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PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Le Théâtre muet d’Ariane Mnouchkine.

Le public prend la direction du vieux Palais des Sports de Lyon, proche du Stade de Gerland. L’architecture respire le bon vieux temps où la France affichait sa puissance par ses ponts et ses tours. Mais en 2011, tout paraît décrépi. Comme au parc des expositions de Château Blanc lors du Festival d’Avignon en 2007, Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil savent vous accueillir et redonner vie à notre béton d’antan. On y retrouve les caisses en bois, les loges visibles par les spectateurs, la musique d’ambiance des troubadours et la soupe chaude. La pièce se joue déjà. C’est si bon. Le Théâtre du Soleil sait cultiver le mythe du théâtre populaire.

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A la première réplique donnée dans «les naufragés du fol espoir»,  la troupe fouille dans son histoire, chine dans le grenier de ses décors de théâtre, et  nous en restitue une allégorie, comme au bon vieux temps des films que l’on projetait dans les salles d’avant guerre pour informer le peuple sur la grandeur du pays. Nous voilà donc propulsés en 1914, dans la guinguette «le fol espoir» tenue de main de maître par monsieur Félix Courage (étonnante Eve Doe-Bruce). Un passionné de cinéma, Jean Lapalette, et les employés y tournent un film muet, inspiré d’un récit de Jules Verne. Des passagers d’un bateau échouent au Cap Horn, caressant l’espoir d’y fonder une société libre et juste où le triptyque «liberté, égalité, fraternité» pendrait tout son sens. L’enchevêtrement des trois histoires (la guinguette, le cinéaste et son assistante, la fiction) nous plonge dans une machinerie théâtrale incroyable, où les spectateurs s’émerveillent de l’énergie déployée pour que le film prenne forme sur un plateau de théâtre. La générosité, l’abnégation de soi, l’engagement sacrificiel transpirent à chaque scène. Jusqu’à lasser. Car la mécanique de ce manège d’antan, finit par tourner sur elle-même : elle est un déni de complexité.

Cette mise en abyme ne permet pas de repérer des niveaux de sens qui régénérerait le regard et éviterait d’être un spectateur seulement contemplatif. On ne différencie pas les trois histoires comme si tout se valait : la fonction de l’art, n’est-elle pourtant pas de transcender? Le politique n’est-il pas dans la différenciation entre le faire du projet ? Le groupe fusionne ses membres sans que l’on ne puisse les distinguer : l’unisson est le mot d’ordre au détriment du relief, de la diversité. Cette dynamique finit par devenir effrayante. Les rares moments où l’on s’attarde sur la psychologie des personnages sont affligeants: la fragilité de Jean Lapalette se résume à ses pulsions sexuelles ; le conflit entre deux hommes à une bagarre virile. Il y a pourtant un instant de grâce : une des employées semble paumée, sans rôle attitré (probablement métaphorique du positionnement de certains spectateurs laissés au bord de la route). Elle veut jouer. C’est alors que Félix Courage la perd dans les détails pour rendre impossible son entrée dans le film. Étouffant.

Quid du climat de 1914 ? Il est malheureusement réduit à un vendeur de journaux qui fait office de liant entre les scènes de tournage et la vie des salariés. Enfermé dans son mythe, le Théâtre du Soleil s’affranchit du contexte. Tout comme fait-il trop souvent  l’impasse sur le jeu d’acteur. Ceux-ci semblent d’ailleurs plus à l’aise dans le muet?
Malgré leur formidable énergie à en découdre, ces «naufragés du fol espoir» ne permettent pas d’interroger  la fonction politique de cette proposition (un quatrième niveau en quelque sorte ). Ariane Mnouchkine s’est rependue dans les médias sur l’importance de résister, de proposer une alternative. Mais serions-nous à ce point si effrayés par la société globalisée pour nous laisser embarquer dans un émerveillement qui aveugle sur la nécessité de régénérer nos valeurs? Suffit-il de réaffirmer «Liberté, Égalité, Fraternité», de faire l’apologie du progrès à travers une mécanique magnifiée, de solenniser le collectif unitaire, pour faire «politique» ?

Que nous disent l’unanimité de la critique et le succès public sur une des ?uvres les plus faibles du Théâtre du Soleil ? Je formule une hypothèse : perdus, nous célébrons le mythe de l’ère moderne (incarné par le Théâtre du Soleil), celle où tout était permis, possible, grâce aux ouvertures promises par le progrès. Nous entrons durablement dans une période nostalgique, où l’on s’indigne avec Stéphane Hessel mais où l’on fait encore l’impasse de lire «la voie» d’Edgar Morin pour la traduire dans les faits. C’est ainsi que ces «naufragés» donnent l’énergie de l’instant, mais nous isolent un peu plus dans une lecture du futur à partir du passé. C’est sans avenir. Sans espoir. Et pourtant, l’improbable est arrivé. Notre «Cap Horn» est du côté des pays arabes.

Côte à côte avec eux, acceptons de ne rien savoir. Ils pourraient nous apprendre le quatrième mot qui nous manque pour éclairer de sa reliance le fronton de nos écoles et de nos mairies.
Pascal Bély – www.festivalier.net

“Les naufragés du Fol Espoir (Aurores)”, une création collective du Théâtre du Soleil du 18 janvier au 20 février 2011 au Théâtre des Celestins de Lyon.

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Mouvements « trans-géniques » au Ballet Preljocaj.

Où repérer la nouvelle vague chorégraphique ? J’apprécie particulièrement les espaces où je peux l’entendre m’approcher, la ressentir fouler mes pieds pour en recueillir l’écume. Depuis quelques temps, elle est rarement tempétueuse, quelquefois prometteuse, mais trop souvent silencieuse. Je repense encore à la portugaise Marlène Freitas, à La Vouivre découverts lors du Festival «Questions de Danse» à Marseille, de Yan Raballand au concours «(re)connaissance» à Décines. Ce soir, c’est Angelin Preljocaj, installé au Pavillon Noir d’Aix en Provence depuis six ans qui nous révèle les talents issus de son ballet. Au total, quatre créations qui ont fini par m’éloigner du rivage («So Mo» d‘Émilie Lalande, «XX.XY. (une histoire d’Eve et d’Adam)» de Sébastien Durand, «Parce que nous sommes aussi ce que nous avons perdu» de Lorena O’Neill et «Bonsoir Madame la Baronne» de Baptiste Coissieu). Reconnaissons que la tâche est particulièrement difficile. Ils sont membres du ballet, lui-même intégré dans un Centre Chorégraphique National.  Le risque est important de générer une danse « consanguine»: comment écrire pour se différencier, tout en étant fidèle, voire reconnaissant? Ce soir, chaque oeuvre s’inscrit dans un même contexte institutionnel pesant, à l’image d’une fête de fin d’année d’une grande école. Elles sont une métaphore du positionnement de chacun au sein d’un ballet célébré dans le monde entier…Incontestablement, ces chorégraphes en herbe cherchent leur émancipation.

