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« Pororoca », patatra et puis basta !

Pendant tout le spectacle, je n’ai pas réussi à m’asseoir convenablement. À plusieurs reprises, je me suis même mis de biais pour voir autrement. Vers la fin, j’ai fini par me lever croyant prendre de la hauteur pour ressentir cette humanité en mouvement.
Curieux, mais jamais touché.

L’oeuvre chorégraphique de la Brésilienne Lia Rodrigues ne m’a pas atteint. Tout juste réussit-elle à interpeller sur la manière dont cette «bombe humaine» se déplace, sans exploser.
Pétard mouillé.

Au Théâtre de la Ville à Paris, la pièce avait fait grand bruit chez les spectateurs. Ici, à Cavaillon, rien. La salle paraît dans l’expectative. Certains se retiennent probablement de siffler, mais la direction du Festival et de la Scène Nationale de Cavaillon avait pris soin de célébrer le talent de la chorégraphe lors de leur numéro de duettiste sans micro.

Sans sonorisation, un groupe de dix danseurs s’agite pendant une heure, s’accordant quelques pauses pour avaler un quartier d’orange comme des sportifs à la mi-temps. Reconnaissons qu’ils s’engagent physiquement à dessiner la vie sociale d’une favela où les murs seraient leurs corps ; les rues leurs liens ; la misère, leur richesse intérieure ; la libido, leur bestialité…La liste pourrait s’allonger à l’infini. Mais sans distance, nous pourrions très bien imaginer une orgie tant l’acte sexuel est suggéré à chaque mouvement. Malgré tout, leur cul, leurs seins, son sexe, me laissent de marbre.


Arrive le moment où ils osent nous regarder, peuple d’Europe, riche et rassasié. Ils finissent par en rire tandis que des spectateurs, gênés, applaudissent. À cet instant précis, je pressens la suite : le groupe remonte l’escalier au milieu du public, à contre-courant. Chez certains metteurs en scène, ce procédé vise à amplifier la dramaturgie au coeur d’une «assemblée populaire». Mais ici, je ne saisis pas le sens de cette traversée en solitaire.

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Pourtant, deux tableaux se révèlent majestueux. Celui, où, par un jeu très subtil de lumières, les corps inertes se relient dans une fosse commune. Les bras n’ont plus que la peau sur les os. Il y a cet autre instant où, pieds et mains à terre, ils dessinent avec leur ventre la «terre patrie » si chère à Edgar Morin.
Mais à l’agitation sur la scène, rien ne répond. Un mur invisible s’est peu à peu dressé avec la salle. Cette danse véhicule une esthétique de la misère, mais ne «précarise» pas le spectateur. “Pororoca” est une démonstration. On montre un pouvoir créatif comme on gonflerait ses muscles. Pour impressionner. Mais leur union ne fait même pas leur force ; leur férocité n’est qu’un jeu de rôles, la favela, qu’un «concept» de plus dans un paysage chorégraphique français saturé d’oeuvres distantes.
Un court instant, j’ai pensé à la place Tahir ; cela m’a rassuré. Des corps en mouvement peuvent m’éloigner de mes rivages.
Permettez que je prenne le large pendant quelque temps.
Pascal Bély – Le Tadorne.
« Pororoca » de Lia Rodrigues – Scène Nationale de Cavaillon – Le 28 février 2011 dans le cadre du festival des Hivernales.

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HIVERNALES D'AVIGNON LE GROUPE EN DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

Ne me jette pas.

Il arrive parfois que la danse contemporaine nous tende un miroir à mille facettes. Où en sommes-nous? N’avez-vous rien remarqué autour de vous? Mais où suis-je?
Le chorégraphe tunisien Radhouane El Meddeb a une sensibilité bien particulière pour restituer sur un plateau «ce que nous sommes», titre de sa dernière création.
Ils sont cinq dont une qui n’a pas tout à fait l’allure d’une danseuse (magnifique Alice Daquet, alias Sir Alice): de sa robe moulante transparaît de jolies formes (incarnerait-elle Radhouane?). Elle est le «corps social» et porte les stigmates de l’abandon. Elle a cette colère froide, de ceux qui n’ont aujourd’hui plus grand-chose à perdre. Elle observe souvent, se mêle au groupe sans y être. Elle est le «politique» au sein d’un collectif qui ne sait plus comment s’y prendre pour lutter contre la solitude des individus.

