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A Marseille, nos rêves dansants?

«Ce n’est pas de la danse, car ils ne bougent pas». Combien de fois ai-je entendu cette critique à la fin de tant d’oeuvres chorégraphiques dont celles de Maguy Marin? A plusieurs reprises, j’ai tenté la réponse : «l’immobilité physique peut créer le mouvement si le corps turbulent de l’artiste donne la parole au spectateur». Flop ou trouble ! Mais au-delà des arguments, c’est notre représentation du changement qui est en jeu : le mouvement visible, immédiat dont nous serions observateurs, et celui invisible à l’oeil nu, mais où la communication nous inclue comme co-créateur. En programmant «While we were holding it together » de la chorégraphe croate Ivana Müller à la Friche Belle de Mai, le Festival Actoral et Marseille Objectif Danse font oeuvre de pédagogie dans une ville où la quasi-disparition de la danse pose un réel problème d’accès à un art qui fait lien, quoiqu’on en dise…

Imaginez donc cinq danseurs, dans des postures différentes (voir la vidéo) dans une apparente  immobilité. Assis, nous pourrions nous lever et déambuler sur ce plateau (sale…jusqu’à quand la ville de Marseille va-t-elle continuer à accueillir les artistes dans ces conditions?) pour une visite de musée, à contempler les tableaux, à jouer à cache-cache derrière les statues et se perdre dans le grenier…À cinq, ils dessinent nos traits de personnalités; ils sont les balises de nos chemins sinueux; ils incarnent notre désir de diversité pour communiquer. À cinq, ils « mouvementent »…

À peine la pièce débutée que les analogies se bousculent. Je suis déjà en déplacement. À tour de rôle, chacun donne le contexte («J’imagine que nous sommes cinq bourgeois à Marseille», «J’imagine que nous sommes un groupe de rock»). Et ainsi de suite. Le décalage entre la posture physique et le verbal provoque le rire et chacun de nous joue peut-être au chorégraphe pour prolonger le contexte! Notre regard créé le mouvement d’autant plus qu’Ivana Müller est de la partie avec la bande sonore (une partie de tennis, puis des chants d’oiseaux) et un jeu de lumière (apparitions et disparitions provoquent des changements de place, des inversion de rôles). La danse est là pour la mobilisation générale des sens! Peu à peu, les paysages s’enchevêtrent. Il n’y a pas d’histoire à proprement parler, mais un contexte qui nous permet de relier les situations entre elles. Ce contexte naît de la relation qu’Ivana Müller réussit à créer avec les spectateurs. Elle nous guide à percevoir la danse à partir d’une posture sociale (chaque danseur peut incarner un statut, un métier, un lien à la culture, une éducation, un genre) et nous donne la possibilité de créer le propos politique. N’est-ce pas là, une des fonctions de la danse contemporaine? Faire politique, loin des effets du spectaculaire qui prennent la parole à notre insu. 

Arrive alors le moment où les danseurs disparaissent. Nous voilà seuls, mais unis. Le plateau vide fait place à notre désir de danse. Nous sommes autonomes. Je me retourne avec une envie d’échanger avec les spectateurs sur nos chorégraphies. Nous sommes déjà dehors.

À ce moment précis, je rêve que les lieux de culture soient des espaces de communication. J’aspire à ce que la parole du spectateur se mette en mouvement.

Parce que c’est politique.

Pascal Bély – www.festivalier.net

«While we were holding it together » d’ Ivana Müller au Festival Actoral avec Marseille Objectif Danse les 7 et 8 octobre 2010.

Crédit photo: Yi-Chun Wu.

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A quoi reconnaît-on un chef d’oeuvre ?

A quoi reconnaît-on un chef d’oeuvre? A ce sentiment profond de l’évidence.

Dans “Political Mother” d’Hofesh Shechter, tout coule de source. Après une scène inaugurale de hara-kiri, ce jeune chorégraphe israélien balaye dans son spectacle les différentes étapes de l’aliénation produit par tout système totalitaire : l’abandon initial de certains, la lutte contre la contrainte généralisée de certains autres et la soumission finale. Son leitmotiv est une danse animale, le corps en dedans et tête en avant, la danse de pantins traversés de soubresauts, la danse de marionnettes électrisées.  Une danse qui évite soigneusement le port de tête dégagé et raide qui codifie habituellement la danse contemporaine.

Cela est bien normal car les personnages d’Hofesh Shechter sont victimes. Ils ne maîtrisent pas plus leurs gestes que la force motrice qui les anime. Ils s’agitent dans un monde gouverné par un dictateur hard core proche du général enragé mis en scène par Guy Cassier dans “ Mefisto for ever“. Pour Hofesh Shechter nous avançons dans une brume nimbée d’apocalypse, dans un univers de contrainte où nous ne sommes plus maîtres de rien : plus libres de nos mouvements, ni de nos singularités, ni même de nos envies.

Pour faire ce constat, l’outil d’Hofesh Shechter est simple : la même danse est reprise dans l’ouverture tribale  rythmée par le solo de batteries “End of de world”, dans une danse folklorique et dans la comédie musicale de clôture. Ou plutôt, dans la soumission ultime que représente ce dernier ballet car pour Hofesh Shechter le monde n’est finalement qu’un vaste théâtre kitsch au décor doucereux.

Ce final fait sourire et effraye dans le même temps : comme la jolie risette du bébé Cadum qui vue sous un certain angle n’est qu’un rictus glaçant.

