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AUTOUR DE MONTPELLIER OEUVRES MAJEURES PETITE ENFANCE THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE Vidéos

Cendrillon libérée.

Après “Le Petit Chaperon rouge” , “Pinocchio”, Joël Pommerat triomphe avec “Cendrillon“. Mérité. Les contes de notre enfance, nous croyons les connaître par cœur…Mais nous sommes peut-être sourds à leurs battements. Avec son équipe, l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat fait un travail d’horloger. Les contes, ils nous les éclatent pour les restructurer, et nous laisser à l’écoute d’une autre partition. Nous entendons une nouvelle musicalité qui quitte nos chansons douces, pour rejoindre notre intime, caché, là…Un homme vient ponctuer régulièrement la pièce, dans une expression en langage des signes. Finalement, ne sommes-nous pas tous un peu malentendants ?

Le plateau dépouillé s’oppose à l’image habituelle de la féerie des histoires de princesses. Nous partons de loin, très loin dans l’enfance. La comédienne principale est frêle, à la voix enfantine, comme dans les précédentes pièces de la compagnie. De l’enfant s’éveillera une force féminine, sortie de sa chrysalide à coup de reins.

Joël Pommerat va explorer la complexité de la communication ou comment une histoire peut se tisser à partir d’un malentendu . Combien de fois rencontrons-nous de telles situations similaires? En écho, j’entends : “Mais  je pensais que…, mais je t’ai dit que … et tu comprends?… Différemment.” Notre histoire, notre culture, notre état, nos préjugés, notre niveau d’intelligence, notre sensibilité peuvent nous donner une autre lecture. Il faut prendre le temps d’écouter. Prendre le temps de reformuler, de questionner. Prendre le temps…C’est devenu un luxe. Le brouhaha ambiant et le stress nous parasitent et nous voilà partis sur une mauvaise piste.
 

 Sur son lit de mort, Sandra aura interprété les paroles de sa mère et partira dans un imaginaire. Voilà comment elle a entendu ce qu’elle attendait. Elle va vivre ainsi, comme le lapin d’Alice au pays des merveilles, à contrôler le temps et tenter de maîtriser sa mémoire…

«Cendrillon» incarne cette lutte contre l’oubli pour se donner une image irréprochable, avec la culpabilité d’en faire toujours plus, jusqu’à se positionner en victime, de mériter de souffrir, de s’auto flageller. C’est ainsi que pendant toute une vie, un enfant peut porter des sentiments infondés et des poids, que seul le psychanalyste pourra révéler, si  la démarche est engagée.

Le système matriarcal y est central. Après la mort de sa mère, Sandra fait la connaissance de sa belle mère et de ses deux filles. Elle est baptisée…”Cendrier“. Ce trio donne une image du versant féminin cruel, égocentrique, jugeant et dénigrant. L’image du père offre une personnalité faible, dans ce milieu hostile au genre majoritaire. C’est un combat de coqs. Les femmes dans le pouvoir peuvent être terribles.

Sandra/ Cendrier/Cendrillon, malgré sa petitesse est frondeuse, curieuse et volontaire. Elle supporte tout: les quolibets, les taches multiples. Elle veut être vivante en existant dans le regard des autres. Elle est là, utile, servile. Mais ce n’est pas tout de se réaliser dans ses tâches. Encore faut-il exister pour soi, sous un regard extérieur confiant, qui développe l’épanouissement. Derrière la disparition de la mère, c’est aussi la quête de liberté qui émerge; de l’autorisation de se faire plaisir, d’être heureuse en autonomie et d’aimer un autre.Sa belle mère et ses filles existent, mais  dans leur miroir, au dessus des autres. Elles sont la caricature “des laides et des stupides». Ce qui leur manque tant, c’est la sensibilité.

Le public présent est extrêmement réceptif au texte. Des étudiants ont fait le voyage avec leurs professeurs. La fée, d’une modernité à tous crins dans ses propos et ses attitudes, provoque de nombreux rires. Ce sont de douces respirations dans ce cheminement de deuil où le prince est joué par une actrice. Il n’est pas grand, blond aux yeux bleus, mais petit avec un peu d’embonpoint. L’attirance lors de  sa rencontre avec Cendrillon s’opére grâce à une histoire commune: la perte  de la mère. Orphelins tous les deux, ils sont aussi libérés de ce poids matriarcal…

Le chemin est encore long à parcourir, mais la joie de la libération est là. Après l’amour d’une mère, qu’il est bon de se laisser aller au sentiment amoureux, tourné vers l’étranger et le monde.

Ne sommes-nous pas tous un peu Cendrillon?

Sylvie Lefrere – Le Tadorne

“Cendrillon” de Joël Pommerat:

  • Au théâtre des Salins de Martigues les 5 et 6 avril 2024.
  • Au théâtre de Serignan, la Cigalière; en partenariat avec Sortie Ouest de Béziers le 13 et 14 mars 2013.
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République en péril, artistes en danger. Artistes en péril, République en danger.

Le numéro publié aujourd’hui par Charlie Hebdo est poignant à plus d’un titre. Outre l’hommage aux disparus qu’il réaffirme, trois ans plus tard, la rédaction donne à lire un inquiétant appel à l’aide du fin fond de son bunker.

Cet appel se concentre sur l’enjeu financier – le cout exorbitant des dépenses de sécurité – mais ne s’y réduit pas pour autant : il questionne notre modèle politique, cette démocratie républicaine. Il y a quelque chose de l’ordre d’une demande d’assistance à artistes en danger, à République en péril.

Depuis 3 ans, la rédaction a manifestement trouvé les ressources pour se reconstruire. Le miracle a eu lieu, Charlie n’est pas mort, contrairement à l’affirmation d’un frère Kouachi.

Mais le numéro se lit comme une opération porte ouverte : “Venez donc visiter notre prison, envers du patrimoine national. Entrez dans notre enfermement, et comprenez bien qu’il n’est pas que spatial. Il est aussi temporel, affectif, intellectuel.” Cette opération à coeur ouvert doit mettre à nu le corps politique du temps présent. Ce n’est pas beau à voir. Défaillance de certaines institutions, comme l’Education Nationale. Le milieu culturel n’est même pas mentionné : ce non-dit vaut tous les discours.

On attend toujours, par exemple, que Monsieur Olivier Py, directeur du plus important festival de théâtre au monde, le Festival d’Avignon, se rappelle qu’il prend la suite lointaine d’un poète héros résistant, l’immense René Char, et que cet héritage symbolique l’oblige.

On attend que Maguy Marin rejoigne le combat de Charlie en portant sur scène haut et fort l’impérieuse nécessité de promouvoir la liberté d’expression. Sa dernière création « 2017 » était la danse de l’effondrement de l’humanité par la financiarisation de l’humain. Qu’elle ose « 2018 » pour réveiller les consciences sur les dangers que fait courir l’Islam politique à la création artistique.

On attend toujours, par exemple, qu’un collectif d’artistes affirme haut et fort que la laïcité est l’unique protection pour créer en toute liberté.

On attend toujours, par exemple, que les théâtres dits « nationaux » organisent des soirées « Je suis Charlie » avec toute la créativité dont ils font preuve d’habitude pour organiser des tables rondes sur l’avenir de la culture.

Charlie Hebdo s’adresse directement à nous, “citoyens”. Il nous est dit en substance : “Nous parlons encore, mais nous ne savons pas combien de temps nous allons pouvoir tenir. Nous sacrifions notre liberté pour la vôtre. Si notre porte se referme, vous vous perdrez.