Par un subtil jeu de lumières, ils se dévoilent peu à peu. Deux hommes (troublants Olivier Balzarini et Christian Ben Aïm) et une jeune femme  (puissante Anne Foucher), élégamment habillés s’entremêlent tandis qu’une autre, à l’allure fougueuse (étrange Margot Dorléans), (se) cherche. La scénographie d’Anne Tolleter (collaboratrice de Mathilde Monnier) fait encore des miracles: à l’image de la bordure d’un tableau, elle a posé des gravillons noirs et argentés tout autour de la scène. À tour de rôle, ils marchent sur cette étroite bande dont le bruit produit le frisson à l’arrivée de celui que l’on attendait plus, à moins que ce ne soit le son de la relation…À ce tableau, il faut ajouter la musique de Sir Alice: tout aussi profonde que la danse de  Radhouane El Meddeb, elle nous enveloppe et nous donne l’énergie de ne pas lâcher un seul mouvement. Voudrait-elle nous inclure? Et si nous étions le sixième acteur de ce huit clos ?

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Peu à peu, du repli sur soi, enfermé dans leur bulle virtuelle (qui finit par rendre fou), chacun marche en préférant la diagonale pour tisser la toile. Une tête se pose sur le corps de l’autre tandis que des gestes de rien du tout créent la relation de confiance. On se porte, on se supporte. Il y a peu d’envolées, mais que l’on ne s’y trompe pas: les craintes et les désirs s’entrechoquent en silence. Que ces fils paraissent fragiles!  Ces gestes lents créent la partition d’une étonnante chorégraphie poétique où la personne incarne le «tous». C’est puissant parce que nous sommes toujours à ces deux niveaux en même temps: l’individu et le groupe.
Lentement, les corps se répondent, le collectif prend du relief. Tout un paysage relationnel se dévoile: aux sons des gravillons, se superposent le bruit des baisers et des bisous. La créativité de chacun s’exprime dans un cadre sécurisant, l’érotisme s’approche et le désir amoureux fourbit ses armes. Comment  façonner l’autre à notre image? Est-ce l’autre que nous chérissons? N’est-ce pas plutôt la relation (névrotique si possible) que nous cherchons?
C’est à ce moment précis que le groupe bascule dans une violence inouïe. Alors que nos connaissances sur la psychologie n’ont plus rien à avoir avec ce que savaient nos parents, nous semblons les utiliser pour «jeter» l’autre comme une marchandise. Le corps intime et le corps social se fondent peu à peu dans le consumérisme le plus abject où leur marchandisation côtoie le principe de précaution qui voit dans «l’autre» une possible menace. Radhouane El Meddeb dévoile ici son impuissance à se représenter une issue à cette violence née de nos solitudes contemporaines et de notre incapacité à repenser le collectif en dehors des dogmes qui l’ont jadis structuré. Car aujourd’hui, c’est bien  le corps jeté (les suicidés de France Telecom, le corps immolé en Tunisie et ailleurs) qui ouvre la voie à «notre» reconstruction.
Le corps est une bombe. Radhouane El Meddeb est un démineur en Fa Majeur.
Pascal Bély – Le Tadorne.
« Ce que nous sommes » par Radhouane El Meddeb le 25 février 2011 dans le cadre du festival « Les Hivernales».
Crédit photo: Agathe Poupeney.
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FESTIVAL D'AUTOMNE DE PARIS OEUVRES MAJEURES Vidéos

Avec Raimund Hoghe, notre descen…danse.

Nous voilà rassemblés. Quasiment pas un bruit dans la salle, même pas une toux qui étrangle, quand bien même “cela ne passerait pas”. Avec le chorégraphe allemand Raimund Hoghe, il règne toujours une atmosphère de recueillement, de concentration et d’introspection: sa mise en scène travaille nos lâcher-prises pour puiser dans nos souvenirs le mouvement fondateur à l’origine de notre lien à la danse. Il lui faut donc du temps, trois fois plus qu’à l’accoutumée. Ce soir, il nous gratifie de trois heures autour du chorégraphe  Dominique Bagouet. Mais pas que…

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Je n’ai pas connu Dominique Bagouet, disparu du sida en 1992. Je ne suis pas certain que Raimund Hoghe l’ait approché. Mais pour la création “Si je meurs laissez le balcon ouvert, il a travaillé dès 2009 à partir de vidéos mis à disposition par Montpellier Danse. Où est donc passé ce chorégraphe d’exception dans les programmations actuelles? Pourquoi la danse, à l’instar du théâtre, ne célèbre-t-elle pas ceux qui l’ont porté ? Cet art peut-il se régénérer s’il ne «nomme pas le vide, avant de le remplir» comme le souligne Raimund Hoghe ? La pièce de ce soir, n’est pas seulement une évocation de Dominique Bagouet: c’est aussi l’oeuvre de Hoghe dans les pas d’un autre. Une danse sur la danse. Pour mener à bien ce processus, il guide ses huit danseurs interprètes (tous exceptionnels) vers son cérémonial pour célébrer tout à la fois Dominique Bagouet, sa maladie et les artistes disparus du sida.