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Si Hofesh Shechter porte la rage et l’énergie sourde de Wim Vandekeybus  qui l’a formé, il a ôté toute sophistication au geste dansé pour créer une danse mue par un mouvement qu’on ne choisit pas. Avec un propos proche de celui du photographe Martin Parr ou de Jérôme Bel dans “The Show must go on”,  Hofesh Shechter nous montre que dans un univers affreusement brutal, conçu pour conditionner les êtres afin de leur ôter toute humanité, le système établi en a recréé un autre de toutes pièces : celui de  la Walt Disney Compagny et de la danse folklorique figée de “Riverdance”.

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C’est d’ailleurs une évidence pour Hofesh Schecter  alors qu’un néon apparaît en fond de scène: « Where there is pressure there is folkdance ».  Hannah Arendt ne dit pas autre chose dans “la crise de la culture” : « La société de masse, ne veut pas la culture, mais les loisirs ».

Galvanisé et éreinté à la fois, on sort donc de “Political Mother” avec la certitude d’avoir vu un chef d’oeuvre. A quoi le sait-on ? A ce même sentiment d’évidence qui celui qui nous traverse quand on tombe amoureux. On se re-connaît.

Et avec “Potical Mother” ça fait froid dans le dos.

Elsa Gomis – www.festivalier.net

Political Mother d’Hofesh Shechter a été présenté à Paris au Théâtre de la Ville du 21 au 25 septembre 2010, pour les autres dates : http://www.politicalmother.co.uk/

 

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Une “salve” d’oeillets par Pina Bausch à la Biennale de la Danse de Lyon.

Elle a disparu le 30 juin 2009. Au Festival d’Avignon, il y a eu cet hommage, ce moment fragile autour d’un parterre d’?illets imaginé par Raimund Hoghe, son ancien dramaturge. Le 13 octobre 2010, sortira en salle, « les rêves dansants » d’Anne Linsel et Rainer Hoffmann, beau documentaire (voir vidéo) qui retrace l’aventure d’un groupe d’adolescents sélectionnés pour interpréter « Kontakthof », l’une de ses oeuvres mythiques.

Mais cela ne suffit pas à voir au-delà, à s’imaginer l’avenir de la danse contemporaine sans Pina Bausch. Et pourtant…Il y a eu les chocs de la programmation du Festival d’Avignon autour du corps l’été dernier. Deux mois plus tard, la Biennale de la Danse de Lyon poursuit l’Oeuvre. En programmant au cours d’un week-end «Nelken» de Pina Bausch, «Salves» de Maguy Marin (article du Tadorne  ici), «fondly do we Hope?Fervently do we pray» de Bill T.Jones, tout s’éclaire.

A commencer par l’extraordinaire vision de l’art chorégraphique portée par Maguy Marin. « Salves » aura probablement le même destin que « May B », l’une de ses oeuvres majeures, créée en 1981. Là où Pina Bausch théâtralisait la danse, Maguy Marin chorégraphie le théâtre. C’est une victoire du corps et un tournant : la danse n’a peut-être plus besoin de questionner en permanence son esthétique. Elle se doit d’habiter un propos et d’y intégrer son histoire. Mais surtout, la « danse théâtre » repose sur la sensibilité du spectateur, qu’elle provoque, électrise, pour «décontaminer» notre regard. Dit autrement, Maguy Marin repolitise à partir d’un art qu’elle « traumatise » pour sortir enfin de la « pensée molle ».

Rien de tel avec Bill T.Jones. En répondant à une commande pour célébrer le 200ème anniversaire de la naissance d’Abraham Lincoln, la danse n’est ici que prétexte pour embaumer l’histoire. On cérémonise là où l’on aurait apprécié un propos engagé.  Bill T.Jones propose une danse officielle (qui n’a rien à envier à l’art nord-coréen), sans dynamique, alourdie par une mise en scène conventionnelle (ah, le rideau que l’on ouvre et que l’on ferme !). A ce jour, il n’y pas de doute, la danse «contemporaine» est belle et bien en Europe.

C’est un parterre d’oeillets qui accueille.

« Nelken » de Pina Bausch et ses vingt et un danseurs accueillent le spectateur et son désir de danse. Ce soir, à l’Opéra de Lyon, tous les rêves de danse sont permis, même avec le petit doigt.
C’est un parterre d’oeillets, entretenu par Pina Pausch, depuis longtemps “piétiné” (dans le bon  sens chorégraphique du terme!) par tant d’artistes inspirés par son oeuvre! Tout au long de ces deux heures prodigieuses, je n’ai cessé d’imaginer en chacun des danseurs, un chorégraphe. A savoir, tous ceux qui m’accompagnent dans mon parcours de spectateur à m’éloigner de l’illusion du mouvement bavard  pour me recentrer sur le sens.
C’est un parterre d’oeillets, celui de notre scène chorégraphique, délicatement protégée par Dominique Mercy (il dirige aujourd’hui le TanzTheater Wuppertal Pina Bausch; voir la vidéo). Il est ce soir, notre frère de danse.
C’est un parterre d’oeillets, pour que chaque spectateur puisse faire sa révolution, sa réévolution et s’interposer dès que le désir est maltraité par le Pouvoir.
C’est un parterre d’oeillets pour s’y perdre, pour substituer à notre animalité, une robe de soirée, parce que de dessous, on y voit l’origine du monde.
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C’est un parterre d’oeillets, où tous les corps vieux et jeunes forment le jardin des délices, mais aussi le camp de ceux qui n’en sont pas revenu.

