artistes ont voulu se confronter à un univers différent du leur. C’est difficile, c’est parfois frustrant,  leurs altérités  comme autant d’aspérités s’entrechoquent. Comment va s’articuler leur projet : la partition ou le chaos ? Nous les quittons sur ces interrogations.

Comme un écho, le lendemain Eva Doumbia présente au 3bisF à Aix-en-Provence.  « Je t’écris… Le métissage ne s’arrête-t-il pas où commence l’oubli (du voyage) ? »,  première étape d’un travail de création.

Avec sa troupe, la Compagnie La part du pauvre, Eva Doumbia nous accueille. Elle se tient face à nous et s’adresse à la foule compacte et mélangée venue assister à la représentation.  Ce « mélange » du public est celui des âges et des origines en miroir à cette équipe d’artistes.

Avec un souci de clarté et une empathie certaine pour ceux qui se sont déplacés pour voir, Eva Doumbia explique sa démarche.  Car précisément, elle conçoit le processus créatif dans cet aller-retour avec la salle.

Le spectacle est composé d’une série de monologues. Ils sont ceux des personnes que France, l’héroïne venue du Brésil a rencontré dans le cadre de ses études. Elles ont partagé l’intimité de France et chacune à leur tour nous raconte leur identité et leur relation avec France.

Les personnages de la pièce d’Eva Doumbia entretiennent tous un rapport avec l’Afrique. Certains sont pieds-noirs, d’autres ont vu leurs parents fuirent l’Afrique pour cause de guerre civile, d’autres ont simplement quitté l’Afrique pour faire carrière en France.

Cette mosaïque de témoignages dessine le portrait de leur interlocutrice, de leur terre d’accueil communes : France.

Le travail inachevé d’Eva Doumbia mérite d’être retravaillé quant à son rythme, mais l’essentiel est réussi : il touche chacun de nous en ce qu’il interroge sans partis pris le rapport que nous entretenons avec notre propre identité nationale.

Le projet d’Eva Doumbia tisse des liens avec celui de David Bobée et avec les mots d’Eric Vuillard prononcés la veille par Frédéric Nevchehirlian. En nous permettant de mieux comprendre leur processus artistique, ces artistes nous guident vers une lecture complexe de notre identité.  Cette question si intime qui questionne notre capacité à construire un projet collectif.

Elsa Gomis

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FESTIVAL ACTORAL PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Au Festival ACTORAL, David Bobee réchauffe les hétéros. A La Villette, pas si sûr.

Acte 1: Au Festival Actoral à Marseille, en octobre 2008, par Pascal Bély

En entrant dans la salle, on nous distribue une bouteille d’eau. «Nous allons avoir chaud», nous prévient-on. «Warm» de David Bobée sur un texte de Ronan Chéneau dégage une chaleur torride, eu égard au nombre de projecteurs latéraux qui illuminent la scène. Le présentateur nous informe que cette pièce s’inscrit dans un cycle sur « Les écrits du cirque » qui devrait aboutir en 2013 par la création de la biennale des Arts du Cirque. La barre est placée bien haute pour une oeuvre qui n’atteindra pas des sommets.

Elle est enceinte de quelques mois. Elle dépose trois bouteilles d’eau sur la scène puis, de dos, récite un texte. Dans ses mots, il fait déjà chaud et la belle fantasme, alors que la canicule s’installe dans les rues de la ville. Les mots montent en puissance. C’est joliment dit, mais le texte colle à la peau comme le journal intime d’une adolescente à la recherche de sensations interdites. Soit. Cela s’entend sans problème. J’ai chaud, mais pas pour les mêmes raisons.