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Au final, que retenir ? Chaque oeuvre évoque la transformation, mais le propos ne va pas jusqu’à chorégraphier la métamorphose. Probablement trop risqué. Dans «So Mo» et «XX.XY», on évoque la manipulation psychologique et génétique, soit pour la dénoncer ou la solenniser. Mais cela ne vient pas jusqu’à moi comme si j’assistais de loin à un exercice de style, de (re) production, mais qui n’est pas éprouvé. On noie le pois(s)on à partir d’une exposition performative, en interrogeant le mythe (d’Adam et Eve) mais sans vision politique (et pourtant, la question éthique autour des manipulations génétiques est d’actualité).

Avec Baptiste Coissieu, nous sommes témoin d’un total défoulement (convoquer une baronne déjantée qui s’amuse avec des spectateurs triés sur le volet comme dans un loft story). Plongé dans un cabaret gay, je me questionne sur le sens de la proposition. À part d’y voir le besoin de faire la fête au sein du Ballet pour s’en émanciper. Soit. Mais, c’est un peu court.

Seule Lorena O’Neill s’essaye dans un propos sensible, très personnel autour de la perte. En reconstituant ce processus bien connu de tous, notre empathie est rapidement mobilisée. Mais elle manque de temps pour laisser son empreinte, s’enfermant dans une vision trop linéaire (du poids du deuil à sa libération). La danse illustre un processus mais le corps reste à distance.

Finalement, je n’attendais pas de chorégraphes émergents mais un propos autour de l’émergence. Le poids de l’institution les conduit probablement à reproduire, là où je désirais une rencontre. La danse contemporaine requiert du métissage, de s’inclure dans des réseaux artistiques pour y croiser les esthétiques, de s’immerger dans le tissu social pour y poser sa poétique sur du politique.

Or, ce soir, rien que du trés « classique ».

Pascal Bély-www.festivalier.net

Créations des danseurs du Ballet Preljocaj , “Les Affluents” (Emilie Lalande, Lorena O’Neill, Sébastien Durand, Baptiste Coissieu) les 4 et 5 février au Pavillon Noir d’Aix en Provence.

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Vu et pas pris.

Ces rencontres ont échoué. Parfois, quelques minutes ont suffi pour comprendre que cela n’irait pas plus loin qu’un salut poli. Dans ces quatre rendez-vous manqués, le flux d’images a pris le pas sur le langage du corps tandis que l’intention de la mise en scène visait l’adhésion anesthésiante.
Retour sur quatre processus régressifs.

J’attendais le metteur en scène belge Guy Cassiers avec impatience. Après les magnifiques “Rouge décanté” en 2006,  “Mefisto for ever” en 2007 puis les impasses de «Wolfskers» et «Atropa, la vengeance de la paix» en 2008 et l’inaccessible “l’homme sans qualité” en 2010, “Sous le volcan” aurait pu sceller les retrouvailles. Mais l’adaptation du roman de Malcom Lowry s’est totalement noyée dans un dispositif vidéo qui règle la mise en scène au détriment d’acteurs qui se désincarnent peu à peu. Le décor, transformé en écran tactile, déverse un flot d’images où nous perdons notre temps à force de déjouer les procédés censés nous distraire. Pris à son propre jeu, Guy Cassiers fait enfiler à deux comédiens, des habits gorgés d’eaux après qu’ils se soient plongés dans la rivière de la vidéo. Ce niveau d’infantilisation du spectateur et des acteurs est sidérant.

La vidéo s’est également invité dans le spectacle “jeune public” “Les Ariels” de la compagnie Mediane. Ici aussi, le dispositif scénique se résume à des pans du décor transformés en écran d’images. Nous sommes le jour des noces d’une mariée pour le moins étrange. Ses rêves s’impriment sur son voile et sa robe alors qu’elle parcourt la scène montée sur des échasses en forme de jambe de cheval. Peu à peu, la vidéo créée le mouvement tandis que l’actrice semble courir après la scénographie où son propos se noie dans une approche psychanalytique qui nous échappe. La scène n’est qu’une aire de jeu où l’image joue sa fonction sidérante et place l’enfant et l’adulte dans une rupture permanente du sens.

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Oh Boy!“, d’après le roman de Marie-Aude Murail et mise en scène par Olivier Letellier a reçu le prix Molière du jeune public en 2010. Salué quasi unanimement par la presse et le public (même Bernard Gaurier sur le Tadorne y a succombé), je reste pour le moins perplexe face à ce déluge de bons sentiments. Tous les ingrédients d’une adhésion massive, d’un consensus “mou” sont réunis: un acteur seul en scène endosse le rôle d’un jeune homosexuel qui voit débarquer dans sa vie trois frères et s?urs dont l’un est atteint de leucémie. Olivier Letellier surjoue comme au café-théâtre et finit par tout saturer. Le spectateur n’a plus qu’à se laisser porter par cette mécanique théâtrale qui enferme le propos dans une vision normée de l’homosexualité. La dernière scène où le grand frère se fond dans le cadre familial en dit long sur les intentions. Mais fort heureusement, nous avons échappé à l’opération “pièces jaunes”.

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Phèdre” de Racine mise en scène de Renaud-Marie Leblanc a déçu ceux qui ont redécouvert la langue de Racine grâce à l’adaptation survoltée de Gwenaël Morin. Ici, point de vidéo pour se dérober. Le décor tout blanc fait penser à un caisson de décompression. Les costumes postmodernes sont beaucoup trop grands pour des acteurs trop “jeunes” qui peinent à endosser le rôle. Aucun n’émerge et le vaudeville effleure. La mise en scène déverse un flux de mots (ponctuées de virgules sonores proches du jingle) qui traverse peu les corps des acteurs pour ne pas nous éclabousser. Renaud-Marie Leblanc enferme Phèdre dans l’hystérie: il est en phase avec notre époque où le désir s’instrumentalise pour le faire entendre et accepter de la foule passive et silencieuse. Lors de la scène finale, il faudra le rire d’un groupe de spectateurs pour signifier que nous ne sommes pas nés de la dernière pluie.
Pascal Bély – www.festivalier.net

“Sous le volcan”, mise en scène de Guy Cassiers au Théâtre des Salins de Martigues le 28 janvier 2011.
“Oh Boy!” mise en scène d’Olivier Letellier à la Scène Nationale de Cavaillon le 25 janvier 2011.
“Phèdre” mise en scène de Renaud Marie-Leblanc à la Scène Nationale de Cavaillon Les17 et 18 janvier 2011;
“Les Ariels” de Catherine Sombsthay au Théâtre Massalia du 4 au 7 janvier 2011.

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Sur scène, un groupuscule identitaire.