C’est un parterre d’oeillets piétiné par notre toute-puissance de spectateur avide de spectaculaire et dont il ne faut pas grand-chose, des petits gestes avec la main, pour apaiser ses pulsions mortifères.
C’est un parterre d’oeillets assiégé par la barbarie, où l’on se jette seul d’une passerelle tandis que le collectif  poursuit sa danse, coûte que coûte. Parce que, le corps dansant…finalement.
C’est un parterre d’oeillets pour s’y allonger, puiser la force de se relever pour être « femme debout !», « homme debout ! »…
C’est un parterre d’oeillets pour y créer l’assemblée constituante. Celle des spectateurs dansants, rêvant d’une société fraternelle, protégée par les artistes vigiles.
C’est un parterre d’oeillets pour que la danse célébre le fragile et donne la force d’accueillir les «salves» de Maguy, tous les corps tordus de folie, d’amour de Raimund et Pippo…

C’est un parterre d’oeillets où se cache la poésie de mes chorégraphes « chéris »…

Pascal Bély – Le Tadorne

"Nelken" de Pina Bausch du 15 au 20 septembre 2010 / "Salves de Maguy Marin du 13 au 19 septembre 2010/ « fondly do we Hope?Fervently do we pray » de Bill T.Jones du 18 au 22 septembre 2010 dans le cadre de la Biennale de la Danse de Lyon.
Crédit photo: Ursula Kaufmann
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A la biennale de danse de Lyon : en faire toute une histoire?

En juin dernier au festival « Montpellier Danse », William Forsythe proposait aux spectateurs une expérience chorégraphique particulièrement stimulante. Invité à entrer dans un château fort gonflable, le public a dansé et ressenti les possibilités que lui offrait un espace entièrement dédié aux mouvements, au désir d’interagir avec son voisin. La danse pour communiquer. Ce fut un moment jubilatoire (un article ici). Il me revient encore un propos de William Forsythe: «la démocratisation de la danse à l’intérieur d’un théâtre me semble quasi impossible».

 La Biennale de Lyon a son défilé, grand rassemblement populaire autour de la danse, vecteur du plaisir partagé et ode à la diversité. Dans le même esprit, elle propose de découvrir au Musée d’Art Contemporain les dessins de la chorégraphe Trisha Brown et quelques ?uvres chorégraphiques (« Early Works »). La présence des danseurs dans ce lieu d‘exposition crée un lien particulier à la danse: ce que je vois importe autant que le comment je le vois. Alors qu’ils jouent avec la matière (ici des longs bâtons en bois, là un mur percé de trous, plus loin des vêtements multicolores enfilés à des cordes tenues par des tubes métalliques), j’accueille la fragilité, j’entends le froissement, je ressens la suspension des corps. Je m’éloigne d’un désir de performance qui serait hors de moi pour m’approcher de ce qui me fait “danse” et m’inscrit dans un rapport déverticalisé à la création. Ce sentiment se prolonge alors que nous sommes emmenés au Parc de la Tête d’Or. Quand deux danseurs s’attachent à des cordes enroulées en spirale autour des troncs d’arbre pour descendre progressivement (« spiral »), j’ai un haut-le-c?ur jubilatoire comme s’ils marchaient à l’horizontale pour m’enrôler. Lorsque plus tard, quatre danseuses interprètent sur leur radeau une chorégraphie sur le dos (« Raft Piece »), la peinture jaillit de l’eau et je vis un moment d’une intense poésie. Loin d’être seulement un hommage à Trisha Brown, ce parcours de deux heures donne du souffle pour penser l’avenir d’une danse démocratique.

En fin d’après midi, le retour au théâtre est brutal. « Tres Pontos? » du jeune chorégraphe Brésilien Alex Neoral est une succession de trois pièces (« Pathways », « Interpret », « Um a um ») pour quatre, cinq, sept danseurs accompagnés pour les deux dernières par des musiciens (piano et violoncelle). La technique est certes irréprochable, mais l’ensemble est d’un romantisme daté, d’un classicisme ennuyeux. Si la danse se veut «contemporaine», le rapport au public est immergé dans le formol. « Tres Pontos » me positionne tel un charmant qui chercherait sa cavalière. Mais faute d’être surpris et étonné, je me contente d’attendre patiemment la fin du bal, au bras d’une vieille dame un peu triste qu’il faut raccompagner par galanterie?

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Plus tard dans la soirée, la chorégraphe française Catherine Diverrès plonge le public dans l’expectative. «Encor», pièce pour cinq danseurs, est une tentative courageuse pour rendre hommage à la danse, mais qui se perd dans des tics de représentation (succession rapide de tableaux, bande sonore confuse, ..) et un propos compliqué à force de références. Ce spectacle postule que nous n’avons pas tous la même histoire de danse. Soit. Mais comment s’en parler? Pourquoi cela ne résonne-t-il pas? Serions-nous si différents? Pourquoi de tels marqueurs historiques (le tutu, les perruques, le corps jeté, le collectif en sang) s’ils ne procurent aucun frisson sur la peau du spectateur ? Je peux accepter qu’il n’y ait aucun chemin tracé, mais encore faut-il que je ressente une toile d’où je tirerais des fils. « Encor » accumule ce que je ne veux plus : une poésie qui me prend de haut, où le chorégraphe-plasticien propose deux ?uvres en une sans que je puisse les relier. Cette danse sur la création d’une danse m’a littéralement noyé.
Étrange journée où le souvenir d’un château fort poursuit son ?uvre, celle de mon histoire de danse, qui  m’éloigne peu à peu des chorégraphies sans histoires?
Pascal Bély – www.festivalier.net
« Early Works » de Trisha Brown au Mac de Lyon les 10, 11 et 12 septembre 2010.
« Tres pontos » d’Alex Neoral au Théâtre de la Croix Rousse du 11 au 14 septembre 2010.
« Encor » de Catherine Diverrès au Tobogan de Décines les 10 et 11 septembre 2010.
Crédit photo: Christian Ganet.
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À la Biennale de Lyon, spectateur (r)échauffé par Hofesh Shechter.