Les deux hommes arrivent. Ils sont beaux. L’un brun. L’autre blond. Parfait. L’un pantalon moulant. L’autre jean’s style hétéro cool. La jeune fille est contente. Elle poursuit ses délires sous l’effet probable du cannabis ou de l’extasie. Les deux mecs se regardent comme s’ils faisaient connaissance dans un sauna gay ; se suivent comme s’ils marchaient dans les jardins des Tuileries. L’imaginaire homosexuel fait monter la température et leurs emboîtements ne laissent aucun doute sur leurs intentions. Soit. Sauf qu’ils n’en ont aucune. Et alors ? Alors ? Rien. Ça se voit, c’est tout. Tout droit échappés d’un casting de mode, nos deux tourtereaux font ce que l’on leur demande. Elle peut toujours fantasmer, ils assurent le spectacle. Un Point, c’est tout. Ici, on est au cirque.
Les peaux dégoulinent. Après ? L’un asperge l’autre avec la bouteille. L’eau finit sur le sol. Ça patine. Et puis ? Et puis…ça continue de patiner.
Ne manque plus qu’un coup de vapeur et nous y sommes presque.
Ou plutôt, deux jeunes ados qui s’amusent sur un plumard. L’image a dû traverser l’auteur.
Soit.
Après ?
Bien après, il faut bien que cela se termine. Alors, les lumières baissent et la jeune fille se calme après une crise qui a fait trembler les glaces du décor.

À cet instant précis, mon écriture colle aussi.

Pause.

Analyse.
Un peu de hauteur. Je suis blogueur. Je dois faire attention à ne pas hypertrophier mon commentaire.

Je cherche l’écriture que l’on nous promettait au début du spectacle. Les corps collés aux mots gluants de Ronan Chéneau ne suffisent pas à dépasser l’illustration d’un fantasme calculé et prévisible. C’est effrayant de contrôler ainsi le désir. Effrayant cette écriture qui ne laisse aucune place à l’imaginaire.

J’ai froid.
….
La scène finale où l’on devine nos jolis garçons en train de se masturber n’ira pas jusqu’au saut final.
….
Ouf.
J’ai eu chaud.Acte 2: A La Villette, à Paris, en juin 2009, par Elsa Gomis.« De la douleur naît le désir ».Malgré la chaleur, malgré la transpiration qui empêche leurs portées, ils continuent.

Leurs corps se tendent sous l’effort, rougeoient sous l’effet des projecteurs. Pourtant, ils continuent.

Dans “Warm“, David Bobée semble vouloir montrer le dépassement et l’oubli de soi jusqu’au délire.

Les paroles de Ronan Chéneau, dites par une comédienne vibrante, sont au départ détachées des gestes des deux acrobates, puis elles les accompagnent, les commentent, les dirigent.

Sa voix est ferme. En dépit de la chaleur de l’atmosphère, son ton reste froid, parfois brutal, souvent dur.

Ici le sexe n’est ni doux ni drôle, il est affaire de juxtapositions physiques précises, d’un déroulé convenu, d’un scénario immuable. Un enchaînement que rien ne semble pouvoir rompre. A part la chaleur.

On reste fascinés par cette persistance, effrayés par les risques pris, intimidés par la brutalité des directives, mais pas émoustillés.

Comme dans Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue, nous assistons à une montée en puissance progressive, mais le propos n’apparaît pas clairement.

Il est sans doute question, au travers de cette scénographie, de montrer le sexe instrumentalisé.

A mon niveau, je ne perçois pas “Warm” autrement.

J’ai encore faim…

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

France Inter – Bobée : David contre Goliath.

Vendredi 15 mai 2009, 8h50. France Inter. Edwy Plenel, le patron du site d’information Médiapart, est l’invité de la rédaction. Ses propos dénoncent le climat autoritaire qui règne sur la profession de journaliste (poids des actionnaires privés, l’intervention directe de Sarkozy sur la nomination des PDG des médias publics). L’homme est convainquant. Jean-Luc Hess, le tout nouveau PDG de Radio France, débarque dans le studio, « parce qu’il passait par là ». Ancien journaliste, il sait manier le micro et parler à l’oreille de l’auditeur. Il réagit aux allégations de Plenel et assure que les journalistes « pourront continuer à aboyer ». Je frémis. En prenant de façon autoritaire l’antenne, Hess communique à partir d’une injonction paradoxale : « vous êtes libre de parole mais ce matin, j’impose un cadre qui vous empêche de la prendre ». De quoi devenir fou. À mesure que le dialogue s’instaure, le discours des deux hommes se fond, s’annule comme s’ils s’entretuaient. À trop rester entre soi, on finit par s’entredévorer .  L’auditeur est alors seul. Avec talent, Sarkozy alimente le cannibalisme.

