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PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Une certaine tendance du théâtre français, retour sur 2014.

« Si le cinéma Français existe par une centaine de films chaque année, il est bien entendu que dix ou douze seulement méritent de retenir l’attention des critiques et des cinéphiles, l’attention donc de ces Cahiers. »

2014: Année Truffaut. Exposition à la Cinémathèque de Paris, rétrospectives, célébration institutionnelle, reconnaissance générationnelle. Unanimité pour louer l’héritage d’un des pères fondateurs de la Nouvelle Vague. L’exposition de la Cinémathèque, riche de documents et émouvante par instants, s’achève pourtant par une séquence troublante : la projection d’une vidéo où l’on voit de jeunes comédiens interpréter une scène de Truffaut, parler. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Pourquoi nous les montre-t-on se montrer ?

Ils jouent mal, n’ont rien à dire. La séquence est gênante. Leurs noms sont affichés : la moitié ou presque sont des « fils/fille de »…Garrel, Haenel, Bonitzer, etc. Le metteur en scène Vincent Macaigne (adoubé par la critique pour son dernier spectacle au Théâtre de la ville de Paris)est bien entendu de la partie. De quoi sont-ils le nom ? De l’héritage aux héritiers, il n’y a qu’un pas : il est franchi, sans que personne ne sourcille. Cinéma, théâtre, média, même réseau, même processus de lutte des places quelle que soit la vacuité du propos et de la démarche. Mais finalement, est-ce si surprenant de voir le cinéma de Truffaut aboutir au conformisme creux et plat des années 2010 ? Le lyrisme et l’exploration du soi présents dans ses films ont préfiguré le délire égotique de la société du spectacle qui téléramise le cinéma comme les arts du spectacle. Où sont Jean Eustache, Philippe Garrel, scandaleusement absents, eux, de la rétrospective, les seuls à avoir travaillé le versant négatif de la naïveté truffaldienne ? Godard, à peine évoqué, leur brouille, ses raisons personnelles et artistiques, inexistante. Agnès Varda, Jacques Demy, et d’autres enfants cinématographiques de Truffaut, laissés de côté. Tous ces auteurs qui ont travaillé formellement l’héritage de Truffaut sont remplacés par une jeunesse déjà vieillie par les combats mondains. De l’exposition, je ne garde que ceci : un objet fétiche qui n’a d’autre consistance qu’un plaisir vide et éphémère. Alors même que les portes étaient ouvertes, elles se referment sur la jeune arrière-garde française. Définitivement : Godard, Garrel, Eustache.

De 2014 à 1954. Cette année-là, Truffaut publie un article demeuré célèbre : Une Certaine Tendance du Cinéma français. 60 ans plus tard, quelle boucle enchevêtre ce propos novateur à ce qui s’en est suivi? Quelle créativité le théâtre français a-t-il donné à voir dans une année marquée notamment par le Festival d’Avignon présidé par Olivier Py, le conflit des intermittents, le Festival d’Automne, et d’autres manifestations encore ?

Je laisse de côté la question de savoir pourquoi le propos de Trufaut s’est finalement retourné contre lui, et comment, après Les 400 coups, il a pu reproduire le cinéma archaïque qu’il abhorrait. La force du texte, elle, reste intacte ; elle tient à l’absolue actualité du propos, mais presque en négatif. Truffaut oppose cinéma de texte et cinéma de metteur en scène, cinéma « de la tradition et de la qualité » et cinéma d’auteur. Il écrit à un moment : «Eh bien je ne puis croire à la co-existence pacifique de la Tradition de la Qualité et d’un cinéma d’auteur.» La guerre que s’apprêtent à mener Truffaut et ses (futurs)-amis, c’est le refus de la Tradition et de la Qualité, cette position est irréconciliable. Et bien pourtant, 2014 a vu se poursuivre le processus inverse : la fusion des deux et leur dilution réciproque. Je généralise, il y a bien entendu des exceptions à cela (Hypérion de Marie-Josée Malis, Bit de Maguy Marin, et d’autres encore), mais elles sont reléguées à la marge. Je me souviens du “Py-être“ Festival d’Avignon 2014, son inconsistant théâtre du «retour au texte». Comme si le salut pouvait venir d’une divine poétique qui suffirait à faire oeuvre. Des mots-valises entendus à foison, comme pour faire oublier que l’heureux élu posait les siennes absolument partout, et entendait que cela se voie. C’est donc cela : Une certaine tendance du théâtre français. Mettre en avant le verbe pour s’exposer à la pleine lumière, au risque que le verbeux et le verbiage peinent à masquer les ambitions personnelles. Mais ce n’est pas tout car, comme l’écrit Truffaut : « Vive l’audace certes, encore faut-il la déceler où elle est vraiment. » L’adaptation de LIdiot par Vincent Macaigne, par exemple, est-elle drapeau révolutionnaire ou sac plastique, effigie cynique de la société de consommation ? Où se trouvent la prise de risque véritable, la violence symbolique ? Peut-on croire à la subversion par les cris, par le cru, par une débauche d’images (et de moyens…) quand c’est peut-être en réalité la subvention qui est recherchée, qui se trame, qui se joue derrière ces appareils ?

Poursuivons avec Truffaut: «Le trait dominant du réalisme psychologique est sa volonté anti-bourgeoise. Mais qui sont Aurenche et Bost, Sigurd, Jeanson, Autant-Lara, Allegret, sinon des bourgeois, et qui sont les cinquante mille nouveaux lecteurs que ne manque pas d’amener chaque film tiré d’un roman, sinon des bourgeois ? » Il suffit de remplacer ces noms par ceux de la « nouvelle génération ». La bourgeoisie, c’est la reproduction sociale, par le capital, les codes, le réseau, la culture ; la reproduction d’idées, par le conformisme. C’est la lutte des places, peu importe ce qu’on y fait, ce qu’on y dit : il faut en être. Que propose le jeune metteur en scène Sylvain Creuzevault comme pensée politique dans Le Capital ? La déconstruction permanente : rire de tout pour éviter de penser quoi que ce soit. Rire entre soi de références communes, ni approfondies, ni complexifiées. Et que dire de “Répétition” de Pascal Rambert ? Là encore, la déconstruction comme cache-misère, comme jeu de miroirs, et peu importe s’il ne reflète rien d’autre que le vide. La tentative initiée par Philippe Quesne de mettre en scène l’enfance dans Next Day ? Mais où sont donc les enfants de Nanterre, ceux qu’on trouverait par exemple dans les écoles de la ville ?