C’est délicat d’évoquer l’identité au théâtre. Ce sont souvent des artistes sensibles, minutieux, habités par un propos, qui s’emparent de la question. Je me souviens encore de «Loin» du chorégraphe Rachid Ouramdane qui m’avait procuré des sensations étranges et contrastées. À partir de son récit familial fait d’exils et de déportations, il avait réussi à créer une histoire universelle qui pouvait parler à chacun de nous. Les vidéos, les sons et les mouvements rendaient poétique ce processus qui vous arrache à quelqu’un, à une filiation, à un territoire et finit par vous fragmenter. Spectacle inoubliable.

Il me revient l’?uvre du chorégraphe Raimund Hoghe qui avec le Congolais Faustin Linyekula, incarnait le lien chaotique entre corps du nord et silhouette du sud. «Sans titre» était une ode à la recherche identitaire à partir d’une danse qui supporte les stigmates de nos blessures pour tendre vers une relation apaisée avec ceux qui les ont provoquées. Ici aussi, une rage silencieuse et profondément poétique.
À côté, le spectacle «pluridisciplinaire»,  “Nour“, proposé par le collectif GdRA fait contraste. Même si le metteur en scène et acteur Christophe Rulhes rappelle que «l’identité, ça flotte» (jusqu’à appuyer son propos par une vidéo prise d’un bateau où l’on voit la terre s’éloigner?), l’?uvre présentée ce soir au Théâtre d’Arles ne tangue pas : elle nous coule. Tout à commencé vers 19h. Alors que «Nour» évoque l’histoire de Nour El Yacoubi née en France en 1983, d’origine algéro-marocaine et arabo-berbère, le théâtre n’a rien trouvé de mieux que de faire venir des femmes d’origine maghrébine pour proposer aux spectateurs des plats exotiques. Au coeur d’un lieu de culture, elles n’échappent pas à leur destin : les fourneaux…L’identité se résume à une fonction, à un cliché. Rageant.
Mais cela n’a rien d’étonnant. Car dans «Nour», la question identitaire ne s’écoute pas, ne se poétise pas (à moins que gueuler dans un micro soit un acte poétique et protestataire en soi). Elle sert de prétexte pour démontrer la palette des pratiques artistiques du GdRA : chant, musique, images documentaires, texte, cirque et danse. Il y en a pour tous les goûts. Et pour personne (alors même que les acteurs arborent un sweet à capuche rouge où est inscrit le mot «Personne»?). On affiche à défaut d’incarner. L’histoire de Nour aurait pu rejoindre la nôtre compte tenu des enjeux historiques qui nous relient (mais ils sont totalement escamotés tant la démarche est égocentrée).
Ici, l’identité se réduit à des symboles vestimentaires (jusqu’à en faire un musée?le clou du spectacle !) où l’habit fait le moine (sic).
Ici l’identité n’est pas un processus chaotique : c’est du mouvement fabriqué et mécanique à partir d’un trampoline, parce qu’il y en a toujours un dans les spectacles du GdRA.
Ici, la parole de Nour, de sa famille et de ses amis est au service de l’artiste. Un des acteurs (Julien Cassier) n’hésite pas à doubler un témoignage si bien que l’on n’écoute plus : on n’entend que lui. Les mots sont sans cesse malmenés (soit par la voix quand ça hurle, soit par la vidéo où ils défilent dans un générique) comme accaparés par ce collectif qui à force d’en changer la forme, déforme le fond comme si ce processus pouvait transcender.
Ici, l’identité est une question «spectaculaire» (visible quand un témoin en fait des tonnes autour de Mickael Jackson, car elle ressent probablement les intentions des artistes). Or, l’identité n’a rien à voir avec les ressorts du spectacle à moins de tendre vers le communautarisme et les bons sentiments.
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Au final, le regard de ce collectif vers l’immigré est condescendant. Ils fouillent le passé, mais ne l’écoutent pas. Les clichés s’accumulent, car ce n’est pas le fond qui importe. C’est la forme. À l’image de ce passage où à partir de son trampoline, le circassien Julien Cassier piétine la vidéo du visage de la grand-mère de Nour. Le rythme de la performance impose son tempo au temps de la rencontre.Tout un symbole.
Entre Nour et nous, il y a eux.
Eux, c’est la bande : bande sonore, bande annonce, bande dessinée, bande vidéo, bande passante ?
Puis la bande finit par devenir un groupuscule.
Il me terrorise à force de braquer sur moi les armes de la communication de l
a société du spectacle.
Pascal Bély – www.festivalier.net
“Nour” du collectif GdRA au Théâtre d’Arles le 7 décembre 2010.
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La France des mouchoirs jetables.

Les Petits mouchoirs“, le troisième et dernier film de Guillaume Canet va faire un carton.

Je ne suis ni Madame Irma ni Madame Soleil mais “Les Petits mouchoirs” sera un des grands succès public de cette année finissante. Pourquoi? Comme le dirait un intervenant du Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes dont j’ai récemment reçu les préceptes : pour l’effet miroir. Parlez-moi de moi, il n’y a que ça qui m’intéresse!
La volonté de Guillaume Canet est de permettre au spectateur de se reconnaître parmi les personnages dotés de travers sensés être ceux de l’actuelle  génération de trentenaires. Dans le même temps , le film doit délivrer un effet cathartique : « oui nous reconnaissons être individualistes et égoïstes, mais une fois les situations les plus graves arrivées, nous nous repentons de nos pêchés ». Allez pleurons tous ensemble un bon coup pour oublier nos nombrils, et félicitons-nous d’être aussi lucides!
Pour  nous guider dans ce chemin vers l’absolution Guillaume Canet a la bienveillance de déclencher des signaux musicaux à chaque moment jugé clé pour que l’on sache bien quand rire ou s’émouvoir. L’autre effet bénéfique de cette bande-son omniprésente est de nous débarrasser de l’éventuelle culpabilité de voir un vulgaire film tel que “Camping” ou “Le coeur des hommes’. Ici nulle mauvaise conscience, les acteurs sont renommés voire oscarisés (Marion Cotillard pleure très bien) et la B.O. est branchée à souhait.
Pourquoi suis-je donc en colère? Je n’ai pas été jusqu’à pleurer comme mes compagnons de séance, mais je l’avoue ce film m’a parfois fait rire. Pour être exacte, il m’a fait ricaner. Dans “les Petits mouchoirs”, nous nous retrouvons pour ricaner ensemble des déboires des autres : de l’un qui est furieux, car des fouines l’empêchent de dormir, d’un autre qui demande sans cesse des conseils pour savoir quoi répondre aux textos de sa bien-aimée et d’une telle qui visionne des sites pornos pour évacuer sa frustration. Mais ricaner d’eux ce n’est pas mal puisque les autres c’est aussi nous-mêmes. La scène qui résume le mieux est celle des héros partis faire du ski nautiques qui hurlent de rire en voyant leur bonne copine pleurer de rage parce que le bateau la traîne trop vite. Ici mon « sens de l’humour » a manqué et je n’ai plus ri.
A cette  scène métaphore je ne peux m’identifier : ricaner quand l’autre pleure de rage. Je peux d’autant moins quand je pense que les Français vont s’y ruer… Je me rappelle un exercice de portrait chinois fait dans le cadre de cette formation avec l’intervenant du CFPJ : « Si votre organisation était un animal, qu’est-ce que ce serait ? S’il était un personnage célèbre ?, etc. Donc d’après vous, votre organisation est éléphant, mais vous voulez qu’elle soit cheval. C’est ça ? ». Et si la France était un film, elle serait “Les petits mouchoirs“. C’est ça ? 

