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AUTOUR DE MONTPELLIER OEUVRES MAJEURES PETITE ENFANCE THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE Vidéos

Cendrillon libérée.

Après “Le Petit Chaperon rouge” , “Pinocchio”, Joël Pommerat triomphe avec “Cendrillon“. Mérité. Les contes de notre enfance, nous croyons les connaître par cœur…Mais nous sommes peut-être sourds à leurs battements. Avec son équipe, l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat fait un travail d’horloger. Les contes, ils nous les éclatent pour les restructurer, et nous laisser à l’écoute d’une autre partition. Nous entendons une nouvelle musicalité qui quitte nos chansons douces, pour rejoindre notre intime, caché, là…Un homme vient ponctuer régulièrement la pièce, dans une expression en langage des signes. Finalement, ne sommes-nous pas tous un peu malentendants ?

Le plateau dépouillé s’oppose à l’image habituelle de la féerie des histoires de princesses. Nous partons de loin, très loin dans l’enfance. La comédienne principale est frêle, à la voix enfantine, comme dans les précédentes pièces de la compagnie. De l’enfant s’éveillera une force féminine, sortie de sa chrysalide à coup de reins.

Joël Pommerat va explorer la complexité de la communication ou comment une histoire peut se tisser à partir d’un malentendu . Combien de fois rencontrons-nous de telles situations similaires? En écho, j’entends : “Mais  je pensais que…, mais je t’ai dit que … et tu comprends?… Différemment.” Notre histoire, notre culture, notre état, nos préjugés, notre niveau d’intelligence, notre sensibilité peuvent nous donner une autre lecture. Il faut prendre le temps d’écouter. Prendre le temps de reformuler, de questionner. Prendre le temps…C’est devenu un luxe. Le brouhaha ambiant et le stress nous parasitent et nous voilà partis sur une mauvaise piste.
 

 Sur son lit de mort, Sandra aura interprété les paroles de sa mère et partira dans un imaginaire. Voilà comment elle a entendu ce qu’elle attendait. Elle va vivre ainsi, comme le lapin d’Alice au pays des merveilles, à contrôler le temps et tenter de maîtriser sa mémoire…

«Cendrillon» incarne cette lutte contre l’oubli pour se donner une image irréprochable, avec la culpabilité d’en faire toujours plus, jusqu’à se positionner en victime, de mériter de souffrir, de s’auto flageller. C’est ainsi que pendant toute une vie, un enfant peut porter des sentiments infondés et des poids, que seul le psychanalyste pourra révéler, si  la démarche est engagée.

Le système matriarcal y est central. Après la mort de sa mère, Sandra fait la connaissance de sa belle mère et de ses deux filles. Elle est baptisée…”Cendrier“. Ce trio donne une image du versant féminin cruel, égocentrique, jugeant et dénigrant. L’image du père offre une personnalité faible, dans ce milieu hostile au genre majoritaire. C’est un combat de coqs. Les femmes dans le pouvoir peuvent être terribles.

Sandra/ Cendrier/Cendrillon, malgré sa petitesse est frondeuse, curieuse et volontaire. Elle supporte tout: les quolibets, les taches multiples. Elle veut être vivante en existant dans le regard des autres. Elle est là, utile, servile. Mais ce n’est pas tout de se réaliser dans ses tâches. Encore faut-il exister pour soi, sous un regard extérieur confiant, qui développe l’épanouissement. Derrière la disparition de la mère, c’est aussi la quête de liberté qui émerge; de l’autorisation de se faire plaisir, d’être heureuse en autonomie et d’aimer un autre.Sa belle mère et ses filles existent, mais  dans leur miroir, au dessus des autres. Elles sont la caricature “des laides et des stupides». Ce qui leur manque tant, c’est la sensibilité.

Le public présent est extrêmement réceptif au texte. Des étudiants ont fait le voyage avec leurs professeurs. La fée, d’une modernité à tous crins dans ses propos et ses attitudes, provoque de nombreux rires. Ce sont de douces respirations dans ce cheminement de deuil où le prince est joué par une actrice. Il n’est pas grand, blond aux yeux bleus, mais petit avec un peu d’embonpoint. L’attirance lors de  sa rencontre avec Cendrillon s’opére grâce à une histoire commune: la perte  de la mère. Orphelins tous les deux, ils sont aussi libérés de ce poids matriarcal…

Le chemin est encore long à parcourir, mais la joie de la libération est là. Après l’amour d’une mère, qu’il est bon de se laisser aller au sentiment amoureux, tourné vers l’étranger et le monde.

Ne sommes-nous pas tous un peu Cendrillon?

Sylvie Lefrere – Le Tadorne

“Cendrillon” de Joël Pommerat:

  • Au théâtre des Salins de Martigues les 5 et 6 avril 2024.
  • Au théâtre de Serignan, la Cigalière; en partenariat avec Sortie Ouest de Béziers le 13 et 14 mars 2013.
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AUTOUR DE MONTPELLIER OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

Est-ce bien nécessaire d’aller au Festival d’Avignon?

Depuis un certain temps, l’écriture ne vient plus. Certes, je continue à voir des oeuvres, mais tout glisse. Cela n’imprègne plus. Parce que les imprégnants ont peut-être rendu leur tablier immaculé de sueur et de sang pour des habits plus présentables fabriqués par des programmateurs soucieux de bienséance.

Que se joue-t-il aujourd’hui dans nos théâtres?

Christoph Martaler est annoncé au Printemps des Comédiens à Montpellier. Ce metteur en scène Suisse-Allemand fait partie de ma scène intérieure depuis tant d’années…au temps lointain où le Festival d’Avignon osait déplacer le public vers un chaos à la fois intime et politique. À plusieurs reprises, il a déplacé mes objets perdus et métamorphosé ma quête d’émancipation.

Sentiments connus, visages mêlés” est sa dernière création, jouée à la Volksbühne, ce théâtre berlinois dirigé par Frank Kastorf (autre déménageur que j’irai voir au Festival d’Avignon). Mais la direction va changer. Chris Dercon, ex-patron de la Tate Modern de Londres (musée d’art contemporain) en sera le prochain dirigeant. Autant dire un autre monde , un « Nouveau Monde en marche », mais vers où?

J’y suis. Face à moi, un décor immense, haut et profond, métaphore d’un théâtre qui ose explorer ce que l’art bouscule du sol au plafond. Ce soir, cette œuvre est celle d’un homme de théâtre conscient que son art est dans l’absolu le langage de l’inconscient.