Nous avons des apothicaires qui font leurs comptes au lieu d’artistes capables de nous aider à penser le monde contemporain. Dans une société en crise, où sont les marginaux, les délaissés, les exclus ? On a beau chercher, on ne les voit pas. Il est plus que temps d’ouvrir la scène et les théâtres aux acteurs sociaux, aux précaires, aux enfants, aux personnes issues de l’immigration, à tous ceux qui n’appartiennent pas au monde de la culture : «Quelle est donc la valeur d’un cinéma anti-bourgeois fait par des bourgeois, pour des bourgeois ?» demande Truffaut. Quelle est donc la valeur d’un théâtre anti-bourgeois fait par des bourgeois, pour des bourgeois ?

Des portes sont ouvertes: en 2014, certaines oeuvres ont marqué les esprits (celles d’Angélica Liddell, Pippo Delbono, Roméo Castellucci, Matthew Barney, William Forsythe), proposé un dispositif radical, à la mesure des enjeux contemporains. En 2015, il faudra creuser ce sillon. Car il vient de loin, et ne date pas d’aujourd’hui : sur mon fil d’actualité Facebook, un ami renvoie au blog de Pierre Assouline qui retranscrit sa discussion avec Mickael Lonsdale. Ce dernier évoque Beckett, qui avait déjà perçu cet enjeu à l’époque :

« Après sa mort, j’ai relu tout ce qu’il a écrit. J’ai compris qu’il ne parlait que des pauvres, des fous, des clodos, des détraqués, des rejetés de la société, alors que depuis des siècles, le théâtre nous faisait vivre certes des situations tragiques mais auprès de rois, de puissants. Sans son humour, ce serait intenable. Sa compassion pour l’humanité est incroyable. Je l’ai bien connu dans sa vie privée : discrètement, il aidait les gens, les secourait lorsqu’ils étaient malades. Sa femme l’ayant fichu dehors à cause de leurs disputes, il vivait dans une maison de retraite tout près de chez lui ; mais quand elle est morte, il a préféré rester « parmi mes semblables » disait-il, au lieu de rentrer chez lui. Jusqu’à la fin, il faisait les courses pour un couple qui ne pouvait plus se déplacer. La générosité de cet homme ! Dès lors que l’on essaie de sauver les gens, c’est de l’ordre de l’amour, donc Dieu est là. Mais de tout cela, on ne parlait pas en marge des répétitions. Pourtant j’ai créé Comédie dont on peut associer la diction à celle des monastères. Recto tono ! Une vitesse de mitrailleuse ! Sans inflexion ni psychologie. Une machine ! Même si son inspiration pouvait être picturale, le Caravage surtout qu’il allait voir en Allemagne. En attendant Godot est né de la vision d’un tableau. Pour le reste, Beckett c’était saoûlographie totale. » (/)

Sylvain Saint-Pierre – Tadorne

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LA VIE DU BLOG OEUVRES MAJEURES Vidéos

La belle année 2013.

15 grands rendez-vous ont jalonné mon année de spectateur. Ils reflètent mes choix de privilégier des lieux accueillants ,des auteurs et metteurs en scène engagés à renouveller les formes au profit d’une rencontre, d’un propos. Certains s’étonneront de la faible présence de la danse contemporaine. Mais il y a eu  peu de propositions dans l’aire marseillaise (malgré le travail remarquable de Klap, Maison pour la Danse, pour changer la donne) et le festival Montpellier Danse s’est muré dans des valeurs trop sûres. Reste deux belles rencontres : le croate Matija Ferlin et Mathieu Jedrazak qui ont fait le pari de positionner la danse sur le terrain d’une vision à partager.

2013, fut année de tous les superlatifs comme si l’excès devait contrer notre incapacitation à penser la complexité. Avec Katie Mitchell, ce fut le plus long travelling cinématographique sur scène où j’ai vécu de l’intérieur ce que le deuil d’amour veut dire ; dans «Mélanie Daniels» de Claude Schmitz,  le théâtre m’a guidé vers le cinéma, vers «Les oiseaux» d’Hitchcock, où il est l’art de l’art. Claude Schmitz proposa le plus bel espace mental pour et vers le spectateur où le cinéma ne se «fabrique pas», mais où l’Image est une émergence d’un long traveling théâtral.


Avec Angelica Liddell, ce fut le plus beau tango de Chine pour faire valser le propos sans concession d’une artiste unique; avec le collectif «L’avantage du doute», ce fut les dialogues les plus explosifs entre individus en proie à la marchandisation de la relation humaine. Dans « Le tourbillon de l’amour » de Daisuke Miura, le théâtre m’a immergé dans cette maison où l’on vient pour « baiser » avec des inconnus ; où l’on repart sans adresse, en mille morceaux, mais plus aimant…

« Après la répétition » d’Ingmar Bergman par le tg STAN a dévoilé deux acteurs en proie au tourment de leur théâtre amoureux où fiction et réalité forment un tourbillon poétique…

Je ne suis pas prêt d’oublier la troupe hongroise et roumaine emmenée par Alain Timar qui nous offrit un «Ubu papa», «Ubu maman» en papier, qui se froissent pour un oui ou pour un non. À l’image d’un pouvoir qui déchire les âmes pour régner sans toi, ni loi.

« Antiteatre » d’Après Rainer Werner Fassbinder, mise en scène de Gwenaël Morin, a lui aussi joué du pouvoir. Et comment…pendant plus de six heures, j’ai quitté un contexte alourdi par les propos d’une classe politique épuisée pour rejoindre une contrée où des artistes abordent la douleur sociale en agitant la pensée créative d’un auteur.

Je me souviens encore des “Particules élémentaires de Julien Gosselin. Il a réussi à réunir des générations de spectateurs en déstructurant le texte de Houellebecq pour créer un lien ouvert entre littérature, science, art, tout en nous positionnant comme co-penseur de notre époque!

Dans « Sœur je ne sais pas quoi frère », Philippe Dorin nous a offert, petits et grands, une vision sans limites d’une fratrie où nous serions une partie et le tout ! Moment exceptionnel où le théâtre vous plonge dans les abymes de l’inconscient familial.

«À la renverse» de Karin Serres, mise en scène de Pascale Daniel-Lacombe, fut aussi une mise en abyme où j’ai ressenti ma trajectoire de vie incarnée dans celle d’un couple amoureux épris de Bretagne, de cosmos et de New York !

Et puis…en 2013, il y a eu deux grandes rencontres: avec le clown Ludor Citrick dans « Qui sommes-je ? » ; avec le Téatro Distinto dans « La pécora négra ». Deux rencontres pour puiser dans les ressorts créatifs des artistes, l’énergie de croire qu’il reste à créer ce que nous ne connaissons plus.

15 oeuvres…majeures.

«Reise Durch Natch », Katie Mitchell, Festival d’Avignon – Allemagne.

