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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Patrice Chéreau fait naufrage.

Il y a des décors qui sont en soi une oeuvre d’art. Celui d’ «I Am the Wind» de Jon Fosse par Patrice Chéreau est de ceux-là. Tandis que le public s’installe, gît un morceau de bois dans l’eau boueuse, témoignage qu’un cataclysme est passé par là. Au loin, le fond de scène est d’un gris bleu profond. C’est infini. L’eau, le minéral, le végétal : mon regard s’égare déjà, mon  imaginaire fait  dialoguer les éléments et se fertilise. La scénographie happe tout en maintenant la distance : se perdre au loin pour reconstruire ici. Serions-nous l’explorateur de notre âme à la dérive ? Qu’emporter sur notre “Arche de Noë” ?

Nous sommes au centre: de nombreuses places sont condamnées à droite et à gauche. Nous voilà «concentrés». L’exigence est là : une salle se façonne comme une scène.

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Tom Brooke et Jack Laskey s’approchent.  Leurs vêtements mouillés nous collent à la peau. L’un porte dans ses bras l’autre. Le torse blanc de l’autre se fond dans le pull de l’un. Le contenu dans le contenant. À ce moment précis, me revient une scène créée par Pina Bausch. « Café Müller » ressurgit : l’essentiel est sauvé de la débâcle. Trois minutes où la chair nous dit tant de ces deux hommes et de leurs liens : un amour improbable où l’inconsciente légère de l’autre dialogue avec la lourdeur de l’un.

Vient l’instant où l’un entreprend de rhabiller l’autre. Les gestes de l’un pour mouvementer l’autre. Le silence est impressionnant et l’on entend le vacarme de la tendresse, le bruit sourd de l’angoisse, les froissements de la métamorphose. La chenille est papillon. Ce moment théâtral est sublime : le théâtre est chair. Patrice Chéreau est un chorégraphe de l’âme. Les mots qui suivront pourront-ils rivaliser avec une telle entrée en matière ?…

Commence alors leur voyage. Pieds dans l’eau, le corps squelettique de l’autre s’est habillé. Ils vont prendre la mer, manoeuvrer leur bateau, l’amarrer à une crique, déjeuner, reprendre la mer. L’autre disparaîtra.

 «Je ne suis plus que mouvement

je suis parti avec le vent

je suis le vent» dira-t-il avant de sombrer dans l’eau.

Mais pourquoi Patrice Chéreau les a-t-il abandonnés, confiant leurs corps et leur âme à un dispositif scénique tout puissant? Le bateau monte et descend sous la pression d’une machine censée restituer une réalité, celle d’une mer calme ou en furie. Entre questionnements métaphysiques et matérialité, je m’égare dans une machinerie théâtrale qui objective : c’est elle qui fait mouvement. Sans chorégraphie, ce théâtre-là n’est qu’une armature. La chair a disparu. Le texte s’amarre à l’action, aux faits et gestes et la mise en scène ne suit plus.

On rêverait presque de les voir nus pour entendre leur âme. Car «I am the Wind» est une oeuvre sur l’insondable. Mais les corps ne sont plus traversés et font semblant de tomber à l’eau : c’est tout simplement insupportable. Les deux hommes sont sur le registre de la conversation, de celle qui pollue notre espace social. Leurs gestes illustrent et finissent par créer peu à peu la distance : les corps s’automatisent, le chaos intérieur ne s’entend plus pris dans la mécanique de la machine. Qu’est donc devenue l’intensité de la première scène, la puissance poétique de certains dialogues ? Entre l’un qui s’attache à la vie et l’autre qui la transcende, Patrice Chéreau préfère un théâtre de masques, un théâtre d’images où la scénographie fascine.

«I Am the Wind» est un naufrage : celui d’un théâtre qui séduit là où il devait créer la turbulence entre notre un et nous autres.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« I Am the Wind » par Patrice Chéreau a été joué du 15 au 18 juin 2011 aux Nuits de Fourvière à Lyon. Au Festival d'Avignon du 8 au 12 juillet 2011.
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OEUVRES MAJEURES PAS CONTENT PETITE ENFANCE Vidéos

À Montpellier Danse, le plastique, c’est sacré.