Ils sont donc treize, femmes et hommes, âgés et sans âges. Je ne sais plus. Là, n’est plus la Question. Ils sont nos personnages tout à la fois obsessionnels, décalés, malades et fous, tristement joyeux et joyeusement tristes. D’où viennent-ils donc avec leurs apparats de lumières, leurs habits de vieux, leurs démarches droites et courbaturées? Un homme en habit de technicien les sort un par un des coulisses. Il ne peut s’empêcher de transformer ses gestes techniques en mouvements dansés pour jouer avec les films d’emballage et la mécanique du chariot. Lui, c’est peut-être nous, masses populaires qui ne pensent peut-être qu’à çà : danser coute que coute pour ne pas être perdu…

Empaqueté comme des colis, enfermés dans des boîtes de Pandore, notre homme dévoile un par un nos personnages. Nous rions de les (de nous) voir ainsi. Ils ne disent pas grand-chose, tout juste esquissent-ils des pas de danse, de toutes les danses. Tout juste chantent-ils des airs connus et inconnus, nos chants intérieurs, nos vacarmes en sourdine et nos rengaines communes. Le moindre espace est dédié au théâtre. Coute que coute ! Il faut les voir faire œuvre de danse contemporaine sur un chariot comme si seul comptait l’espace mental pour se mouvoir! Il faut les voir se glisser sous un piano, fuir et revenir par une fenêtre comme si le théâtre, l’art, était notre seule échappatoire. Les grandes portes s’ouvrent et se ferment à mesure de leur entrée et de leur sortie : jamais je n’ai ressenti avec autant de force la coulisse comme notre trésor caché, celui de l’enfance perdue à jamais. Marthaler ouvre nos enfances et convoque tous nos personnages. Ils sont faits d’art et de corps. De corps et d’âme. L’art a une âme quand le silence creuse en nous ce qu’il faut d’espace pour que cela résonne. Mon corps en tremblerait presque, mon corps se lèverait presque pour pousser la chanson, celle que chantait une mère imaginaire pour calmer l’angoisse causée par le monde nouveau.

Je me glisserais bien dans le décor, jouer le 14ème personnage et, face au mur, refaire ma galerie de portraits, en murmurant « ma petite cantate » de Barbara.

Mais je m’égare. Je divague. Ils sont toujours là, face à moi. Il ne reste plus grand-chose de leur grand orchestre d’antan. Chacun, avec un bout d’instrument, tente de jouer une symphonie : et si c’était l’hymne européen mis en sourdine ? Ils sont là, m’accompagnent à prendre cet ascenseur dont il faut faire d’abord péter les plombs pour qu’il vous monte vers un paradis perdu réduit à un premier étage. L’ascenseur, rare objet de notre moderne solitude, n’ouvre que sur le vide : est-ce donc là la visée de nos politiques culturelles ?

Mais il faut y croire. Continuer à y croire, poursuivre notre quête, convoquer un ventilateur, se prendre pour Marylin et ressentir le souffle du théâtre sur le corps, le souffle de l’esprit critique sur la pensée.

Ils ne leur restent plus qu’à nous remercier, qu’à éteindre la lumière, et nous faire confiance : nous emportons ces « sentiments connus, ces visages mêlés » pour les reconvoquer quand le théâtre s’effacera au profit d’ «installations» sans âme, de vidéos sans profondeur de champ, de jeux sans acteur.

Pascal Bély – Le Tadorne

Sentiments connus, visages mêlés” de Christoph Marthaler au Printemps des Comédiens de Montpellier le 1er juillet 2017.

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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES LE THEATRE BELGE! THEATRE MODERNE

(Dé)monter à  Bruxelles.

Départ pour le KunstenfestivaldesArts de Bruxelles. Depuis 2004, ce festival ouvre la longue saison où ma relation à l’art se confronte aux multiples facettes de mon contexte. Dans l’avion, j’ouvre la revue Cassandre dans laquelle la philosophe Marie-José Mondzain donne une interview passionnante à Coline Merlo. La révolution à venir n’aura plus rien à voir avec les barricades d’antan. Elle file la métaphore pour signifier « les saxifrages », « plantes minuscules…dont la particularité est de naître et de se développer dans les fissures des pierres et par leur imperceptible insistance à imposer aux matières les plus compactes et les plus résistantes l’ordre fracturant de leur présence…». Elle m’embarque dans sa vision lorsqu’elle évoque la Saxifraga Politica, « saxifrages en colères, mais ni tristes, ni découragées. Le mot « possible » n’appartient pas pour elles au vocabulaire démagogique de la promesse, mais il est habité par l’énergie active et présente de tous ceux qui ne sont pas encore morts…la Saifraga Politicia est la seule espèce qui, sans faire du bruit,  arrivera cependant irrésistiblement à se faire voir et entendre ». Après 9 ans de travail, je ressens ce blog comme une saxifrage qui cherche, bon gré mal gré, de nouvelles graines à semer dans des interstices de pierres et de bétons qui figent notre paysage culturel.

Nourri par cette vision, j’entreprends mon itinéraire bruxellois balisé par sept propositions. La performance de l’artiste néo-zélandaise Kate McIntoshWortable») ne pouvait mieux tomber pour entrer en saxifragie. À l’arrivée, je signe une «décharge de responsabilité» dans le cas où je me blesserais : le principe de précaution s’invite là où l’on ne l’attend pas. Est-ce la métaphore d’une prise de risque qui ne serait plus partagée? Un jeune homme m’invite à choisir un objet parmi ceux posés sur une étagère puis à entrer dans une pièce pour le démonter…J’entends le «détruire». Mon arlequin en tissu va perdre de sa superbe. Je veux le libérer de ce qui pourrait l’entraver et l’enfermer dans son personnage. Il se trouve qu’il fut le jouet de mon enfance…Sur ma table, je découpe, j’enlève, j’ampute. Je dois passer dans une seconde pièce. Alors que des panneaux m’invitent à le déposer pour prendre un autre objet «démonté», je comprends autrement: je saisis des pièces de différents objets pour les relier à mon arlequin en métamorphose. Je le crucifie sur la moitié d’une raquette aux cordes rompues et lui plaque un morceau de globe sur le ventre. Le voici arlequin du monde prêt à recevoir des balles de toute nature. En entrant dans la dernière pièce, je ne peux m’empêcher de l’exposer à l’intérieur de l’œuvre d’un autre spectateur. Il est maintenant saxifrage d’autant plus que la plupart des œuvres sont cassées, rafistolées, lacérées, amputées. La société moderne est en miettes sans qu’émerge la vision d’un nouveau paradigme. En quittant le Palais des Beaux-Arts, je me sens habité par un processus de création artistique: avoir un propos (l’arlequin), le démonter (déconstruire) pour le propulser à un autre niveau (l’œuvre). Cela requiert une certaine prise de risque, une mise à distance pour sortir de la fonctionnalité de l’objet, un positionnement pour relier ce qui à priori ne l’est pas et oser se confronter aux autres. Forcement pédagogique.