Beaucoup souhaitent que cette porte se referme : les djihadistes, des intégristes, des intellectuels faussaires en carton, les artistes décolonisateurs des arts, des médias qui publient leurs tribunes trouées, ceux que ces sujets ennuient, comme, j’imagine, on s’ennuyait des discours des rescapés des camps.

Beaucoup aimeraient fermer la chambre mortuaire, comme si c’était aussi simple. Comme si une chaine ne reliait pas Merah, Charlie, le Bataclan, l’hypercasher, dans un même processus.

Enfermés dans leur bunker, sur-protégés d’officiers de sécurité, l’équipe de Charlie s’adresse à une société elle-même bunkerisée, par qui ? Par quoi ? On peut certes accuser l’état islamique, incriminer la politique sécuritaire menée depuis 2015. Comme si c’était si simple. Ce qui menace plus fondamentalement encore le projet républicain, c’est plutôt l’indifférence qui s’est installée à l’égard de ce qui vit la rédaction, quand ce ne sont pas les accusations colportées par quelque idéologue moustachu.

Entre le corps à nu et le bunker, et vu que l’un conduira irrémédiablement à l’autre, il nous reste à interroger le modèle républicain et notre engagement citoyen.

Alors, à l’orée de cette année 2018, Le Tadorne adresse ses voeux à l’équipe de Charlie en lui glissant ce billet dans la porte du bunker.

On a déjà donné” nous dit Riss dans sa “une”. Effectivement, à nous, citoyens, de vous donner.

À vous artistes de les protéger.

Sylvain Saint-Pierre / Pascal Bély / Tadornes

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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES Vidéos

Avignon 2017- “Les lispoètes” sauvent les planches.

Elle est sur scène, nous regarde, presque apeurée, alors que l’on cumule pas loin de vingt minutes de retard. Elle arpente le plateau avec ses gros cahiers à spirales. Elle s’arrête, nous fixe et reprend sa marche. Le public s’impatiente, elle cherche du regard à comprendre.

Nous apprenons très vite qu’elle ne dit pas, “la directrice du théâtre”, mais la “directrice de mon théâtre”. Nuance. Tentative: Olivier Py, directeur de Mon Festival d’Avignon. Il ne résisterait pas longtemps à cette nomination…

Elle est de noir vêtu, car sa discrétion est proportionnelle à l’indiscrétion des artistes! Elle est souffleuse dans un théâtre. Elle est une rescapée de la modernité, de la technique omniprésente, de l’acteur infaillible et tout-puissant. Elle murmure comme nous le faisions à l’école pour donner la solution magique à celui qui l’avait perdue. Elle recolle les morceaux d’une mémoire qui joue les troubles-fête parce que l’inconscient, le sentiment amoureux, finissent toujours par reprendre leurs droits. Elle est derrière chaque actrice, chaque acteur. Elle en a vu des nez de profil, des fesses et des coudes! Elle voit ce que nous ne verrons jamais. Voir de dos, comme une psychanalyste.

Ce soir, elle est là, face à nous, parce que Tiago Rodrigues l’a voulu. Elle a âprement négocié, amendé le scénario original afin qu’il ne soit pas un éloge de la nostalgie. Elle veut être moderne, de son temps, c’est-à-dire occuper le plateau par une présence. Elle va souffler aux acteurs le texte sur son propre rôle et faire confiance à Tiago Rodrigues pour la mettre en lumière en lui redonnant le rôle de sa vie: être la double absente. Elle arpente pendant plus de quatre-vingt-cinq minutes ce plateau fait de bois et de plantes: elle s’immisce dans le décor telle l’herbe résistante qui pousse dans le béton.

Tiago Rodrigues s’amuse à jongler avec ses théâtres à elle, va oser mettre en scène, mettre en corps, son métier de souffleuse. Pour cela, il ne se contente pas de réduire le souffle à donner la réplique quand le trou s’impose. Tiago Rodrigues nous invite dans ce trou où s’engouffre le souffle. Nous voici donc emporté dans un tourbillon de rôles et de textes où l’on ne sait plus qui souffle quoi et à qui, ni où situer la réalité par rapport à la fiction. Nous entrons peu à peu dans ce trou de mémoire où le vide invite toutes les images en même temps, où le complexe se substitue au linéaire pour ressentir le mouvement des mots et le sens du geste. En l’élargissant peu à peu, ce trou finit par me happer tant Tiago Rodrigues est un virtuose de la mise en scène: c’est notre mémoire théâtrale qu’il convoque, ce sont nos personnages de théâtre qu’il invite, c’est le spectateur dans les coulisses du quatrième mur qu’il fantasme. Il s’appuie sur un quintet de comédiens à la présence si délicate jusqu’à transformer notre souffleuse (Cristina Vidal) en marionnettiste de leur vie de théâtre.

Oui, “Sopro”, (souffle), est une oeuvre délicieuse, délicate. C’est une symphonie où les mots soufflés caressent notre mémoire.

Je l’imagine à mes côtés et me murmurer: “ne lâche pas, il n’y a rien à comprendre, perds ta mémoire, il n’y a que des souvenirs”…Il est presque minuit et me revient alors la seule photo de moi enfant où, lors du tournage d’un film, j’écoutais le souffle d’un coquillage. J’entendais ce que les autres ne pouvaient percevoir.

Ainsi naissait le spectateur.

Pascal Bély – Le Tadorne.

“Sopro” de Tiago Rodrigues au Festival d’Avignon du 7 au 16 juillet 2017.

 

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Avignon 2016 – Le grand refoulement.

Lundi 18 juillet 2016, 11h. Je file vers le Festival d’Avignon. Sur l’autoroute, les panneaux lumineux indiquent, « Liberté, Égalité, Fraternité ». Le service minimum de la communication d’entreprise pour une République réduite à un slogan. Arrivé sur le site « La région Midi-Pyrénées Languedoc Roussillon fait son cirque », un homme nous invite à 12h08 à faire une minute de silence en hommage aux assassinés de Nice. Des « professionnels de la profession » sont attablés. Ils ne se lèvent même pas. Service minimum.

Il est 14h30. Je suis à Vedène, pour la dernière création du metteur en scène polonais «Place des Héros» de Krystian Lupa. Il n’y a aucune protection policière aux abords du théâtre. Les agents d’accueil assurent un service minimum de sécurité. Dans le hall, je reconnais les journalistes de la presse institutionnalisée et de nombreux professionnels de la culture qui échangent sourires, tapes dans le dos et cartes de visite. J’observe et me questionne: comment s’interrogent-ils après l’attentat de Nice ? Que sont-ils prêts à oser, à lâcher, à transformer pour éviter le désastre ? Mais je n’entends que du refoulement : être au Festival d’Avignon, c’est ne penser qu’au Festival d’Avignon.

Il est 19h20. Le public ovationne les acteurs. Je quitte la salle. J’ai immédiatement une pensée pour Riss, le rédacteur en chef de Charlie Hebdo. Inlassablement depuis l’attentat de janvier 2015, il dessine, écrit, sur la menace islamiste, sur la montée des communautarismes, sur la faillite des partis politiques qui ne font plus de la laïcité, un projet rassembleur. Je pense à lui parce qu’il est seul. Il ne pourra pas compter sur les artistes pour l’accompagner. Dans ce festival qualifié par Olivier Py et la presse de «miroir du monde» où «l’enfer frappe», où «l’art contre la peur» «refuse de se taire face à la barbarie», je n’aurais pas entendu prononcer «menace islamiste», ni même Daesch. Par contre, j’ai subi un théâtre tout-puissant, des écrans vidéos omniprésents m’imposant 12 heures d’esthétisme prétentieux («2666» de Julien Gosselin), cinq heures interminables, dont un passage douteux sur les attentats du Bataclan avec Angelica Liddell (¿Qué haré yo con esta espada ? Que ferai-je, moi, de cette épée ?), deux heures hermétiques avec le Blitztheatregroup6 a.m. How to disappear completely»), deux heures trente autoritaires avec Anne-Cecile Vandelem (« Tristesses »). Que pouvais-je attendre de Krystian Lupa dans un tel contexte ? Qu’il s’empare de l’œuvre de Thomas Bernhard pour oser évoquer ce qui nous arrive. Peine perdue.