19h30. « Le téléphone sonne », émission animée par Pierre Weill, accueille Dominique Paillé de l’UMP, Marielle de Sarnez du Modem et Daniel Cohn-Bendit d’Europe Ecologie. Les deux derniers ont envie de nous parler d’Europe mais Pierre Weill réduit le propos et cherche l’anecdote. Le débat, autour du sens du projet européen, se perd dans le détail des frasques de la politique française. L’auditeur est seul. L’inspiré Pierre Weill, en phase avec le système médiatique dénoncé par Edwy Plenel, cannibalise le fond et la forme.

20h30. Théâtre de Châteauvallon, lieu majeur de la création avant l’arrivée du FN à Toulon en 1995, année de la faillite des valeurs. Début du cauchemar. Nous y sommes encore. Ce soir, le metteur en scène David Bobée propose “Cannibales”, sur un texte de Ronan Chéneau. Un groupe de jeunes spectateurs se manifeste bruyamment. Plus pour très longtemps. Alors qu’un couple de trentenaires se prépare à s’immoler, la tension dramatique monte dans la salle.

La pièce retrace le long processus qui les a guidés vers ce drame.  Cette « génération sacrifiée » devient l’héroïne et se fond dans le décor (mobilier Ikea, canapés, armoires transparentes à l’image d’une vitrine d’un grand magasin). Mais surtout, elle s’immisce dans notre histoire commune comme si le théâtre voulait relier ce que le pouvoir autoritaire en place clive. « Cannibales », en multipliant les références sociologiques, politiques, esthétiques, pose quelques repères au moment où nous en manquons cruellement. Comme un acte de résistance, la troupe s’empare de la scène, ingurgite les mots et les débite pour ne laisser aucune place aux doutes entre elle et nous. Comme s’il fallait nous parler coûte que coûte, nous écouter, sans nous neutraliser.

Comédiens, danseurs, acrobates tirent les fils, tendent les cordes, hissent les mats, dansent sur le lit, s’embrassent, s’engueulent pour quelques miettes abandonnées par terre. On fait des déclarations d’amour (il n’y a pas qu’internet et les SMS), on convoque le mythe (Spiderman) et la poésie en réponse à la perte des valeurs humaines, à la transformation du couple en unité de consommation. On y dénonce l’absence d’un discours de gauche proche des minorités et la faillite d’un système démocratique. Les acteurs parlent avec leurs corps, le sculptent avec leur imaginaire pour conquérir le nôtre. L’écoute est partout, aidée par une scène interactive, en trois dimensions, où le spectateur puise dans l’énergie de ses acteurs pour penser par lui-même.  Public et comédiens s’éloignent du rapport de force pour donner du sens à l’acte artistique, à l’image de ce couple pour qui le suicide reste le seul projet porteur de sens.

David Bobée est un scénographe hors pair qui évite soigneusement la culpabilisation individuelle et collective malgré le poids d’un héritage mortifère, celui de la révolution ratée de 1968. Il tente, comme beaucoup d’entre nous, d’inventer quelque chose de nouveau alors que la génération de 1968, toujours aux manettes du pouvoir médiatique et économique, créent les plafonds de verre qui empêche la jeunesse d’être autre chose qu’une force consommatrice.

Alors que la dernière scène nous « utopise », on se prend à rêver que la « France Inter » soit enfin le pays du rock ‘n’ roll.

Pascal Bély

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“Cannibales” de David Bobée par la Compagnie Rictus a été joué le 15 mai 2009 au Théâtre de Chateauvallon.

 

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ETRE SPECTATEUR

Washington-Paris-Mens-Avignon- Brazzaville – Gennevilliers (1/2): David Bobée, l’artiste du puzzle, du peuple métissé.

20 janvier 2009, Washington :

Ils sont des milliers à se serrer dans le froid, prêts à l’écouter. De son estrade dressée à Washington, il s’élance. Et il évoque d’abord « un sentiment d’humilité, devant la tâche qui nous attend ».