Étrangement, le lendemain, je ressens la même démarche avec le chorégraphe et plasticien Benjamin Verdonck qui pose son œuvre sur la table : «Notallwhowanderarelost». C’est un théâtre d’objets de bois et de rails. Mais avant d’entrer dans l’œuvre, il nous propose un étrange avant-propos: une chaise, deux boites de soda, un ballon, une gourde pour un assemblage des plus délicats. Le voici à reproduire le processus proposé par Kate McIntosh! À tout moment, son savant équilibre peut s’effondrer. Je suis avec lui, je ressens sa prise de risque. Avec humilité, cet homme expose son art…celui où le propos est fragile, en équilibre précaire, dans une économie de moyens, mais nourri d’une générosité (ce mot a-t-il encore un sens dans une époque où le cynisme domine les relations?). Place à son théâtre où c’est lui, et lui seul, qui tire les ficelles capables de déplacer des triangles aux tailles et couleurs différentes. De gauche à droite, je suis ces allers et retours où le second degré est roi, où l’artiste joue avec les évidences, où cela bifurque alors que le chemin est pourtant tout droit. Je ris quand l’inattendu déjoue mes pronostics binaires ; je m’interroge quand l’objet se détourne de mes attentes ; je lâche prise quand des phrases tombent du haut tel des surtitres sans sous-titres!

Benjamin Verdonck semble danser lorsque les ficelles libèrent son corps et nous relient à l’évolution de notre perception des objets. La dernière scène est hilarante, car surréaliste : il en perd la tête, sens dessus dessous, et je m’égare avec lui dans une autre dimension : celle d’une graine de folie qui pousse sur le béton armé recouvrant nos objets d’enfants à jamais démontés.

Pascal Bély – Le Tadorne

Le KunstenfestivaldesArts de Bruxelles du 2 au 24 mai 2014.

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LES EXPOSITIONS OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Martinique – Paris – Marseille : voyages en corps utopiques.

L’après 2013 sur le territoire métropolitain de Marseille donne déjà quelques signes d’inquiétude. Point de rendez-vous marquant pour les semaines à venir; place toujours aussi minimaliste de la danse dans les programmations ; Le Merlan, scène nationale, toujours sans projet… 2013 semble ne rien avoir changé structurellement. En parcourant ma page Facebook, je lis ce qui se joue ailleurs et ne viendra probablement jamais ici.

Comment s’accrocher pour ne pas perdre le fil qui me relie au monde de l’art ? Il y a eu la Biennale d’Art Contemporain lors de mes vacances en Martinique. J’ai du longuement chercher pour trouver les espaces d’expositions à Morne Rouge. Je n’ai croisé aucun visiteur. Seul. Et pourtant : des belles œuvres, des propos artistiques assumés, une scénographie ouverte et accueillante.

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Le corps y occupe une place majeure entre les photographies tranchées de Lalla Essaydi, « les poupées noires » de cire et de son de Mirtho Linguet et les têtes mémorielles de Ledelle Moe. La représentation du corps est bel et bien politique et il revient aux artistes de nous la renvoyer : entre fantasmes, lâcheté et fantôme, notre vision du corps féminin est l’axe central de notre visée politique.

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A quelques mètres de là, une œuvre m’a littéralement bouleversé : Nyugen E. Smith représente un bateau, monumental parce qu’il dévoile les âmes qui ne sont jamais revenues de leurs embarcations de fortune. «Boat» est un trésor d’humanité : tout y est pour nous rappeler que la terre n’est qu’un bateau à la dérive, charriant les morts de nos génocides économiques et idéologiques. Dans «Boat», l’homme noir dévoile ici ses mains tandis que le reste de son corps git probablement en moi, dans ma conscience d’homme blanc dominant.

La question du corps semble vouloir me poursuivre jusqu’à Paris…Une amie m’invite au Théâtre de la Bastille pour «Notre corps utopique» par le collectif F71. Comment mettre en scène un texte de Michel Foucault ? Six femmes prennent à bras le corps ce défi un peu fou comme s’il y avait une urgence au moment où les réactionnaires de tout poil (incluant les publicitaires) se donnent rendez-vous pour faire du corps leur joujou idéologique. Pendant plus d’une heure, elles s’essayent à dévoiler ce territoire : corps dansant, titubant, éructant, vomissant…corps à la dérive des sentiments…corps pinceau pour toile d’une origine du monde…corps mots à mots pour faire entendre le corps social…C’est un flot qui m’a parfois englouti (le texte de Foucault s’articule difficilement avec les métaphores florissantes du groupe!) et souvent repêché quand elles font appel aux spectateurs pour dessiner une fresque corporelle vivante, interactive, de sueurs et de larmes. C’est peut-être là où ce collectif réussit son pari : nous inclure dans la question du corps en mobilisant notre sensibilité, notre gout du jeu…en s’appuyant sur nos territoires que nous avons peu à peu gagné contre la mer(e) envahissante de sainte mère l’Église. Mais rien n’est acquit : comment repositionner le corps entre réel et virtuel ? Comment le repenser ? Au final, nous sommes sortis habités par ce spectacle, mais avec un goût d’inachevé comme si le théâtre français peinait à incarner le corps comme un territoire qui embarquerait le spectateur dans une utopie partagée, celle d’un corps politiquement libéré, où la chair et le texte cesseraient leur combat esthétique stérile.

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Cap sur Marseille où «Purge» de François-Michel Pesenti me fait l’effet d’une douche revigorante, tel un retour aux fondamentaux. Ici point d’histoire ; à peine un dispositif. Juste des acteurs, des comédiens, des femmes et des hommes avec leurs hauts et leurs bas qui filent. Ils entrent et sortent pour créer le jeu de l’amour et du hasard. Je ne perçois que le corps de l’acteur dans toute sa puissance évocatrice. C’est parfois brut, souvent habillé de textes complexes et de réponses d’acteurs aux consignes données par François-Michel Pensenti lui-même, homme-orchestre pour baguette tragique. J’ai ressenti la puissance de ce que le théâtre peut faire : m’embarquer loin, très loin, sans violence, mais avec détermination. Me débarquer sur la rive pour que je saisisse un geste, que j’entende une évocation, que je construise un lien. Car ce théâtre n’est peut-être que cela : le lien entre l’acteur et le spectateur, débarrassé du narratif pour que s’écoute ce qu’il se joue.

