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En Provence, le théâtre fait front.

Inoubliable saison 2010 -2011 ! Est-ce possible de poursuivre l’aventure de ce blog à partir des programmations proposées dans ma région (Provence)? Après le stimulant Festival d’Avignon, l’accueillante Biennale de la Danse de Lyon, et le généreux Festival d’Automne de Paris, mon écriture de spectateur engagé a buté au cours de l’hiver. Il s’installe un profond décalage entre les ambitions affichées par les festivals et la frilosité des théâtres où les mêmes noms reviennent associés aux mêmes esthétiques enrobées dans des politiques de communication aux slogans creux. Pour la première fois depuis six années, j’ai failli jeter l’éponge. La quasi-disparition de la danse contemporaine, en dehors de la programmation policée du Centre Chorégraphique National d’Aix en Provence, a accéléré mon dépit. Malgré tout, il faut poursuivre, même si c’est pour s’émouvoir du déclin culturel de ma région. Il y a pourtant de quoi espérer : une maison pour la danse emmenée par Michel Kelemenis ouvrira à l’automne prochain à Marseille, tandis que l’année capitale 2013 finira bien par créer une émulation…
Mais en attendant, programmateurs et artistes s’accrochent à l’Histoire, non pour réinventer les valeurs de l’avenir, mais pour nous transmettre les idéaux d’une modernité dépassée. J’ai cru au théâtre engagé d’Ariane Mnouchkine en me rendant à Lyon pour ses «Naufragés du fol espoir». Naufrage total pour une nostalgie gluante. Qu’importe ce présent pourri, pourvu que soit célébrée la France de grand-papa! Avec François Cerventes, «le voyage de Penazar» proposa de traverser neuf siècles pour finalement me  perdre dans des détails historiques insignifiants. Malgré la performance de Catherine Germain, je m’interroge : à quoi sert le théâtre s’il doit nous donner une approche linéaire de l’histoire, là où j’attends qu’il la transcende?

Catherine Marnas avec “Lignes de faille” du roman de Nancy Huston a fait pire : elle a tué toute possibilité de transcendance en nous offrant un voyage dans le 20e siècle à partir d’une vision transgénérationnelle, mais en empêchant l’imaginaire du spectateur de fonctionner. Au total quatre actes d’une heure chacun pour quatre périodes (2000, 1980, 1960, 1944) où l’enfant raconte (avec mimiques enfantines à l’appui) tandis que les adultes s’affairent. On plaque sur le plateau des images vidéo de l’époque pour mieux signifier que tout est sous contrôle : avalanche de texte, même dramaturgie et effets de scène répétitifs. Comme avec Ariane Mnouchkine et François Cerventes, le spectateur n’a plus qu’à se laisser porter. Tout est donné au détriment d’une recherche partagée entre artiste et public. Le théâtre célèbre le visible, le linéaire, à partir d’une scénographie signifiante qui fait totalement l’impasse sur le complexe (l’espace de la résonance). À l’image du discours politique qui peine à se renouveler et à embrasser la complexité, ce théâtre-là s’accroche au texte aux dépens du corps, souvent déguisé. Il perd en intimité et semble incapable de parler de la douleur du monde.

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Quid alors de la création «pluridisciplinaire» ? Julien Bouffier a mis en scène Marguerite Duras avec «Hiroshima mon amour». J’attendais que le corps évoque le drame collectif. Sauf que la scénographie fait office de mise en scène et les différentes esthétiques (documentaire, cinéma, chanson, théâtre, danse) visent à remplir le vide provoqué par la tragédie. Pendant que je regarde le film sur un mur (une visite du musée d’Hiroshima probablement pour que le spectateur comprenne enfin ici aussi, le théâtre fait oeuvre de transmission!), je ne vois plus ce qui se joue à ma droite et à ma gauche. On me perd vraisemblablement pour que je me retrouve. Finalement, je  ne ressens plus le corps de l’acteur, comme si toute cette machinerie prenait le pouvoir. À quoi sert le pluridisciplinaire si c’est pour propager la même idée du progrès : accumuler de la technique pour reposer l’homo spectator de la turbulence (un comble alors que le Japon est au bord de l’implosion). Et s’il me plaît de ressentir le vide sous mes pieds ?
C’est ainsi que l’hiver 2010-201 m’aura frigorifié. Alors que le monde connaît des soubresauts encore inimaginables il y a quelques mois, j’ai l’étrange impression que certains lieux culturels s’en protègent, véhiculant ainsi la croyance que tout ceci n’est que “feu de paille”, que la globalisation n’a rien à voir avec l’émancipation des peuples. Je me sens pourtant totalement traversé par ces chaos, mais le théâtre qu’il m’a été proposé reste sourd. Probablement parce qu’il manque d’empathie. Sûrement, parce que l’entre soi produit un théâtre suffisant.
Pascal Bély- Le Tadorne.