Étrange journée…Le festival Montpellier Danse peut nous réserver une belle surprise en fin d’après-midi et nous propulser plus tard dans une ambiance plombée d’une petite fête entre amis chez Monsieur l’Ambassadeur.

À 17h, Phia Ménard se prépare. Tout autour, le public prend place sur des coussins ou dans les gradins. Je m’assois près d’elle, comme une évidence. Tel un artisan pêcheur avec son bonnet sur la tête et son manteau pour tous les temps, elle découpe des sacs plastiques. Ont-ils été pêchés en Méditerrannée, là où ils prolifèrent jusqu’à menacer durablement la faune et la flore marine ? À moins qu’elle ne les ait attrapés au vol dans la rade de Marseille par temps de mistral. Je n’ai jamais imaginé  retrouver sur la scène d’un festival de danse, ces compagnons d’infortune croisés lors de mes randonnées. «L’après-midi d’un Foehn (version 1)» dure trente minutes. Précieuses secondes où votre corps se laisse porter par les émotions de l’enfance tandis que votre regard balaye l’assistance à la recherche du complice. Délicieux.

À peine entendons-nous la musique de Debussy…à peine percevons-nous le souffle propulsé par les ventilateurs. La délicatesse et une précision millimétrique provoquent une chorégraphie pour que s’envolent ces sacs, métamorphosés en corps humains. L’air est musique. La musique est dans l’air.  Ominprésent dans nos vies (jusqu’à coller à notre intimité?), le plastique devient la matière du mouvement. Il ne porte plus, mais il transporte. Phia Menard convoque  tout un ballet: la danse recycle, régénère et nous libère de la pollution. Elle n’hésite pas en entrer dans le mouvement, à jongler avec eux. C’est un ballet avec nos rêves de danse.

Elle est sur la frontière entre scène protégée et ciel pollué, entre  fragilité et force, entre ordre et désordre. Elle est au coeur d’une cellule régénératrice, celle dont l’énergie métamorphose tout un système. Tel un chorégraphe de l’utopie, Phia Menard est un souffleur de bulles de savon qui viennent se fondre sur notre peau.

Avec elle, l’éphémère est durable jusqu’à tout faire exploser : plus que jamais, les briseurs d’utopie sont à l’oeuvre…

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Quelques heures plus tard, le chorégraphe allemand Raimund Hoghe nous donne rendez-vous pour une création unique. Artiste associé du festival, il a tissé depuis de nombreuses années un lien de confiance avec des spectateurs fidèles. Pour ma part, notre relation a débuté en 2004, ce qui en fait l’artiste le plus chroniqué sur ce blog : « “Young People, Old Voices“(2004), “Cartes Postales” (film ; Arte) ;  «36, Avenue Georges Mandel» , «Meinwärts» (2007) ; « Boléro Variations» et “L’après-midi” (2008), « Sans titre » (2009), «Si je meurs laissez le balcon ouvert»(2010). Raimund Hoghe sait ritualiser mes douleurs et mes deuils. Il orchestre toutes mes cérémonies impossibles. Mais ce soir, je ne suis pas son invité pour «Montpellier, 4 juillet 2011». Le public, composé d’officiels et de VIP, n’est pas celui avec lequel j’ai vibré pendant tant d’années. Dans l’immense cour de l’Agora, (la Cour des grands?), Raimund Hoghe se célèbre face à une assistance hiérarchisée: les artistes devant sur des coussins, les VIP aux premiers rangs (Jean-Paul Montanari, directeur du festival, trônant dans son fauteuil) puis derrière, vous et moi. De ma place, la visibilité est si réduite que je dois me lever.  En reprenant les moments forts de ses oeuvres, Raimund Hoghe nous offre toute l’étendue de son talent. Hors du propos artistique de l’époque, ces extraits me sont  volés le temps d’une soirée.
Ce soir, le corps de Raimund Hoghe est un mausolée institutionnalisé pour célébrer une danse d’État.
Ce soir, Raimund Hoghe est dans les pas de Raimund Hoghe. Pas un seul sac plastique sur scène pour m’accrocher à l’idée que je ne l’ai pas perdu.
Pascal Bély – Le Tadorne.
« L’après-midi d’un Foehn (version 1) » de Phia Menard et « Montpellier, 4 juillet 2011 » le 4 juillet 2011 dans le cadre de « Montpellier Danse ».

