Disons le tout net : les Subsistances ne nous ont pas menti. C’est une oeuvre physique pour les comédiens et les spectateurs. Jouée dans une verrière ouverte aux quatre vents, nous sommes sortis frigorifié de ces trois heures de grand spectacle. À la différence de « Warm » où le public transpirait à grosses gouttes! David Bobée souffle donc le chaud et le froid et sait jouer avec les contrastes. Dans « Hamlet », la langue de Shakespeare oscille en permanence entre une syntaxe contemporaine et ancienne. Même les costumes font le grand écart : entre la longue robe de la mère d’Hamlet (Gertrude) et le jean’s moulant du fils, nos pensées érotiques peuvent divaguer!
Pour signifier que le pouvoir prend l’eau au Royaume du Danemark, la scène est inondée après avoir été asséchée par de magnifiques effets vidéo autour de l’apparition du spectre. Comment ne pas penser aux oeillets de Pina Bausch dans “Nilken” à voir ces acteurs jouer avec autant de grâce sur ce plateau liquide?
Il y a ce décor stupéfiant fait de briques noires pour créer l’antichambre mortuaire du pouvoir, où l’on extrait des morts des tiroirs (caisse ?).
Il y a bien sûr Pierre Cartonnet, sa rage au ventre et au corps. Il inonde (sic) la pièce de sa beauté et de sa fougue.
Il y a cette troupe métissée où deux beaux acteurs de la Compagnie de l’Oiseau Mouche repérés dans « Gilles », nous offrent un moment théâtral sublime, une mise en abyme empruntée à l’imaginaire de Pippo Delbono.
Il y a Abigail Green qui, dans le rôle d’Ophélie, illumine la scène sombre par des éclats de voix à la Bjork.
Il y a Pascal Collin, magistral Polonius, conseiller du royaume. Chacun reconnaîtra en lui les « conseillers du Prince » actuels, pétris de cynisme et de certitudes.
Cet “Hamlet-là” a donc de la tenue et intégre certains processus des oeuvres précédentes de David Bobée. Il a l’insolence de «nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue», un certain regard porté sur la folie du couple de «Canibales», les tensions érotiques entre les hommes de «Warm». Tout est bien pesé pour éviter les foudres des garants de l’orthodoxie (si, si, ils existent), et effrayer par un propos politique trop subversif. La mise en scène est suffisamment poétique pour que chacun y puise du sensible. Oui, cet Hamlet-là est de son temps dans les formes convoquées.
On aurait cependant aimé plus d’audaces dans la conduite des acteurs comme si David Bobée appuyait plus sur l’effet du jeu que sur le jeu lui-même. On aurait apprécié qu’il évoque les ressorts de la folie d’un système plutôt que d’accentuer sur la déraison des individus. Si bien qu’il est parfois difficile d’approcher la vision contemporaine d’Hamlet par David Bobée et Pascal Collin. Les rires sarcastiques du fossoyeur et les morts qu’on empilent ne suffisent pas à faire un propos politique global même si l’on ne peut s’empêcher de penser à « lui » et « eux ».
Serions-nous parfois trop distraits là où l’on aurait aimé être interpellé ? N’y a-t-il pas un registre émotionnel trop appuyé qui nous évite de tisser des liens entre l’oeuvre et l’époque ? Pourquoi une telle intensité physique de la part des acteurs qui fait parfois obstacle à une lecture du « corps politique » ?
David Bobée est incontestablement une étoile montante qu’il me plait d’observer dans le ciel parfois obscur du théâtre Français. Prêtons-lui cette phrase d’Hamlet pour lui donner rendez-vous : «le théâtre sera l’instrument avec lequel je piegerais la conscience du roi»
Pascal Bély – www.festivalier.net
“Hamlet” par le Groupe Rictus, Compagnie David Bobée, aux Subsistances à Lyon du 23 septembre au 2 octobre 2010.