 C’est mon premier rendez-vous avec la Biennale de la Danse de Lyon. J’ai le trac pour cette rencontre inédite avec le chorégraphe Israëlien Hofesh Shechter. À 20h30, il présentera «Political Mother». Mais à 19h, je suis inscrit à un «échauffement du spectateur» animé par Anne Décoret-Ahia, anthropologue de la danse et coach. En s’inspirant du propos et du langage d’Hofesh Shechter, elle propose différents jeux d’étirements, d’occupation de l’espace, de rencontre avec l’autre et d’écoute du corps. Elle souhaite un travail sur «la résonance» avec l’oeuvre de ce chorégraphe. Ainsi, pendant une heure, je suis en interaction corporelle avec de parfaits inconnus qui semblent familiers  avec ce type d’exercice.

Aucun processus de socialisation n’est travaillé: pas de présentation (ni de l’intervenante, ni des spectateurs) et l’on nous met dans les bras de quelqu’un sans que nous contestions la brutalité du processus! Je me fonds dans le groupe anonyme à l’image de tant de salariés qui doivent fusionner et faire corps avec l’entreprise lors de séminaires pour produire des normes managériales efficaces. Je reconnaîtrais sur scène quelques mouvements expérimentés au cours de “l’échauffement”. Mais «la résonance» a des ressorts psychologiques qui ne peuvent se réduire à  une «expérience» en atelier qui mobilise nos capacités d’apprentissage et de mémorisation. À 20h, plus qu’échauffé, je suis épuisé et je m’interroge : entre le temps de la scène et le contexte du spectateur, quel espace médian peut-on créer pour libérer une parole autour de la danse et la métamorphoser en acte créatif ? Comment articuler parole singulière et structure sociale normalisatrice? Je ne me doute pas encore que ce seront des sujets abordés par Hofesh Schechter…

La salle de l’Auditorium est enfumée comme après un séisme. «Political Mother» est un «spectacle» de danse au coeur de la société du divertissement : pour dénoncer les processus d’embrigadement et d’asservissement du pouvoir, Hofesh Shechter crée une forme spectaculaire (dix danseurs, quatre bassistes à l’étage, quatre batteurs en bas) où il articule danse groupale, musiques rock, militaire et classique. Spectateur «conditionné», je dois accueillir cette oeuvre qui utilise les ressorts du grand spectacle (et donc du pouvoir sur les masses), ceux-là mêmes qui nous empêchent de nous émanciper des formes abrutissantes, de nous recentrer sur le sens.

Ce sont donc les faiblesses de «Political Mother» qui permettent de s’affranchir du «spectaculaire» : un langage chorégraphique plutôt minimaliste, mais sensible (succession de gestes incantatoires dansés sur la pointe des pieds pris dans le tourbillon de l’enrôlement groupal), des danseurs qui «théâtralisent» leur danse au lieu de la «performer», une mise en scène qui crée le vertige du pouvoir tout en humanisant ce qui par le bas le fragilise. Hofesh Shechter danse l’embrigadement sur scène, mais se garde bien de nous enrôler, tout juste mobilise-t-il notre imaginaire chorégraphique, musical et théâtral pour  repérer les formes utilisées par le pouvoir pour nous asservir.

Oeuvre profondément pédagogique sur les processus de domination à l’intérieur d’un groupe, vis-à-vis du chef ou de toute autorité verticale, elle est aussi à l’égard de la danse contemporaine. Il nous démontre qu’elle est aujourd’hui au croisement des langages (musical, théâtral, plastique), qu’elle peut ouvrir les codes de la narration pour laisser place à nos interprétations, qu’elle peut créer du silence en transformant la lumière en poussière, en «nuit et brouillard». Mais surtout, il s’appuie sur le spectaculaire (et le langage publicitaire qui l’accompagne) pour y puiser l’énergie de la résistance, pour donner la force à l’art chorégraphique de s’émanciper des pouvoirs autoritaires.

Plus globalement, «Polical Mother» nous rappelle que le corps est politique : loin de le statufier sous le poids des contraintes d’une Histoire qui nous échapperait, il nous invite au rassemblement.
C’est ainsi que le spectateur s’échauffe, prêt à défiler.
Pascal Bély – www.festivalier.net
“Political Mother” par la Hofesh Shechter Company à la Biennale de la danse de Lyon les 10,11 et 12 septembre 2010.
Crédit photo : Ben Rudick.
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Au Festival d’Avignon, des rires primaires pour la dans’amalgame d’Alain Platel.

Le danseur me regarde. C’est interminable. Je lui fais signe d’arrêter, que cela suffit. Il continue. Le combat est inégal. À ce moment précis, je lutte avec le chorégraphe Alain Platel pour que « Out of context (for Pina) » se termine. Je voudrais me lever, demander une suspension de séance, pour que les spectateurs qui rient m’expliquent les raisons pour lesquelles le propos a lâché. Je me tournerais alors vers les danseurs pour les questionner sur leur ressenti d’incarner des handicapés que Platel fait passer pour fous parce que ça l’arrange, parce qu’il y décèle de la «virtuosité». Je l’interrogerais ensuite mais il serait peut-être déjà parti. On m’aurait ordonné de quitter les gradins bien avant, avec une camisole de force. Ce spectateur est fou, fatigué, excessif. Probablement du sud, car à Paris on sait se tenir, surtout au Théâtre de la Ville.