Angelica Liddel, «Tout le ciel au-dessus de la terre (Le Syndrome de Wendy)»Festival d’Avignon – Espagne.

«La légende de Borneo», le Collectif l’Avantage du Doute, Théâtre de Nîmes – France.

– « Ubu Kiraly », mise en scène d’Alain Timar, Théâtre des Halles, Avignon – France-Roumanie-Hongrie.

«Les particules élémentaires” , mise en scène de Julien Gosselin, Festival d’Avignon – France.

«A la renverse» de Karin Serres, mise en scène de Pascale Daniel-Lacombe, Théâtre du Rivage, Festival « Théâtre à tout âge », Quimper – France.

– «Après la répétition» d’Ingmar Bergman par le TG STAn, Théâtre Garonne, Toulouse – Belgique.

– «Antiteatre» d’Après Rainer Werner Fassbinder, mise en scène de Gwenaël Morin, Théâtre de la Bastille, Festival d’Automne, Paris – France .

La Jeune Fille et la morve”  de Mathieu Jedrazak, Festival Off d’Avignon – France.

«Sad Sam Lucky» de Matija Ferlin, Festival Actoral, Marseille, Croatie.

«Le tourbillon de l’amour» de Daisuke Miura, Festival d’Automne de Paris – Japon.

– «Qui sommes-je ?» de Ludor Citrick, « Cirque en capitale », Marseille Provence 2013 – France.

« Sœur je ne sais pas quoi frère» par Philippe Dorin, Festival Petits et Grands, Nantes – France.

«Mélanie Daniels» de Claude Schmitz, KunstenFestivalDesArts de Bruxelles – Belgique.

«La pécora négra », Téatro Distinto, Festival Segni d’Infanzia, Mantova – Italie.

Pascal Bély – Le Tadorne.

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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON Vidéos

Avignon Off 2013 – Mes rencontres.

Le Festival d’Avignon est le lieu de toutes les circulations. Le spectateur chemine dans les rues de façon dynamique. Il explore le programme du Off, se crée un emploi du temps à son image. Il tient  du randonneur dans le cadre des longues heures de marche, et d’attention dans les salles. Mon plaisir commence dés que je file au vent sur mon vélo. Je suis en libres mouvements vers de nouvelles sensations. Une fois  assise dans le noir, le cumul de fatigue peut me plonger dans un état de veille, mais la qualité artistique agit comme une infusion. Cette semaine certains spectacles m’ont troublé et des rencontres passionnantes s’en sont suivies avec les comédiens.

Tout d’abord avec Ludor Citrik. Après «Qui sommes je ?», je suis sortie dans un intense état de mélancolie et le chapiteau était comme une source pour déposer mes sédiments. Après le spectacle, le clown est réapparu sous son habit de Cédric. J’ai reconnu la profondeur de son regard qui m’a tant  transpercé. Des yeux implorants qui ne vous quittent plus. Nous avons échangé sur le trouble suscité par son travail, les questionnements, les prises de conscience et l’énergie déployée dans sa mise à nu. Une volonté de ne rien lâcher, d’avancer et sans cesse de recommencer.

Ludor réveille notre mémoire de tout petit et délimite les cadres des espaces de mouvement de notre quotidien. Nous sommes enfant, miettes grignotées du gâteau sablé. Le miroir nous renvoie à notre propre image et fait tressaillir. Ce regard, maintenant, je le porte; cette main tendue est devenue le prolongement de la mienne, et le désir d’être sauvée pour sortir de soi m’éblouit…

Dans ma mémoire, face à moi, les yeux d’Ascanio Celestino. Un homme qui a compté tout au long de ce festival, depuis le «Nightshot» à la Manufacture où j’ai découvert son travail. Comment une ritournelle, l’air de rien, peut vous questionner sur le monde et l’Humanité ? Son écriture vive, rythmée, acide a été le vernis de mon cortex pendant ces trois semaines. Je n’ai cessé de m’y référer et garde l’image de son humilité, de sa main sur le cœur quand il vous parle. Je n’ai pas besoin de capter son image avec un écran. Il est tatoué dans mes lobes. Dans un de ses derniers textes, «Discours à la Nation», David Murgia aura été son merveilleux passeur d’histoires.

L’émerveillement  a été déclenché par la gente féminine. Introduit dés le 5 juillet par Angelica Liddell au Festival IN ou comment l’énergie donnée sur le plateau peut être une ressource vitale. La création m’atteint quand l’artiste me donne quelque chose de lui, sans faux semblant. Comme un rapport humain, qui ne nous enferme pas dans une seule représentation. Angelica reste mon ange noir. Angelica éructe tous mes démons et m’ouvre une liberté d’être et de penser sur moi-même et sur mon contexte global. Elle me positionne en matière brute et me malaxe, me pétrie, mais sans jamais me lâcher et me trahir. Je ressors de ses spectacles avec la sensation d’être passée sous les chutes du Niagara, par l’estuaire du Tage, et d’être poupée de chiffon transformée en statuette de bronze.

Anne Lefevre, cheveux roux, grosses lunettes, est une autre personnalité lumineuse rencontrée. Elle a la faculté de créer une relation instantanée avec le public. Elle offre généreusement sa pensée, ses recherches. Dans «J’ai apporté mes gravats à la déchetterie», nous suivons la confection de son repas. A travers les carottes qu’elle râpe, je redeviens le lapin gourmand d’Alice. La cuisson est une métaphore du temps octroyé à la réflexion, puis survient le plaisir de l’échange. On ne peut pas se nourrir seul. Sans l’autre, on n’est rien…Anne nous met en marche. Le chaos joyeux du plateau nous ramène à la construction de la vraie vie, celle de la pensée. Les images sur écran animent, englobent le jeu qu’elle nous livre. «Je cherche, je recommence…je cherche…j’avance». Elle me donne de la force dans les doutes que je traverse.

Je me souviens de belles personnes comme Karine Grenier, jeune artiste de «Reveil»qui dégage une nature fragile et volontaire. Spectatrice, je suis  touchée par la qualité de l’adresse que nous offre l’acteur. Nous tissons un lien de confiance pour nous rejoindre  au point de la rencontre, émerveillés

 

Comme spectatrice, toutes ces rencontres sont des rêves éveillés et me réveillent tandis que le contexte ambiant évoque une somnolence qui ne dit pas son nom.

Sylvie Lefrère –Tadorne.

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE Vidéos

Festival d’Avignon – Angelica Liddell, nous ancre de Chine….