Cet enchevêtrement de niveaux de lecture provoque un émerveillement total quand le mouvement est découpé, avec précision seul ou à plusieurs pour magnifier la puissance de Bagouet.  Là où Hoghe pose la toile, ses danseurs sont des pinceaux voltigeurs qui font valser les couleurs jusqu’à parfois nous éclabousser de leurs présences scéniques. L’émotion vous prend à la gorge quand Marion Ballester et Takashi Ueno dansent le désir d’un amour fou et impossible. Emmanuel Eggermont est saisissant lorsqu’il incarne un danseur rock aux ailes fragiles ou quand il parcourt la scène avec son corps désarticulé d’homme en proie aux tourments de la quête du sens.

Mais il arrive parfois que je m’égare dans les rituels trop compassionnels (renforcée par une bande-son travaillée à cet effet) autour  du sida de Dominique Bagouet. Je repense à mes amis disparus alors qu’apparaît et s’efface le corps bossu de Raimund Hoghe ; la tristesse m’envahit quand il enfile une robe de nuit aperçue dans «Café Müller» de Pina Bausch (il a été son dramaturge). Tout se bouscule, je perds le fil et ressens une énorme fatigue:  Bagouet, Pina, Thierry et tous les autres…

Mais il y a Raimund Hoghe. Il y a quatre ans, j’ai croisé sa route au Festival Montpellier Danse. À chacune de nos rencontres, j’ai compris pourquoi la danse était tapie au fond de moi. Il est bossu, mon corps m’a longtemps fait souffrir lorsque j’étais enfant.  Il célèbre les morts du sida quand j’ai dû jeune adulte endurer le corps maculé de tâches de Kaposi de mes amis et entaché du regard des autres. Avec trois cailloux et deux oranges, Raimund Hoghe métamorphose une scène alors qu’enfant je me contentais de peu pour créer un monde plus accueillant. Ce soir, je sais que je remplis le vide, que je suis traversé par mes histoires de corps. Comment faire la part des choses entre Dominique Bagouet, eux, lui et moi ?

La danse tisse des liens, provoque des noeuds et m’emmêle. Raimund Hoghe tire mes ficelles pour m’emmener vers lui et me conduire vers vous.

Pascal Bély -Le Tadorne

« Si je meurs laissez le balcon ouvert » de Raimund Hoghe au Centre Georges Pompidou dans le cadre du Festival d'Automne de Paris du 8 au 11 décembre 2010.

Crédit Photo: Rosa Franck.

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LE GROUPE EN DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

La danse des partisans.

Étrange télescopage. Ce soir, sur la route qui me mène au théâtre de Nîmes pour la création d’Alain Buffard «Tout va bien», l’émission «du grain à moudre» sur France Culture disserte sur l’art contemporain autour du critique d’art François Chevallier. Dans son dernier livre,  «La société du mépris de soi : de l’Urinoir de Duchamp aux suicidés de France Télécom” l’auteur dénonce une époque sans appétit, ni énergie, un monde de soumission où règne partout le mépris de soi. L’art contemporain a sa part de responsabilité à travers la domination de Duchamp sur Picasso qui signe le triomphe du grand ricanement de l’artiste sur lui-même. Nous sommes donc durablement entrés dans une ère où la séduction du mortifère s’opère au détriment d’un art aux formes signifiantes et consolatrices. Le débat est vif et passionnant même quand le discours «jargonne». Mais je ressens l’enjeu. François Chevallier rappelle que le cirque est un «art qui console, régénère, donne de l’énergie». Et la danse ? Pas un mot. Étrange coïncidence, car “Tout va bien” évoque précisément les processus qui conduisent à  l’asservissement. Plusieurs pensées me percutent tout au long de la représentation : en chorégraphiant l’époque du mépris, la danse n’est-elle pas un art qui ricane au lieu de consoler ?