« Hiroshima, mon amour » de Marguerite Duras par Julien Bouffier à la Scène Nationale de Cavaillon les 17 et 18 mars 2011.
« Le voyage de Penazar » par François Cervantes au Théâtre Massalia de Marseille du 8 au 26 mars 2011.
« Lignes de faille » de Nancy Huston par Catherine Marnas au Théâtre des Salins de Martigues du 23 au 25 mars 2011.

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

La traversée du désert.

C’est mon premier spectacle de l’année 2010, la première « migration ». D’autres suivront. Me voilà donc au Théâtre des Salins de Martigues, pour « le retour au désert » de Bernard-Marie Koltès, mise en scène par Catherine Marnas. Cela vient après une période des fêtes mise à profit pour mettre en résonance les oeuvres vues en 2009 tout en réfléchissant sur mon positionnement de blogueur. Autant dire que j’ai pris pas mal de hauteur, que je me sens différent, flottant, ailleurs. Étranges sensations. Ce soir, j’assiste à un « vaudeville contemporain » avec en prime une double distribution sur scène (française et brésilienne) pour amplifier « la résonance » sur « les thèmes de l’héritage, des règlements de compte, d’une guerre fratricide qui est aussi la guerre d’Algérie et plus généralement toutes les guerres ». Je suis épaté par l’intention retranscrite sur la feuille de salle. Eux et moi sommes donc quasiment sur la même longueur d’onde : croisement, hybridité, métaphore et langage universel.

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Saviez-vous que cette pièce a été écrite pour Jacqueline Maillan (Mathilde), puis joué avec Michel Piccolli (Adrien), dans le rôle du frère persécuté et persécuteur (et accessoirement paranoïaque) ? J’étais bien trop jeune à l’époque pour savourer la mise en scène de Patrice Chéreau. Mais entendre Maillan parler arabe ne devait pas manquer de piquant. Car Mathilde revient en France avec ses deux enfants, nés en Algérie, décidée à ne pas laisser l’héritage aux seules commandes de son frère. Elle le retrouve, patron de l’usine familiale, père de Mathieu qui rêve de quitter ce cocon enfermant pour aller faire la guerre. Cette maison est un piège, une souricière, quelque soit l’endroit où on la regarde. Catherine Marnas retranscrit joliment cet enfermement par ce décor qui s’ouvre pour mieux se refermer sur les personnages et leurs secrets. Les mots du surtitrage projetés sur les murs s’étirent et se perdent à l’image d’une parole qui se cogne contre cette culture familiale patriarcale à bout de souffle, où l’on se frappe dessus pour s’aimer.

Ici, point de têtes d’affiche, mais quatorze comédiens français et brésiliens. Le comique de situation est réduit à sa portion congrue au profit d’une mise en scène qui privilégie la double interprétation et la symétrie : Mathilde, Adrien et Mathieu sont joués par deux acteurs : quand l’un parle français, l’autre poursuit en brésilien. Mais pourquoi faire ?  Là où Maillan et Piccolli amplifiaient le décalage pour que le public s’y engouffre, ici tout n’est que morne plaine, sans relief : on joue à se donner la réplique dans un jeu répétitif qui lasse. De guerre lasse. Pour la psychanalyste Géraldine Paolin-Loir, « la résonnance est une vibration qui se propage à partir d’une interaction, née d’une turbulence, d’un espace chaotique ». Cette double interprétation n’apporte rien si ce n’est qu’elle finit par rendre inaudible la profondeur de la visée de Koltés sur la complexité de la guerre au coeur des liens familiaux. C’est un effet de style qui ne résonne jamais.  Pour créer la résonance, le propos du comédien aurait pu se prolonger dans le corps d’un danseur. Or, les corps sont ici prisonniers du mimétisme. Avec le surtitrage, Catherine Marnas s’autorise à jouer avec la résonance des mots. Troublant, mais insuffisant. Pour parler de la guerre, de l’enfermement, peut-on y aller avec ce double langage, métaphore d’une ouverture factice ?

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Étrange télescopage. Le lendemain, le Théâtre du Merlan à Marseille propose « Enrico V » de William Shakespeare par le metteur en scène italien Pippo Delbono. Endossant les maigres habits de ce Roi d’Angleterre pris de folie à s’imaginer conquérir la France, Pippo joue à la guerre avec un coeur (corps ?) chorégraphique. La langue italienne pleure, hurle à la mort, se veut autoritaire, cynique et moqueuse. Toute la mise en scène n’est qu’à fleur de peau même lorsque le rire s’immisce dans la tragédie. Le fou (du roi), si cher à Pippo, est toujours là pour nous guider et nous mettre à distance de la folie du pouvoir. La résonance est forte, cela vibre de partout. Nul besoin de l’écrire sur une feuille de salle, c’était couru d’avance. Ce théâtre du sensible, est joué en une seule langue : celle de la tragédie turbulente de notre époque.

Pascal Bély- www.festivalier.net

“le retour au désert”, mise en scène de Catherine Marnas a été joué le 7 janvier 2010 au Théâtre des Salins de Martigues.

“Enrico V”, mise en scène de Pippo Delbono a été joué le 8 janvier 2010 au Théâtre du Merlan de Marseille.

Crédit photo: Pierre Grosbois pour “le retour au désert”.