« Out of context » est une (trop) longue chorégraphie, car il faut du temps à Alain Platel pour travestir son propos. En observant les autistes, il n’a vu que des corps tordus.
Coup tordu.

Vous n’avez pas de chance, Monsieur Platel. Avant vous, il y a eu l’an dernier sur cette même scène du Lycée Saint-Joseph,  Pippo Delbono et Bobo. J’ai appris avec eux qu’entre le handicap et la folie, il y a tout un monde que vous avez préféré réduire à une esthétique séduisante. Mais manque de chance, le public rit. Il vous tend le miroir de vos erreurs et de vos égarements.

Avant vous, Monsieur Platel, il y a eu Christoph Marthaler qui, il y a seulement deux jours, nous a proposé de nous introspecter dans le regard du fou. Vous avez préféré créer la distance entre vos danseurs et le public pour faire du spectaculaire. Mais manque de discernement, cela se voit. Vous avez fait d’un handicapé un fou sans lui donner sa fonction politique. Vous avez choisi d’en faire le bouffon, jusqu’à convoquer des bébés sur scène et valider votre hypothèse. Vous penser qu’ils sont seuls capables de  regarder droit dans les yeux le «handicapé fou» (appelons-le ainsi, puisque vous mélangez tout), tandis que les spectateurs rient, non pas parce que cela les dérange, mais parce que c’est rigolo.
Mort de rire.
Avant vous, Monsieur Platel, il y a eu Angélica Liddell. Elle nous venait d’Espagne. C’était il y a dix jours, au Festival d’Avignon. Elle m’a bouleversé parce qu’avec elle, j’ai compris que le corps qui souffre relie l’intime et le politique, que danser autour d’une chanson pop pouvait rendre fou. Avec vous, la pop, la variété, ne servent qu’à séduire le public pour qu’il accepte la danse du « tordu ». Nuance. Vous osez même nous interpeller pour savoir si nous serions capables de danser avec eux. Certains spectateurs (castés) montent sur scène pour une danse de l’étreinte. Sauf que le danseur n’est ni handicapé, ni fou. Se seraient-ils risqués avec Bobo ? Sûrement pas, parce que Pippo Delbono ne l’aurait pas permit. Et puis parce qu’un fou, ça peut aussi déplaire et puer de la gueule.
Mensonge.
Ainsi, vous pensez à Pina Bausch. Moi aussi. Sa danse était virtuose.
La vôtre est en dehors du contexte.
Fin.

Pascal Bély – Le Tadorne

“Out of context for Pina” d’Alain Platel au Festival d’Avignon du 22 au 26 juillet 2010.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage

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Au Festival d’Avignon, Cosima, Jean-Luc, Papa, maman, le festival, et moi. Sans moi.

« Le sujet à vif » m’ennuie. Nichée au coeur du Festival d’Avignon, cette programmation a longtemps étonné. Depuis trois années, elle déroute comme si le schéma de « commande passée à » produisait un « entre soi », des formes narcissiques où l’on se regarde à défaut d’ouvrir le regard vers un ailleurs.
Je ne m’attarderais pas trop sur le programme D où se succèdent les commandes passées à Christophe Fiat et Foofwa d’Imobolité. Dans le premier cas, Laurent Sauvage, guitare en bandoulière, nous conte l’histoire de Cosima de Flavigny (maitresse de Richard Wagner). C’est long, froid, immobile. Fiat transforme ce bel homme en glaçon qui peine à fondre. Pour la deuxième proposition, « Au contraire », le chorégraphe Foofwa d’Imobolité nous propose une danse à partir de Jean-Luc Godard. Je connais peu ce cinéaste. Je n’en saurais pas plus. Il y a de l’amusement sur le plateau, mais je me sens au dehors d’une chorégraphie pourtant érotique. Je deviens glaçon, qui ne fond pas.
Le programme C déçoit fortement d’autant plus que deux grands noms en ont pris les commandes : la chorégraphe Olivia Grandville et la comédienne Ariane Ascaride.

La première conte l’histoire du festival d’Avignon à partir de sa famille. En fond de plateau, un grand panneau (genre brainstorming né d’une réunion de managers d’entreprise), où l’on a jeté là les figures mythiques du Festival d’Avignon (Vilar, Bagouet, Bausch, Godard, Moreau,.. ;) et des dates clefs (1968, 1992, 2003, ?). Sur scène, Olivia Grandville, sa mère (Léone Nogarède) et la danseuse Catherine Legrand. Ainsi peut commencer le voyage comme un défilé de cartes postales. Cela ne me traverse jamais d’autant plus qu’Olivia Grandville fait peu de liens entre ce festival et les processus familiaux. Or, la relation au Festival d’Avignon est un rapport presque « charnel » que la danse met à distance. Olivia Grandville semble dépassée par l’ampleur de la tache d’où ce besoin de délimiter par des ronds et des traits qui ne veulent rien dire sauf à tracer sa propre traversée dont elle peine à donner de la substance.

Suffit-il qu’un nom soit posé pour qu’il soit incarné ? Suffit-il d’inviter sa mère sur le plateau (au demeurant fort sympathique, mais dont je ressens la fonction contrôlante du « témoin ») pour qu’un lien se noue entre l’histoire du théâtre, d’Avignon et celle des spectateurs ? La forme donne l’impression d’une déconstruction (en effet, rien n’est chronologique) mais la façon d’aborder l’histoire reste binaire tant la succession d’images et de sons finit par exclure le sens de l’Histoire. C’est un passage en revue, un diaporama, un texte à l’épaisseur d’une carte postale, là où j’aurais tant apprécié du relief, de l’écho. Seule l’évocation de la crise de l’intermittence de 2003 trouve une certaine résonance mais ici aussi, on survole à partir de bribes de discours et de lettres des ASSEDIC là où le silence aurait été plus approprié.