Alain Buffard et ses huit danseurs-acteurs-chanteurs décrivent avec talent le désastre : nous sommes durablement immergés dans un système répressif et totalitaire. Tout commence à l’éducation où le parent confisque le désir avant qu’il ne le soit par la société  du  spectacle où l’habit fera le moine (où le bon petit soldat, c’est selon). Tout affublés d’un chapeau déformé pour cerveau disponible, de costumes de premier communiant d’où se dévoilent leurs dessous chic et leurs  portes-jarretelles, ils mènent une guerre sans merci contre l’intelligence et le sensible. Le sexe, autrefois émancipateur, est ici soumis aux pressions du désir pornographique d’autant plus que le politique à la main au cul. Plaqués contre le mur, ils sont à la fois bourreaux et victimes. À force d’être acculés, nous enculons.
Les scènes sont crues, mais ne provoquent pas inutilement, car Alain Buffard est avant tout un chorégraphe : le langage du corps prend toujours le dessus. Le tableau où des chemises blanches volent comme des corps exécutés par le totalitarisme ambiant est superbe. Comment ne pas penser aux suicidés de France Telecom que l’on finit par enfouir, cacher, manipuler, pour masquer notre impuissance ? Nous les sacrifions pour notre petit confort moderne enseveli par la bêtise de cette société consumériste. Avec  Alain Buffard, le matérialisme hystérique est à son apogée jusqu’à empêcher tout esprit de révolte. Mais comment en sommes-nous arrivés là alors que les jeunes ne font plus leur service militaire (dégagés de l’apprentissage de la soumission et du maniement des armes)?  Le langage paradoxal (la double contrainte pour reprendre les théories de l’École de Palo Alto) est utilisé dans la sphère publique et privé : en proposant des alternatives illusoires («pour faire plaisir à ta maman, tu veux cette chemise rouge ou cette chemise rouge?»), il rend fou et amplifie les processus de domination. L’art n’est ici que «ricanement» qui anéantit le regard critique (le passage sur la chanson qui tue est troublant): Duchamp aurait-il définitivement gagné ? Alain Buffard peut-il alors nous offrir Picasso? Car, la réponse est là : retrouver le beau, la contemplation, le sensible pour remettre le sens, les sens, au centre de tout. Sans oublier de réparer, de consoler, comme l’avait fait l’Espagnole Angelica Liddell cet été au Festival d’Avignon, lors de scènes inoubliables.
Avec «Tout va bien», (slogan de la propagande gouvernementale), Alain Buffard nous propose un langage chorégraphique débarrassé de ses frasques conceptuelles. Il nous console lui aussi en convoquant l’imaginaire sensible et décapant de Pina Bausch,  en nous envoyant des «salves» à la manière de Maguy Marin, en appelant le fou et les travestis d’Alain Platel. Nous avons tout cela pour riposter. Nos huit guerriers peuvent alors avancer vers nous, chanter la fleur au fusil, déposer les armes.
La danse est plus que jamais politique.
Aux danses citoyens !
Pascal Bély – www.festivalier.net
« Tout va bien » d’Alain Buffard avec Lorenzo de Angelis, Raphaëlle Delaunay, Armelle Dousset, Jean-Claude Nelson, Olivier Normand, Tamar Shelef, Betty Tchomanga, Lise Vermot au Théâtre de Nîmes les 8 et 9 décembre 2010.
Crédit Photo : Marc Domage
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Mon cinéma avec Pina.

Le bonheur m’inonde lorsque je repense à ces quarante jeunes danseurs, d’horizons et de cultures si différents. Une danse à l’unisson qui a fait son chemin et ne les quittera plus. «Les rêves dansants», le très beau documentaire sur la création de «Kontakthof»,de Pina Bausch nous plongent au coeur de l’acte créatif et de la difficulté d’être quand on a quinze ans.

Travail douloureux que l’apprentissage du corps, le toucher, le sensible, le cru et le cuit. La danse de Pina Bausch leur offre cet espace avec son lot de questionnements. Rien n’est évident. Et pourtant, avec la vigueur et l’affirmation de soi, chacun trouve sa place dans ce groupe à diverses facettes. Cette belle image donnée à la jeunesse, que l’on dit sacrifiée, mais qui est ici volontaire, poursuivant un objectif commun (celui de la représentation), nous procure des ailes dans le dos.

La filiation, qui leur est donnée de porter (l’acte de danser des pas déjà interprétés par d’autres, notamment par des séniors), leur semble naturelle. Jo Ann Endicot et Bénédicte Billiet (collaboratrices de Pina Bausch) sont là, présentes, l’ouïe et le regard attentifs au moindre geste, à la moindre résistance du jeune corps. Les liens se tissent, une énergie se met en place, un but commun naît et l’implication personnelle de chacun, provoque l’engagement du groupe.
Cet acte dansant se joue de tous les beaux discours. Il replace le jeune, cet être hybride que nous avons du mal à cerner, au c?ur de la cité, tout en l’incluant dans la réflexion et se nourrit de lui.
Une écoute, faire confiance en, dialoguer, lier les êtres. Pina avait compris comment on met en mouvement une société à partir de sa jeunesse et de ses vieux…

…puis un festival de courts, j’y cours

Niché dans le village de Cabrières les Avignon, le festival “Court c’est court”, organisé par l’association Cinambule, offre au public une vision à 360 degrés du monde. Pas de misérabilisme, ni de complaisance, mais une mise en images toujours juste, parfois drôle et dérangeante. Petite sélection.