Les acteurs sont exceptionnels (Peggy Péneau, Frédéric Poinceau, Karine Porciero, Maxime Reverchon, Laurent de Richemond). Chacun d’eux est une composante de mon rapport au théâtre, expliquant pourquoi je me suis tant accroché à eux !

En quittant les Bernardines, je suis habité. C’est dedans, c’est profond. Je me ressens un homme honnête, presque purgé de quelque chose d’indéfinissable. François-Michel Pesenti fait ce trail unique et remarquable : celui de raviver la conscience du spectateur. Le théâtre n’est que travail. Sur soi. Pour que vive l’acteur.

Pour que nos corps utopiques s’incarnent.

Pascal Bély – Le Tadorne

La Biennale d’Art Contemporain de Martinique – du 23 novembre 2013 au 15 janvier 2014.
« Notre corps utopique », d’après « Le corps utopique » de Michel Foucault par le collectif F71 au Théâtre de la Bastille de Paris du 7 au 22 janvier 2014.
« Purge » de François-Michel Pesenti au Théâtre des Bernardines de Marseille du 14 au 25 janvier 2014.
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Lui, c’est mon genre.

La scène me paraît immense. On dirait un territoire où il ne se passe plus rien, tel un paysage après la bataille. Une scène comme désertée par les saltimbanques où répond une salle clairsemée. Il arrive face à nous avec son look d’adolescent qui prend le temps de grandir. Son corps est une masse, sans centre de gravitation. Jonathan Capdevielle est là et je m’interroge : y parviendra-t-il ? À capela, il commence son tour de chant. Je reconnais Madonna et d’autres tubes pop de ma jeune vie d’adulte complexé, apeuré à l’idée de danser sur une piste d’un night-club gay toulousain. Des rires nerveux se font entendre de la salle, entre moquerie et tendresse. Je crois reconnaitre ceux qui me raillaient dans la cour de récréation. À l’heure où la théorie du genre fait débat, cet homme s’avance sur le grill d’une société française décomplexée qui n’hésite pas à stigmatiser ce qui n’est pas droit. Mais ce soir, le théâtre est là, seul, débarrassé de la planète médiatique abrutissante. Ce soir, c’est entre lui et nous. Ce soir, il nous faut écouter.

Justement, Jonathan est tordu. Il déraille avec ses pauses silencieuses entre deux couplets et des refrains qui n’ont rien à voir avec la variété internationale : j’entends des voix. Je reconnais l’accent du sud-ouest, celui de Tarbes plus précisément, où il vécu avec sa famille. Cette voix rocailleuse s’invite sans crier gare, tel un écho pour écouter cette France que l’on n’évoque plus : Madonna a fort à faire et finit par laisser place aux insultes sexistes et homophobes qu’à Tarbes comme ailleurs, on distille comme autant de virgules, de poings virgules, d’onoma-tapettes, à priori sans conséquence. Jonathan est fait de cette matière-là: il ne renie rien et Madonna doit composer avec une musique d’outre-tombe, du fin fond d’une boîte de nuit, où l’on danse sur des airs de publicité pour Malibu.

La voix est omniprésente dans «Adishatz / Adieu». Elle vous tombe dessus à l’image de cet échange téléphonique entre Jonathan et son père. Pendant qu’il se maquille et se travestit dans sa loge, j’écoute médusé ce dialogue surréaliste où l’on évoque la pluie et le beau temps sans parler du climat ; où l’on décrit ce que l’on fait en évacuant le sens du geste; où l’on s’étonne de s’appeler la veille de Toussaint, jour où le père fleurira seul les tombes de la mère et de la soeur. La métamorphose de Jonathan se nourrit de ce lien d’amour: le papillon n’est-il pas constitué du corps de la chenille ? Cette loge est aujourd’hui sa cabane : il est libre d’y faire entendre la voix de sa sœur, agonisante sur son lit d’hôpital. Il est libre d’endurer et d’endosser les rôles de ses amis qui l’ont conduit par le passé dans cette boite de nuit où se sont échoués leurs désirs d’amour sans limites. La scénographie est saisissante : à mesure que Jonathan tombe et se relève, la scène se fait fleuve et charrie les personnages vers la tragédie, vers son théâtre. Il les accueillent tous. Dignement. Même quand le corps de Stéphanie bourrée transporte les ravages de nos amours sans lendemain, l’autre à qui l’on croyait pour un rhume, pour un rien

Et puis, il y a l’écho. Toujours ces voix. Elles sont dans nos boîtes de nuit, dans nos caisses intérieures et ne cesseront jamais de faire résonnance. Il n’y a que le théâtre pour leur donner l’écho qu’elles méritent. Jonathan invite cinq hommes. On dirait qu’ils débarquent des montagnes Basques ou Corse. Madonna semble de la partie comme si tout se fondait, se liait, se reliait. Ils chantent ce qui fait notre culture : des voix entremêlées pour nos corps utopiques.

Jonathan peut maintenant “déjeuner en paix”. Il est de Tarbes. Il est des miens. Il est des nôtres.

Pascal Bély – Le Tadorne

«Adishatz / Adieu» de Jonathan Capdevielle au Théâtre des Salins de Martigues le 28 janvier 2014.
Crédit photo: Benoit Fortrye.
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FESTIVAL D'AUTOMNE DE PARIS OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE Vidéos

Gwenaël Morin et son théâtre d’immergés.

Depuis le Festival d’ Avignon, nos corps de spectateur étaient au repos. Aujourd’hui, nous avons rendez-vous avec Gwenaël Morin au Théâtre de la Bastille à Paris. Cet homme et sa troupe nous ont à plusieurs reprises bouleversés et nous l’avons écrit : avec enthousiasme, plaisir et gravité. Aujourd’hui, nous retrouvons ce théâtre avec sa petite jauge de spectateurs qui permet cette proximité avec les acteurs sans qu’elle soit outrancière ou démagogique. Nous nous apprêtons à vivre cinq heures de théâtre autour de quatre œuvres de Rainer Werner Fassbinder («Anarchie en Bavière», «Liberté à Brême», «Gouttes dans l’océan» et «Le village en flammes»). Nous allons vivre cinq heures d’une scène joyeuse et dramatique ponctuées par nos rires légers et nerveux. Tout cela pourrait paraître long et pourtant: tout passe à la vitesse d’une symphonie lumineuse orchestrée par une narratrice au ton cynique, parfois autoritaire, qui nous délivre des didascalies (que nous ne verrons pas toujours !) comme autant de petites déviations pour nous détourner du droit chemin ! Le rythme est pulsé par un son de grosse caisse, façon de réveiller nos préjugés. Plus tard, le tintement d’un triangle ponctuera les phrases, pour une succession d’idées lumineuses…Virginie Colemyn est éblouissante dans cet anti rôle pour un «antiteatre» qui nourrit parce que l’interaction est partout, surtout là où l’on ne l’attend pas…