Rappel des faits. Le15 novembre1938, les Autrichiens acclament Hitler à Vienne sur la Place des Héros. Cinquante ans plus tard, Madame Schuster entend encore ces clameurs qui l’obligent à s’éloigner de Vienne. Après 10 ans d’exil forcé à Oxford, le professeur Schuster revient dans la capitale autrichienne. Mais les crises de sa femme ne se calment pas. Retour programmé à Oxford, mais quelques jours avant le départ, Joseph Schuster, juif viennois, se suicide en se jetant par la fenêtre qui donne sur la place des Héros.

La pièce en trois actes de Thomas Bernhard retrace la journée de son enterrement. Krystian Lupa nous oppresse peu à peu jusqu’à nous projeter dans la crise de la veuve. Cette oppression est d’autant plus forte que la scène est immense, le plafond est haut alors que les acteurs n’occupent jamais vraiment tout le plateau. Ils paraissent si petits et fragiles face à un public si imposant dans sa masse uniforme. Le premier acte s’étire en longueur : les deux femmes de ménage font…le ménage de leurs souvenirs, de ce qu’elles ont tant refoulé. C’est long, pesant, engourdissant, à l’image de la minutie avec laquelle Madame Zittel reproduit les gestes du professeur pour repasser impeccablement les chemises. Lupa plie et déplie le jeu des acteurs, soigne chaque déplacement. Je ressens le rapport de domination entre puissants et faibles. Sauf que Lupa s’ingénie à le renverser : la gouvernante gouverne…

Dans le deuxième acte, Krystian Lupa s’amuse encore et joue sur la résonance. Le frère du professeur suicidé fait un cours de sciences politiques à ses deux nièces. Des leçons entendues en longueur d’année sur les ondes où le cynisme se substitue aux approches transversales et pluridisciplinaires qui nous aideraient à comprendre la complexité des enjeux mondialisés. À chaque évocation du « Premier Ministre », le public rit en pensant à Manuel Valls. C’est un rire confortable qui ne vient rien bousculer. Alors que notre démocratie est menacée par Daesch, nous rions cyniquement…et regardons ailleurs. Lupa braque les projecteurs sur le public lorsqu’est évoqué l’antisémitisme des Européens.  Cette technique de culpabilisation a déjà été utilisée cette année dans « Les damnés », mise en scène par Ivo Van Hove. Elle est datée : avons-nous encore besoin d’être braqués pour nous sentir concernés ? Nous retrouvons ici la posture de bien des artistes et acteurs culturels qui tire les ficelles de la culpabilisation pour faire venir à lui le peuple…À cet instant, Krystian Lupa prend un sacré coup de vieux.

Le troisième acte voit la veuve réunir son beau monde pour le repas de début d’après-midi. L’enterrement vient de se dérouler. On parle de tout, de théâtre et de rien pendant que la clameur de la rue monte jusqu’à faire exploser les vitres du salon. Nous sommes au cœur de la crise de la veuve. Nous ne verrions donc pas le danger venir : l’extrême droite est là. Sauf que…nous le savons depuis 30 ans.

Le public peut bien se lever, ovationner la troupe, mais j’ose espérer que les spectateurs ne sont pas dupes : le danger est ailleurs. L’élite culturelle se lève, mais c’est elle qu’elle applaudit : Lupa vient conforter leur stratégie de diabolisation de l’extrême droite. Est-ce donc ça, le théâtre engagé voulu par Olivier Py pour cette 70ème édition du Festival ?

Le théâtre engagé en 2016 serait de penser et d’animer « La Place des Héros » à Avignon. Krystian Lupa ne l’imagine même pas. Il n’est d’ailleurs pas le seul parmi les artistes programmés cette année. À Avignon, se joue une société coupée en deux : intérieur et extérieur des remparts, public d’habitués et habitants des quartiers populaires laissés à la marge (qui se souci de la menace extrémiste qui pèse sur le quartier de la Reine-Jeanne à part un journaliste de Paris Match ?). Nous manquons d’une place commune pour créer du commun. Cette place serait l’intermédiaire entre la Cour d’Honneur et le quartier populaire de Monclar, là où les journalistes du Bondy Blog décrivent le désarroi d’une population abandonnée par le Festival. Sur cette place se jouerait un théâtre audacieux qui célébrerait les musulmans républicains qui font face au salafisme, les acteurs sociaux qui créent du lien avec l’art, les artistes engagés qui pratiquent l’art participatif. Cette place ferait entendre la clameur de tous les intermédiaires qui, jour après jour, tentent de relier à la République ce qui peut encore l’être.

Mais il n’y pas pas de place pour ces intermédiaires au Festival d’Avignon, ni dans la politique culturelle de la Présidence Hollande. J’ai encore le souvenir de ce que nous avions fait pour le OFF d’Avignon en 2014, où nous avions osé créer cette Place, sous un chapiteau, en invitant des spectateurs éloignés du Festival à vivre un parcours atypique se terminant par une création participative avec le chorégraphe Philippe Lafeuille. Cette place a été brutalement effacée par Emmanuel Serrafini, à l’époque directeur des Hivernales d’Avignon (écarté en janvier dernier pour malversations financières) et prétendant à la Présidence du OFF.

Cette place serait ce prototype que nous avions élaboré pour Marie-José Malis, Directrice du Théâtre National d’Aubervilliers. Proposition restée sans réponse.

Ce soir, je quitte Avignon. Je rêve à cette Place des Héros où Marianne la Républicaine accueillerait la Reine-Jeanne laïque. Une scène, pas loin, où l’on viendrait voir les comédiens.

Pascal Bély avec Sylvain Saint-Pierre – Le Tadorne.

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Le théâtre contemporain à Marseille, ma double peine.

Comment retrouver l’énergie pour revenir vers les artistes? Je suis resté longtemps sidéré par la série d’attentats qui a touché la France et l’absence de vision du personnel politique. Le pacte laïc qui nous unissait s’émiette progressivement au profit d’une approche clientéliste où le « fait religieux » est une grille de lecture omniprésente pour penser l’avenir de notre société. Peu à peu, la gauche dite « radicale » entre en conflit direct avec la laïcité pour se refaire une « virginité » et poser le voile sur ses trahisons et son incapacité à renouer avec les aspirations du peuple. Le milieu artistique et culturel est depuis longtemps le bras armé et idéologique de cette gauche-là: il suffit d’écouter les discours « politiques » de ses dirigeants et les positions dogmatiques de son syndicat, de lire la presse « spécialisée » qui préfère le dogme au détriment d’une pensée en mouvement. À cela s’ajoute des politiques culturelles confisquées au profit d’un public souvent blanc, âgé, quand ce n’est pas exclusivement au profit de professionnels de la profession qui parcourent les festivals de création, où chacun juge le travail du confrère avant d’être lui-même en position d’évalué. L’entre soi, la communauté, impose ainsi les codes du bon jugement esthétique jusqu’à hiérarchiser les hommages quand un artiste disparaît (relire à ce sujet le texte particulièrement juste de Philippe Caubère aux obsèques de Michel Galabru)

C’est dans ce contexte que je décidais, il y a dix jours, de reprogrammer des sorties théâtrales à Marseille, ville qui fut capitale européenne de la culture en 2013. J’ai vu sept spectacles, croisé trois chorégraphes, trois performeurs et un metteur en scène. Au final, les artistes semblent impuissants face à ce qu’il nous arrive, comme traversés par les préoccupations d’un « moi je » tout puissant célébré par les réseaux sociaux et les mouvements politiques identitaires.