Angélica Liddell ouvre notre festival d’Avignon. Cela ne pouvait pas mieux tomber. Car «Ping Pang Qiu» est un vibrant plaidoyer pour un théâtre engagé et engageant. Il évoque la bataille à mener: celle d’affirmer nos modes d’expression contre les approches rationalistes qui visent à les museler. C’est un spectacle qui nous donne la force de continuer d’animer ce blog, espace du spectateur critique, sans concession à l’égard du marketing culturel et des logiques quantitatives arbitraires.

Angelica Liddell entre dans l’arène avec une robe rouge sang, comme l’énergie qui coule dans ses veines; rouge vif comme la colère qui gronde en elle; rouge vif comme la couleur du petit livre de Mao qu’elle brandira à plusieurs reprises pour le défier. Mais combien sont-ils en Europe à brandir leur petit manifeste pour nous imposer leur politique libérale sans vision? Elle porte une perruque bleu clair, couleur ciel. L’esprit clairvoyant est au dessus de ce corps souffrant. Elle est notre magicienne à l’allure punk rageuse, toute en grâce féminine, avec un cœur gros comme ça… Sa chair émotionnelle, par capillarité, nous transperce.

Il y a trois compagnons sur scène. Il y a une jeune femme, son double, son alter ego, sa compagne, sa sœur,…les mots finissent par manquer pour qualifier l’ampleur des gestes qui unissent ces deux femmes. Il y a un petit homme, doux mélange d’Asie et d’Amérique…il canalise l’énergie qui déborde, tel un médiateur entre l’art du chaos et le chaos de l’art. Il y a aussi l’homme oiseau jaune canari…il écoute, beaucoup. Souvent attablé. Il entre dans le jeu d’Angélica pour y amplifier l’absurde. Il est l’auto dérision, car le rire est sérieux. Ces trois là sont ses satellites, ses éléments d’hémoglobine qui alimentent son jeu.

Le théâtre d’Angelica est intense: nous avons des tachycardies quand nous rions de ses propos dévoilés, des extra systoles quand le sombre du texte apparaît, et le tout nous donne un souffle au cœur.

Le théâtre d’Angelica est global: elle nous fait cheminer de la Chine vers l’état des institutions en Europe pour mieux signifier la porosité entre les idéologies qui gouvernent ces continents. Avec Angélica Liddell, la dictature chinoise résonne avec notre quotidien. L’humain n’y est finalement qu’une variable d’ajustement à l’image du sort que l’on réserve aux artistes en Europe. Le pouvoir dans les théâtres les écrase, autant que le char de la place Tian’anmen face au jeune étudiant, qui malgré son pas de côté, est suivi à la trace, empêché dans sa liberté d’expression et de pensée: “Quand tu entres dans un théâtre pour travailler, pour travailler, POUR TRAVAILLER, pour faire ton travail, dans un théâtre, il y a toujours un imbécile qui va se charger de ridiculiser le monde de l’expression, juste parce que c’est de l’expression, alors qu’il ne sait même pas encore ce que tu vas dire. Ceux-là, ce sont les empereurs de la clim. Ils se sentent importants face au monde de l’expression, supérieurs, ils adorent montrer leur indifférence au monde de l’expression, leur mépris, ils aiment te le faire savoir, ils veulent que ça se voie, juste parce que tu appartiens au monde de l’expression.”

Angélica Liddell n’en oublie pas les mots qu’elle dégueule de sa bouche d’ensorceleuse: ceux d’une novlangue où «social» et «travail» sont galvaudés, dénués de leur sens. Angelica et ses compagnons nous alertent. La Chine n’est pas loin, mais notre fascination nous aveugle. Pour ne pas sombrer dans la détestation destructrice, elle repart à l’attaque et nous immerge dans les méandres de son paradoxe: elle aime la Chine tout autant qu’elle la hait. Des chorégraphies se déclenchent pour imager les discussions posées cartes sur table. De l’horreur surgit le beau. De l’expression exulte la pensée. Avec son corps de Chine, elle nous souffle un vent de réaction vitale. Le sens nous cingle le visage, rafraîchissement nécessaire après tant d’années où l’on peine collectivement à penser une géopolitique qui n’a plus rien à voir avec celle de papa mais avec…l’amour. Sans lui, point de vigilance. Point de résistance.

Alors ils dansent. En douceur. Et l’on rêve à nouveau tandis qu’Angélica nous dévoile son sein, métaphore d’une terre patrie, d’une terre nourricière qu’il nous faut réalimenter de nos expressions sans concessions.

La dernière scène est une apogée, un idéal. Fini la valse, place au Mambo! Fini le conformisme, place à la créativité, à la liberté de mouvement et de pensée. Un grand festin orgiaque se déploie. Ils nous invitent au plaisir de créer, de se lâcher, de balancer les codes pour retrouver le goût de vivre.

Pour une géopoésie de nos amours contrariés.

La liberté peut se manifester sous forme de douleur et de tristesse ; si elle n’est pas étouffée par la douleur et la tristesse, même si elle sombre dedans, tu peux encore la voir, la douleur et la tristesse sont donc libres aussi ; tu as besoin d’une douleur libre et d’une tristesse libre, si la vie vaut encore la peine d’être vécue, c’est justement pour cette liberté qui t’apporte enfin la joie et la sérénité » Gao Xingjian  – « Le livre d’un homme seul“.

Sylvie Lefrère – Pascal Bély – Tadornes.

« Ping Pang Qiu » d’Angelica Liddell au Festival d’Avignon du 5 au 11 juillet 2013.

 

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FESTIVAL D'AUTOMNE DE PARIS FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

Unique, double Angélica Liddell.

Deux heures et quarante minutes de représentation s’achèvent par une clameur. Le public réagit chaleureusement; ému, pensif, il semble avoir traversé des océans pour échouer sur une île, seul. Ce voyage est celui des hautes solitudes. La sidération laisse place au dépouillement, mélange de trop-plein et de vide. Il fait nuit dans la cour du Lycée Saint-Joseph; l’obscurité est en soi. Je me demande pourtant s’il convient d’applaudir. Aimer cette femme jusqu’à se perdre semblerait un geste plus approprié. Résister à sa fureur pour lui prouver qu’elle dispose malgré tout, de compagnons d’infortune. Être là, juste.

Longtemps, durant la représentation de «Tout le ciel au-dessus de la terre (Le Syndrome de Wendy)», je me suis dit que je ne comprenais rien. Chaos scénique (chaises renversées, monticule de terre, pétales disposés à même le sol), morcellement intérieur des caractères et fragmentation du monde empêchent toute lecture linéaire, toute reconstitution d’un récit. Mais il est impossible de décrocher. Comme par le passé, Angélica Liddell compose une beauté monstrueuse, touchant tous les registres. Personnage à la grâce ophélienne et à la blancheur diaphane, ou spectre squelettique au début de la pièce ; corps prostré de douleur et de rage en fin de spectacle. Délicates valses, foudroyantes scènes d’orgasmes onanistes. Combien sont-elles en elle ? Angélica Liddell joue Wendy, mais sur scène, son engagement personnel, à la fois physique et psychique, est tel qu’on ne sait plus si l’on a affaire à sa propre histoire ou au jeu d’une comédienne. L’ambiguïté floute les limites de la représentation. L’effet de réel est au service d’une esthétique de la terreur.