Ici, la troupe s’incarne là où ailleurs, nous n’entendons qu’une «distribution». Gwenaël Morin a l’art de donner à chacun une présence extraordinaire comme s’il amateurisait leur jeu: leurs corps singuliers et imparfaits nous touchent d’autant plus qu’il n’y a pas de jeunes premiers, ou de «vieux beaux». Tous dégagent une «esthétique» de l’épanouissement qui finit par troubler. Le décor est épuré, juste quelques chaises, une table et des affiches interchangeables pour le paysage. La scénographie est ailleurs…nichée au cœur de nos imaginaires…

Quatre œuvres où la famille concentre en son sein tous les maux de notre époque: crise de la pensée politique, plafond de verre pour les femmes, rationalisation et manipulation de la relation amoureuse pour servir le jeu de pouvoir, surdité et impotence des corps constitués. Ici, le nez rouge se porte comme un gant. La famille se fait troupe de cirque tandis que les hommes forment une caste de tristes sires. Le viol est la pratique d’un fascisme de salon qui étouffe les cris des corps meurtris par la violence de « gouverneurs » sans vision, englués dans des dogmes usés, car trop répétés. Ici, on crie et les objets se jettent à la figure comme autant de mots que l’on découpe d’un poème. Les colères jaillissent pour mieux saisir la force du cynisme des situations. À travers l’écriture de Fassbinder, Gwenaël Morin nous éclabousse, à l’image d’un enfant provocateur qui sauterait dans une flaque de boue pour esquisser une fresque sur le mur érigé par nos peurs. Englués dans nos représentations, nous accueillons avec bienveillance ce jaillissement de mots au ton cinglant, en quête de vérité, qui nous éclatent au visage sans toutefois nous aveugler.

La force de la mise en scène de Gwenaël Morin est de ne jamais s’éloigner de nous, de ce qui pourrait faire résonance. Il dévoile ce que nous ne pouvons plus dire…Il aborde la virulence comme un secret qui se manifeste bruyamment. Il fait jouer la violence familiale comme un système culturel où le désir et la passion se confrontent à la frustration du pouvoir. Il explore les champs relationnels homme/femme et les tentatives de recherches de solutions pour survivre.

Cinq heures tourbillonnantes où nous sommes en continu englobés dans le jeu, où le temps qui passe n’a plus d’emprise sur nous. L’horloge se dérègle et laisse sa place à l’espace de la transformation pour que changent nos représentations. Les allers-retours permanents des acteurs entre la salle et la scène ne sont pas un gadget dramaturgique, mais bien un processus pour nous connecter au propos dans un « corps à corps » entre l’artiste et le spectateur. C’est souvent drôle, toujours grave. Lorsque la maîtrise du jeu fait éloigner le sens du propos, Gwenaël Morin autorise ses acteurs à tout lâcher notamment lors d’un entracte mémorable où l’on revivrait presque la danse de  «The Show must go on» du chorégraphe Jérôme Bel (celui-ci aurait été bien inspiré de se nourrir de ce théâtre-là pour «Cour d’honneur» présenté cet été au Festival d’Avignon !)

Ce soir, un vent de liberté a soufflé dans la douceur de l’automne. Nous avons quitté un contexte alourdi par les propos d’une classe politique épuisée pour rejoindre une contrée où des artistes abordent la douleur sociale en agitant la pensée créative d’un auteur.

Inutile de discourir plus longtemps sur le théâtre populaire. Il est là. Bien là. Grâce à des acteurs exceptionnels : Barbara Jung, Renaud Béchet, Mélanie Bourgeois, Julian Eggerickx, Ulysse Pujo, Nathalie Royer, Brahim Tekfa, Kathleen Dol, Pierre Germain, François Gorrissen.

Il n’y a que les savants pour le théoriser et s’enfermer dans leur impuissance à promouvoir ceux qui le portent haut.

Sylvie Lefrère – Pascal Bély – Tadornes.

“Antiteatre” d’Après Rainer Werner Fassbinder, mise en scène de Gwenaël Morin. Au Théâtre de la Bastille à Paris dans le cadre du Festival d’Automne du 18 septembre au 13 octobre 2013.

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE Vidéos

Festival d’Avignon – Le sublime voyage au bout de la nuit de Katie Mitchell.

C’est le joyau du Festival d’Avignon 2013, perdu dans une programmation sans relief, sans dynamique. Avec «Voyage à travers la nuit», l’allemande Katie Mitchell nous a bouleversé. Il faut imaginer un plateau de théâtre incluant un studio de cinéma, où un train s’apprête à partir pour raccrocher les wagons d’une vie. Je suis sur le Quai des brumes…pour embarquer avec Julia Wieninger, actrice prodigieuse. Elle incarne cette femme qui, ayant perdu son père, fait le voyage avec son mari de Paris à Vienne et y prononcer le discours funèbre.

Francis Braun, contributeur pour le Tadorne, nous retrace ce voyage dans ce train pour une nuit particulière. Celui vers un passé qui surgit, bouscule, prêt à faire changer de direction…Ici, le théâtre de Katie Mitchell offre au spectateur cette représentation où tout peut chavirer. C’est un voyage artistique au croisement de l’art théâtral, chorégraphique et cinématographique qui propulse le spectateur dans une réalité psychique où l’enfance, scènes de poupées et de regards en coulisses, trace des chemins qui nous ramènent, tôt ou tard, au théâtre.

Pascal Bély. Le Tadorne.

 

Il lui dit  que ceux qui m’aiment prennent le train…elle lui a répondu , je suis une femme blessée…

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Il y a un train. Un train omniprésent. C’est le lieu unique. Physiquement, il est là, ouvert, disponible pour un voyage vers le passé, un trajet unique Paris-Vienne…il n’est pas initiatique, il est passéiste. Des compartiments se suivent de l’extrémité gauche vers la droite du plateau. Dans ce lieu unique, une vie s’y déroule, plutôt des fragments d’un passé enfoui, et des fragments de la vie qu’ils vivent. Une femme surtout, belle et malade dans son désarroi. Deux hommes, son mari et le Stewart de la compagnie de chemins de fer.

Devant le train des  vidéastes s’acharnent et s’affairent. S’arrêtent puis se reposent, après surveillent, prêts à bondir, suivent, happent aussi, saisissent les yeux, les visages, les corps et ce que font ces corps vivants.