Quand le chorégraphe Mickaël Phelippeau propose deux solos à deux adolescents, il ne trouve rien de mieux que de les cliver. D’un côté, Ethan est joliment célébré dans des mouvements amples et sportifs, invité à chanter Breton comme lorsqu’il était petit. De l’autre, Anastasia est métis. Peu de danse, elle est souvent plaquée au sol, enfermée dans les rites de la religion musulmane, quand elle n’est pas invitée à jouer l’autoritarisme d’une mère toute puissante. Mickaël Phelippeau reproduit ce que la société française peine à rassembler.

L’adolescence toujours avec « Le pas de Bême », mise en scène par Adrien Béat. Quand un élève ne rend qu’une copie blanche aux devoirs sur table, c’est tout un système qui vacille. Cela aurait pu être palpitant, mais le jeu des acteurs tombe très vite dans une mise en scène finalement très scolaire, laissant peu de place à une approche globale préférant multiplier les points de vue sans jamais réussir à les relier…Le théâtre ne fait pas mieux que l’institution !

Comment la performeuse Sanja Mitrovic  a-t-elle pu avoir l’idée de nous proposer un jeu aussi puéril et vain ? Nous voici chacun doté d’une télécommande où nous votons pour l’un ou l’autre des acteurs suivant le discours qui trouve grâce à nos yeux, sans que l’on en connaisse les auteurs (démocrates ou dictateurs). Ainsi, notre singularité de spectateur est au service d’un dispositif où le contexte des discours est remplacé par le charisme et le jeu de l’artiste, ici tout puissant. J’ai quitté les lieux au bout de quarante minutes. Ici, le théâtre disqualifie la politique et le public pour se donner le beau rôle en utilisant les outils de la société du spectacle, ceux-là mêmes qui abiment la pensée. Sidérant. Cela illustre comment certains artistes et dirigeants culturels se positionnent à l’égard du peuple : en position haute.

À ce titre, l’intervention de la performeuse Phia Ménard à l’issue du spectacle « P.P.P » en est une parfaite illustration (voir la vidéo). Cette manière de détenir la vérité, de poser une parole en hauteur devrait nous interroger: qu’avons-nous fait pour que l’on nous parle ainsi? Cette prise de position s’exprime en dehors de l’œuvre elle-même, telle une métaphore d’un art qui peine à inclure un propos politique global. Dans « P.P.P », nous suivons la métamorphose de Phia Ménard, elle qui a choisi d’être une femme alors qu’il était un homme. La glace est omniprésente, matière de la transformation, du gel social, de l’inattendu, des glissades subies et improvisées. Mais c’est un jeu théâtral qui peine à me toucher. Phia Menard occupe le terrain de la démonstration d’un processus singulier là où j’attendais un art qui entre en résonance avec ma féminité, mon masculin. Il y a quelques mois, sur cette même scène de la Criée, Angelica Lidell métamorphosait son corps d’où émergeait un art de la performance capable de faire dialoguer la douleur intime avec la douleur du monde…Unique en son genre…

Cela aurait pu être le propos de la chorégraphe grecque Lenio Kaklea. Dans « Margin release », deux femmes osent un dialogue entre leurs corps et une œuvre d’art contemporain, métaphore d’une recherche autour de l’altérité. C’est long, hermétique, jusqu’à l’arrivée d’un monsieur Loyal qui nous informe que notre ressenti est tout à fait légitime. Ici, la distance entre les artistes et le public est totalement assumée jusqu’à cette dernière scène où des anonymes montent sur scène pour s’essayer à l’exercice du dessin à partir du corps…Non, décidément, Angélica Liddell est unique en son genre.

Lui, est unique. Arnaud Saury et sa compagnie « Mathieu Ma Fille Foundation » pouvaient me surprendre avec « En dépit de la distance qui nous sépare ». Ce titre n’est pas sans évoquer mon positionnement actuel à l’égard du théâtre. Trois acteurs m’invitent à entrer dans leur univers, où la rationalité est minoritaire, où le mystique, le religieux, la folie sont les langages d’un inconscient, conscientisé sous nos yeux. Bien vu par les temps qui courent ! C’est souvent drôle, parfaitement incarné. J’aurais pu faire des liens avec ce qui nous sépare parce que cela nous arrive…Mais l’alchimie ne fonctionne pas. Comme si Arnaud Saury rajoutait de la distance à la distance en nous égarant entre le burlesque et un extrait de littérature obscur. J’ai connu des performances plus généreuses pour relier l’esthétique et le sens…

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Quand arrivent les cinq danseuses pour « Touch Down », chorégraphie de Maud Blandel, je n’attends à du déjà vu. « Et si le chef d’œuvre de Stravinsky avait quelque chose de commun avec une pom pom girl ? », nous annonce la feuille de salle. Pari réussi malgré quelques maladresses dans les mouvements. Ici, la performance rend le propos intelligible et accessible parce que Maud Blandel fait rencontre ce rite populaire avec l’histoire de l’art. Ici, la frontière entre les sachants et les non-sachants de la danse contemporaine s’estompe parce qu’ici l’art est universel : ces jeunes filles au sourire figé nourrissent les rites des jeux du stade, métaphore de nos sociétés où les langages du corps se standardisent au profit de la communication des organisations pyramidales. Ici, Maud Blandel ose affronter ce rite populaire, non pour le disqualifier, mais pour lui donner sa grandeur d’âme. Un travail de la distance salutaire que bon nombre d’artistes et de dirigeants devraient s’inspirer pour ne pas totalement me, nous perdre.

Pascal Bély – Le Tadorne.

Dans le cadre du festival Parallèle à Marseille :

  • « Touche Down » de Maud Blandel et « Le pas de bême » d’Adrien Béal le 30 janvier 2016 au Théâtre du Merlan.
  • « Speak ! » de Sanja Mitrovic au Théâtre du Gymnase le 27 janvier 2016.
  • « Margin Release » de Lenio Kaklea au Théâtre des Bernardines, le 27 janvier 2016.
  • « En dépit de la distance qui nous sépare » d’Arnaud Saury au Théâtre Joliette-Minoterie le 28 janvier 2016.
  • « Pour Ethan + avec Anastasia » de Mickaël Phelippeau au Théâtre du Merlan.

« P.P.P » de Phia Ménard au Théâtre de la Criée le 26 janvier 2016.

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D’Avignon et d’Ailleurs…

Trois mois après la fin du festival d’Avignon, nous inaugurons une série d’articles sur les résonances du théâtre avec des contextes troublés. Jérôme Marusinski évoque une oeuvre théâtrale qui raconte autrement le conflit entre Israël et la Palestine….