Une vie” d’Emmanuel Bellegarde est le plus percutant et le plus court (1min 47 secondes pour être précis). Efficace, nécessaire, il interroge notre rapport au marginal, celui que l’on ne voit plus. Marginalisé par qui, par quoi et pourquoi ? Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à  ne pas s’inclure, mais plutôt de s’exclure d’une société qui ne cesse de prôner la performance? Quelle est la valeur que l’on porte à l’être humain ? La valeur d’une vie ? Pas si sûr?

“The Marina experiment” de Marina Lutz est de loin le film le plus nauséeux qu’il m’ait été donné de voir. Marina expérimente une relation étrange avec son père. Tout au long de sa vie, celui-ci la photographie et l’enregistre. À sa mort, Marina retrouve les bobines et autres photos dans des cartons. D’un savant archivage, de recoupage en recoupage, elle explore sa relation au père  tel qu’il est et/ou tel qu’elle le voit. La suprématie masculine et une forme de lien incestueux colorent ce documentaire. «Lemon incest» résonne alors à mes oreilles. Marina Lutz nous dévoile un coin du canevas sans aller jusqu’au bout de son histoire. Elle dépose son fardeau à nos pieds et nous le fait porter.

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Between dream” d’Iris Olsson est le court le plus mystérieux, le plus onirique, mais totalement rafraîchissant. Imaginez-vous dans un train couchettes, quelque part entre la Russie et l’Estonie, en train de rêver et de dire ces rêves. La nuit est froide, le train peut accueillant et pourtant. Il se passe quelques minutes essentielles à toutes les vies, ces minutes suspendues où tous les possibles deviennent vrais, où toutes les barrières cèdent. Ces minutes partagées avec les occupants du train où je rêve aussi avec eux.

Je me vois danser «Kontakthof» avec les jeunes danseurs que j’avais quittés quelques jours plus tôt. Pour croire, encore.

Laurent Bourbousson -www.festivalier.net

« Les rêves dansants. Sur les pas de Pina », film documentaire d’Anne Linsel. Toujours à l’affiche
Festival Court c’est Court, organisé par l’association Cinambule, s’est déroulé du 18 au 21 novembre 2010, à Cabrières d”Avignon.

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Yan Raballand, chorégraphe hors de prix.

Comment va la danse ? Des journalistes se penchent régulièrement sur la question : entre Daniel Conrod de Télérama qui pense qu’elle peine à se renouveler et Philippe Noisette des Inrocks qui vante sa vitalité, rien n’est tranché. Toujours est-il que l’automne 2010, nous a offert deux manifestations pour évaluer la dynamique.  «Question de Danse» proposée par Michel Kelemenis à Marseille (des chorégraphes présentent un processus de création puis engagent un dialogue avec le public), nous a éclairés avec deux noms sortis du lot (la Portugaise Marlène Freitas et le français Thomas Lebrun ont bouleversés).

Trois semaines plus tard, le concours chorégraphique « (re) connaissance » piloté par la Maison de la Danse de Lyon, le CDC Pacifique de Grenoble et accueilli par le Toboggan à Décines, semble vouloir se positionner comme un événement incontournable pour dénicher les talents malgré un système de diffusion qui paraît traverser une crise très inquiétante. Au total, onze compagnies concourent avec trois prix : deux attribués par un jury de professionnels, un par le public. La danse est un langage qui parle à tous: après avoir délibéré chacun de leur côté, on aurait pu imaginer que spectateurs et professionnels échangent publiquement, en éclaireurs, pour se nourrir les uns des autres et décerner le «prix du partage». La sortie de crise nécessitera d’inventer des systèmes d’interactions qui empruntent des chemins de traverse…
Pour la première soirée (je n’ai pas pu assister à la deuxième), j’ai retenu une proposition. Je fais volontairement l’impasse sur la chorégraphe franco-suisse Perrine Valli, vue et appréciée à Questions de Danse, prochainement à l’affiche du Festival Faits d’Hiver à Paris : sa présence dans ce concours était-elle vraiment justifiée?
Saluons le très beau travail de Yan Raballand qui, avec «Viola», a réuni professionnels et spectateurs lors des applaudissements pour finalement remporter le prix du public (je vous invite à regarder la vidéo où ce jeune chorégraphe parle de son travail).