20 janvier 2009, Paris :

À 18h30, le Théâtre du Rond-Point joue son rôle d’éclaireur. Le discours de Barack Obama « De la race en Amérique » prononcé  le 18 mars 2008 est incarné par Vincent Byrd Le Sage sous la direction de José Pliya. L’émotion est palpable dans la salle tant la sobriété du jeu de l’acteur résonne avec la gravité du moment. J’ai honte d’être français à mesure que le discours m’englobe car il entre en collision avec les paroles de Sarkozy à Dakar en juillet 2007. Envie de fuir ce petit pays. Désir de participer à « une politique de civilisation »

22 janvier 2009, dans un bistrot du 19e arrondissement de Paris :

Elsa Gomis (contributrice pour le Tadorne) et moi-même rencontrons Pierre Quenehen, le directeur du festival « Mens alors ! », petite ville de l’Isère. Il souhaite l’engagement du « Tadorne » comme blog du festival auprès d’Elsa, chargée  avec d’autres de l’accueil des 80 bénévoles et du public.

La discussion est animée, elle déborde d’allers-retours. Il y a tant à dire : le travail de Frédéric  Nevchehirlian l’artiste associé cette année, celui des autres chanteurs, musiciens, comédiens, qui au travers d’ateliers vont aller vers le public. Les publics. Parents, enfants, personnes âgées, valides, non valides, ruraux, urbains… Tant de parenthèses pour expliquer le contexte, de détours pour décrire les expériences passées. Nous flottons.

Nous n’entendons plus les paroles, nous écoutons la musique de la voix de Pierre. Alors même que Cités Musiques, l’association pour laquelle il travaille serait menacée, Pierre nous transmet son envie, son enthousiasme.

Nous sommes grisés, mais ravis. Prêts à découdre contre les lourdeurs institutionnelles. Décidés à activer le réseau d’artistes et d’amis engagés dans une communication transversale et volontaire pour accompagner les changements de paradigme. Bras-dessus bras dessous, le long de canal de l’Ourcq, nous partons.

“… En ce jour, nous sommes réunis parce que nous avons préféré l’espoir à la crainte, l’union au conflit et à la dissension.” (Barack Obama, 20 janvier 2009).

La première pièce du puzzle est posée.

Vendredi 23 janvier, bistrot Place Gambetta, Paris.

Je déjeune avec Martine. Une jeune dame journaliste, presque retraitée, aux yeux qui pétillent. Martine serait sûrement désigné non productive aujourd’hui par un grand quotidien du soir, trop âgée sans doute! Car trop agitatrice certainement. Au prochain Festival d’Avignon, elle veut mettre en lien tous ceux qui sont engagés dans une parole pour tracer des chemins à travers les clôtures de nos pensées. Après « les plages d’Agnès », voici venu le temps « des traverses de Martine ».

Vendredi 23 janvier, Fondation Cartier, Paris.

Il existe une Fondation Cartier. Pour l’art contemporain.

Deux hommes, déjà âgés, dénoncent.

Raymond Depardon, le documentariste fait l’éloge de l’immobilité.

Paul Virilio l’urbaniste accuse la vitesse : elle est notre incarcération. Car de la vitesse résulte le krach, l’effet de serre… elle entraîne la réduction du monde à rien. Il en découle que notre traçabilité (grâce aux puces RFID, aux satellites, aux téléphones cellulaires…) a remplacé notre identité territoriale.

D’autant que notre monde va être confronté à un problème sans précédent de repeuplement planétaire. Pour des raisons d’ordre divers (économie, écologie…), environ 1 milliard de personnes vont être déplacées d’ici 2020 sur Terre.

Grâce à l’immobilité de sa caméra, Raymond Depardon donne la parole à ceux qui ne l’ont pas. L’immobilité de la caméra dégage l’écoute. La parole brute qu’il donne à entendre est une vraie pensée. Immobilité de la caméra comme résistance au mouvement du monde. Ensemble, Paul Virilio et Raymond Depardon illustrent une forme de résistance à ce que le monde peut devenir.

Glacés par le vent qui souffle boulevard Raspail, nous quittons la Fondation.