Alors qu’en 1997 Edouard Glissant forge le concept de « Chaos-monde » comme étant « le choc actuel de tant de cultures qui s’embrasent, se repoussent, disparaissent, subsistent pourtant, s’endorment », il appelle de ses vœux «tous les peuples de Caraïbes à se réunir d’un seul corps pour tenter quelque grand ouvrage». Ce « grand ouvrage », Ido Shaked et Lauren Houda Hussein, fondateurs de théâtre Majâz l’ont réalisé au théâtre non pas dans l’archipel caribéen mais à partir de l’histoire d’Israël et de la Palestine à travers leur première création collective « Les Optimistes » qui a vu le jour au Théâtre du Soleil avant d’être reprise à deux occasions au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis.

Le propos du spectacle n’est pas de se pencher sur la situation actuelle d’Israël, mais plutôt de revisiter l’histoire passée de cet Etat au moment de sa création en 1948 et de l’expulsion massive des Arabes palestiniens. Pourtant cette plongée dans le passé reste ancrée dans le présent sur lequel commence l’histoire du spectacle « Les Optimistes ». Ce présent est celui d’une conférence sur la poésie palestinienne à Paris au cours de laquelle Taha Radwan se met à lire les premiers vers d’un de ses poèmes qui appelle à la haine et au combat. Mais la lecture est très vite mise en suspens pour laisser place à une fable qui va réinventer le passé. A ce moment, le spectacle semble convoquer les propos formulés par Mahmoud Darwich dans son poème en prose La Chronique de la tristesse ordinaire « Ecrivons ensemble une pièce de théâtre ? Une maison convoitée par plusieurs personnes. Tel serait le nœud de la pièce. »

Effectivement, le point de départ des « Optimistes » est celui d’une maison, située à Jaffa, qu’un jeune européen prénommé Samuel destine à la vente à la suite de la mort de son grand-père. Il y vient pour la première fois et il se trouve confronté à un empilement de cartons chargés de souvenirs qu’il se met à ouvrir aussitôt. Il découvre alors le passé de son aïeul, Beno, un juif polonais rescapé des camps de la mort venu construire le rêve sioniste à Jaffa où il hérite d’une maison sans savoir que les anciens propriétaires en ont été chassés. L’une des forces du spectacle est alors de faire se superposer les temporalités et de nous donner à voir simultanément les découvertes de Samuel et celles de son grand-père. Arrive alors miraculeusement une lettre écrite en arabe dans laquelle une famille de palestiniens réfugiés au Liban après la création d’Israël formule au nouveau propriétaire de la maison cette requête bouleversante : « Si vous pouvez nous envoyer dans une boîte un peu de notre brise au parfum d’orange si délicat ! […] L’enthousiasme est grand, nos yeux et nos cœurs ont faim. »

Le spectacle glisse alors dans le domaine du conte puisque Beno qui comprend qu’il se trouve dans la situation de reproduire ce qu’il a subi en Europe, à savoir la persécution et le déracinement, ne choisit pas de révéler la vérité ; au contraire il la réécrit, l’arrange et l’enjolive pour le plus grand bonheur de tous ! Toute une communauté (palestiniens, juifs, prêtre orthodoxe) baptisée « Les Optimistes » s’unit autour de ce projet de composer des lettres ressuscitant Jaffa et de les faire parvenir aux réfugiés palestiniens qui attendent le retour dans leur patrie. Les différences au sein de ce groupe des Optimistes qu’elles soient d’ordre culturel, religieux ou social se trouvent alors balayées. L’engagement de ces individus est tellement fort que la correspondance va très vite se transformer en journal clandestin qui circulera dans les camps de réfugiés palestiniens afin de soutenir leur moral. Cette réécriture de l’Histoire offre une vision pleine de tendresse et d’émotion sur le vivre ensemble. Même si la réalité finit par rattraper les personnages, leur entreprise aura au moins montré la possibilité d’un dialogue entre les cultures, la capacité de pouvoir construire un projet ensemble et surtout « en ces jours de ténèbres (…) aura rempli cette mission : apporter aux vaisseaux qui errent dans le noir la lueur obstinée d’un phare » comme le déclaraient les derniers mots des « Naufragés du Fol Espoir » d’Ariane Mnouchkine.

On ne peut qu’être ému lorsque Samuel parvient à faire revivre à distance via Skype le passé de sa grand-mère Malka dont elle a fait table rase et lorsqu’il comprend les raisons pour lesquelles elle a quitté son mari. Mais le spectacle regorge aussi de personnages pittoresques et haut en couleurs que ce soit le promoteur immobilier chargé d’assurer la mise en vente de la maison de Beno, le réparateur de la machine à imprimer en proie à la paranoïa ou encore un prêtre orthodoxe loufoque et cinéphile, nommé Boutros, qui se laisse aisément persuader par de simples gestes dans une salle de cinéma de participer héroïquement à l’aventure de faire circuler les lettres dans les camps palestiniens.

Mais derrière cette fable le spectacle célèbre aussi le geste artistique des personnages à plusieurs niveaux : Samuel qui mène une quête sur ses origines se jette à corps perdu dans l’Histoire et la fait revivre comme un artiste. Le groupe des Optimistes apparaît aussi comme des créateurs qui ont fait le choix de l’imaginaire de l’écriture et du cinéma comme réponse à la souffrance et au chaos et qui n’hésitent à le reconnaître : « Nous n’avons pas de langue, pas de religion, pas de couleur. Nous sommes le peuple des lettres, des photos, des films. Nous, nous portons nos maisons sur le dos. » Il n’est donc pas surprenant d’entendre dans le spectacle le même comédien parler l’arabe et l’hébreu lorsqu’il incarne le présentateur d’une radio arabe qui diffuse les lettres des palestiniens en quête de leur famille et le présentateur d’une radio israélienne qui participe à la recherche des survivants de l’Holocauste. L’apothéose du spectacle a lieu quand le prêtre orthodoxe Boutros se met à chanter l’Internationale en arabe ! L’histoire racontée au cours de ce spectacle pourrait être envisagée comme une métaphore (tel est le sens du nom Majâz) du travail de la compagnie où l’union sacrée est à l’oeuvre au sein de cette troupe qui réunit français, israélien, palestiniens, libanais, iranien, espagnol, marocain. Cet esprit de troupe où se mélangent les cultures s’inscrit pleinement dans la lignée du travail accompli par Ariane Mnouchkine.

Même si la fiction est inventée de toute pièce dans « Les Optimistes » elle s’appuie sur une véritable enquête menée par Ido Shaked et Lauren Houda Hussein qui se poursuivra dans leur prochaine création à travers les archives du procès d’« Eichmann à Jérusalem » dont le projet a été présenté au Théâtre de la Parenthèse à Avignon le 19 juillet à l’occasion du midi de la belle scène Saint-Denis. Le Théâtre Majâz envisage alors un autre pan de l’Histoire, celui de la libération de la parole en Israël au moment du procès de l’administrateur du génocide des Juifs : il s’agira non pas de se livrer à une reconstitution historique du procès mais de s’interroger sur l’identité du bourreau et sur la représentation du procès non seulement parce qu’il a été filmé mais aussi parce qu’il a eu lieu dans une salle de théâtre, La Maison du Peuple, transformée pour l’occasion en tribunal.

Ce spectacle prolongera ainsi le travail de la compagnie sur la vérité de l’histoire et sur la possibilité de parler de théâtre derrière la réalité !

Jérôme MARUSINSKI – Tadorne

« Les Optimistes » les 13 et 14 octobre 2015 au Théâtre Firmin Gémier / La Piscine à Châtenay-Malabry, les 16 et 17 octobre 2015 au Théâtre Jean Arp à Clamart, les 17 et 18 novembre 2015 au Théâtre Les Treize Arches à Brive-la-Gaillarde, le 24 novembre au Théâtre du Vésinet
« Eichmann à Jérusalem » du 9 mars au 1er avril 2016 au Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis
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Avignon OFF 2015- Avec « Love and money », le OFF n’est pas qu’un marché.

