Confiant dans mon réseau Facebook, un lecteur du blog me conseille un spectacle de danse au Festival Off d’Avignon. Cette discipline artistique peine cette année à se rendre lisible, payant probablement le prix fort de la crise économique et d’une recherche de rentabilité à court terme.
Le Collectif Zone libre, emmené par Cathy Testa et Marc Thiriet, est là, bien présent. Trois solos pour trois danseuses époustouflantes, accompagnées en direct par le musicien Guillaume Feyler. Comment ne pas déceler dans ces choix, une prise de risque, une ambition, au cœur d’un festival de théâtre ?
Il est 22h25 et je suis fatigué par une journée marathon. Une heure plus tard, ce collectif m’a donné l’énergie que procure un voyage de long cours, où des territoires se révèlent, se nourrissent les uns des autres, sans m’épuiser par une concurrence inutile, mais en privilégiant la confiance envers le spectateur, seul capable de créer ses chemins de traverse. Car du chemin, il y a…
Lorsque s’avance Cathy Testa, la lumière projette sur toute sa peau les vitraux d’une cathédrale. Cette rencontre entre une quête absolue de sens et mon imaginaire florissant me propulse dans ses plis, métamorphosés en vallée des merveilles. Le corps phare guide la création lumière tandis que la musique dévale les pentes d’un dos – nef, à moins qu’elle n’émerge de cryptes à secrets. Captivant.
Lorsque s’avance Flavie Hennion, du dehors se fait entendre le feu d’artifice du 14 juillet. Femme centaure, ses mains sont sabots; sa chevelure crinière cache son visage. On la croirait au centre d’un bombardement, sous les feux d’un pouvoir oppressant. Elle chemine, pas à pas, peu à peu, douleur après douleur…Du haut vers le bas…du bas vers l’horizon. Les membres du corps se désarticulent pour accompagner la métamorphose qui s’opère entre enfermement et libération, démarche forcée et désir de danse. À certains moments, j’y vois la danseuse classique se délestant peu à peu de ses pointes pour explorer tout ce qu’un corps peut véhiculer de sens. Elle parcourt le plateau et je la suis, car mon regard est sa force, sa beauté mon désir d’en découdre avec mon épuisement. Tandis qu’elle finit par se relever, cette femme oiseau est toujours en danger: les bombardements sont certes terminés, mais d’autres balles pourraient l’atteindre. De la part de ceux pour qui l’art de la métamorphose est un blasphème. Époustouflant.
Lorsque s’avance Lucie Blain, sa posture m’évoque la petite poupée qui tourne sur elle-même…un jouet dont raffolait ma sœur. Ce soir, elle nous est offerte. Elle est cadeau. Mais peu à peu, elle nous échappe. Ses gestes s’appuient sur la lumière pour explorer l’espace et le sculpter pour que vienne s’articuler à cette dynamique rotative, un mouvement moins linéaire, plus harmonieux. À la mécanique se substitue la fluidité, de celle que procure l’altérité, symbolisée par une musique complexe et accueillante…La lumière est une matière. Elle surgit des coulisses, traverse le corps et ouvre un cheminement sur le sol…
Un chemin que seule la danse peut offrir quand elle relit la pensée et le corps. Sidérant.
Pascal Bély – Le Tadorne
«Le secret de la petite chambre » par le collectif Zone Libre. Au Théâtre de l’Oulle jusqu’au 28 juillet à 22h20 dans le cadre du Festival Off d’Avignon.