C’est aujourd’hui, c’est aussi hier.

Le père d’hier, la poupée d’hier, le citron avec lequel elle jouait, la poupée démantelée, les oiseaux du papier peint.  Le bougeoir qui tourne…Tout cela, on le voit en vidéo, sépia nostalgie. C’est une succession d’images, filtrée par les caméras, par les accessoires de trucage, surtout transformés par l’œil de Katie Mitchell.

Ce wagon s’offre, ouvert à nos yeux. Il y a le lit, le lavabo, ses toilettes. La lumière est glauque, des éclats de soleil parfois éclairent. Les comédiens circulent dedans, vus pas en entiers,  parfois on ne voit qu’une partie d’eux-mêmes, comme tronqués, comme entre-aperçus. Au dessus, sur un étroit mais long écran intégré, on distingue nettement leur regard, le défaut de leur peau, les cils qu’ils essuient après une nuit mouvementée. Il y a l’approche de dehors et celle du dedans. Peut-être y verrez-vous la vision cubiste de Picasso et de ses confrères.

La technique est incroyable. On a trop souvent vu la vidéo galvaudée, trop utilisée, négligée, abusée. On l’aborde avec méfiance. Là c’est un miracle. Tout se passe devant nous, en direct mais aussi en film.  Osmose totale, un tout qui fait corps avec le train, avec eux, avec leur histoire, avec l’homme contrôleur, avec le mari, l’autre homme, le père d’avant, le citron pressé, la poupée démantelée…on recommence, on suit les voyageurs dans le train aujourd’hui et hier peut-être, le train, son bruit, ses lumières hachées, ces filtres qui font bouger l’image, les rideaux des fenêtres obscurcis, la caméra, les caméras intruses, violentes, et les images violées, elles rentrent dans l’intimité, dans le corps, les yeux, les bouches, les cils, intruses jusqu’au plus profond, perçantes d’acidité, Elle deviennent l’outil de sa vie entière. C’est tant d’années déversées dans un vase clos, ce train, qui roule.

C’est une héroïne de Bergman, c’est une héroïne de Duras, elle peut sortir aussi d’un film de Chantal Ackermann, elle peut être la soeur d’Alain Resnais et de Muriel. Elle est aussi et surtout l’héroïne de l’écrivaine Friedericke Mayröcker, adaptée par Katie Mitchell.

C’est une vision tellement émouvante, c’est une vie de retour pathétique, c’est la mort d’un père, c’est une histoire d’amour…Cela n’a que l’importance qu’on lui porte. Ce qui est inouï, c’est cette mise en image, ce film théâtre, ce théâtre filmé, ses premiers plans, ses retours, ces flashs en avant et back “to le passé”, ces trucages, ces coulisses…c’est LE spectacle de derrière mis devant, c’est ce qui est d’habitude caché, c’est ouvert à toutes indiscrétions. C’est une mise à nu de tout l’imperceptible.

C’est le plus bel évènement  de cette fin de festival. C’est une pure merveille.

J’ai spontanément embrassé Katie Mitchell pour lui dire MERCI. Ce fut tellement émouvant.

Francis Braun – Tadorne.

«Voyage à travers la nuit» de Katie Mitchell au Festival d’Avignon du 20 au 23 juillet 2013.
Photo: Francis Braun.
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FESTIVAL D'AVIGNON LE GROUPE EN DANSE LE THEATRE BELGE! OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

Festival d’Avignon – Est-ce que la catharsis, ça fait pocpoc?

Si Halory Goerger et Antoine Defoort sont comme ils se plaisent à dire «des analphabètes du théâtre», cela ne les empêche pas de créer leur propre langage scénique entre arts plastiques, performance, conférence, danse et théâtre. Depuis «Métrage variable», «Cheval» et «&&&&& & &&&», ces deux-là contaminent la scène dans un geste tout à la fois ludique, savant et critique des usages de notre époque, de notre rapport à la technologie et au langage: d’ailleurs, le sous-titre de l’une de leurs créations n’était-il pas «un spectacle de câble et d’épée». Tout un programme!

“Germinal se présente comme une pièce (qui) met en scène des individus qui envisagent le plateau comme un espace vierge et fécond dans lequel tout est à faire. [?] à faire émerger un système, en étant candide on dirait : un monde.» En effet, Germinal est une odyssée à rebours, un laboratoire utopique sans but s’appuyant sur l’aptitude des êtres à former leur pensée par le biais du langage, et se construisant au fur et à mesure sur l’idée que du groupe naît la contradiction et la conscience de sa propre identité. Peut-être est-ce cela le «minimum ontologique légal» qui permet de démarrer une nouvelle civilisation. Car c’est bien ce qui est mis en branle et mis en question dans cette création: comme sur une page blanche (mais pas vierge) ou comme au début d’un jeu vidéo dont le fonctionnement et les possibilités sont encore à découvrir, Germinal se doit de tout inventer.

Au commencement la lumière fut, discrète tout d’abord, s’essayant à plus d’intensité, à disparaître, puis à prendre plus de place. Cela dure un certain temps; un monde ça n’est pas si simple à éclairer et petit à petit, l’on distingue quatre silhouettes assises sur ce plateau vide, qui apparaissent tranquillement. Une femme et trois hommes -mais cela a-t-il une quelconque importance?- sont posés là, attendent la suite. L’un d’entre eux se lève, c’est lui qui maîtrise depuis le début tous ces jeux d’éclairage. C’est un monde en vase clos dans lequel tout est à inventer. À ré-inventer plutôt, car l’on se rendra vite compte que ces quatre êtres humains – qui n’ont rien à voir avec une peuplade dite «première»- possèdent un langage très développé, malgré le fait qu’ils ne maîtrisent pas tout de suite leur appareil phonatoire, et s’avèreront être très perspicaces lorsqu’il s’agira d’éviter de retomber dans certains travers à l’oeuvre dans notre société, pas dans la leur!

La germination est en marche, tout d’abord le langage comme forme de pensée, la communication, la contradiction, la voix, le chant, la musique, l’individu qui déjà manipule les idées des autres pour son propre compte. Tout cela s’accomplit dans une douce nonchalance et une fausse naïveté qui rend cette «création du monde» à la fois hilarante, ludique, subtile et nécessairement poétique et politique.