Ils sont attablés. De rouge et de blanc. La fête semble finie, mais nous sentons que ça va saigner.

Il s’avance. Droit, déterminé. David et Jess sont mariés pour le meilleur et surtout pour les pires des situations. Dès la première scène, David évoque un échange de mails avec sa maîtresse. Calmement, surement. Par mails, tout passe, même l’horreur la plus indescriptible quand il évoque les circonstances de la mort de sa femme. Le ton est donné. Nous rions de nos façons de communiquer. Mais le rire est jaune.

Rouge, blanc, jaune.

À ce rythme-là, le théâtre ne prend pas de gant, pour élaborer la peinture de notre modernité.

Love & Money” de Denis Kelly mis en scène par Illia Delaigle de la compagnie Kalisto, nous propose une représentation d’un système complexe où l’intime, le jeu amoureux, se trouvent happés par des logiques économiques. Elles échappent aux protagonistes et provoquent l’éclatement du couple, du récit, au profit d’un renversement des valeurs dont seul le capitalisme financier tire profit.

Nous sommes après 2006, crise des Subprimes, aux ravages tant systémiques qu’invisibles. Nous sentons confusément que les appuis se perdent, que les points de repère disparaissent, que les tables sont renversées. Nous sommes comme ces personnages sur scène, même s’ils semblent nous devancer dans le temps : face aux points limites, ils en reviennent aux questions fondamentales que la société de consommation veut faire oublier. Quel sens trouver au travail ? Aux relations humaines ?

La crise a fait basculer la société : la consommation est désormais liée intrinsèquement à la dette. Cette charge, devenue insoutenable, fait vaciller les édifices humanistes qui semblaient les plus solidement ancrés. David, cet enseignant passionné de pédagogie, se trouve dans l’obligation de prendre un deuxième travail, dans une banque, embauché par son ex-petite amie. Comment ne pas songer à la Grèce ou à la précarité désormais implantée en France ? Qu’est-ce qui se joue de la responsabilité individuelle dans ce naufrage collectif ? Tous les personnages sont traversés par le culte de l’argent roi et du matérialisme, sentant bien confusément que cet idéal ne peut constituer le seul horizon existentiel. Dans ce monde moderne, une nouvelle forme d’aliénation se donne à voir : c’est une course tragique et dérisoire pour échapper à l’horizon de l’endettement, endettement auquel nous avons nous-mêmes consenti pour nous fondre dans le culte des objets.

Pour donner à voir cela, tout le talent de la mise en scène repose sur un mélange de simplicité et de sophistication dans la relation avec le public. Dans leurs corps, leurs expressions, les comédiens nous ressemblent : nous faisons cause commune avec eux, même lorsqu’ils manifestent de la cruauté. Cet espace psychique s’articule à l’espace scénique : une table de mariage devient pierre tombale, hôpital psychiatrique. La musique portée par un guitariste présent sur scène colmate les blessures infligées par le monde moderne.

La pièce est un chemin de croix vers l’empathie alors même que la narration est bouleversée : la fin est au commencement et inversement. Tel un fleuve en crue, le final emporte avec lui nos émotions paradoxales pour les conduire vers un paysage aérien, débarrassé de nos dettes aliénantes.

Le caractère implacable du capitalisme est alors contrebalancé par un humanisme que seul le théâtre peut sauver.

Sylvain Saint-Pierre – Pascal Bély- Tadornes.

"Love & Money" de Denis Kelly mis en scène par Illia Delaigle est à la Manufacture d'Avignon jusqu'au 25 juillet à 16h40.
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Avignon 2015- Eszter Salamon et la tribalisation des esprits.

Il est rare que la lecture d’une feuille de salle interpelle. Celle du spectacle d’Eszter Salamon « Monument 0 »  est passionnante : « Adoptant une approche historique et archéologique, la chorégraphe et ses six interprètes se sont approprié des dizaines de danses populaires et tribales issues des cinq continents. Ces danses ont en commun une spécificité : toutes ont été ou sont pratiquées dans des régions marquées par des guerres et des conflits fortement liés à l’histoire de l’occident. Ces danses guerrières réinvesties nourrissent un scénario surréel où émanent des silhouettes, des états de corps et des rituels qui, par leur vitalité fantomatique, se dressent contre l’amnésie ».

Le projet parait passionnant. Déroutant. Questionnant. Rarement, je me suis ressenti dans une telle disponibilité pour accueillir un projet chorégraphique aussi complexe. C’est la première ce soir à la Cour du Lycée Saint-Joseph. Les « professionnels de la profession » sont présents. Comme à leur habitude, ils font régner une atmosphère pesante. Leur arrivée dans les gradins fait penser à une danse tribale, avant les luttes guerrières qui se trameront probablement en coulisse après le spectacle ! Ils sont là pour observer leur possible prochaine proie. À ce moment précis, je ne sais pas encore que cet étrange ressenti va s’avérer pertinent…

La scène est noire, tout comme l’ensemble du décor. Je n’ai pas le souvenir d’une telle atmosphère dans ce lieu. Les premiers tableaux se succèdent, lentement mais sûrement. Eszter Salomon avance doucement ses interprètes pour nous étonner et nous surprendre. Elle veut inclure ces danses dans l’histoire de nos imaginaires, mais aussi peut-être dans celle de ceux qui la produisent et la promeuvent! Solos, duos, quatuor, quintet, sextuor proposent des danses tribales et explorent ce que le corps peut dire de la guerre (avant, pendant ou après) tout en conjurant la mort. Très rapidement, je suis troublé de découvrir ces mouvements amples et lourds, d’entendre une musique et des chants qui viennent des profondeurs de l’âme et du corps. Comment la danse occidentale les a-t-elle à un moment donné ou un autre rencontré ? J’observe comme le visiteur d’un musée dédié aux arts primitifs, mais je peine à m’impliquer. Il manque à ce travail respectable une intensité dramaturgique comme si Eszter Salamon évitait de s’engager dans une articulation entre son propos artistique et ces états de corps patiemment récoltés. Car suffit-il de faire tomber les masques pour voir deux danseurs en short et Tshirt se fondre dans les tableaux? Ils s’incluent dans le mouvement mais ne révèlent rien. Là où le chorégraphe Philippe Lafeuille avec « Tutu » évoque cet objet mythique pour le mettre en relief et révéler notre histoire singulière et collective de la danse, Eszter Salamon ne peut que nous inviter à nous fondre dans son propos. Il y a pourtant un moment où tout aurait pu basculer  lorsque six danseurs masqués s’avancent et l’on pourrait penser à « May B » de Maguy Marin. Mon histoire de danse révèle celle proposée par Eszter Salamon. Magique….

Une fois le spectacle terminé, un metteur en scène, directeur d’un Centre Dramatique National, poste sur Facebook un message pour ameuter sa tribu et au-delà (si l’on en juge le nombre de like et de partage) sur l’agression antisémite dont il a été victime.

« Hier, Avignon. Réunion des directeurs de Centres Dramatiques Nationaux. Quand a été abordé la question cruciale de la diversité sur les plateaux de France et aux postes de directions des théâtres, deux directeurs ventripotents ont gloussé une blague : “bientôt ils nous demanderont des quotas de pauvres aux postes de directeurs”. Vieille garde qui ne rend pas les armes… Je n’ai pas hurlé.