Avec Ariane Ascaride dans “proposition d’un jour d’été” l’histoire prend son temps. Pendant un long moment, elle nous explique le concept de « commande ». Elle s’excuserait presque d’être là. Enfermée elle aussi dans la carte postale, elle nous conte l’histoire du théâtre à partir de sa vie familiale à Marseille. En se plaignant d’être « la madone des ouvriers », elle ne peut s’empêcher d’y revenir même si l’habit ne fait pas le moine. Ariane Ascaride joue la petite fille de son père, là où j’aurais aimé approcher l’humilité de la grande comédienne face à l’histoire. Elle me perd définitivement dans le pittoresque et le dernier tableau où elle danse dans un costume de lumière ne me rattrape pas. Je suis déjà loin.

Au final, entre une “semaine » et « un jour d’été“, on effleure de peur d’être trop présent.
Pascal Bély – Le Tadorne

“Proposition d’un jour d’été” à partir d’un texte de Marie Desplechin; “Une semaine d’art en Avignon” d’Olivia Grandville au “Sujet à vif” du 19 au 25 juillet 2010.

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Big Bang au Festival d’Avignon.

Même le chien ne parlera pas…ou pas de blablabla“, ou “ padutoutpaperlapap »…ou peut-être “ une île pour quoi faire“.
Ça me change des éléments de langage…
Ça me change du prêt à voir et à entendre…
Ça me change…

Avec « Big Bang », Monsieur  Philippe Quesne est doué pour l’art du rien et du tout à la fois.
Monsieur Philippe Quesne est peu loquace, mais il arrive à dire beaucoup de choses avec juste un peu de rien qui nous remplit. La fin du festival d’Avignon approche. On m’a beaucoup dit, mais j’accueille. Il y a encore de la place pour qu’il m’aide à articuler tout ça…

Dans “La Mélancolie des Dragons“, spectacle présenté en 2008 au Festival d’Avignon, il y avait une histoire, du début à la fin, totalement insolente.
Il nous surprenait constamment, et on était ébahi, heureux, émus, déstabilisé, émerveillé comme des enfants. C’était un conte de nulle part, avec sa magie incongrue qui tombait, il faut dire, toujours à pic…
Big Bang“est autre chose.
C’est une proposition différente même si on retrouve ses points de repère. C’est  un concept plus abstrait, c’est une situation qui se veut être plus un état qu’un récit parlé. À vrai dire, ce  n’est pas une vraie histoire.
Et si on lâchait l’histoire? Comme ça, pour voir ce que ça nous fait. Sans histoire, que devient le spectateur ? ll est nu, il cherche à se rhabiller. Moi, j’enlève, j’enlève…Sans être à poil, «Big Bang» me met seulement à découvert…

Je vous livre un secret…le chien ne parlera pas, et en plus  n’attendez pas de long discours.
Décrire ce qui se passe serait réducteur.
Il y a l’éternelle neige chère à Philippe Quesne. Il y a la voiture toujours là, mais cette fois à l’envers…
Il ya le feu des hommes préhistoriques, des formes informes en fausse fourrure qui, comme des pachydermes, se meuvent en rampant; il y a comme des pingouins qui ressemblent à des Pénitents en goguette, il y la neige, la chaleur, il y aura l’eau, l’île, les bateaux, les arbres…
Il y de l’humanité. Celle que l’on ressent si peu à force d’être soumis tous les jours au flux des images, au flux RSS, au flot des mots…Ici, du mouvement, que du mouvement. Et du beau. Oui, du beau, car c’est le langage de l’humanité. Vous ne voulez tout de même pas qu’elle se mette à parler SMS traduit en Anglais ?
 
On prépare quoi ? Nous, on ne sait pas vraiment, mais le Script, lui, le sait. Il s’occupe de “ses ouvriers” de l’espace, des lumières, il bricole en coulisse et les comédiens obéissent docilement aux conseils prodigués.
On ouvre l’espace de la scène, et on comprend à ce moment-là que le Maître de cérémonie a dû être plasticien, ou graphiste. En tout cas, maître es-espace, maître es-insolite, peut-être maître es-absurde.
Ce maître de cérémonie remet délicatement du sens. Les «autres», sont hors du coup, hors champ. Ils ont explosé en vol, laissant derrière eux voiture retournée, barbecue d’été et une cargaison de bateaux gonflables. Du stock, il ne reste plus grand-chose. Le toujours plus, le travailler plus pour gagner plus n’est qu’une vieille inscription retrouvée sur les parois des trous à rats.
 