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ACCUEIL DES LIEUX CULTURELS PAS CONTENT

À Uzès et Marseille, la danse a ses cases et son contingent.

La danse est un art si particulier qu’elle stimule mon désir d’échanges, de mouvement pour franchir les frontières. Dernièrement, j’ai fait le voyage d’Aix en Provence à Uzès Danse pour deux chorégraphes : Régine Chopinot et Xavier Le Roy. Pour la première, je veux prolonger la rencontre organisée par le Centre de Développement chorégraphique d’Avignon, relatée sur le blog par Laurent Bourbousson. Pour le deuxième, il nous propose trois oeuvres lors d’une soirée avant sa création «Low pieces» au prochain Festival d’Avignon. Ainsi, je pose mon contexte: Chopinot, Le Roy, Uzès-Avignon. Les passerelles sont là : je visualise une dynamique de territoire et je me ressens en mouvement.

Partir vers Uzès, c’est traverser une campagne maculée de panneaux publicitaires. Le chemin n’est pas tout droit. Il est obstrué par une multitude de ronds-points. Le site du Pont du Gard approche et le paysage porte les stigmates de l’activité touristique. Uzès ressemble à ces beaux villages de France où tout semble figé dans la pierre pour séduire le visiteur en quête de décor où rien ne dépasse. Mais je ne ressens pas la danse dans la ville. Quasiment pas une affiche et pas d’artistes dans les rues. Je peine à trouver le chemin du Jardin médiéval, là où Régine Chopinot nous donne rendez-vous à 17h dans la salle d’un château. L’entrée est payante (2 euros: imaginerait-on faire payer l’entrée du Palais des Papes lors des spectacles du Festival d’Avignon ?). Cette ville aime-t-elle la danse?

Il n’y a que quelques rues à parcourir pour nous rendre à la salle de l’Évêché où à 18h, Xavier Le Roy propose «Produit de circonstances». Sauf qu’il n’a pas attendu les spectateurs de Régine Chopinot. Fermé. Barrière. Défense d’entrer. Chacun sa case. Comment ce festival peut-il émietter le public avec si peu de journées et de représentations?  Sa fonction n’est-elle pas de permettre la traversée des oeuvres ? Programmer, remplir, exclut-il de créer les conditions du dialogue ? À Uzès, comme ailleurs, on additionne. Mais sait-on seulement multiplier ?

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À Marseille, le “Festival de danse et des arts multiples” est sur le même registre. En 2008, je m’étais ému de l’absence de projet: « Treize années après sa création, il n’a pas trouvé sa place sur la scène culturelle française et internationale. Il ne fédère pas sur la ville, car quasiment inconnu de la population. Son projet est faible au regard des courants artistiques émergents qui traversent le spectacle vivant. Plus proche d’une approche bourgeoise de l’art, il suit le mouvement plus qu’il ne le précède?». Depuis deux ans, le FDAM investit une ancienne salle de boxe (la salle Vallier). Lors de sa dernière campagne de communication, le public s’est vu affublé d’un qualificatif pour le moins douteux : nous sommes des « festi’vallier ». Me voilà donc étiqueté comme un produit. Mais je n’ai encore rien lu. Sur la page Facebook du Festival : «“Dernières minutes : Des contingents de places ont été mis aujourd’hui à la vente pour : Merce Cunningham (le 21 et 22 juin, 21h) et Akram Khan (le 24 et 25 juin, 21h). C’est le moment de réserver !

« Contingent : Quantité de soldats qui est fournie par un pays. »

Puis dans sa dernière newsletter : « Offre de dernière minute pour Mission : Bénéficiez d’une place offerte pour une place achetée ! »

Au Festival de Marseille, la relation de Merce Cunningham (l’un des plus grands chorégraphes du monde) avec son public est réduite à du chiffre, à un contingent. Plutôt que de penser une mobilisation joyeuse et créative, on préfère libérer du «quantitatif». Pour «Mission», on nous enferme dans un statut de consommateur à la recherche de la dernière promotion. 

Je pense aux artistes, quasiment insultés par des professionnels de la communication incultes et avides de cases bien remplies. Au Festival de Marseille, à défaut de multiplier, on soustrait, le public n’étant qu’une variable d’ajustement.

