On devrait pouvoir évaluer festivals et lieux culturels sur leur politique d’accueil. On s’apercevrait que certains sont tout juste du niveau d’une Sécurité Sociale des années quatre-vingt.
Je travaille depuis six heures du matin. J’ai eu une longue journée où j’ai animé un séminaire important. Il est 20h15 et je décide de me rendre au festival DANSEM à Marseille, soit 30 minutes de route pour assister la dernière création de Manon Avram et Thierry Escarmant, «Qu’avez-vous vu ?». Cette compagnie est soutenue par la DRAC PACA pour qui je suis un expert danse lors de l’attribution des subventions. Il me faut donc voir ce spectacle: malgré la fatigue, j’en ai envie.
J’arrive à la Friche Belle de Mai à Marseille vers 20h45. Aucun affichage visible et lisible. Seuls les habitués connaissent le lieu. La salle est en contrebas. Devant la porte, tout au plus 10 personnes. Je reconnais des professionnels. J’attends. Puis une cohorte de spectateurs d’une autre représentation rejoint la file. J’attends. A l’entrée : «la billetterie n’est pas ici. C’est plus haut, au restaurant». Je cours. J’arrive à l’accueil, essoufflé :
– «Trop tard, le spectacle a commencé» me dit-elle, visiblement inquiète.
– «Ben non puisque l’on me dit de venir ici»
– «Trop tard, le spectacle a commencé» répète-t-elle, avec probablement la peur de se faire sanctionner si elle cause du retard.
– «Mais puisque l’on me dit de venir ici».
Colère. Colère.
Finalement, je sors. Elle me rattrape pour me donner un ticket, sans un mot, presqu’à la sauvette…
Je descends. La porte est fermée. Je frappe. Un agent de sécurité me laisse aimablement entrer. Le spectacle n’a pas commencé.
– «Pourquoi tu le laisses entrer » dit un homme avec un ton méprisant à l’égard de l’agent.
– «Le spectacle a commencé» me dit-il.
– «Ben non, puisque j’entends les spectateurs ».
– «Le spectacle a commencé» répète-t-il face à l’agent de sécurité médusé.
Je quitte la Friche. Dépité.
Cette scène est symbolique à plus d’un titre. Si vous n’êtes pas un habitué, vous vous perdez. Métaphore d’un festival replié sur son réseau de spectateurs. Le cloisonnement entre le lieu de la représentation et la billetterie en dit long sur l’approche de l’accueil: c’est une procédure où l’on distribue des tickets, où l’on stabilote à plusieurs derrière la banque. Mais où est la relation ?
Il n’y a aucune souplesse, seule la règle prime et la peur qui l’accompagne. N’ont-ils jamais imaginé qu’un spectateur pouvait ne pas avoir de billets à l’entrée? N’ont-ils jamais pensé une procédure pour éviter un stress commun, pour faire plaisir? Sont-ils à ce point sur le pouvoir pour ne pas faire confiance à un spectateur qui vient pour la danse, un jeudi soir, à Marseille? Sont-ils à ce point insensibles pour ne pas savoir que le désir de rencontrer des artistes vaut bien d’attendre de déchirer un ticket?
Ce soir, un lieu culturel m’a fermé la porte. Combien sommes-nous symboliquement dans ce cas-là ?
Pascal Bély, Le Tadorne.
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