(Les Chemises hawaïennes rivalisent de couleur, les bateaux arrivent…il ne manque plus que le Youkoulélé…!)
Le script -metteur en scène est habile. Souvent présent sur le plateau, il dirige…Mais que dirige-t-il et qui dirige-t-il …? Des singes, des otaries, des scaphandriers, des astronautes ?
Il essaye de donner des indications minimales pour une éventuelle « Règle du Jeu ».
Il ressemble à un maitre de ballet qui donnerait des conseils sur scène, c’est un absurde directeur d’acteurs, c’est Tadeusz Kantor dirigeant des poissons dans un nébuleux Vivarium…
C’est le chorégraphe de nos âmes perdues entre crise interminable, chaos politique et  promesse d’une révolution verte qui développe peu à peu le langage de la norme, du contrôle du désir. Ici, entre l’eau, la terre et le feu, l’homme marche sur l’eau, plonge si c’est beau, seulement si c’est beau. Il est cosmonaute pour se prendre la tête et redécouvrir d’en haut ce que la fourmilière du bas lui cache…

 
Si sur scène on prépare quelque chose, c’est avec beaucoup de riens et ce sera juste vouloir bouger d’un centimètre l’objet du décor pour que ce soit parfait.
Un voyage  imaginaire ou plutôt dire le Big Bang ?
Pas d’importance,  car c’est un moment suspendu, un humour tellement tendre, une “caverne pour nos vieux jours”…c’était juste, c’était chaleureux, on aime, on se laisse aller au plaisir…
Au Big bang, le laisser aller est un art, là où ailleurs, il est la politique du pire…

Francis Braun en maître de cérémonie, Pascal Bély enpachydermerampant sous les couleurs du Big Bang!, tous les deux Tadornes..

“Big Bang” de Philippe Quesne au Festival d’Avignon du 19 au 26 juillet 2010.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage.

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Le rock full sentimental de Pierre Rigal.

Micro” m’accueille avec ma fatigue de trois semaines de festival, avec mes doutes, mes enchantements, et mes barrières de défense. Mais elles s’écroulent dès la première minute, parce que sa générosité donne confiance. La dernière création du chorégraphe Pierre Rigal est un moment de pure jubilation, rassembleur sans être démagogique, populaire sans pour autant verser dans la facilité. “Micro” est une œuvre très soignée, où chaque «plan» (il y a des instants où l’on se croit au cinéma) est minutieusement réfléchi, où le lien entre les séquences évite d’emballer le vide, mais donne du souffle. «Micro» est drôle, très drôle. Le public rit. Beaucoup.

Car Pierre Rigal et ses quatre acteurs-danseurs-musiciens jouent avec le corps sans jamais tomber dans la caricature. Car « Micro » dégage une tendresse infinie, une empathie envers les groupes rock qui brûlent actuellement les planches des festivals de l’été. Après avoir créé la chorégraphie du football dans « Arrêts de jeu », Pierre Rigal s’attache aux rockers. Enfin. Qui plus est dans « la chapelle des Pénitents Blancs », sur cette scène minuscule, comme un hommage à la musique, à la danse seule capable de créer du sens dans un espace aussi réduit (pour ceux qui auraient vu « Press », on sait que cet homme pourrait danser avec son petit doigt dans une boîte d’allumettes).

Car qui n’a jamais été troublé par les déplacements des musiciens lors d’un concert, par la fascination qu’exerce leur corps sur les foules en délire, par la manipulation des instruments qui prolonge l’humain bien au-delà du biologique ? Pierre Rigal prend tout cela et nous embarque dans un concert d’une qualité exceptionnelle.

Lorsqu’il arrive pour incarner le rocker, je suis fasciné par la précision du geste et la dramaturgie qui s’en dégage : le rock est solitude, mise à nu. Il y a là un langage, des codes où la béquille du micro n’est pas sans rappeler la barre de la danseuse classique, où la posture verticale est celle du perchiste. La question de l’émancipation est tout autant posée : comment s’affranchir de ces verticalités, déjouer les codes, tout en sécurisant le groupe ? Parlons-en du groupe ! Au commencement, on pourrait imaginer Pierre Rigal dansant seul au
milieu des micros et des instruments pour nous proposer une chorégraphie « acrobatique » dont il a le secret. L’arrivée des chanteurs (dont la troublante Mélanie Chartreux en «danseuse malade» échappée du camion de Boris Charmatz !) est un tableau inouï où Pierre Rigal s’amuse de l’interaction entre la technologie et le corps. Les machines se métamorphosent pour créer le fluide du vivant (et inversement!). À partir de cet instant, Pierre Rigal et son groupe s’autorisent toutes les audaces, car ils savent que le rock est la musique du croisement des arts, de l’hybridité et qu’il est révolution. Pendant plus d’une heure quarante, les corps créent l’interaction, définissent les contours d’une « micro » société où les prises de pouvoir s’entremêlent avec les liens de solidarité qui finissent par électriser des corps en folie. Avec Pierre Rigal, tout est affaire de démesure, mais dans le beau. Seulement dans le beau. Et avec humour. Les postillons sont feux d’artifice, des baguettes créent l’univers de la marionnette, des cymbales posées sur des visages donnent l’illusion d’un tableau de Magritte…Ici, tout n’est que fluide. Le sens se propage à la vitesse de l’humain avec l’énergie du désir. Celui d’en découdre avec les frontières (ici, le chant se transmet de bouche en bouche,…magnifique), avec l’individualisme (ici on se porte, on se supporte), avec l’idée que le concert n’aurait aucune dramaturgie (alors qu’ici, le metteur en scène joué par Pierre Rigal est omniprésent).

Je suis venu pour de la danse, j’ai assisté à un concert chorégraphié.

Vous étiez venu pour de la musique, vous avez eu une performance dansée de rockers endiablés.

Vous vouliez du rock, ils vous ont offert un théâtre de corps musicaux textuels.

Nous étions au Festival d’Avignon ; en eaux troubles et tumultueuses. Ils se sont jetés dans la fosse aux lions pour nous faire rugir de plaisir.

Pascal Bély – Le Tadorne.

“Micro” de Pierre Rigal au Festival d’Avignon du 23 au 26 juillet 2010. 