Comme dans les précédentes pièces d’Halory Goerger et d’Antoine Defoort, le rire prend sa source au coeur même des données et des contraintes du langage, de son déploiement. À l’instar de Tiqqun dans la Théorie du Bloom, ils cherchent à «aller jusqu’au bout des possibles que contient leur situation». Situations limites dans lesquels nos quatre interprètes se confrontent à la nécessité d’apprendre comment s’organise un échange de pensée par sous-titres interposés. Comment produire du son avec sa glotte, sa gorge et son larynx…Comment un seul micro pour s’exprimer pose-t-il la question du porte-parole, et donc du mode de gouvernement en devenir… Autant d’approches ludiques et dialectiques d’un questionnement sur la constitution et le fonctionnement d’un groupe, d’un peuple, d’une civilisation, d’une galaxie.

Une fois le langage et la parole mises au point vient le temps de se mesurer à l’espace, aux éléments qui constituent cet espace, qui le circonscrivent et forment les bases d’un vocabulaire plus élargi, du rapport au matériel et à l’immatériel. Il y a ce qui fait pocpoc quand on le frappe avec le micro et ce qui ne fait pas pocpoc. La catégorisation est en route. Mais tiens d’ailleurs, est-ce que la catharsis, ça fait pocpoc ou pas? Et à un moment, se rendre compte qu’il y a des choses qui font pocpoc dans le coeur…


Germinal se déploie dans une «variation continue» pour reprendre l’expression deleuzienne. Il faut détruire pour construire semble être l’un des leitmotivs du spectacle. Chaque élément découvert devient l’occasion pour chaque interprète de mesurer son rapport au monde en train de se créer. Micro, guitare, amplificateur, ordinateur sont autant d’éléments poussiéreux, enfouis sous des gravats tels des restes archéologiques d’une époque révolue, des résidus, et qui aujourd’hui servent à la reconstruction du monde, ou du moins à la construction du spectacle. L’objet occupe dans cette création une place importante d’élément permettant d’établir une critique de nos propres comportements à partir de l’usage que nous en avons, voire même de l’usage qui nous en est imposé.

Dans une approche aussi bien plasticienne que théâtrale et performative à souhait, Halory Goerger et Antoine Defoort parviennent à élaborer un monde en vase clos aux multiples résonnances vers l’extérieur. Une installation théâtrale sous forme de laboratoire tout à la fois farfelu et tellement nécessaire. Ce ne sont pas des personnages qui jouent la comédie, ce sont des êtres en devenir dont les buts sont très incertains. On peut jouer avec le monde, le décortiquer, en défaire une à une chaque brique, faire tomber les murs, ne pas les reconstruire, ré-agencer des ensembles nouveaux. Cependant, les bases restent là: des individus face aux autres et face à eux-mêmes, aux prises avec un langage à redéfinir, à dé-catégoriser, à réinventer.

Lorsque l’on sort de la salle, on se sent plus intelligents (pour une fois!), petits face à l’ampleur de la tâche qui nous attend, grandis par la dimension ludique et critique de cette création, et surtout joyeux que quatre trublions rebattent les cartes de nos représentations individuelles et collectives.

Si ce n’est pas du Zola, on en rêverait presque ! Merci.

Nicolas Lehnebach pour, vers le Tadorne.

Germinal, aux Subsistances, du 18 au 21 septembre 2012 dans le cadre de la Biennale de la Danse de Lyon. Au Festival d’Avignon du 16 au 24 juillet 2013.

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE Vidéos

Festival d’Avignon – Angelica Liddell, nous ancre de Chine….

Angélica Liddell ouvre notre festival d’Avignon. Cela ne pouvait pas mieux tomber. Car «Ping Pang Qiu» est un vibrant plaidoyer pour un théâtre engagé et engageant. Il évoque la bataille à mener: celle d’affirmer nos modes d’expression contre les approches rationalistes qui visent à les museler. C’est un spectacle qui nous donne la force de continuer d’animer ce blog, espace du spectateur critique, sans concession à l’égard du marketing culturel et des logiques quantitatives arbitraires.

Angelica Liddell entre dans l’arène avec une robe rouge sang, comme l’énergie qui coule dans ses veines; rouge vif comme la colère qui gronde en elle; rouge vif comme la couleur du petit livre de Mao qu’elle brandira à plusieurs reprises pour le défier. Mais combien sont-ils en Europe à brandir leur petit manifeste pour nous imposer leur politique libérale sans vision? Elle porte une perruque bleu clair, couleur ciel. L’esprit clairvoyant est au dessus de ce corps souffrant. Elle est notre magicienne à l’allure punk rageuse, toute en grâce féminine, avec un cœur gros comme ça… Sa chair émotionnelle, par capillarité, nous transperce.

Il y a trois compagnons sur scène. Il y a une jeune femme, son double, son alter ego, sa compagne, sa sœur,…les mots finissent par manquer pour qualifier l’ampleur des gestes qui unissent ces deux femmes. Il y a un petit homme, doux mélange d’Asie et d’Amérique…il canalise l’énergie qui déborde, tel un médiateur entre l’art du chaos et le chaos de l’art. Il y a aussi l’homme oiseau jaune canari…il écoute, beaucoup. Souvent attablé. Il entre dans le jeu d’Angélica pour y amplifier l’absurde. Il est l’auto dérision, car le rire est sérieux. Ces trois là sont ses satellites, ses éléments d’hémoglobine qui alimentent son jeu.

Le théâtre d’Angelica est intense: nous avons des tachycardies quand nous rions de ses propos dévoilés, des extra systoles quand le sombre du texte apparaît, et le tout nous donne un souffle au cœur.

Le théâtre d’Angelica est global: elle nous fait cheminer de la Chine vers l’état des institutions en Europe pour mieux signifier la porosité entre les idéologies qui gouvernent ces continents. Avec Angélica Liddell, la dictature chinoise résonne avec notre quotidien. L’humain n’y est finalement qu’une variable d’ajustement à l’image du sort que l’on réserve aux artistes en Europe. Le pouvoir dans les théâtres les écrase, autant que le char de la place Tian’anmen face au jeune étudiant, qui malgré son pas de côté, est suivi à la trace, empêché dans sa liberté d’expression et de pensée: “Quand tu entres dans un théâtre pour travailler, pour travailler, POUR TRAVAILLER, pour faire ton travail, dans un théâtre, il y a toujours un imbécile qui va se charger de ridiculiser le monde de l’expression, juste parce que c’est de l’expression, alors qu’il ne sait même pas encore ce que tu vas dire. Ceux-là, ce sont les empereurs de la clim. Ils se sentent importants face au monde de l’expression, supérieurs, ils adorent montrer leur indifférence au monde de l’expression, leur mépris, ils aiment te le faire savoir, ils veulent que ça se voie, juste parce que tu appartiens au monde de l’expression.”

