« Ce qui m’intéresse principalement aujourd’hui c’est que le spectateur ne soit plus placé devant une oeuvre, mais qu’il pénètre à l’intérieur de l’oeuvre » déclare Christian Boltanski au sujet de “Personnes”, l’exposition qu’il donne à voir jusqu’au 21 février au Grand Palais.
Dans la “Mélancolie des Dragons“, actuellement au Théâtre du Rond-Point des Champs-Elysées, Philippe Quesne nous fait pénétrer dans le parc d’attractions de six hommes aux cheveux longs, amoureux des groupes de hard rock des années 1990, notamment de “Wind of Change“, le tube de Scorpions extrait de l’album « Crazy World ». Crazy World.
Marqué par le souvenir de l’Holocauste, Christian Bolantski cherche l’émotion à travers toutes les expressions artistiques qu’il utilise. Pour “Personnes“, il quadrille le sol du Grand Palais de centaines de vêtements disposés à plat, à même le sol. Au fond de la nef, des vêtements sont à nouveau accumulés pour former une montagne au-dessus de laquelle plane une mâchoire d’acier.
Philippe Quesne propose de renouveler le regard à partir de matériaux simples et anodins. Il choisit de ré-enchanter notre imaginaire avec de l’eau, de la fumée, des bulles de savon et six bâches en plastique. Gonflées à l’aide de ventilateurs, ces dernières se dressent pour atteindre une hauteur de six mètres et surplomber la scène. Dans la salle plongée dans le noir, elles ondulent légèrement, tels des géants ventrus. Je pense à la scène d’American Beauty où le fils des voisins montre la plus belle chose qu’il n’ait jamais filmé : un sac en plastique dansant le vent.
Alors même qu’il met en scène un poignant hommage aux morts et aux victimes, Christian Boltanski nous rappelle sans cesse à notre statut d’êtres vivants. Des battements de coeurs tonnent en permanence et emplissent l’immense espace de la nef. Ces battements -dont la puissance est démultipliée par la présence d’enceintes réparties partout- architecturent l’espace comme Janet Cardiff et George Bures Miller l’avaient fait au printemps dernier au Hamburger Banhnhof de Berlin dans The murder of crows.
Les battements de ces coeurs s’opposent à l’architecture travaillée de ce lieu qui accueillit l’exposition universelle de 1900. Surtout, ils tranchent avec le suintement métallique de la grue qui enserre inlassablement une poignée de vêtements, pour les relâcher quelques mètres plus haut.
La dureté des mâchoires métalliques contraste avec la légèreté des étoffes qui volettent quelques mètres pour venir se poser en haut de la montagne de vêtements. Elles s’emplissent d’air comme si, pour quelques secondes, les fantômes de ceux auxquels elles ont appartenu témoignaient de leur présence.
Dans La mélancolie des dragons, les six compères, amateurs de musique qui cogne, créent une montagne en recouvrant de blanc une Citroën AX. Ils s’attendrissent devant l’envol de perruques qui marquent la présence d’hommes invisibles, qui dansent. L’univers bricolé qu’ils agencent sous nos yeux est composé d’éléments triviaux, mais grâce à l’émerveillement avec lequel ils considèrent les choses, ils dépassent le kitsch. Dans les fumigènes, même un dragon en plastique peut être mélancolique.
A l’occasion de l’exposition Personnes, Christian Boltanski propose aux visiteurs de poursuivre les «Archives du c?ur » -entamées en 2008-, en enregistrant les battements de leur coeur. L’artiste projette ensuite de conserver ces archives sonores sur l’île d’Teshima dans la Mer du Japon, afin de faire battre le coeur des hommes à l’unisson.
Si l’une des particularités de Boltanski est sa capacité à reconstituer des instants de vie avec des objets, Philippe Quesne insuffle de la magie aux plus prosaïques d’entre eux.
Alors, dans les deux cas, éloge à l’absurde de nos existences ? À la puissance symbolique de certains objets ?
Vouloir être respectueux de ces artistes consiste à ne pas chercher de réponses, mais accueillir leurs remises en cause avec ce qu’elles soulèvent d’émotions et de poésie. Juste accepter de regarder les choses pour le sens qu’elles peuvent porter, mais savoir aussi les détourner pour en créer d’autres, plus belles encore(1).
Elsa Gomis – www.festivalier.net
A lire aussi la critique “cool” de Pascal Bély lors de la création de “la mélancolie des dragons” au Festival d’Avignon 2008.
(1) « J’ignore ce que recouvre le vocable d’art moderne. L’art consiste uniquement à poser des questions, à donner des émotions, sans avoir de réponse » (propos de Christian Boltanski recueillis en juillet 2009 par Catherine Grenier, commissaire de l’exposition).
Personnes et la Mélancolie des dragons sont à voir à Paris jusqu’au 21 février 2010.