Pourquoi ne pas s’identifier à des sans-abri congolais atteints de paraplégie qui espèrent s’en sortir grâce à la musique?  Sans rire cette fois. Et pour de vrai puisque je parle de “Benda Bilili”! le documentaire de Renaud Barre et de Florent de La Tullaye sorti le 8 septembre sur le groupe éponyme qui a conquis le monde à partir des bidonvilles de Kinshasa. Filmés dès 2004 à l’occasion d’une rencontre inopinée dans la rue, ces damnés de la terre nourrissent un optimisme et une détermination sans faille pour parvenir à une vie meilleure. Comme Les petits mouchoirs, le film fait tour à tour rire et pleurer, mais sans misérabilisme ni aucune ficelle de mise en scène. Les Benda Bilili portent le film comme ils abordent la vie, avec espoir, gaîté et talent.
« Donc pour vous la France c’est Les petits mouchoirs mais vous voulez qu’elle soit Benda Bilili!, c’est ça ? ».
Elsa Gomis – www.festivalier.net

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A Marseille, le Théâtre du Merlan perd de l’argent par magie et se délocalise.

Le Théâtre du Merlan est une Scène Nationale, dirigé par Nathalie Marteau. Situé au nord de la ville dans le centre commercial Carrefour, cet établissement culturel peine depuis quelques saisons à s’implanter dans le quartier comme en témoignent ses nombreux « vagabondages » et l’incohérence de sa programmation (voir l‘article à ce sujet du 12 juin 2009).

L’expression « vagabondage », empruntée au vocabulaire des travailleurs sociaux pour désigner ceux qui n’ont plus de domicile fixe, sert la politique de communication de ce théâtre.  Le territoire est ici vu comme un terrain de jeu où l’errance fait sens. Chacun appréciera. Le Merlan vagabonde, se «délocalise » à la Friche Belle de Mai, au muséum d’Histoire Naturelle, au Théâtre du Gymnase. Il y installe parfois des chapiteaux (malgré les promesses, à sa réouverture suite à des travaux, d’en faire “une maison ouverte commune à tous, un camp de base”. A écouter l’interview sur France Info). Qu’est-ce qui justifie socialement et artistiquement de tels déplacements que l’on suppose fort coûteux ?  Le cynisme va jusqu’à programmer le collectif Berlin (qui propose des portraits de capitales à l’articulation du documentaire et du théâtre) loin des quartiers nord alors que l’on serait en droit d’attendre du Merlan qu’il relie les habitants au reste du Monde?
Ce théâtre connaît une deuxième difficulté, plus structurelle : sa programmation. Certains, par paresse intellectuelle, la jugent éclectique. Programmer « Description d’un combat » de la chorégraphe Maguy Marin en 2009 puis une « Semaine de la magie » en octobre 2010 (« magic week »…sic), serait une preuve d’ouverture et de curiosité. Sauf que cette diversité est au service d’une politique de communication (le Merlan est «branché») mais dessert tout projet visant à créer des liens durables avec les habitants. Comment leur proposer des traversées dans une programmation qui érigent des murs au lieu de passerelles, qui multiplient les esthétiques pour finalement composer un labyrinthe? Comment guider le  public en lui offrant coup sur coup danse contemporaine et formes spectaculaires ? Là où la danse ne fait pas spectacle, la magie s’appuie sur les ressorts du spectacle (elle fait même un retour en force à la télé cf.« Vivement dimanche » sur France 2). À la culture du divertissement qui finit par pervertir la société française, une Scène Nationale devrait proposer une programmation certes diverse, mais au service d’une vision. Comment le public peut-il entrer en communication avec une équipe artistique qui lui enlève toute possibilité de s’émanciper de la société du divertissement ?

Deux difficultés qui bien évidemment produisent des incidents. Le premier eut lieu en février 2009 avec le chorégraphe Alain Buffard. La programmation de «  (Not) a love song»,  déconnectée d’une politique globale de relation avec les publics, a provoqué une « crise » avec les spectateurs. Dénonçant les rires au début de la représentation, Alain Buffart fit expulser de la salle un groupe de jeunes sans que la directrice du Merlan n’y trouve rien à redire…(à lire le compte-rendu du journal La Marseillaise).
Le deuxième incident, bien plus inquiétant, a eu lieu début octobre 2010, après la programmation pour deux soirées de P.C. Sorcar Jr., « la plus grande figure de la magie orientale ». Face au fiasco artistique, Nathalie Marteau propose de rembourser les billets au public mécontent (voir le courrier en fin d’article). Dans sa lettre, elle précise que le risque est partagé (je suis d’accord sur ce point: toute programmation implique une prise de risque du programmateur et du spectateur), que le spectacle génère de «la frustration» (c’est souvent la fonction de la création contemporaine de ne pas répondre aux attentes !). Et que propose-t-elle ? Un remboursement comme le ferait un commerçant (“Satisfait ou remboursé”)! Pourtant, après la crise de l’intermittence, cette direction affirmait que « la culture n’était pas une marchandise”. Le cynisme est à son comble lorsque pour s’excuser, Nathalie Marteau reporte la faute vers les artistes (ils ont eu carte blanche) et se pose en victime au même titre que les spectateurs. Pour devancer la critique, elle disqualifie les artistes, s’exclut du processus, dilue la responsabilité et se repositionne à partir d’un geste « risqué » pour les finances publiques, mais tellement généreux. Cela ne vous rappelle-t-il rien ?
Quelle vision a donc le Merlan de sa relation avec les spectateurs pour proposer ce remboursement ? Comment s’articule-t-il avec le travail des chargés de relation avec le public qui travaillent probablement dans la durée, l’inclusion des habitants dans un lien à la culture non marchande?

Le remboursement est la conséquence d’une politique de communication ; en aucun cas, d’un projet culturel global.
Le Merlan justifie-t-il son label de Scène Nationale ? Remplit-il au moins trois missions :
–  “s’affirmer comme un lieu de production artistique de référence nationale, dans les domaines de la culture contemporaine
–   organiser la diffusion et la confrontation des formes artistiques en privilégiant la création contemporaine,
–   participer dans son aire d’implantation (voire dans le Département et la Région) à une action de développement culturel favorisant de nouveaux comportements à l’égard de la création artistique et une meilleure insertion sociale de celle-ci”
Ces trois missions sont incompatibles avec un lien “producteur – consommateur” entre le théâtre et le public. Elles requièrent une relation respectueuse, permettant à chacun d’évoluer au grès des propositions exigeantes, pour s’éloigner des formes spectaculaires qui figent.
Le Merlan est aux mains de communicants. Il est grand temps de le doter d’un projet global. Loin d’être une formule magique, c’est une exigence.