Quatre  interprètes très «habités»  (Evguénia Chtchelkova, Bérengère Fournier, Jean Camille Goimard, Aurélien Le Glaunec) sur une musique de Walter FähndrichViola II») entreprennent une danse collective d’où se dégage une grâce époustouflante. Je ressens une filiation avec Anne Teresa de Keersmaeker, dans cette façon de répéter un mouvement (souvent ample, gracieux  et circulaire à partir des bras) tout en bousculant notre perception : tout change, parce que rien ne change ! Les moments où les corps basculent comme des statues prêtes à tomber sont sublimes : le déséquilibre de chacun nourrit l’équilibre de tous. Lorsqu’ils s’immobilisent, ils créent le contraste avec le mouvement et le mettent en relief. Saisissant. Je reconnais l’influence du chorégraphe Michel Kelemenis dans ce désir d’entrer dans la musique à partir du mouvement pour amplifier les processus du collectif.
Avec leur petite taille, ces quatre danseurs composent une partition chorégraphique d’une telle légèreté (avec cette étrange impression que le corps pèse deux plumes) qu’elle envoie des vibrations vers la salle délestées d’un propos qu’il faudrait comprendre. Yan Raballand chorégraphie sa vision du lien (on devrait donner cette consigne à tous pour concourir !) et c’est splendide. Avec peu d’espaces, sans envolées lyriques, il réussit une danse qui créée du souffle (au sens propre, comme au figuré) où l’unisson n’est pas une forme, mais bien un processus qui vient traverser le spectateur. C’est élégant, raffiné, précieux. Cette exigence lui permet toutes les audaces. Elle nous guide vers  un futur où la danse touche, quitte à ne plus la comprendre.
Pascal Bély – www.festivalier.net
 
Concours “Re”connaissance à Decines (69) les 26 et 27 novembre 2010.
Premier prix du jury: Compagnie Etant Donné – Frédérike Unger et Jérôme Ferron.
Deuxième prix du jury: Ambra Senatore – Compagnie Ambra Senatore.
Prix du public: Compagnie
Contrepoint – Yan Raballand.
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Angelica Liddell, la rage en offrande d’amour.

Elle est là ce soir, après le festival d’Avignon. Je ne l’attendais pas aussi vite. Elle est là et une fois de plus elle est magnifique. Une fois encore elle «s’offre» pour parler la souffrance de l’une et de tous, ce soir encore elle me traverse le coeur et l’âme entre violence et douceur. «Te haré invencible con mi derrota» (“Je te rendrai invincible par ma défaite“), comme une cérémonie intime, dédiée à la violoncelliste Jacqueline Du Pré (décédée d’une sclérose en plaques en 1987), claque haut l’étendard de son être talent.
Seule sur scène, de blanc et de sang, elle nous invite au profond de la douleur pour interroger la vie, le conflit entre matière et esprit. Elle s’offre «Christique» pour nous faire toucher la sève de nos errances ignorances. De son «bric-à-brac» scénique, elle tire des images de poésie tragique belles comme des cantates abandonnées ; de son corps elle donne l’intérieur pour nous faire entendre l’oiseau qui se meurt sur la grève. Elle ose ce qu’on ne montre pas et ce qu’on ne dit pas pour nous faire voir le bruit violent de nos quotidiens englués dans les griffes de dictats meurtriers. Elle convoque les «hommes» pour leur nommer la fatuité et la bêtise que «d’oublier» ses fragiles. Elle crie la vie comme une guerre infâme dont nos yeux se repaissent, elle crie du plus loin de nos manques et de nos questions, elle s’incendie d’un «pourquoi ?» existentiel, elle libère les tortures de nos intimités les plus enfouies.

 

Dans ce dialogue entre vie et mort, ce n’est plus de citron qu’elle lave ses blessures, c’est le whisky qui cautérise l’extérieur comme l’intérieur. Les pétales de fleurs se font plaies, le sang coule pour irriguer les tissus, il laisse trace pour nous confronter au plus forts de nos interdits… Le pain est rompu après un jeu comme de « mort-pions » et le message qui s’y cache semble n’être qu’une farce de plus. Le feu dévore une main de cire, comme la maladie brûle celui qui souffre de se voir partir goutte à goutte. Elle se fait proue d’une armada de violoncelles pour haranguer la mort. Elle s’harnache de noir et « s’encapuche » pour dénoncer nos terrorismes guerriers via un tir de paintball comme « homme » en joue, en bande, dans les bois, pour se sentir vivant à travers des meurtres pour de faux.  Elle éjacule en couleur, fuck you ! fuck la mort ! Elle illustre nos démissions/soumissions et nos fatigues à coup de pop corn, avalé sous une couverture de survie,….