Wendy est censée s’enfuir de la réalité pour gagner, avec Peter Pan, l’île de la jeunesse éternelle. Elle échouera à Utoya, lieu du massacre perpétré par Breivik. Par la suite, elle trouvera refuge en Asie, Shanghai précisément. Wendy, cependant, n’est pas là pour apporter «un supplément de dignité», une dénonciation confortable et moralement satisfaisante des crimes commis par ce fou. Elle fusille les bons sentiments, assassine les «mères» et leur bonne conscience venimeuse. D’une certaine manière, elle semble avoir pactisé avec le mal, consciente que ce qui a été n’est plus. Je crois assister au glissement des identités : Angélica Liddell-Wendy…Peter Pan-Breivik ? Wendy, cette «meurtrière de la joie / Ton vide s’est rempli de cadavres». Qui est qui ? Qui dit quoi ? L’Espagnole donne corps au monstre, à sa folie destructrice. Elle s’offre à lui, chair et âme, parle de l’horreur en se situant de son côté, jusqu’à la nausée. Dégoût des faux-semblants et de l’hypocrisie sociale, indéfectible solitude. Le monstre vomit l’humanité, sombre dans l’abject lorsqu’il évoque ses conversations nocturnes avec des «pervers».

 

Jeunesse, beauté, tout s’effile, s’écoule et s’effondre. La littérature et le mal, une nouvelle fois réunis. Seule joie pour elle, la masturbation, épiphanie solitaire. Pourtant, tout n’est pas si simple : «nous puiserons / Nos forces dans ce qui n’est plus». Susurrés, affirmés, hurlés ou raillés lors de la représentation, ces vers de Wordsworth doivent être entendus. L’attentat poétique à l’œuvre sur scène énonce en réalité une exigence de vie…et d’amour. Wendy, d’ailleurs, est qualifiée de «monstre d’amour». Les «pervers» pensaient faire corps avec elle ; elle leur oppose son désir de «beauté radicale» et les renvoie à leur propre solitude. La beauté, c’est cette valse mélancolique interprétée par les deux danseurs de Shanghai qui, par leur âge avancé, défient le temps, l’espace et les mœurs. Ils recousent, par leurs gestes, le tissu des corps déchirés.

Par-delà chaos et décrépitude, la demande d’amour effleure… «L’amour. L’amour. C’est mon unique sentiment»…heureux celui ou celle qui saura le saisir…

Sylvain Saint-Pierre – Tadorne

«Tout le ciel au-dessus de la terre (Le Syndrome de Wendy)» d’Angelica Liddell au Festival d’Avignon du 6 au 11 juillet 2013.
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“Tragédie” d’Olivier Dubois. Secoué.

À la sortie du Cloître des Carmes, je m’égare. C’est une sensation étrange tandis qu’à l’intérieur, mon corps vibre.  À la perte des repères spatiaux temporels, s’ajoute une immense joie, celle d’avoir approché de près ce qui fait lien entre les hommes. Je me sens tragiquement heureux, profondément capable.

«Tragédie» d’Olivier Dubois, pièce pour neuf hommes et neuf femmes, perturbe le paysage chorégraphique. Le nombre (à quand remonte une telle proposition groupale?), la nudité (on oublie enfin les stéréotypes sexués), la musique (composée par François Caffene loin du vrombissement habituel en danse contemporaine) déplacent mon regard vers un ailleurs, du détail d’une partie vers une métaphysique du tout. Comme si cette partition dépassait la rencontre entre l’intention du chorégraphe et le désir du danseur. Là où le metteur en scène Roméo Castellucci présent cette année au Festival explore un au-delà pour nous y propulser (plus rien n’est possible avec notre civilisation épuisée), Olivier Dubois part de la conscience du corps qui danse pour créer «l’image», celle qui pourrait faire «humanité» pour chacun d’entre nous. Là où, dans ce même Cloître des Carmes en 2010, l’Espagnole Angelica Liddell faisait saigner son corps intime pour évoquer notre destin commun, Olivier Dubois sculpte le groupe pour qu’émerge la conscience qu’un tout nous sauvera de notre tragédie de n’être qu’homme, entité sociale et sexuée.

D’où nous viennent-ils donc pour qu’une telle force surgisse des profondeurs des coulisses du Cloître des Carmes, séparées de la scène par un rideau de fines lamelles noires, membrane perméable qui relie le vrai au beau. À l’appel de la danse, ils répondent, lentement, entre parade militaire, défilé de morts-vivants et procession fantomatique. Aux battements réguliers d’un tambour, j’entends leurs pas qui brisent mes armures. Cette marche est longue. Leur regard déterminé me bouleverse. Ils nous viennent de loin. J’en suis convaincu. Ils ont traversé l’Histoire et ne sont pas dupes: «Mais qu’avez-vous donc fait là ?» semblent-ils nous dire. Qu’avons-nous fait de notre humanité? Alors ils marchent, apparaissent puis disparaissent. À un, à deux, à plusieurs. C’est une partition pour régler le pas du «propos» et qu’il fasse mien. C’est enivrant: la répétition du mouvement ne vise rien d’autre qu’à questionner le sens de notre présence ce soir, métaphore du désir qu’il faut transcender. Que me dit ce mouvement, au-delà de cet homme, de cette femme? Comment percevoir au-delà du rideau? Notre humanité a besoin de temps pour se laisser approcher. Olivier Dubois n’est pas pressé: point de vidéo pour accélérer; point d’artifices pour faire illusion. Ici, l’humain travaille avec une pureté qui fait frémir.