Au vagabondage, préférons la divagation…
Pascal Bély – Le Tadorne

Lettre de Nathalie Marteau aux spectateurs:

Madame, Monsieur, Chers spectateurs,

Le spectacle vivant est une chose fragile, pas toujours prévisible, et qui peut même parfois nous décevoir. Cela fait partie du risque, que nous partageons avec vous, public.

Mais les soirées indiennes des 8 et 9 octobre de P.C. Sorcar, proposées par la compagnie 14:20 dirigée par Raphaël Navarro, à qui nous avions donné carte blanche, ne furent pas à la hauteur de ce qui avait été annoncé.
Nous reconnaissons avec vous que les 15 minutes de magie présentées ne font pas un spectacle, et face à cette situation exceptionnelle, nous nous engageons à rembourser toutes les personnes qui en feront la demande auprès de la billetterie au 04 91 11 19 20 (du lundi au vendredi de 13h a 18h). 
Nous nous adressons particulièrement à ceux qui venaient pour la première fois au Merlan et nous espérons qu’ils n’en resteront pas à cette désagréable impression de frustration.
Toute l’équipe du Merlan se joint à moi pour vous souhaiter de belles soirées à venir et restons à votre disposition.
Nathalie Marteau, directrice”

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Yves-Noël Genod et leTadorne : “crise” de la critique?

C’est l’histoire d’un lien entre un artiste et un spectateur. Cette relation interroge les processus de constitution d’un microcosme autour d’un artiste, d’un «entre soi» et du rôle de la critique.

Nous sommes au Festival d’Avignon 2010. Un ami me dit : «Pascal, il te faut voir Yves-Noël Genod à la Condition des Soies. Il présente un spectacle tout en douceur qui te plaira ».

Je lui dis: « Après mon article de 2009, je ne suis pas sûr d’être le bienvenu ».

Une intuition.

Je vais à la Condition des Soies. A 10h, pour Aude Lachaise. Coup de foudre. Je découvre sa danse, son texte et le lieu. J’irais voir Genod à 18h. Entre temps, un mail arrive à 2h du matin, rendu public sur le blog d’Yves-Noël Genod.

« J’ai vu que vous vous étiez inscrit pour voir le spectacle que je propose. Il ne vous plaira pas. C’est un spectacle qui s’adresse à mes amis. Exclusivement. Comme tous mes spectacles. Je réduis mon oeuvre à ça : l’amitié. La dernière fois, à Avignon, vous aviez balancé l’assiette en carton qui contenait la part de tarte qu’Hélèna Villovitch offrait (qu’elle faisait tous les jours). Ici, tous les jours, le spectacle est offert et ouvert par un artiste invité qui offre le champagne dans des verres en verre (d’où ma crainte…) Le spectacle n’est pas subventionné, il est exclusivement un acte d’amitié, il n’y a pas de commande. C’est pour ça, comme nous ne sommes vraiment pas amis, que je suis étonné que vous n’ayez rien de mieux à faire que de venir faire la gueule à 18h. Je ne demande au public que j’invite qu’une chose : la politesse de la bonne humeur. Sinon rester chez soi. Ou aller voir un autre spectacle : y en a mille.»

J’avais aimé sa création pour Actoral en 2008 à Marseille. Pourquoi évoque-t-il l’amitié ? C’est un lien si complexe…« Je réduis mon oeuvre à ça » : mais comment peut-on faire l’apologie de la «réduction » alors que nous avons tant besoin du «complexe» ? Il relie donc le spectacle non subventionné au lien amical. En d’autres termes, il promeut un théâtre «privé», voire intimiste qui lui permet de définir la nature de la relation : «la bonne humeur». C’est une « stratégie » de communication proche d’une injonction publicitaire. Sommation ou  intimidation?

Ma réponse à 2h45 du matin : 

« Vous avez absolument raison, nous ne sommes pas amis. Mais mes amis sont venus vous voir. Ils ont aimé et il se trouve que j’adore le champagne. Et puis, l’amitié, ça va, ça vient…Je vous suis fidèle : je suis votre travail. Et je fais ce que je veux de mon temps de cerveau disponible. Mais c’est vous qui m’aviez tendu une carte dans la rue. C’est vous….???Vous pouvez m’empêcher de venir. J’attends votre réponse ».

Malgré les injonctions (depuis quand faut-il être de bonne humeur pour aller au spectacle ?), du buzz qui entoure cette pièce (journaux nationaux plus presse locale…rarement vu un tel engouement au Off), le  spectateur, fut-il blogueur, vient avec sa liberté de jugement. Mais je subis «aussi» la pression médiatique. J’ai peur : n’y a-t-il pas un risque d’écrire une critique sévère non sur la pièce, mais sur son environnement? Genod le sent-il ? Me protégerait-il?

Sa réponse fait baisser la tension :

« C’est vrai que je distribue ces cartes à grande envergure ! Et j’ai raison de le faire, évidemment. Alors venez, si ça vous dit. (Et excusez mes craintes…). Au plaisir ».

Nous avons donc peur tous les deux.

Je vais à la Condition des Soies. Je prends soin de me mettre au fond, à l’extrême gauche. Je n’ai pas totalement confiance en lui: cet homme qui différencie assez peu sphère publique et privée (voir son blog) pourrait me prendre à partie. Jamais il ne me regarde. Le lendemain, j’écris l’article. Plutôt apaisé.

“Fin d’après-midi, à 18h, il y a Yves-Noël Genod. Il me croit mal intentionné suite à un article où je ne m’étais pas senti invité dans son univers florissant. Mais aucun de mes regards vers un artiste n’est figé dans le marbre. Nous évoluons tous. Ensemble. Tout n’est que désir. Après Aude Lachaise, j’ai envie d’entendre cet acteur.

La piste n’est pas encore à lui. À l’entrée, comme au bon vieux temps des premières parties, il y a Arthur Ribo pour nous offrir une coupe de champagne. Les théâtres seraient bien inspirés d’en faire de même et de réduire la voilure sur la communication sur papier glacé. Il nous invite à faire silence pour s’écouter. Joli moment. La communication est dans cet instant précieux. Il note ensuite dix mots donnés par la vindicte populaire ! Comme à la Société Générale, « avec quatre mots, je vous en donne 4000 ». Et le voilà parti pour une improvisation. C’est un festival. « In » et « Off ». Il jongle, rattrape, se remet à l’ouvrage. Sans filet. C’est gagné, les bulles de champagnes englobent, relient les mots et provoque l’émerveillement.