Elle, elle s’appelle Angelica Liddell, elle à la fureur de se donner pour nous faire entendre la triste comédie de notre tragédie humaine et dénoncer l’implacable violence de nos vies. Elle ne triche pas, elle fait de son corps un langage, son théâtre n’est pas d’artifices.
Pour finir, en s’éclipsant sans retour, elle nous murmure la mesure du don qu’elle vient de nous faire. Elle nous laisse alors seuls, pour traiter comme il se doit, les ombres lumières où elle nous à permis d’aller; elle nous a autorisés à voir ce qu’il en est pour elle de vivre, n’en exigeons pas plus. Retirons-nous, avec élégance, laissons-la maintenant aller en silence et laissons nous vivre nos émotions à l’endroit où nous pourrons le faire.
Alors…, je pense à Toi…, qui ne me m’entendras pas/plus?, je pense aussi à Baudelaire, à Rimbaud,  à Sarah Kane…
Et à l’heure de ces mots qui ne disent que peu…Je pense à vous Angelica…
Bernard Gaurier-www.festivalier.net
 
« Te haré invencible con mi derrota » de Angelica Liddell au Festival “Mettre en scène” du 4 au 6 novembre à Rennes
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Avant le Festival d’Avignon, Boris Charmatz prépare sa (ré)création.

Le danseur chorégraphe Boris Charmatz avait rêvé d’un spectacle qui n’en serait pas un, qui serait une sculpture, une pièce méditative. Pas d’heure de commencement à laquelle impérativement gagner son fauteuil, plutôt un «monstre», disponible au regard pendant une durée donnée. Une compagnie éphémère de 30 danseurs pour une forme inédite de «chorégraphie immobile». Le tout sous l’égide de Roland Barthes pour qui le neutre est vu comme le «désir de la levée des conflits».

Mais…, Jacques à dit : un…, deux…, trois…,  vingt quatre…, soleil…

C’est comme un grand jeu d’enfant pour nous dire seul et ensemble.
Comme un coloriage en 24 corps pour nous offrir un dessin vivant.
Comme un happening de créativités individuelles pour former un corps social.
Comme un idéal participatif où l’un plus les autres, en co-apprenant, constituent un tout et où, si l’un manque, le sens s’appauvrit.
Comme une utopie d’amour enfantine qui fait que l’on est prêt à aller jusqu’à l’épuisement pour être de la partie improvisée sur la cour…
Comme un « rêve » que l’on « oublie » en devenant « grand »…
Comme un peut être compatible avec deux et plus, sans combat, dans le projet d’une réalisation qui tient du désir à vouloir créer, co-créer, un espace collectif qui ne prend pleinement sens que dans l’addition.

Boris Charmatz et ses compagnons de jeu nous offrent, en ces temps de colère, une vision ouverte où se projeter dans un être ensemble créatif. On aimerait alors monter sur la scène pour participer au tableau hypnotique et caresser la confirmation que l’on est moins sans l’autre, et inversement.
S’il a créé, comme il le dit, un « trou de danse », ce serait pour y glisser nos imaginaires « utopistes » ; mais aussi pour y laisser entrer, par les courtes phrases que chacun amène, les univers de multiples chorégraphes habitant l’histoire individuelle des corps en mouvement. En ce sens, c’est autant  au Roland Barthes de «Fragments du discours amoureux» qu’à celui de «Le neutre» ou «Comment vivre ensemble» que le propos me renvoie .
Cette danse mouvante et fluide, ce kaléidoscope de grains de sable humains qui se resserrent et se déploient, se frottent ou s’éloignent, ouvrent en grand les fenêtres. Les grammaires qui composent nos liens à l’autre ( à côté, avec, contre, sans, qui), trouvent là un espace où se déployer.
Boris Charmatz n’a pas pu créer l’objet dont il avait rêvé, les danseurs, épuisés, ne pouvaient pas tenir les 4 heures imaginées et les contraintes à lever quant à la place du public n’ont pu être résolues. Qu’importe, il a réussi à écrire le beau songe d’une danse « méduse » partagée, il a ouvert un espace empli d’une vitalité salutaire.
Là où le sculpteur enlève de la matière pour faire apparaître l’oeuvre, il a, lui, ajouté de l’être pour faire advenir une belle création.
Bernard Gaurier – www.festivalier.net
« Levée des conflits » de Boris Charmatz au festival mettre en scène à Rennes du 4 au 6 novembre – Au théâtre de la ville à Paris du 26 au 28 novembre – A Bonlieu/scène nationale d’Annecy les 23 et 24 février 2011.
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Une Maison pour la Danse à Marseille ! Klap ! Klap !