Il est temps de redéfinir la fonction des festivals sur les territoires. D’arrêter cette course à la programmation pour repenser un modèle ouvert de dialogue entre les oeuvres et les publics. Il créera de la ressource financière et orientera les projets artistiques vers une relation créative avec les publics.

Stop au Festi’Vallium

Pascal BélyLe Tadorne.

Festival Uzès Danse du 17 au 22 juin 2011.

Le FDAM à Marseille du 16 juin au 9 juillet 2011.

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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES PAS CONTENT

Eszter Salamon, au-delà de l’inimaginable.

Comment une telle production a-t-elle été possible? Comment accepter qu’une artiste de la stature dEszter Salamon se (nous) perde à ce point ? Comment expliquer que le KunstenFestivaldesArts de Bruxelles, le Centre Pompidou de Paris,  l’IRCAM, le festival Tanz im August de Berlin,  les Subsistances de Lyon et tant d’autres n’aient pas clarifié une intention aussi floue, qui n’est pas sans évoquer une esthétique de la relaxation (sic): «Comment peut-on s’extraire de son propre corps ? Pendant combien de temps peut-on rester en dehors de soi-même avant de se perdre définitivement ? TAKES OF THE BODILESS explore une condition difficile à imaginer à moins de l’expérimenter soi-même : un monde sans corps». Mais en même temps, ce projet est séduisant parce qu’il est proposé par une chorégraphe. Or, la danse innove souvent pour créer des formes transdisciplinaires. Mais peut-on imaginer une oeuvre sans corps pour évoquer l’absence de  corps, sauf à refuser la turbulence et privilégier une esthétique de l’image? Comment Eszter Salamon a-t-elle pu nous embarquer dans cette relation binaire de cause à effet ?

Tout commence par une jeune femme qui s’avance face à nous pour raviver l’histoire d’un théâtre qui aurait pris feu. Elle parle en anglais, mais rien n’est surtitré. Il s’agit probablement de poser un contexte censé nous mettre en émoi…S’ensuit un long moment où le public est plongé dans le noir. Immersion classique pour inviter le spectateur à lâcher prise. Ces dix minutes sont interminables. Mais que devrais-je lâcher et pourquoi ? Des textes toujours lus en anglais (ne rien comprendre doit faire partie du processus) sont diffusés alors que des mannequins apparaissent sur scène avant de nous proposer une longue série de figures à base de fumigènes censées représenter cet au-delà. Eszter Salamon semble s’inspirer de l’univers de Roméo Castellucci, mais visiblement rien ne passe. Mon corps ne ressent rien et mes voisins spectateurs s’impatientent calmement. C’est le vide sensoriel, abyssal comme si créer des figures avec de la fumée et une bande-son en quadriphonie pouvait transcender. Eszter Salamon n’est pas William Turner, encore moins Steve Reich.

Il y a de quoi être inquiet par cette génération d’artistes qui assujettissent nos sens à la technique. «Tales of the Bodiless» est une proposition inutile parce qu’elle maltraite le lien du spectateur au corps, sous prétexte d’innover. La danse peut tout explorer (même l’inimaginable) à partir d’un corps savant. À condition d’avoir un propos chorégraphique et confiance dans la capacité du spectateur à se créer un langage dans un espace ouvert où le sens amplifierait sa sensibilité. Mais ici, rien de cela.

Eszter Salomon n’a probablement pas vécu l’expérience proposée par William Forsythe lors du dernier festival de Montpellier Danse. Dans un château gonflable posé sur l’imposante scène du Corum, les spectateurs étaient invités à vivre une expérimentation  (voir la vidéo). Pour certains d’entre nous, il nous a fallu un certain temps pour s’extraire de notre corps «social» et entrer dans un univers, mais avec tout le corps. Pendant quelques minutes, nous fûment nombreux à nous ressentir au-delà.  William Forsythe s’est affranchi des codes classiques de mise en scène et en espace jusqu’à déclarer : “Si j’ai monté White Bouncy Castle, c’est justement parce que la démocratisation de la danse à l’intérieur d’un théâtre me semble impossible.”
De son côté, Eszter Salomon a osé une chorégraphie sans corps, fragilisant la danse pour l’assujettir au néant du spectaculaire.
Pascal Bély, Le Tadorne.
Pour poursuivre, une autre critique sur le site Anaclase.
“Tales of the bodiless” d’Eszter Salamon du 21 au 23 mai 2011 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.
Ezster Salamon sur le Tadorne:
« Dance ? 1/driftworks » présenté à Montpellier Danse en 2008.
And Then” présenté au KunstenFestivalDesArts en 2007.
 