Cet après-midi devant le logement que j’occupe à Avignon, je croise deux gars, l’un d’eux m’interpelle : ça pue, ça pue non ? Il fixe mon étoile de David autour du cou. Moi : non ça va je ne sens rien. Si si ça pue dans ce quartier. Il fixe mon étoile de David. Tu habites là, non ? Moi, toujours combatif, je n’ai pas été capable de dire quoi que ce soit, je suis rentré chez moi et je me suis couché.

Ils étaient d’origine arabe. Je me dis que chaque jour, la France que l’on m’a donnée et celle qu’on leur a laissée s’éloigne un peu plus l’une de l’autre.

Ce soir je vais voir un spectacle de danse dans le in. Sur scène, des danseurs noirs. Ils sont représentés dans une violente caricature : danses tribales, costumes vaudou, mouvements traditionnels, ritualisés, polyphonies, respirations sonores qui accompagnent des mouvements percussifs au sol et des bonds, gestuelle hyper sexualisée pour faire rire. Amimalité gerbante : voilà la représentation des noirs sur les plateaux de France : un fantasme d’africanité ancestrale qui n’a plus rien à voir avec la réalité contemporaine des pays du continent africain. La chorégraphe évidemment n’est pas noire. Je suis resté jusqu’au bout, sans applaudir, abasourdi.

Maintenant, chez moi, je relis mon édito pour la brochure de saison 2 du CDN. Je me relis : “La Culture et l’éducation restent les meilleurs vecteurs des valeurs démocratiques, et par là même, elles nous donnent la force et les outils pour ne pas trembler, pour ne pas avoir peur devant l’horreur et l’injustice. Et pour n’abandonner personne.”

Aujourd’hui, j’ai eu peur, j’ai tremblé, je me suis couché, je n’ai pas hurlé, je n’ai pas été fort ».

Il évoque pêle-mêle la possibilité d’une  guerre tribale entre personnes « d’origine arabe »et juifs (précisons qu’arabe ne constitue pas une origine à moins de projeter une identité factice), une bataille fratricide entre jeunes directeurs de lieux cultuels et la vieille garde, et de manière implicite, un prétendu racisme de la part d’Eszter Salamon. Il nous propose une danse funèbre où l’on accumule les ressentis sans les mettre en perspective, sans les dépasser pour les transcender au profit d’une pensée reliante et éclairante. Les réseaux sociaux jouent donc un rôle de multiplication d’affects où l’on se cache derrière les masques, où se rediffuse à l’infini le message d’une agression antimésmite tout en communiquant sur le racisme implicite de la pièce d’Eszter Salamon. Tout se vaut, la confusion s’installe, la pulsion triomphe sur Facebook et dans la rue. Pourtant, même si le projet n’est pas abouti, Eszter Salamon essaye d’inscrire cette pulsion dans un cadre esthétique. Qu’importe ! La tribalisation des esprits est en marche.

Ainsi, ce directeur projette ses propres pulsions sur le travail d’Eszter Salamon qui se trouve ainsi, prise en otage dans un conflit qu’elle a pourtant tenté de dénouer et de résoudre.

Les artistes qui aujourd’hui s’aventureraient sur le terrain de l’histoire coloniale prennent donc le risque de voir se reproduire ces amalgames et ces manipulations de l’esprit.

Parvenus à ce point, il nous devient particulièrement difficile de discerner ce qu’on entend somme toute par le terme de « civilisé », sans pourtant nous laisser influencer par les exigences définies de l’un ou de l’autre idéal. Peut-être recourra-t-on d’abord à l’explication suivante : l’élément culturel serait donné par la première tentative de réglementation de ces rapports sociaux. Si pareille tentative faisait défaut, ceux-ci seraient alors soumis à l’arbitraire individuel, autrement dit à l’individu physiquement le plus fort qui les réglerait dans le sens de son propre intérêt et de ses pulsions ins- tinctives. Et rien ne serait changé si ce plus fort trouvait plus fort que lui. La vie en commun ne devient possible que lorsqu’une pluralité parvient à former un groupe- ment plus puissant que ne l’est lui-même chacun de ses membres, et à maintenir une forte cohésion en face de tout individu pris en particulier“. Freud, « Malaise dans la civilisation », 1929)

Pascal Bély – Le Tadorne.

"Monument 0" d'Eszter Salamon a été joué au Festival d'Avignon 2015.
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AUTOUR DE MONTPELLIER FESTIVAL MONTPELLIER DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

Avignon 2015- Madame rêve…

Et si Avignon m’était conté ? Je n’y suis pas cette année…mais…

Madame rêve… De merveilleux…d’énergie qui entrainerait tout sur son passage pour que nos sens soient excités au plus haut point.

Madame rêve…Dans un premier cycle du sommeil, celle de la phase d’endormissement où ma conscience reste en veille, je rencontrerais Phia Menard et sa dernière création «Belle d’hier». Une pièce où d’un bloc, sorte de lingot Factory de Warhol, recouvert de matière brillante, émerge un laboratoire glacial. On y extrait des fantômes pétrifiés, comme dans la légende où des moines avaient été transformés en pierre pour avoir osé regarder des femmes.

Ces christs encapuchonnés se délitent tout comme les valeurs religieuses de nos jours. Les dogmes s’écroulent et la révolte gronde. Un grand nettoyage s’opère, pour laver toute cette saleté qui nous envahit. Cela nécessite des efforts. Les tissus sont foulés aussi énergiquement que les raisins lors des vendanges. Nous avons à extraire un nouveau jus, plus vif, plus savoureux, sans rester derrière un rideau qui occulte la réalité. La volonté engagée pousse jusqu’à la folie, car tout renouveau fait basculer dans l’inconnu. Un bruit assourdissant nous envahit et vient à bout de ma fatigue.

Madame rêve…J’entame une sieste plus profonde dans cet été torride. J’entre dans un sommeil réparateur. Avignon, ville de festival international, pourrait nous entrainer vers la création belge. « En avant marche ! » d’Alain Platel et de Frank Van Laecke m’accueille.

Un ange noir y déploie ses ailes cymbales. Les vibrations cinglantes sortent de ces disques dorés. De cet éclat exulte ses maux. Ses cordes vocales sont anesthésiées d’avoir trop longtemps usé ses mots d’amour, et de luttes. La maladie a tétanisé son organe, son souffle lui manque, son trombone, porte voix est au repos, réduit au silence.

Il s’économise en nous délivrant ses langues multiples. Il a le timbre d’ un parrain, patriarche qui détient le pouvoir, le savoir, mais il n’est pas celui qui écrase son entourage. Il est libre et aimant. Son corps est à l’image du poids de ses émotions, de ses expériences vécues. De façon régulière, il a besoin de se ressourcer en s’allongeant pour puiser une part de rêve dans un sommeil de bébé, où il serre contre lui son instrument objet transitionnel, « Ours à vent ou à percussion » suivant ses humeurs.

Il soulève son corps massif et évolue joyeusement autour des autres musiciens. Artistes, facteur, fleuriste et ingénieur se retrouvent tous à la même enseigne. La puissance d’un collectif pluriel. Les femmes sont des majorettes, au corps débordant de séduction et de dextérité. L’une boit les paroles de celui qu’elle aime, l’autre plus volage, préfère être l’objet du désir d’un des jeunes acrobates. On s’aime profondément, ou pour le plaisir. Il a besoin de lâcher prise. Pour cela son corps s’accorde à celui d’un jeune athlète aux accents slaves. Leur danse est celle de l’Europe, entre Français, Flamands, Wallons, Anglais. Tous ils se croisent, entrelacées de phrases cultes de chansons » Putain, putain, nous sommes tous des Européens ». Cette fanfare à l’élégance surannée dans ses martingales, habits de représentation, est gainée comme des soldats de plomb.