C’est certain. À l’automne 2011, Marseille aura sa « Maison pour la danse ». Elle est déjà membre du réseau «European Dancehouse Network». Joli présage. Ce matin, sur la scène du Théâtre des Bernardines (dans le cadre de la 5ème édition de «Question de Danse»), ils sont huit (1) à s’engager pour ce projet. En première ligne, le chorégraphe Michel Kelemenis précise que ce ne sera pas la maison de sa compagnie, mais bien un espace d’accueil privilégié pour la danse.

Cet équipement de 1900 m2, au c?ur d’un quartier populaire de Marseille, sera un lieu de production et de création en lien avec l’action culturelle existante de la compagnie. En positionnant la Maison (joliment nommée Klap) comme un lieu de partage, de rencontre et d’élaboration commune avec les acteurs culturels de la ville, Michel Kelemenis pose un postulat : la danse a besoin d’un espace temps protégé, mais aussi d’ouvertures nourries par le dialogue entre tous les acteurs qui la croise. Klap ne sera donc pas une chapelle pour quelques esthétiques

Le plateau, animé par Philippe Fanjas (président de Kelemenis & cie) est à l’image de ces intentions : chacun est invité à faire part de sa représentation et de ses hésitations ! Maison «de» (en référence à celle de Lyon),  maison «pour», tandis qu’Alexandre Carelle de la Fondation BNP Paribas préfère «maison avec». Sûrement, les trois à la fois ! Ce sera un «outil à usage partagé» comme se plaît à préciser Cristiano Carpanini, directeur du festival DanseM ; «à nous d’en construire les ponts, mais pour cela, il faudra reconnaître l’endroit où chacun de nous a travaillé». La question de l’épaisseur des murs est donc indirectement posée. Le chorégraphe Christophe Haleb questionne : «comment allons-nous l’habiter tout en permettant sa porosité ? Entre la danse éphémère et le mur pérenne, quelle tension allons-nous créer pour accueillir l’étrange ?».

«Fabriquez ! , « cherchez !», «donnez du temps au temps de la création» semble répondre Michèle Luquet-Bonvallet qui rappelle que la Maison de la Danse de Lyon est un lieu de diffusion. Elle ressent déjà la complémentarité entre les deux établissements. Deuxième joli présage. Car faut-il le préciser, Klap ne sera pas à proprement parler un lieu de diffusion («même si la tentation sera grande de dériver vers la programmation» souligne Alain Fourneau, directeur du Théâtre des Bernardines) mais surtout un outil « à disposition des acteurs culturels » pour «creuser les complémentarités» et «amener plus de danse à Marseille» lui répond Michel Kelemenis. D’autant plus que Klap sera propulsé au niveau international dès son ouverture à la fois par le réseau européen des Maisons de la Danse et par Marseille Capitale 2013. Car «le local s’attrape par le global» souligne Christophe Haleb.

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Tandis que la chorégraphe Perrine Valli (de nationalité franco-suisse et originaire d’Aix en Provence) précise tout le chemin qu’elle a dû faire ce matin pour revenir dans sa région d’origine (faute d’équipements pour travailler ses créations), je fais un rêve : celui d’inviter des spectateurs actifs à créer un maillage autour de Klap afin que le processus de création chorégraphique se nourrisse de nos visées de danse. Pour qu’il ne soit plus nécessaire de courir après elle aux quatre coins de l’hexagone.
C’est une Question de Danse.

Une question démocratique.

Pascal Bély – Le Tadorne

(1) Michèle Luquet-Bonvallet, secrétaire générale de la Maison de la danse de Lyon, Christophe Haleb, chorégraphe,
Perrine Valli, chorégraphe lauréate du programme Modul Dance de l’EDN, European Dancehouse Network, sélection Question de danse 2010
Alexandre Carelle, responsable du pôle culture, Fondation BNP-Paribas,
Les partenaires de Question de danse :
Cristiano Carpanini, directeur du festival DanseM et Alain Fourneau, directeur du Théâtre des Bernardines.

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Flashmob contre la peine de mort: la vidéo pour la vie.

Le 10 octobre 2010 à Paris, le chorégraphe Philippe Lafeuille avec le collectif “Ensemble contre la peine de mort” organisait un flashmob sur le parvis du Centre Georges Pompidou. Un vidéaste “Matray” a filmé les répétitions de ce travail.

Le résultat est profondément touchant: il accompagne la chorégraphie percutante de Philippe Lafeuille par des mouvements de caméra qui amplifient le non-sens de la peine capitale encore pratiquée dans de nombreux pays. Ici une danse engagée, promue à partir de nos intelligences connectées, rencontre la vidéo. Ainsi, internet joue à fond son rôle de média horizontal: celui d’amplifier les processus créatifs. Nous n’en avons pas fini avec cette révolution  numérique qui réinvente les formes de l’engagement politique.

Pascal Bély – www.festivalier.net.