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Gainsbourg-Gallotta-Bashung: chou blanc.

Tandis qu’un collectif de chanteurs rend hommage à Alain Bashung, le chorégraphe Jean-Claude Gallotta poursuit sa tournée avec son spectacle «l’homme à tête de chou» qui met en scène le chanteur avec Serge Gainsbourg. Retour sur cette oeuvre vue lors de sa générale le 11novembre 2009 à Grenoble.

À l’issue de ces soixante-dix minutes, la rencontre entre Alain Bashung et Serge Gainsbourg ne s’est pas opérée. Ni entre les deux artistes, encore moins entre le rock, son utopie, sa fantasmagorique et la danse. Avec ces quatorze danseurs, on est vite saturé. Gainsbourg et Bashung incarnent un rapport extrêmement minutieux au temps : avec eux, il perd sa chronométrie pour s’étirer dans nos imaginaires et nos fantasmes. Ici, quasiment aucun moment mort. On danse beaucoup. Trop. C’est tourbillonnant, avec des grandes envolées de ballets classiques. Il y a peu d’espaces pour respirer comme si le temps du « spectacle » imposait sa loi à cette rencontre particulière entre ces deux artistes, dont finalement nous ne saurons rien. D’autant plus que la bande sonore, chantée par Bashung (à partir de l’album de Gainsbourg « l’homme à  tête de chou »), co-réalisée, orchestrée par Denis Clavaizolle pour prolonger de trente-deux minutes et faire le lien entre les tableaux, agace vite. Trop acidulée, trop souvent lisse où la profondeur du rock de Bashung et les textes d’un « amour à mort » de Gainsbourg se perdent souvent dans un mixage mielleux pour ne pas bouleverser les corps et les oreilles. On peine à reconnaître le génie de Bashung alors qu’il enregistrait à l’époque son dernier opus  « Bleu pétrole ». S’est-il lui aussi égaré dans l’univers de Gainsbourg ? L’élégance de Bashung est une voix qui résonne, mais se noie dans ce collectif bien trop imposant pour lui. D’ailleurs, est-il besoin d’incarner son absence par cette chaise de bureau que les danseurs s’approprient difficilement malgré leur insistance à s’y prosterner comme devant une pierre tombale qui ne dirait pas son nom ?


Sur le fond, on doute tout au long du spectacle de la lecture que fait Jean-Claude Gallotta de l’album de Gainsbourg. Marilou, jeune shampouineuse dont s’éprend un quadragénaire, est symbolisée par la « pin-up ». N’est-ce pas un peu réducteur? Quant à l’amant obsessionnel et jaloux, ses sentiments se perdent le plus souvent dans des mouvements trop fluides. Où sont les cassures, les corps brisés ? La danse colle à une relation érotique où les jeux masturbatoires chantés par Gainsbourg sont pris en main (sic) par Gallotta qui en fait des tonnes. Depuis quand la fonction de la danse est-elle d’illustrer ? Alors que l’homme était profondément subversif, Gallotta normalise trop, jusqu’à l’outrance. La scène où Marilou tient son amant par la braguette est d’une telle vulgarité qu’on peine à reconnaître le poète. L’artiste qui défiait les « bonnes moeurs » imposées par la société gaullienne et pompidolienne, est ici désincarné par des corps longilignes, trop droits, trop élancés à l’image d’une danse moralisatrice, qui institutionnalise ce qui provoquait naguère les logiques instituées.

Il y a pourtant quelques moments d’une belle grâce où les trois hommes se rencontrent: Marylou, nue, poursuivie par son amant, danse le fragile. On entendrait presque son corps pleurer. Plus tard, elle vient face à nous, culotte baissée, guitare en bandoulière : instant somptueux où le rock électrise et symbolise la désespérance d’un amour impossible. Nous n’oublierons pas de sitôt cette scène où les danseurs recouvrent de leur chemise blanche, leur « Marie » assassinée, qu’ils tiennent dans leurs bras. Moments gainsbouriens où la grâce profonde et énigmatique de Bashung se perd enfin dans la poésie des corps.