Ils apparaissent et disparaissent dans le décor. Nous sommes bien loin de la Cour du Palais des Papes, et pourtant un sentiment de déjà vu. Un vaisseau de rouille à l’oeil nu, qui quand on se rapproche, est un tulle tendu de couleur rousse. Ce qui nous apparaît comme imposant et usé n’est finalement qu’une fine matière transparente. D’où la nécessité de prendre le temps de regarder et de découvrir, et de ne pas se laisser aveugler et impressionner.

Nous sommes accueillis par un roi qui relie toutes ces femmes libres dans leur corps, et ses hommes dans tous leurs états artistiques. Leurs rythmes, leurs chants, leurs langues sont universels et nous accompagnent dans cette énergie collective jusqu’à la fin. Des sursauts nous font tressaillir et révèlent l’esthétique de l’homme où qu’il soit.

Madame rêve…Je continue ma nuit Avignonaise dans un sommeil paradoxal, agité, celui des rêves…

Maguy Marin nous y attend. Avec “BIT“, elle nous entraine dans une farandole, digne de celle de Zorba le Grec. Petite espagnole, elle part de ses origines pour nous interpeller. Elle cherche à mettre en jeu le lien populaire, celui dont nous sommes tous pétris. Mais des pentes nous cernent. Perspectives ou descentes ? Les ascensions sont difficiles, les descentes ludiques. Après l’allégresse, elle met une ombre au tableau. Méfiance…Tout peut si vite basculer dans l’horreur. Le monstrueux apparaît. Celui qu’on ne supsconnait pas quelques minutes auparavant.

La parité est représentée, mais la gente féminine se fait encore «  niquer ». Faibles femmes impuissantes, elles réduiront pourtant leurs agresseurs en vulgaires cloportes qui jouent aux combats de coqs.

Un déferlement de souffrances se repend. La religion se couvre aussi de capuchons pour voiler ses exactions. Ils sont sans visage, tantôt bourreaux, tantôt observateurs voyeurs.

Mais la vie continue avec ses hauts et ses bas. Les fils se déroulent des quenouilles, se tendent, sans jamais se rompre. La musique nous percute jusqu’à soulever nos diaphragmes en rythme. Nous retrouvons la sensation de respirer dans un second souffle. Notre corps prend le pouvoir sans le savoir, en « Bit ».

Le « Py »(re) est passé, et on peut retrouver à nouveau la joie de vivre, en cherchant encore et toujours à se relier et à créer des moments de grâce. Pour cela les prises de risque sont nécessaires. Osons sauter dans le vide ! Et après ?…Le réveil sonne.

Nous sommes à Avignon. Ce n’était qu’un rêve. Pas de Platel, pas de Phia, Pas de Maguy…

Kristian Lupa a ouvert la danse sur le pont d’Avignon, alors tentons de continuer d’avancer dans ce festival tout en sachant qu’au bout le pont est coupé et que la fête va bientôt finir.

Sylvie Lefrère – Tadorne

Phia Ménard, "Belle d'hier" au Festival Montpellier Danse les 26 et 27 juin 2015.
Alain Plater et Frank Van Laecke au Printemps des Comédiens de Montpellier les 22 et 23 juin 2015.
Maguy Marin, "Bit" à Montpellier Danse les 7 et 8 juillet 2015.
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Figure-toi Maguy Marin, figurez-vous…mon métier est un art.

C’est un pari: puis-je m’accorder du temps pour aller à la rencontre des artistes alors que l’environnement professionnel m’attire vers d’autres tâches? Je suis consultant auprès du secteur public et associatif et j’introduis l’art comme vecteur de décloisonnement et de pensée complexe pour des projets globaux interactifs et vivants. C’est un autre pari: tandis que les organisations développent des process qui décentralisent la question de l’humain, il est urgent de réintroduire des processus de communication pour penser autrement à partir d’articulations dynamiques. La sortie de crise est dans ce travail, mais qui nous le dit? Comment puis-je nourrir ma pensée de consultant-spectateur pour dévoiler dans les organisations, des paysages où les chemins créatifs des professionnels en quête de sens croisent ceux de l’art?

En ce mois de décembre, je pars donc à la rencontre de cinq artistes: les chorégraphes Maguy Marin, La Ribot, Radhouane El Meddeb; la metteuse en scène Angelica Liddell et l’inclassable Roméo Castellucci. Cinq artistes différents, mais liés par mon seul désir d’en découdre: à la bêtise systémique ambiante, j’ai besoin de poser l’art sur le terrain de la complexité, de l’invisible à  l’oeil nu, de l’instabilité source de questionnements. Je veux fuir le certain, le lisible, le prévisible. Ils sont tous les cinq incasables, déjouent les frontières, occupent le plateau comme un espace intrapsychique où la relation entre le spectateur et l’artiste est en soi le propos.

Premier épisode d’une série d’articles à venir.

Tout commence ce vendredi soir avec Maguy Marin. Dans mon cheminement de spectateur, elle occupe un place centrale. Dans “Singspiele”, elle nous propose une rencontre avec l’acteur, metteur en scène, scénariste et réalisateur David Mambouch. Un artiste total pour créer un lien global! Nous n’apercevons sa tête que lors de courtes pauses où l’homme se désaltère, apparemment épuisé par ce long cheminement le long de ce mur gris blanc, juste transpercé de porte-manteaux, sur cette étroite scène, où son corps hésite entre précipice et dévoilement de l’âme.

David Mambouch ne dit rien. Son visage est masqué  par une série d’autres visages photographiés (connus ou inconnus) qui, telles des feuilles blanches noircies par l’artiste au travail, finissent une à une à terre. Entre temps, il accompagne chaque visage d’un geste, d’un habit, d’une posture. Je scrute  ses moindres mouvements et j’écoute. La danse s’écoute. Presque par effraction, elle force l’écoute. Je nous écoute. Me voici à nouveau consultant-spectateur…Cette galerie de portraits  est une exposition itinérante où chaque visage évoque, par le corps de l’acteur, le lien que nous entretenons avec la Figure. Peu à peu se dessine ce qui fait culture commune, ce qui signe nos différences culturelles, ce qui fait de nous des êtres de communication (le corps ne peut mentir). L’artiste fait lien entre l’Autre et moi jusqu’à déjouer les codes du genre: au-delà du masculin et du féminin, que dit l’âme? Ici, l’identité n’est pas un statut: elle se joue dans l’interaction avec l’Autre et c’est à l’artiste que revient le rôle de passeur, de développeur d’empathie. Lui ne voit rien, car c’est nous qui voyons! Le regard, c’est nous. Le miroir, c’est lui. Le dernier visage est un choc. J’y vois le cri de Munch. Un cri identitaire. Que sommes-nous devenus à force d’individualisme forcené? Où sont les visages…et les figures?

singspiele-3

Des visages, des figures
 / Dévisagent, défigurent
 / Des figurants à effacer
 / Des faces A, des faces B
 / Appâts feutrés
 / Attrait des formes
 / Déforment, altèrent
 / Malentendu entre les tours / 
Et c’est le feu
” Bertrand Cantat – Noir Désir- Album “Des Visages des Figures” (2001).

Pascal Bély – Le Tadorne 

Maguy Marin –  “Singspiele” – Marseille Objectif Danse le 13 décembre 2014.