C’est alors qu’il arrive, livre de Shakespeare à la main (« Venus et Adonis »). Une heure de lecture, dans son «parc intérieur» : on peut s’y coucher, se lever, penser à autre chose, faire des liens improbables. À peine commencé, il évoque David Bowie. Alors qu’un fan lui tendit une rose, il promit au public un jardin pour en offrir une à chacun. Genod est Bowie. Et chacun de nous prendra «sa» rose : Marguerite DurasClaude Régy,Jorges Luis Borges, le poète Wallace Stevens. Ils s’invitent dans la lecture. Comme des entremet(eurs). Plus que des apartés, ces textes, ces petites anecdotes font danser Genod tandis que Venus et Adonis prennent le temps de se conter. Cette « rocambolesque » histoire d’amour  a soudain des allures de chevauchée fantastique, comme au bon vieux temps des feuilletons où l’on pleurait d’avoir raté un épisode ! On rit beaucoup, on fait silence alors que les mots de l’acteur se cognent au mur pour créer l’écho. La profondeur de l’écriture prend alors tout son sens d’autant plus que le français n’est pas la langue de Shakespeare !

Puis, subitement, Genod s’approche. Il nous glisse une confidence personnelle à propos de Marguerite Duras. Peu à peu, son « parc intérieur » est un parterre de roses. For Pina.”

A ce moment précis, la relation s’équilibre : une proposition artistique – un regard de spectateur. Nul besoin d’être « ami » pour trouver son positionnement. Mais c’est sans compter sur un imprévu. Le lendemain de la parution de mon article sur Genod, j’apprend que le chorégraphe Suisse Gilles Jobin s’en prend sur son site (depuis l’article a été supprimé) aux blogs de spectateurs dont il reproche la mauvaise qualité de l’écrit et leur posture non professionnelle ! En reliant l’attaque de Jobin aux mails de Genod, un désir de contrôler la parole est mis en évidence. Là où Genod impose le lien amical (avec coupe de champagne à l’appui), Jobin ne souhaite que des professionnels débarrassés de leurs états d’âme.

« Je veux contrôler la parole ? Comme c’est curieux? Les artistes veulent contrôler la parole ? Comme c’est curieux? Tadeusz Kantor avait fait un spectacle sur ce thème, intitulé : Qu’ils crèvent, les artistes ! Venir voir un spectacle de bonne humeur est une demande inacceptable ? Comme c’est curieux? On n’évolue, je crois bien, pas dans le même monde, Monsieur Bély et ses nounous. Heureusement le mien est vaste, il date de l’antiquité, il dit : un spectacle, ça se fait à deux. Quand je parais devant les spectateurs, je le fais de ma meilleure humeur – pour donner du bonheur. Voilà où j’en suis. Mais si on me met un type renfrogné en face de moi, je serai comme Vénus, je n’y arriverai pas (à donner du bonheur). C’est comme pour tout. Vous pouvez voir une expo de mauvaise humeur, vous pouvez lire un livre de mauvaise humeur, vous pouvez écouter de la musique de mauvaise humeur et vous en apprendrez quoi ? Rien. A moins que vous n’imaginiez que l’art peut vous soigner? Mais, là non plus, nous ne sommes pas du même monde, je ne le pense pas, moi. C’est ce que Borgès, Stevens, Duras, Sarraute, Shakespeare et moi-même disons pendant une heure quinze : on ne peut que faire allusion, “la vision d’un homme ne prête pas ses ailes à un autre homme”. Et voilà pourquoi il faut être deux. Deux en forme. Vous dites que les artistes doivent être des citoyens comme les autres (ce sont les mêmes mots de la curée contre Roman Polanski) – mais vous les placez où, les artistes, s’ils n’ont pas le droit de critiquer vos critiques ou vos humeurs ? Fais ton spectacle et tais-toi ? Pas le même, pas le même monde… Je le redis : mes spectacles ne s’adressent pas à vous. Ils s’adressent à ceux qui le veulent bien (et non pas le valent bien?), c’est-à-dire à tout le monde. Vraiment exactement..»

Genod constitue sa salle : l’an dernier à Chaillot, sa page Facebook était son « flyer » !  Il n’a pas besoin de RP (d’ailleurs, notez que ce soit à Paris ou à Avignon, les institutions théâtrales ne se positionnent pas. Elles sont absentes du débat). Dans ce texte, il revient sur son concept de « bonne humeur » qu’il ne définit toujours pas. « La bonne humeur » en groupe est souvent l’injonction d’une secte qui se débarrasse de la « mauvaise humeur», trop liée au contexte extérieur. La « coupe de champagne » est une technique  issue de la psychologie sociale qui vise à créer une interaction entre l’individu et le groupe. Elle facilite le lien social, mais impose une conformité de l’un à l’autre (après le champagne, difficile d’être de mauvaise humeur, de s’en prendre aux valeurs du collectif.  Comme par hasard, le public est invité à la sortie à payer sa place dans le saut à champagne). Il sait que le public n’est pas particulièrement de bonne humeur quand il va au théâtre, sinon il irait au « Palace ». Dans ce texte, il décide que la relation spectateur – artiste est symétrique. Mais je m’interroge: que vient faire la bonne humeur dans ce lien?

Or, en posant la «bonne humeur» comme lien exclusif, il créé la relation asymétrique. C’est une prise de pouvoir. Genod manie la double contrainte avec talent : « le spectacle c’est à deux, mais c’est moi qui définit la relation », « le spectacle est pour tout le monde sauf pour vous» « je prône la bonne humeur, mais je m’appuie sur ma mauvaise humeur pour entrer en relation avec un spectateur critique ». Or, «la double contrainte désigne deux obligations qui se contrarient en s’interdisant mutuellement, augmentées d’une troisième qui empêche l’individu de sortir de cette situation ». Ainsi, à la lecture de son texte, je ne sais plus comment sortir de là. Lui-même, se perdant dans ses considérations, finit par une phrase qui ne veut plus rien dire (« Je le redis : mes spectacles ne s’adressent pas à vous. Ils s’adressent à ceux qui le veulent bien (et non pas le valent bien?), c’est-à-dire à tout le monde. Vraiment exactement..»).