« L’homme à tête de chou » va donc parcourir la France et peut-être l’Europe. Bashung et Gainsbourg, maintenant entrés au Panthéon de la danse, n’ont plus qu’à attendre que des « Marilou rock’ and râleuses » subvertissent ce ballet moderne.  

« Madame rêve ».

Pascal Bély, Le Tadorne

« L’homme à tête de chou » de Jean-Claude Gallotta au MC2 de Grenoble jusqu’au 14 novembre 2009. Les dates de la tournée ici.

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LES JOURNALISTES! PAS CONTENT

L’article inacceptable de Raphaël de Gubernatis dans le Nouvel Observateur

À l’attention de Laurent Joffrin, directeur du Nouvel Observateur..

Monsieur,
Nous sommes plusieurs spectateurs, lecteurs, artistes, à être infiniment choqués par le ton et la teneur des propos tenus par le critique Raphaël de Gubernatis(1), dans les colonnes de votre journal, à propos de la pièce de Faustin Linyekula, «Pour en finir avec Bérénice» jouée au Théâtre de Chaillot à Paris.
Il ne s’agit pas de défendre le spectacle (parmi nous certains l’ont apprécié, d’autres pas du tout), mais de dénoncer un état d’esprit qui permet à Éric Zemmour, à Jean-Paul Guerlain et à John Galliano de déborder pour polémiquer. Cet article est réactionnaire parce qu’il prend racine dans un paradigme que l’on aimerait dépassé. C’est une pensée raciste, dans le sens où elle admet une hiérarchie des cultures : «Il est assurément de notre devoir d’Européen de tendre la main et d’aider avec vigueur des artistes issus de pays comme le Congo qui ont traversé une guerre effroyable du fait de leurs propres tyrans». Cette phrase est inacceptable. Elle sous-tend qu’un artiste congolais, africain ne peut être programmé parce qu’il est talentueux. Pourquoi toujours renvoyer les créateurs «africains» à leurs origines ? Les Européens auraient donc un devoir envers eux comme le sous-entendait Jules Ferry lorsqu’il justifiait la colonisation : «Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai! Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont un devoir de civiliser les races inférieures.».
La suite n’est pas plus brillante. Raphaël de Gubernatis affirme (sans conditionnel) que le Théâtre de Chaillot n’a pu annuler ces représentations par le jeu des coproductions, ce qui sous-entend que la structure ne défend pas le spectacle. C’est une accusation grave. D’où tient-il cette  “information» ?

Si le spectacle est raté pour certains, pourquoi ne pas le considérer simplement comme tel ? Certes Faustin Linyekula évoque son pays, à partir de son histoire. Mais tous les artistes le font. Il parle d’en finir avec Bérénice, comme symbole de la violence de la colonisation par le langage et montre la difficulté à dire cette langue imposée. Monsieur de Gubernatis n’a pas compris le spectacle : il en a le droit. Mais sa position autorise-t-elle à un tel  mépris de l’artiste jusqu’à écrire un pamphlet malodorant ?

Nous sommes d’autant plus choqués que cet article est sur le NouvelObs.fr. Tous les commentaires ne sont pas publiés et l’auteur ne répond pas à ses contradicteurs. La liberté d’expression des lecteurs n’est pas totalement respectée privant  Monsieur de Gubernatis d’échanger pour être plus constructif.

Nous vous demandons d’ouvrir le dialogue avec vos lecteurs et d’autoriser toutes les contributions, sans censure, afin d’être en cohérence avec les valeurs de démocratie et de respect dont se prévaut votre journal.

Il en va de la vitalité de notre démocratie postcoloniale.

Nous vous prions d’accepter, Monsieur, l’expression de nos salutations les plus distinguées.

Eva Doumbia, metteure en scène.

Pascal Bély, spectateur, Le Tadorne.

 

(1) Spectacle : Pour en finir avec la complaisance

Il est assurément de notre devoir d’Européen de tendre la main et d’aider avec vigueur des artistes issus de pays comme le Congo qui ont traversé une guerre effroyable du fait de leurs propres tyrans, sans doute soutenus en sous-main par des intérêts occidentaux. Ces artistes assurément sont le signe d’un espoir de dignité retrouvée et de recul de la barbarie. Et ils ont droit à toutes les attentions comme aux aides que nous pouvons leur fournir.

Un trio miraculeux

Parmi ces artistes, le Congolais Faustin Linyekula bénéficie de la bienveillance multipliée des milieux culturels français. On l’avait naguère découvert lors des premières Rencontres chorégraphiques africaines, alors organisées à Luanda (Angola) par “Afrique en création”, et depuis reprises par Cultures France. C’était en 1988 et il apparaissait, sous les couleurs du Kenya, avec le mime Piyo Okach et la danseuse Afrah Tenanbergen dans un miraculeux trio tout baigné de poésie dont la beauté et la spiritualité avaient alors bouleversé et laissaient entrevoir un fabuleux renouveau pour la danse africaine. Ce renouveau a existé, il a permis l’émergence de remarquables personnalités, mais on en a découvert désormais les limites lors des dernières et désastreuses Rencontres chorégraphiques qui se sont déroulées à Bamako (Mali) en automne dernier.

“Bérénice”

Faustin Linyekula, quant à lui, après avoir été convié à monter une “Bérénice” de Racine à sa façon, pour la Comédie française (Studio du Louvre), une “Bérénice” conçue de façon assez gratuite, il faut le dire, et qui a horrifié bien des spectateurs, Faustin Linyekula s’est vu invité par le Festival d’Avignon 2010 à donner un spectacle joué par les jeunes gens avec qui il travaille à Kisangani, au nord-est de la république “démocratique” du Congo.

Piètres débutants

Le travail qu’il y mène est sans doute honorable. Plus que cela, essentiel dans un pays où la guerre a ruiné la société et la culture. Et il est sans nul doute important qu’on l’aide en ce sens. Mais fallait-il faire venir en Europe ce spectacle conçu par Faustin Linyekula et donné par des “comédiens” qui ne sont jamais que de piètres amateurs ou alors des débutants sans talent particulier ?

N’y a t il pas une frontière à maintenir entre travail social, aussi remarquable soit-il, et travail artistique présenté dans de hauts lieux du théâtre?

Exécrable

Le spectacle de Faustin Linyekula, intitulé “Pour en finir avec Bérénice”, et dont il serait trop long d’évoquer ici les sources, ce spectacle est tout simplement exécrable. La dramaturgie comme la mise en scène n’offrent aucun intérêt, ou alors tellement mince ;  la partie chorégraphique interprétée par le metteur en scène et chorégraphe est parfaitement insipide et s’insère dans le spectacle sans nulle pertinence. Quant aux “comédiens”, ils sont proprement atterrants. Il s’agit là d’un travail de patronage où les quelques vers de Racine qui  subsistent sont massacrés, ânonnés de façon affligeante par des “acteurs” qui font peine à voir et dont il est proprement indécent d’exhiber la faiblesse en public. Cela de surcroît dans le cadre d’un festival de théâtre qui se veut le plus brillant du monde. Et aujourd’hui dans celui du Théâtre de Chaillot.

Cycle infernal

Le cycle infernal des coproductions conduit effectivement ce désolant spectacle à être présenté au Théâtre de Chaillot qui n’a pas pu, ou pas osé, l’annuler. On va demander à des gens de payer (ou ils seront invités) pour voir du travail d’amateurs sur une dramaturgie immature. Car tout cela est d’un niveau proprement infantile. Et tout cela se fait avec la coupable complaisance de milieux culturels où l’on raisonne (si l’on ose employer ce mot) de façon démagogique ou sentimentale ou condescendante, sans imaginer qu’exhiber ainsi des Congolais dans une situation aussi défavorable ne fait que renforcer les préjugés dont on accable déjà l’Afrique et ses habitants.

Raphaël de Gubernatis – Nouvelobs.com

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LES JOURNALISTES! PAS CONTENT

L’inculture est un produit; la morale est son emballage

Cela vous ne vous a pas échappé. Sur le site du Monde.fr, l’onglet «culture» a disparu de la une. Pour le trouver, il faut cliquer sur la rubrique «loisirs». C’est ainsi qu’un  journal de référence réduit notre rapport à l’art à une activité de divertissement. Mais est-ce si étonnant ? Depuis qu’en 1986,  le ministère de la Culture est accolé à celui de la communication, nous savions que les codes et les usages de la société consumériste déplaceraient la question du lien à l’art de la sphère intime et collective vers des pratiques de consommateur. Qu’on en juge par la dernière trouvaille de Marseille Provence 2013 qui, pour enquêter sur le public, publie un questionnaire élaboré par des étudiants d’une école de management. Pour sonder nos choix culturels, la danse n’est pas évoquée; on abaisse la question du lien à la profondeur de notre porte-monnaie. Rien sur le désir. Comment en sommes-nous arrivés là ?