Angélica Liddell n’en oublie pas les mots qu’elle dégueule de sa bouche d’ensorceleuse: ceux d’une novlangue où «social» et «travail» sont galvaudés, dénués de leur sens. Angelica et ses compagnons nous alertent. La Chine n’est pas loin, mais notre fascination nous aveugle. Pour ne pas sombrer dans la détestation destructrice, elle repart à l’attaque et nous immerge dans les méandres de son paradoxe: elle aime la Chine tout autant qu’elle la hait. Des chorégraphies se déclenchent pour imager les discussions posées cartes sur table. De l’horreur surgit le beau. De l’expression exulte la pensée. Avec son corps de Chine, elle nous souffle un vent de réaction vitale. Le sens nous cingle le visage, rafraîchissement nécessaire après tant d’années où l’on peine collectivement à penser une géopolitique qui n’a plus rien à voir avec celle de papa mais avec…l’amour. Sans lui, point de vigilance. Point de résistance.

Alors ils dansent. En douceur. Et l’on rêve à nouveau tandis qu’Angélica nous dévoile son sein, métaphore d’une terre patrie, d’une terre nourricière qu’il nous faut réalimenter de nos expressions sans concessions.

La dernière scène est une apogée, un idéal. Fini la valse, place au Mambo! Fini le conformisme, place à la créativité, à la liberté de mouvement et de pensée. Un grand festin orgiaque se déploie. Ils nous invitent au plaisir de créer, de se lâcher, de balancer les codes pour retrouver le goût de vivre.

Pour une géopoésie de nos amours contrariés.

La liberté peut se manifester sous forme de douleur et de tristesse ; si elle n’est pas étouffée par la douleur et la tristesse, même si elle sombre dedans, tu peux encore la voir, la douleur et la tristesse sont donc libres aussi ; tu as besoin d’une douleur libre et d’une tristesse libre, si la vie vaut encore la peine d’être vécue, c’est justement pour cette liberté qui t’apporte enfin la joie et la sérénité » Gao Xingjian  – « Le livre d’un homme seul“.

Sylvie Lefrère – Pascal Bély – Tadornes.

« Ping Pang Qiu » d’Angelica Liddell au Festival d’Avignon du 5 au 11 juillet 2013.

 

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FESTIVAL D'AUTOMNE DE PARIS FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

Unique, double Angélica Liddell.

Deux heures et quarante minutes de représentation s’achèvent par une clameur. Le public réagit chaleureusement; ému, pensif, il semble avoir traversé des océans pour échouer sur une île, seul. Ce voyage est celui des hautes solitudes. La sidération laisse place au dépouillement, mélange de trop-plein et de vide. Il fait nuit dans la cour du Lycée Saint-Joseph; l’obscurité est en soi. Je me demande pourtant s’il convient d’applaudir. Aimer cette femme jusqu’à se perdre semblerait un geste plus approprié. Résister à sa fureur pour lui prouver qu’elle dispose malgré tout, de compagnons d’infortune. Être là, juste.

Longtemps, durant la représentation de «Tout le ciel au-dessus de la terre (Le Syndrome de Wendy)», je me suis dit que je ne comprenais rien. Chaos scénique (chaises renversées, monticule de terre, pétales disposés à même le sol), morcellement intérieur des caractères et fragmentation du monde empêchent toute lecture linéaire, toute reconstitution d’un récit. Mais il est impossible de décrocher. Comme par le passé, Angélica Liddell compose une beauté monstrueuse, touchant tous les registres. Personnage à la grâce ophélienne et à la blancheur diaphane, ou spectre squelettique au début de la pièce ; corps prostré de douleur et de rage en fin de spectacle. Délicates valses, foudroyantes scènes d’orgasmes onanistes. Combien sont-elles en elle ? Angélica Liddell joue Wendy, mais sur scène, son engagement personnel, à la fois physique et psychique, est tel qu’on ne sait plus si l’on a affaire à sa propre histoire ou au jeu d’une comédienne. L’ambiguïté floute les limites de la représentation. L’effet de réel est au service d’une esthétique de la terreur.

Wendy est censée s’enfuir de la réalité pour gagner, avec Peter Pan, l’île de la jeunesse éternelle. Elle échouera à Utoya, lieu du massacre perpétré par Breivik. Par la suite, elle trouvera refuge en Asie, Shanghai précisément. Wendy, cependant, n’est pas là pour apporter «un supplément de dignité», une dénonciation confortable et moralement satisfaisante des crimes commis par ce fou. Elle fusille les bons sentiments, assassine les «mères» et leur bonne conscience venimeuse. D’une certaine manière, elle semble avoir pactisé avec le mal, consciente que ce qui a été n’est plus. Je crois assister au glissement des identités : Angélica Liddell-Wendy…Peter Pan-Breivik ? Wendy, cette «meurtrière de la joie / Ton vide s’est rempli de cadavres». Qui est qui ? Qui dit quoi ? L’Espagnole donne corps au monstre, à sa folie destructrice. Elle s’offre à lui, chair et âme, parle de l’horreur en se situant de son côté, jusqu’à la nausée. Dégoût des faux-semblants et de l’hypocrisie sociale, indéfectible solitude. Le monstre vomit l’humanité, sombre dans l’abject lorsqu’il évoque ses conversations nocturnes avec des «pervers».

 

Jeunesse, beauté, tout s’effile, s’écoule et s’effondre. La littérature et le mal, une nouvelle fois réunis. Seule joie pour elle, la masturbation, épiphanie solitaire. Pourtant, tout n’est pas si simple : «nous puiserons / Nos forces dans ce qui n’est plus». Susurrés, affirmés, hurlés ou raillés lors de la représentation, ces vers de Wordsworth doivent être entendus. L’attentat poétique à l’œuvre sur scène énonce en réalité une exigence de vie…et d’amour. Wendy, d’ailleurs, est qualifiée de «monstre d’amour». Les «pervers» pensaient faire corps avec elle ; elle leur oppose son désir de «beauté radicale» et les renvoie à leur propre solitude. La beauté, c’est cette valse mélancolique interprétée par les deux danseurs de Shanghai qui, par leur âge avancé, défient le temps, l’espace et les mœurs. Ils recousent, par leurs gestes, le tissu des corps déchirés.

Par-delà chaos et décrépitude, la demande d’amour effleure… «L’amour. L’amour. C’est mon unique sentiment»…heureux celui ou celle qui saura le saisir…

Sylvain Saint-Pierre – Tadorne

«Tout le ciel au-dessus de la terre (Le Syndrome de Wendy)» d’Angelica Liddell au Festival d’Avignon du 6 au 11 juillet 2013.