Là où tant de propositions chorégraphiques me tombent dessus telle une incantation vers le désespoir, «Tragédie» honore l’histoire de la danse et nous offre une vision éclairée de notre destin commun (comment ne pas voir de derrière les rideaux, les âmes de Maguy Marin et de Pina Bausch chorégraphier les corps évanescents pour qu’ils surgissent sur le plateau, telles des âmes en peine d’un regard). Il y a cette belle lumière musicale qui fait apparaître des statues grecques posées dans un musée qu’il faut dépoussiérer. Elles s’y égarent et provoquent la tempête en sculptant le groupe de leurs déplacements horizontaux. Et miracle: la danse se fait horizon! Le groupe est corps tandis que tous ses mouvements donnent à chacun la conscience d’un sentiment d’appartenance au choeur. Celui-ci se confronte à son destin: se dépasser ou disparaître sous le poids des guerres fratricides. Le collectif repart au combat et ne lâche rien: il lui faut se libérer des empêchements moraux, religieux pour entendre autrement la souffrance et la métamorphoser vers des possibles utopies…

Olivier Dubois suggère alors qu’aux rapports normés entre homme et femme se substitue une humanité féminine capable d’affronter avec force sa survie. Il libère la créativité lors d’une transe où chacun puise dans l’énergie tellurique du groupe sa part d’humanité. De mon siège, je transe avec chacun. Traversé par le rock, musique des âmes en fusion, je m’approche, je tape des pieds, je tends mes bras. Je suis littéralement aspiré par un trou noir où une jeune femme aux rondeurs de paysage marin m’invite à rejoindre les profondeurs…D’où surgira la procession d’une humanité blessée à jamais par la Shoah. Car c’est ma tragédie.

Ma force.

Notre lumière.

Pascal Bély, Le Tadorne.

«Tragédie » d’Olivier Dubois au Festival d’Avignon du 23 au 28 juillet 2012.

Olivier Dubois sur le Tadorne:

La révolution « Rouge » d’Olivier Dubois revitalise la danse.

Au Festival d’Avignon : épidermiquement, Olivier Dubois.

«Révolution» d’Olivier Dubois : Boléro en marche pour onze fois une.

Olivier Dubois, cet empêcheur de tourner en rond.

Une journée avec Le Tadorne au Festival d’Avignon : la mise à nu.

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OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

Au coeur de la campagne, la fuerza d’Angélica Liddell arrive à Paris.

C’était au Festival d’Avignon. En 2010. Elle fut l’un de mes plus grands chocs théâtraux de ces dix dernières années. Elle joue au Théâtre de l’Odéon à Paris du 23 au 28 mars 2012.

Retour sur «La casa de la Fuerza » d’Angélica Liddell.

3h30 du matin. Les spectateurs n’ont plus beaucoup de force après les cinq heures de ce chef d’oeuvre pictural, d’un théâtre chorégraphique, épuisés par tant de sollicitations visuelles, auditives, voire olfactives. « La casa de la fuerza » de l’Espagnole Angélica Liddell est un coup de poing, qui vous précipite dans la crise, celle que vous aviez un peu trop vite oubliée. Sauf que le théâtre est là pour raviver les plaies parce que nous sommes tous faits de cette matière là. Ce soir, au Cloître des Carmes, acteurs et spectateurs sont infiniment, intimement liés par toutes ces « petites histoires » dont nous en avons tous fait de grandes : le chagrin d’amour, le mal de vivre, l’abandon, le renoncement de soi. Appelez ça comme vous voulez. C’est notre enfer commun. La vraie crise, c’est celle-là. L’économique, n’est qu’économique et puis, ça commence à bien faire. Assez de discours ! Place à la vérité. Au corps. 

Elles sont trois femmes, six destins. Cherchez l’erreur dans l’addition. À la différence de certains hommes qui sont toujours prompts à défendre des causes humanitaires, mais ne peuvent s’empêcher de maltraiter leur compagne, ces trois femmes dépressives au premier acte en invitent trois autres au dernier, pour évoquer la situation de la condition féminine au Mexique. Tout est lié. Nos chagrins d’amour s’inscrivent aussi dans un contexte sociétal. Mais aussi parce qu’être femme battue, violée et tuée ailleurs est un chagrin d’amour pour toute l’humanité.

Trois actes pour (re)vivre du dedans ce que nous avons tous voulu crier au dehors. Car le mal d’amour, la séparation atteint son paroxysme dans la souffrance du corps. Comment porter au théâtre ce qui est d’habitude métaphorisé par des opéras, des danses, des histoires à dormir debout ? Ici, tout est convoqué.

Le texte, puissant, parce qu’il est fait de mots d’une tendresse brute ;

la musique, omniprésente, en boucle (du Bach et de la pop), parce que sans elle, nous n’aurions peut-être pas survécu au naufrage de l’âme et qu’allongés, Bach, Brel et Barbara ont été nos analystes au doigt et à l’oeil;

le liquide, parce que ça déborde et que l’amour finit toujours par prendre l’eau ;

le sang, parce que l’on se saigne aux quatre veines pour sortir de ce merdier ;

des canapés, beaucoup de canapés, une armée de canapés, parce qu’ils sont nos lits d’enfants avec ou sans barreaux, c’est selon;

des fleurs, en bouquets pour fracasser ce qu’il reste de beau ; en pot pour fleurir les cimetières ; en bouton, pour renaître;

un immense cube de pâte à modeler pour sculpter, enfanter d’une armée de bonhommes façonnée par la tendresse et la paresse, le tout pour résister à la bêtise machiste ;

le tiramisu…parce qu’avec Angelica Liddell, c’est le seul gâteau qui vous relève en chantant ;

le charbon, oui du charbon, pour creuser la tombe, épuiser le corps, tomber au fond du trou, et provoquer le coup de théâtre le plus magistral qu’il nous ait été donné à voir, tel un coup de grisou dans la tête de ceux qui continue à nous gonfler avec leurs classifications (théâtre, danse, et compagnie).

Toutes ces matières façonnent la mise en scène et  « la casa de la Fuerza » bouleverse une partie du public : les corps se fondent dans les objets et leur donnent une âme, la musique épouse les matières, et vous finissez par être sidéré, immobilisé, par une telle orgie de la tolérance et de la beauté. Car ici, le corps n’est pas manipulé, tel un objet pour créer du propos, mais il est traversé pour que tout nous revienne, comme une exigence de vérité. Le corps de l’acteur est un don au public, un lien d’amour engagé et engageant où l’on convoque une infirmière sur le plateau pour prélever son sang et tacher sa chemise. « Je suis sang ».

« La casa de la fuerza » sera l’un des grands moments de l’histoire du festival d’Avignon. Parce qu’Angelica Liddell ne se contente pas de regarder les hommes tomber. Elle leur offre la force de sa mise en scène pour que «Ne me quitte pas » soit un hymne à la joie.

Pascal Bély – Le Tadorne

“La casa de la fuerza” d’Angélica Liddell au Festival d’Avignon du 10 au 13 juillet 2010.

Credit photo: Christophe Raynaud de Lage

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FESTIVAL D'AVIGNON

Angelica Liddell, vous faites peur.

Cette page de spectateurs est une issue. Après une heure quarante de «Maudit soit l’homme qui se confie à l’homme : un projet d’Alphabétisation» d’Angelica Liddell, je jette l’éponge et quitte le parking de la salle de Montfavet. Il reste encore une heure qui doit actuellement se dérouler et je ne veux même pas l’imaginer tant la moutarde me monte au nez.