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage

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Avalanches en Avignon, un roi sous la neige.

Drôle de nom pour un gymnase : Gérard Philippe. La tête et les jambes ? Devant cette bâtisse de tôle, le Festival d’Avignon y a apposé une rangée de canisses : l’été contre l’hiver ? Étrange et agréable impression de ressentir la foule des spectateurs pour «un nid pour quoi faire» d’Olivier Cadiot et Ludovic Lagarde dans ce quartier résidentiel de la cité papale. Acte de résistance alors que la société française ne voit plus très bien où elle va…Je sais ce soir, ce que j’ai besoin d’un nid. Ce que je ne sais pas encore, c’est que le rire fera trembler la tôle de ce théâtre éphémère.

Il faut d’abord s’échapper de la fournaise avignonnaise. La vidéo en fond de décor projette une montée féerique vers la montagne. Le narrateur (appelons le Robinson…) décrit l’ascension. Il y a la musique de Rodolphe Burger, il y a la voix magique, envoûtante, tellement paisible, qui nous embarque, on voudrait être dans la voiture, dans ce paysage si blanc, la neige est partout, les sapins, et toujours ce rythme parole et musique….Je décolle parce que je pressens que je vais prendre de la hauteur. Les mots d’Olivier Cadiot sont autant de mètres gagnés sur la bassesse du vocabulaire politique et médiatique ambiant. Je jubile. Le narrateur aussi, fier de sa Toyota fantastique.

Sa voix est étrange, mais ses mots sont si bien pesés.  Il n’en dira que quelques-uns pendant la pièce qui emballeront le roi qu’il est censé conseiller. Robinson, c’est l’éternel personnage d’Olivier Cadiot qui pense et il pense que l’exil du Roi n’est pas dynamique, enfermé dans attitude régressive. À tel point que Sire va en mourir.

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Laurent Poitrenaux en personne incarne ce roi « bling bling », isolé dans ce chalet, au sous-sol, en exil pour longtemps et qui se pavane devant son écran géant et tactile (l’Ipad est déjà démodé !) dès qu’on lui diffuse un film sur sa splendeur passée. Ah ce roi et sa cour d’incultes et d’incompétents où même le poète en chef vous sert de la poésie en pâté ! Ah ce roi qui s’englue dans une stratégie de reconstruction de son image ! Mais reconnaissons-lui sa belle équipe, métaphore de toutes les névroses de la société française. Au commencement de la journée, il y a ce conseiller en médecine douce qui dit n’importe quoi, mais que l’on croit sur parole tant il sait manier les combinaisons chimiques et fait de l’alerte orange son principe absolu de précaution. Puis il y a un fidèle qui lui lit les nouvelles et Sire voudrait que l’on écoute Brahms dans les étables ! Il y a des recettes de cuisine prodiguées, on écrase les désirs de la société dans des mixers, on met la main à la pâte, on plante nos idées dans le champ du voisin. Robinson  finit par douter de l’existence du Roi…Il assiste a une séance de brainstorming ou l’on imagine logos et images de marque, on étudie des blasons top-modernes, on “blasonne” à tout va…Les mythes sont  détruits (« le Vietnam, Dylan, 68 et Marcuse aux chiottes ! »). « À force de faire l’autruche, on ira droit dans le mur », dit alors Laurent Poitreneaux-parfois cabotin qui pourrait rejoindre sans le vouloir Jean-Quentin Chatelain.

Tous bons à servir la médiacratie la plus lourde quitte à  réduire le statut d’artiste en bouffon sans paroles. « Ce nid pour quoi faire » est une allégorie du système sarkozyste et berlusconien. Chaque tirade nous rapproche un peu plus du vide sidéral d’un pouvoir sans peur et sans reproche. Je ris beaucoup, sans discrétion, mais mon rire est une libération, un cri après trois ans où je peine à trouver les mots pour décrire le processus de déliquescence dans lequel ce pouvoir corrompu et inculte nous conduit. L’écriture d’Olivier Cadiot et la mise en scène de Ludovic Lagarde crée le rythme effréné que nous impose cette pensée politique qui sait si bien manier le paradoxe et les contre sens. Entre tempo inspiré du théâtre de boulevard (mais qu’est devenue la France si ce n’est le pays où l’on met en scène les infidélités, les trahisons, les complots), et des pauses poétiques où la voix du conseiller nous invite à regarder de haut ce que l’on aimerait bien nous faire voir du bas, je suis accueilli, respecté. D’autant plus que dans ce lieu où l’on rentre par le haut, la mise en scène ouvre par les côtés.

Ce nid est une pièce formidable. Rythme accéléré, des moments tendres-vidéo, un récit off tellement sensible, une oeuvre moderne sans être à la mode. L’humour et la rêverie se relaient, Rodolphe Burger nous emmène dans la Neige. C’est une pièce très réaliste, mais moins optimiste que ce qu’elle en a l’air.

Désabusée, pessimiste peut-être…On se sent encore plus manipulé par les autres, on est soumis, on nous organise…on subit, mais on continue toujours même si le Roi meurt.

Lorsque la nuit retombe sur le paysage enneigé, après la gymnastique, la cuisine et le Sauna, la Cour  s’endort, inquieté,  pas tout a fait rassurée, mais bon le Roi se meurt.

Tout d’un coup, après notre endormissement, on se dit que : “Dormir en rond, avec le temps ça donne des plumes!

Pascal Bély – Francis Braun – www.festivalier.net 

“Un nid pour quoi faire” d’Olivier Cadiot et Ludovic Lagarde au Festival d’Avignon du 8 au 18 juillet 2010.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage