L’âge minimum requis est de 18 mois. Le personnel de ce centre culturel nous accueille avec leurs gestes délicats comme si nous étions tous fragiles. L’accueil est un comportement. Il est ici exemplaire. Alors que nous prenons place,la comédienne Céline Garnavaults’approche. Elle passe d’un rang à l’autre. Vêtue d’un imperméable bleu qui la serre, elle semble se protéger. Elle en est presque inquiétante avec son petit panier à pois(ds?). «Où va l’eau?», mise en scène par Alban Coulaud a déjà commencé, et je ressens que ces vingt-cinq minutes de théâtre seront précieuses. Elle monte sur scène, l’air perdu, échappée d’un environnement social peu accueillant. Peut-être trop de règles, d’interdits, de non-écoute. Son corps droit comme les bâtons qui maintiennent son chignon ne demande qu’à se libérer pour jouer.
Sur cette scène minuscule, elle esquisse quelques pas de danse. Les enfants assis devant moi n’en croient pas leurs yeux d’être accueillis ainsi. Ils n’ont encore rien vu. Bien difficile de nommer l’endroit : est-ce une cabane, le jardin des délices, l’atelier du peintre ? Il est tout cela à la fois. Un tourne-disque, un poisson rouge, un petit mur et un placard sont les éléments du décor de notre caverne d’Ali Baba, où tout bascule par la force créatrice de l’eau et la puissance de nos imaginaires. La métamorphose peut donc s’opérer. Elle apparaît, puis disparaît, une jambe par ici, une tête par là. C’est gagné, le corps se libère ! Tout devient langage, tout se transforme tant que cela a du sens. Les petits canards, probablement échappés d’une baignoire, sont ici ses compagnons de route qu’elles posent délicatement sur la platine. Ainsi, la danse des canards se mue en air d’opéra… Jubilatoire ! Tel un fluide libérateur, l’eau relie le corps biologique et le désir de créer : c’est alors que le mouvement jaillit, que l’imagination prend le pouvoir sur les convenances, que le créateur dématérialise l’objet. C’est un détournement en fa mineur !
Céline Garnavault est étonnante, car elle joue de sa voix, de son corps, de ses grimaces pour restituer aux jeunes enfants ce qu’elle perçoit d’eux : elle leur rend leur puissance à réinventer le monde, et offre aux adultes l’opportunité de l’approcher autrement. Nous rions de bon coeur tandis que les enfants, l’air sérieux, s’étonnent que le théâtre puisse à ce point les respecter. Parce qu’il rejaillit sur nous tous, «Où va l’eau ?” est un spectacle qui coule de source.
Pascal Bély – Le Tadorne
« Où va l’eau » par la compagnie O’‘Navio, d’après Jeanne Ashbé, Adaptation et mise en scène Alban Coulaud Scénographie et costumes Isabelle Decoux Interprétation Marie Blondel, du 19 au 29 janvier dans le cadre de la saison jeune public de Scènes et Cines (Ouest Provence)