Je me demande si c’est à chaque fois la même histoire pour nos figures contestataires de l’art vivant (Roméo Castellucci, Jan Fabre, Rodrigo Garcia) ou si c’est moi qui, à chaque fois, arrive après le cri primal, la première provocation signataire. Est-ce l’expression de la révolte puis son intégration à un système de production à grande échelle qui appauvrit autant le propos de ces artistes ? Je ne peux que me poser cette question face à autant d’agressivité et de prétention. Angelica Liddell en est à sa vingtième création : elle a dû intensément travailler la partie marketing de ses productions (c’est aujourd’hui un passage obligé du spectacle). Elle  nous livre pour ce Festival d’Avignon, un défouloir puzzle et fragmenté, qui est fondé sur le concept ultra antique de la catharsis. Spécialiste de la douleur, Angelica Liddell nous engage, à grand renfort de diffusions sonores plein volume, dans sa guerre contre l’humanité et sa violence endémique. Non content de nous asséner quatre mêmes morceaux de Schubert, en déroulant un filage d’une chorégraphie approximative, Angelica Liddell se met à entonner sa longue plainte contre les intellectuels bourgeois que nous sommes, tous complices d’une potentialité pédophilie, qu’elle n’est apparemment pas. Hic ! Je n’ai pas lu Wittgenstein, mais elle, oui. C’est le mot qu’elle assigne au W de son alphabet post-Deleuzien. Ce projet d’alphabétisation commence sérieusement à devenir péremptoire. Pauvre analphabète que je suis et jouisseur-branleur-voyeur de spectacles, je fais partie d’une masse venue voir la nouvelle tête de proue d’Avignon, qui se met, de plus en plus, à m’engueuler, parce que je n’ai jamais voulu tuer un homme ou que je n’ai pas encore assez souffert. Suis-je en train d’assister à une nouvelle messe de fanatiques ? A une débâcle où les punks sont devenus les curés de l’Apocalypse ?

Je me sens conservateur, cette pièce a décidément des effets nauséabonds sur mon mental. J’ai envie de me lever et de lui crier : « Mais qu’est-ce qu’on vous a fait ? » C’est vrai que la réponse serait plus simple, plutôt que de nous retourner dans tous les sens la violence martyre, unique, christico-nationalisto-espagnole. Il y a ici, pour moi, un choix qui manque de distance et de maturité, l’exploitation classique d’une névrose avec l’impossibilité de la transformer, de la formaliser pour qu’elle devienne notre histoire, pour que l’on puisse s’en servir. Pas d’horizontalité, pas même de verticalité transcendante, un grand mur, une grosse façade richement bariolée de griffures et de sang, en haut duquel, s’agite une prédicatrice, éperdument triste. Angelica Liddell est douée, éperdument douée. Voix gutturale et plurielle, courage scénique jusque dans l’absolu, intelligence du paradoxe, affranchissement de la narration… Autant de talent m’amène à autant d’acrimonie. Je me risque enfin à une critique plus sérieuse, celle robespierrisante du terrorisme. La formation d’acrobates tai-chi qui parsème la première partie de votre spectacle, la présence de votre double pareillement costumée en porte-jarretelles et robe de soie, m’ont fait l’effet d’accessoires complètement déshumanisés. Vous vilipendez la sauvagerie humaine, mais vous appelez de vos voeux une Bande (B de votre alphabet) rassemblée par la Haine (H). Vous êtes assise sur votre propre lame. Aussi, je suis déçu qu’il ne s’agisse pas de politique, mais de votre thérapie. Angelica Liddell, vous faites peur.

Pourquoi Jean-Louis Costes, très grand performer de la catharsis, n’a-t-il jamais été invité au Festival d’Avignon ? Est-ce parce qu’il s’adresse à la Cour des Miracles dans laquelle il s’inclue pleinement, et qu’on craint que son public de fidèles fasse fuir la clientèle intelectuello-bourgeoise que châtient Angelica Liddell ou Rodrigo Garcia  ou est-ce parce qu’il a refusé, qu’il a eu peur de gagner en pouvoir, de passer d’une bête de foire consentante et chamanique à un instrument de rancoeur médiatisé par le succès et l’attente ?

Je regrette de ne pas avoir vu «La caza de la fuerza», votre création acclamée l’an dernier au Festival.

Je regrette aussi l’état de nervosité dans lequel vous m’avez mis.

Sylvain Pack , http://sylvainpack.blogspot.com

A lire le point de vue du Tadorne, Pascal Bély.

« Maudit soit l’homme qui se confie en l’homme : un projet d’alphabétisation » d’Angélica Liddell du 8 au 13 juillet 2011 dans le cadre du Festival d’Avignon.

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Au Festival d’Avignon, Angélica Liddell : D comme distance?

Elle nous revient. Après son triomphe l’an dernier au Festival d’Avignon dans le Cloître des Carmes avec « la casa de la Fuerza », nous sommes nombreux à attendre ce moment. Nous avons été profondément touchés par cette metteuse en scène hors norme qui n’hésite pas à parler de la douleur du monde à partir de ses propres souffrances. Avec Angelica Liddell, les frontières entre réalité et fiction, corps et texte, individu et masse ont sauté.

Elle nous revient de loin. Le Festival d’Avignon a eu la très mauvaise idée de l’exiler dans la salle des fêtes de Montfavet où le seul mouvement d’un spectateur fait grincer chaises et dents. Mais surtout, là où dans “la casa de la Fuerza”, la pierre du Cloître transpirait avec le corps d’Angelica, ici rien. Le minéral a disparu. Le décor en carton pâte accentue le factice : la chair et les liquides sont cachés sous des habits d’enfants, d’uniformes et de formes spectaculaires.

Mais la «Fuerza» est toujours dans le propos, même si le corps ne l’englobe plus. Un alphabet sert de fil conducteur, sorte de métalangage entre apprentissage normé et imaginaire florissant : A comme argent, E comme enfant, K comme Karaoké, L comme loup,  M comme méfiance, R comme rage, S comme société, U comme utopie, W comme Wittgenstein. Comme un abécédaire de la douleur, un kit de survie. Le Tunisien Mohamed Bouazizi ne l’avait probablement pas en poche quand il s’est immolé par le feu. Angelica préconise de son côté de se tirer une balle dans la tête devant «le président Français». Radical.