Sur son blog, Genod précise sa pensée:

« Ce que je dis n’a rien à voir avec une bonne ou une mauvaise critique. Je me suis fâché avec Pascal Bély à l’occasion d’une bonne critique (celle de Chaillot, l’année dernière), pas à l’occasion de sa critique-contresens atroce d’il y a trois ans, Avignon, par exemple. D’ailleurs, Pascal Bély a aussi écrit l’une de mes meilleures critiques, celle pour “Monsieur Villovitch” (Marseille, il y a trois ans) qu’il faudrait que je relise, mais qui m’avait positivement soufflé. (Il y révélait mes intentions, celles que j’avais transmises aux acteurs, c’était très étonnant.) Non, c’est pas ça. (C’est très bien, les critiques, dans un sens ou dans un autre.) Il s’agit d’un désaccord de fond. Pour moi, Pascal Bély – puisque son nom est révélé ici – fait exactement le contraire de ce que je crois essayer de faire (consciemment). Exactement le contraire. Et je trouve que c’est important non pas forcément que ça se sache pour tout le monde, mais que lui le sache : nous ne sommes pas amis. Nous sommes opposés EN TOUT. Et mon spectacle pourtant offert au plus grand nombre ne lui était pas destiné. C’est personnel. (Mais peut-être que je me trompe, je veux dire, à l’échelle cosmique…)”

Genod se positionne très vite ailleurs, au niveau « cosmique » . Il ne s’agit plus d’être de bonne ou  mauvaise humeur. Il ne sait pas quoi faire de ce spectateur qui n’entre pas dans le «cercle» mais qui peut apprécier son oeuvre. A l’échelle «cosmique», Genod confond relation avec le public et lien amical comme s’il fusionnait le contenant et le contenu. Sauf qu’il est un personnage public ET privé. Il n’y a quasiment plus de frontière entre l’artiste et l’homme (on connaît cela ailleurs dans le milieu politique). Le spectateur critique ne peut donc adopter le positionnement habituel quand il y a LA frontière. En ce sens, le « corps » de Genod percute le « corps » du spectateur, lui-même engagé à se définir comme hybride. Étrange Genod face à l’étrange Tadorne.

Nous sommes effectivement « ailleurs ». Le regard critique doit intégrer cette « porosité ». Le Tadorne y veille  de manière à ce que “‘l’humeur” soit une information travaillée pour  permette d’accéder vers l’universel, qui est le propre de l’art.

Pascal Bély-www.festivalier.net

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Notre problème avec Faustin Linyekula

Cet article fait suite à celui que j’ai publié il y a quelques jours à propos de la pièce de Faustin Linyekula , «Pour en finir avec Bérénice ». Sylvain Pack ne partage pas mon analyse.  

Titus, le fils du Roi de Rome convainc son amoureuse Bérénice de quitter la Palestine pour le rejoindre. Cet homme doit diriger Rome alors que son peuple s’oppose à cette union avec une étrangère. Les deux protagonistes s’aiment passionnément et vont devoir faire face au dilemme de leur responsabilité. Titus a déjà choisi et renvoie son amour chez elle. Ils acceptent leur destin tragique. Bérénice met-elle fin à ses jours ?…

Voilà, esquissé, le drame auquel l’équipe de Kisangani va s’atteler durant le spectacle “Pour en finir avec Bérénice“, joué dans le cloître des Carmes. Voilà une histoire qui m’était inconnue, écrite par Jean racine il y a 4 siècles. Voilà aussi mon problème… La distance de la langue, l’incompréhension de ces vers, l’inaccessibilité de leur syntaxe et de leur musique. Ce qu’a dû, d’autant plus, affronter le chorégraphe et metteur en scène Faustin Linyekula, originaire d’un pays ultra colonisé, ultra envahi par la langue française : le Congo.

Six siècles plus tôt, les Portugais commencent la traite négrière dans ce pays majoritairement pygmée et bantou. Les Français prennent le relais puis bien plus tard, le Congo expulse ses envahisseurs et acquiert son indépendance en 1958. Le Congo a connu toutes les déchirures, tous les déracinements de l’esclavage. Sa conquête d’autonomie et les compromis politiques qu’il a dû subir, lui a valu du sang et beaucoup de cadavres encore. C’est le problème de Faustin Linyekula et c’est un problème de taille, comparé au mien ce soir.

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Il rentre sur scène en tapant des cailloux, qu’il ne lâchera presque jamais. Ses acolytes déversent du café sur scène, ressource congolaise autrefois florissante et aujourd’hui tari. Leur visage est recouvert de blanc, des perruques de cour tout aussi ridicules et fantomatiques seront portées, envolées, perdues. Faustin Linyekula ne cessera jamais de battre le pouls de son pays, avec la musique, avec son corps, avec le désert que laissent le massacre et les guerres… et même si le pathos de certains interprètes tiraille dans cette cour rafraîchie par le mistral, l’équilibre de l’approche, comme la bassine que porte sur sa tête une des femmes, ne verse ni dans la plainte, ni dans la colère. Faustin Linyekula défie et recherche. Il fait éminemment parti de cette génération consciente et concentrée, avec Israël Galvan ou Ivo Dimchev, qui par la danse et la performance aborde les angoisses de notre monde.

Concernés par des affaires autant intimes que communautaires, ils proposent, en échange, des activités de recherche esthétique portées au regard du public. Et si la forme n’est pas close, si elle est longue, voire maladroite, elle n’est pas prête à consommer, elle n’est pas facile et surtout, elle n’est pas occidentale. L’équipe de Faustin Linyekula se débat avec les débris d’une culture violée et l’appétit dévastateur du pétrole qui règne autour de son lieu de travail. C’est ce qui est donné à voir et à entendre, lorsque le plus simplement du monde, les acteurs témoignent de leur temps de travail autour du futur cadavre de Bérénice et la transforme en scène de comptoir : ” 2,5 millions… non 3, mais non il y a eu 5 millions de morts. Je vous dis qu’il y en a eu 4, 5 ! ” Et on rit. On s’amuse parce que ces acteurs sont touchants, qu’ils sont distants comme exprès, respectant le dessin qui est fait “Pour en finir avec Bérénice”.

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Ce spectacle est furieusement fragile et retenu, abordant un concept presque immaîtrisable tant la douleur est sourde et désespérée et, notre conscience européenne, si susceptible à ce sujet. Pour renvoyer  à l’article de Pascal Bély, je ne crois pas que Faustin Linyekula soit trop immature pour toucher à ce sujet. Je pense qu’il est plutôt très difficile de l’entendre, que la décolonisation et le néocolonialisme doivent être chevauchés par ces nouveaux artistes bien plus que par ce dernier défilé du 14 juillet qui fait honte à notre pays.

Notre problème avec Faustin Linyekula a jailli avec un public resté silencieux, apprenant à ne rien renier et à comprendre les fondements de cette violence raciste. Le travail de l’art vivant n’est pas une forme figée, il se réfléchit et se questionne, n’aboutit pas toujours, d’un spectacle à l’autre. Ce soir, je renvoie à ces hommes de scène toute mon admiration en essayant de faire claquer mes deux mains comme des pierres. Je résiste mieux, je rentre chez moi et cherche plus de détails sur l’histoire des Congolais, découvre les liens qui unissent la mienne à la leur.

Sylvain Pack – sylvainpack.blogspot.com

“Pour en finir avec Bérénice” de Faustin Linyekula au Festival d’Avignon du 17 au 24 juillet 2010.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage.