Devant un auditoire qui s’étend à perte de vue, il  continue : …Notre réussite économique n’a pas été dépendante uniquement du montant de notre produit intérieur brut, mais également de l’étendue de notre prospérité, de notre capacité à offrir des opportunités à chaque homme ou femme de bonne volonté. Non pas par charité, mais parce que c’est la voie la plus sûre au bien-être commun. (Barack Obama, 20 janvier 2009).

La deuxième pièce du puzzle se présente à nous.

Samedi 24 janvier, au bar du Théâtre2Genevilliers.

Nous dînons avec Isabelle. Elle dit : « tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ». Elle dit qu’elle veut soutenir les travailleurs sociaux, les animateurs, les responsables de centre de quartier… tous ceux qui font du lien avec la population dans sa collectivité. Isabelle veut les aider à accompagner les publics qu’ils côtoient vers la culture. Vers ce qui donne du sens.

Du haut de sa tribune, il évoque l’esprit de service, une volonté de trouver un sens dans quelque chose qui nous dépasse. Et justement, en ce moment, moment qui va marquer une génération, c’est précisément cet état d’esprit qui doit nous habiter ((Barack Obama, 20 janvier 2009).

Le puzzle s’agence sous nos yeux.

Samedi 24 janvier, Théâtre2Genevilliers, Ronan Chéneau, David Bobée, DeLa Vallet Bidiefono,  «Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue“.

Des danseurs congolais et français sont ensemble. Dans la même énergie, la même rage. Avec sincérité, avec toute la nudité d’un cri, ils disent ne pas se retrouver dans cette France. Les enfants de la France ne se reconnaissent pas dans l’identité institutionnalisée. L’institution est un mât en haut duquel on gesticule sans aller vers eux. Ils dénoncent Platon et le monde des idées qui les exclut parce qu’ils n’ont pas les mots. Cette fameuse « idée de la France » si chère à notre petit président qui leur fait perdre toute identité. Alors, ils crient, chantent, hurlent leur douleur jusqu’à nous atteindre, sans effraction. Ils métissent les arts (de la danse au théâtre, en passant par le cirque et la vidéo) ; le plateau est cette France traversée, non verticalisée par ce pouvoir aux accents fascistes.

Fasciste. Le mot est suggéré par cette danse aux accents militaires, par des mouvements si synchronisés qu’ils glacent le sang, par ce mur de Berlin d’un gris modernisé, par le tapis roulant où circulent ces valises de mots de la rhétorique dégoulinante de haine de la Sarkozie inculte. Notre petit président ne lit aucun livre, mais nos danseurs jouent les mots de l’écrivain Ronan Chéneau avec une telle empathie qu’ils ne sont pas sans nous évoquer la force d’Obama face à son peuple.  À mesure que « nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue » avance, nous lâchons ce que ce pouvoir autoritaire cadenasse en nous. Nous tremblons avec eux. David Bobée et l’écrivain Ronan Cheneau nous redonnent la parole, confisquée sous le poids d’une pensée unique autoritaire. Nous n’apprenons rien que nous savons déjà mais cette mise en scène crée soudain l’espace collectif qui nous manque tant. Depuis quand n’avons-nous pas ressenti cela au théâtre ? Il est enfin là le vacarme que nous attendions.

Cette jeunesse veut dépasser les préjugés jusqu’à franchir les frontières de la scène. Ils montent sur les gradins. Ils crient. C’est la révolte par la créativité. Mais nous ne pleurons pas. Plus habitués. La bulle est en nous. La bulle de rage qui donne envie de ne pas en rester là.

De Washington à Paris, de Mens à Brazzaville, de bistrot en bistrot, le dessin du puzzle s’est tracé sous nos yeux. Des années maintenant. Des années de pratique professionnelle, artistique, de contacts riches, mais disparates. Et tout est clair. Il n’existe plus de barrières.

En 2009 nous allons faire ce que nous devons faire.

Ils applaudissent, ils sourient, pleurent parfois, ils savent maintenant ce qu’ils ont à faire. Il conclut en nous demandant de transmettre ce don merveilleux qu’est la liberté (Barack Obama, 20 janvier 2009).

Elsa Gomis – Pascal Bély – www.festivalier.net.