Comme Maguy Marin, Angelica nous envoie donc ses «salves». Là où la chorégraphe met en scène la crise de civilisation, Angelica se méfie «des champions de la civilisation». Son terrain, c’est l’intime, la famille (espace de l’idiotie où l’on empêche les enfants de grandir en les privant de livres). Il y a plus de chaleur humaine avec le « chinois du coin » quand on lui  demande le prix du pain qu’avec l’Autre («la vie n’est belle que parce que tu croises des salopards »).  La douleur la rend presque folle jusqu’à passer en boucle une sonate de Schubert interprété par un piano sans pianiste (ce dernier sera toutefois autorisé à jouer sur scène avec son corps souffrant et désarticulé dans le tableau final). Elle concédera une danse sur « Paint it, black » des Rolling Stones pour se calmer. Angelica ne croit qu’en l’artiste capable de poser sa douleur sur un plateau comme on passerait à table. Sinon, qu’il devienne un performer sportif : au moins, l’affect à distance produit parfois du beau.

 

Le propos d’Angelica Liddell diffère peu dans la forme de celui de Maguy Marin ou de Pippo Delbono : chacun évoque le trou béant dans lequel nous sommes tombés à force d’avoir pactisé avec le diable du divertissant, du médiatique, de la propagande qui régit nos vies intimes pour y placer les violeurs au sein même des familles. Ne prolongent-ils pas le propos de Jan Karski dans la pièce d’ Arthur Nauzyciel (qui a fait l’ouverture du Festival) où celui-ci prévoyait que l’Humanité ne se remettrait jamais de la Shoah ? Comment ne pas faire le lien alors qu’Angelica exhibe des lapins morts, ceux-là mêmes qu’elle faisait danser par des enfants dans le premier tableau pour les empailler dans le dernier? Comment peut-on effectivement imaginer «qu’un bon enfant fasse un bon adulte» ? Comment ne pas voir dans la sculpture finale, l’Humanité douloureuse avec des plaies provoquées par notre inconscience collective ?

Mais là où Maguy Marin et Pippo Delbono nous rassurent en nous transmettant leur poésie et l’énergie d’un festif pessimiste, Angelica Liddell inquiète. Sa douleur est à la frontière d’une folie dont nous pourrions être la victime.  «Être un homme c’est aussi avoir envie d’en tuer un ». Aïe…

Je me suis progressivement protégé dans «Maudit soit l’homme, qui se confie en l’homme : un projet d’alphabétisation»). En a-t-elle conscience pour glisser dans la dernière partie vers une scène qu’elle met à distance en y posant une oeuvre plastique ? Sans traversée du corps, son alphabet m’est apparu peu à peu décharné. La douleur peut-elle être un alphabet où le mot se trouve pris dans un système englobant qui le réduit ? Dit autrement, la douleur n’est pas objet.

À moins d’une grammaire pour ne pas la confier.

Pascal Bély- Le Tadorne.  

A lire un autre point de vue, celui de Sylvain Pack.

« Maudit soit l'homme qui se confie en l'homme : un projet d'alphabétisation » d'Angélica Liddell du 8 au 13 juillet 2011 dans le cadre du Festival d'Avignon.
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Angelica Liddell, la rage en offrande d’amour.

Elle est là ce soir, après le festival d’Avignon. Je ne l’attendais pas aussi vite. Elle est là et une fois de plus elle est magnifique. Une fois encore elle «s’offre» pour parler la souffrance de l’une et de tous, ce soir encore elle me traverse le coeur et l’âme entre violence et douceur. «Te haré invencible con mi derrota» (“Je te rendrai invincible par ma défaite“), comme une cérémonie intime, dédiée à la violoncelliste Jacqueline Du Pré (décédée d’une sclérose en plaques en 1987), claque haut l’étendard de son être talent.
Seule sur scène, de blanc et de sang, elle nous invite au profond de la douleur pour interroger la vie, le conflit entre matière et esprit. Elle s’offre «Christique» pour nous faire toucher la sève de nos errances ignorances. De son «bric-à-brac» scénique, elle tire des images de poésie tragique belles comme des cantates abandonnées ; de son corps elle donne l’intérieur pour nous faire entendre l’oiseau qui se meurt sur la grève. Elle ose ce qu’on ne montre pas et ce qu’on ne dit pas pour nous faire voir le bruit violent de nos quotidiens englués dans les griffes de dictats meurtriers. Elle convoque les «hommes» pour leur nommer la fatuité et la bêtise que «d’oublier» ses fragiles. Elle crie la vie comme une guerre infâme dont nos yeux se repaissent, elle crie du plus loin de nos manques et de nos questions, elle s’incendie d’un «pourquoi ?» existentiel, elle libère les tortures de nos intimités les plus enfouies.

 

Dans ce dialogue entre vie et mort, ce n’est plus de citron qu’elle lave ses blessures, c’est le whisky qui cautérise l’extérieur comme l’intérieur. Les pétales de fleurs se font plaies, le sang coule pour irriguer les tissus, il laisse trace pour nous confronter au plus forts de nos interdits… Le pain est rompu après un jeu comme de « mort-pions » et le message qui s’y cache semble n’être qu’une farce de plus. Le feu dévore une main de cire, comme la maladie brûle celui qui souffre de se voir partir goutte à goutte. Elle se fait proue d’une armada de violoncelles pour haranguer la mort. Elle s’harnache de noir et « s’encapuche » pour dénoncer nos terrorismes guerriers via un tir de paintball comme « homme » en joue, en bande, dans les bois, pour se sentir vivant à travers des meurtres pour de faux.  Elle éjacule en couleur, fuck you ! fuck la mort ! Elle illustre nos démissions/soumissions et nos fatigues à coup de pop corn, avalé sous une couverture de survie,….

Elle, elle s’appelle Angelica Liddell, elle à la fureur de se donner pour nous faire entendre la triste comédie de notre tragédie humaine et dénoncer l’implacable violence de nos vies. Elle ne triche pas, elle fait de son corps un langage, son théâtre n’est pas d’artifices.
Pour finir, en s’éclipsant sans retour, elle nous murmure la mesure du don qu’elle vient de nous faire. Elle nous laisse alors seuls, pour traiter comme il se doit, les ombres lumières où elle nous à permis d’aller; elle nous a autorisés à voir ce qu’il en est pour elle de vivre, n’en exigeons pas plus. Retirons-nous, avec élégance, laissons-la maintenant aller en silence et laissons nous vivre nos émotions à l’endroit où nous pourrons le faire.
Alors…, je pense à Toi…, qui ne me m’entendras pas/plus?, je pense aussi à Baudelaire, à Rimbaud,  à Sarah Kane…
Et à l’heure de ces mots qui ne disent que peu…Je pense à vous Angelica…
Bernard Gaurier-www.festivalier.net
 
« Te haré invencible con mi derrota » de Angelica Liddell au Festival “Mettre en scène” du 4 au 6 novembre à Rennes