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Au Festival d’Avignon, des rires primaires pour la dans’amalgame d’Alain Platel.

Le danseur me regarde. C’est interminable. Je lui fais signe d’arrêter, que cela suffit. Il continue. Le combat est inégal. À ce moment précis, je lutte avec le chorégraphe Alain Platel pour que « Out of context (for Pina) » se termine. Je voudrais me lever, demander une suspension de séance, pour que les spectateurs qui rient m’expliquent les raisons pour lesquelles le propos a lâché. Je me tournerais alors vers les danseurs pour les questionner sur leur ressenti d’incarner des handicapés que Platel fait passer pour fous parce que ça l’arrange, parce qu’il y décèle de la «virtuosité». Je l’interrogerais ensuite mais il serait peut-être déjà parti. On m’aurait ordonné de quitter les gradins bien avant, avec une camisole de force. Ce spectateur est fou, fatigué, excessif. Probablement du sud, car à Paris on sait se tenir, surtout au Théâtre de la Ville.

« Out of context » est une (trop) longue chorégraphie, car il faut du temps à Alain Platel pour travestir son propos. En observant les autistes, il n’a vu que des corps tordus.
Coup tordu.

Vous n’avez pas de chance, Monsieur Platel. Avant vous, il y a eu l’an dernier sur cette même scène du Lycée Saint-Joseph,  Pippo Delbono et Bobo. J’ai appris avec eux qu’entre le handicap et la folie, il y a tout un monde que vous avez préféré réduire à une esthétique séduisante. Mais manque de chance, le public rit. Il vous tend le miroir de vos erreurs et de vos égarements.

Avant vous, Monsieur Platel, il y a eu Christoph Marthaler qui, il y a seulement deux jours, nous a proposé de nous introspecter dans le regard du fou. Vous avez préféré créer la distance entre vos danseurs et le public pour faire du spectaculaire. Mais manque de discernement, cela se voit. Vous avez fait d’un handicapé un fou sans lui donner sa fonction politique. Vous avez choisi d’en faire le bouffon, jusqu’à convoquer des bébés sur scène et valider votre hypothèse. Vous penser qu’ils sont seuls capables de  regarder droit dans les yeux le «handicapé fou» (appelons-le ainsi, puisque vous mélangez tout), tandis que les spectateurs rient, non pas parce que cela les dérange, mais parce que c’est rigolo.
Mort de rire.
Avant vous, Monsieur Platel, il y a eu Angélica Liddell. Elle nous venait d’Espagne. C’était il y a dix jours, au Festival d’Avignon. Elle m’a bouleversé parce qu’avec elle, j’ai compris que le corps qui souffre relie l’intime et le politique, que danser autour d’une chanson pop pouvait rendre fou. Avec vous, la pop, la variété, ne servent qu’à séduire le public pour qu’il accepte la danse du « tordu ». Nuance. Vous osez même nous interpeller pour savoir si nous serions capables de danser avec eux. Certains spectateurs (castés) montent sur scène pour une danse de l’étreinte. Sauf que le danseur n’est ni handicapé, ni fou. Se seraient-ils risqués avec Bobo ? Sûrement pas, parce que Pippo Delbono ne l’aurait pas permit. Et puis parce qu’un fou, ça peut aussi déplaire et puer de la gueule.
Mensonge.
Ainsi, vous pensez à Pina Bausch. Moi aussi. Sa danse était virtuose.
La vôtre est en dehors du contexte.
Fin.

Pascal Bély – Le Tadorne

“Out of context for Pina” d’Alain Platel au Festival d’Avignon du 22 au 26 juillet 2010.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage

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FESTIVAL D'AVIGNON LES JOURNALISTES! PAS CONTENT

À Avignon, la Cour du déshonneur.

Avant que le spectacle de Christoph Marthaler ne commence pour sa première, l’actrice Agnès Sourdillon s’approche vers nous. À droite de la grande scène de la Cour d’Honneur du Palais des Papes, elle lit un texte sur le contexte général des politiques publiques. Elle rappelle le bouclier fiscal et la réduction de la TVA dans la restauration dont le montant équivaut au budget de la culture au moment où celui-ci va subir un coup de rabot. Le Ministre est là. Le discours est applaudi, pour ce qu’il est : un diagnostic froid, implacable, mais qui arrive à nous inclure quand elle évoque notre imaginaire et notre engagement d’être là ce soir. Nous aurions pu en rester là. Mais deux comédiens surgissent des gradins et improvisent une bien triste tirade. Ils attaquent le nom du Ministre (Mitterrand) puis font référence à Jean-Luc Hess Président de Radio France. Les amalgames s’accumulent et le public, plutôt uni jusqu’à présent, se clive. La tension monte : spectateurs de gauche contre ceux de droite. Absurde. Car ce soir, ce qui nous lie, c’est le festival. C’était donc de là qu’il fallait nous guider vers une visée politique entendable. Suffit-il encore et toujours de répéter inlassablement le même discours (à savoir, les budgets baissent)? Ne serait-il pas le moment, de proposer aux spectateurs un nouveau contrat social et culturel qui les associerait? N’est-il pas opportun de suggérer des chemins de traverse qui permettraient d’ouvrir les financements ?

La Cour d’Honneur ne sera donc pas le lieu d’où partira l’étincelle, car il reste voué aux conservatismes de tout poil. Inutile de compter sur la presse, qui se contente au mieux de reporter l’événement, au pire de l’amplifier. Laurence Liban  de l’Express ne se gêne pas sur son blog pour poursuivre les amalgames (présent, le ministre de la Culture a reçu l’avertissement et l’appel à la manifestation du 15 juillet. Mais au vu des grappes de spectateurs qui s’enfuyaient au bout d’une heure, et, peut-être, au vu de ce spectacle assez pauvre, au fond, il a pensé que cet argent qui manque  pourrait être mieux employé. Il est possible aussi qu’il ait apprécié la soirée plus que moi. Manuel Vals, quant a lui, n’a pas tenu jusqu’au bout. Il ne fut pas le seul.). Elle mélange tous les niveaux et n’hésite pas à rendre public ce qui est dans la sphère privée. Car, jusqu’à preuve du contraire, le théâtre est encore un espace protégé qui permet à chacun d’entre nous d’être libre d’entrer et de sortir. Mr Valls retournera-t-il au théâtre s’il se sait épié?  Or, nous avons intérêt à ce qu’il s’y rende si l’on veut qu’il défende une politique culturelle globale.

Au final, Laurence Liban ne fait que diffuser une certaine idéologie de l’excellence, reprise par les caméras de BFM TV: les deniers publics ne doivent servir que les oeuvres réussies et qui plaisent au plus grand monde. Ainsi, elle préfère, avec d’autres, mélanger les genres plutôt que de nous offrir une lecture  critique des enjeux. Déconcertant.

Pascal Bély, www.festivalier.net