La responsabilité des programmateurs ne peut-être esquivée. Pour exemple, le Festival de Marseille, qui s’apprête à investir la salle Vallier en juin. La place du spectateur est réduite à un slogan de communicant («Festi’vallier») à qui l’on propose une sardinade pour vagabonder sur  la plage en collaboration avec la Scène Nationale du Merlan. Cette dernière mène une campagne offensive de communication autour d’une formule infantilisante et bêtifiante («courage rions!») où le spectacle n’est qu’un produit d’appel. Nous pourrions multiplier les exemples d’établissements culturels et d’artistes qui, pour créer la relation avec le public, n’ont rien trouvé de mieux que d’utiliser les techniques du marketing. Le lien social, le corps, la rencontre leur font si peur qu’ils sont prêts à tout pour ne jamais être traversé par l’imprévu.

Rien d’étonnant à ce que la culture ait disparu du programme du Parti Socialiste. C’est une activité marchande comme une autre. Jean-Michel Ribes, patron du Théâtre du Rond-Point à Paris, peut bien s’en émouvoir sur le plateau de «Ce soir ou jamais». Cet homme révérencieux à l’égard du pouvoir (son hommage appuyé à François Fillon est un comble alors que ce dernier mène une politique d’exclusion permanente envers les étrangers) avance lui aussi des chiffres pour démontrer le rôle déterminant de la culture dans l’économie. Il parle comme un chef d’entreprise subventionné qui  soigne ses arrières en soutenant le programme du Parti Socialiste («Il est bien écrit. Dans l’écriture, il y a quelque chose de culturel»). Mais ce soir-là, l’homme de culture est l’avocat Thierry Levy qui lui répond : «la modestie du projet socialiste est une qualité. L’absence de caractère est un défaut». Or, parce que la culture n’est pas une somme de pratiques culturelles qu’on hiérarchiserait, mais un lien au sensible, au turbulent, les hommes qui dirigent les programmes et les établissements devraient avoir pour mission de donner du caractère et non de s’assujettir au pouvoir, qu’il soit économique ou politique.

Dans ce contexte général, l’éviction d’Olivier Py de la direction du Théâtre de l’Odéon n’est qu’un épisode de plus dans les relations incestueuses entre politique et culture. Nous avons perdu la visée sur le rôle de l’art dans une société globalisé. À mesure que nous en avons fait un produit, le politique n’est qu’un chef de rayon qui change de tête de gondole comme bon lui semble. C’est une réforme globale qu’il faudrait entreprendre en redonnant le pouvoir à la représentation nationale sur les nominations et en ouvrant les conseils d’administration des établissements culturels aux spectateurs émancipés si cher au philosophe Jacques Rancière.
Dans cette semaine mouvementée, comment passer sous silence «l’affaire» entre Bertrand Cantat et Jean-Louis Trintignant ? Cette tragédie véhicule son lot d’émotions légitimes et de jugements moraux. Or, le metteur en scène Wajdi Mouawad a fait un choix artistique : celui de confier la musique de sa prochaine création pour le Festival d’Avignon à Bertrand Cantat. Mais c’est la douleur d’un père qui en a décidé tout autrement. C’est ainsi que la question de l’art s’est déplacée du terrain artistique vers le pathos, l’émotionnel et la morale.Cela n’annonce rien de bon pour notre avenir démocratique (à penser que l’art à avoir quelque chose avec la démocratie…).

Dans quelque temps, le journal Le Monde fera glisser l’onglet culture vers la rubrique santé. Pour qu’elle nous soigne de nos folies moralisatrices et consuméristes.
Pascal Bély – Le Tadorne.

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ETRE SPECTATEUR PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN Vidéos

En Provence, le théâtre fait front.

Inoubliable saison 2010 -2011 ! Est-ce possible de poursuivre l’aventure de ce blog à partir des programmations proposées dans ma région (Provence)? Après le stimulant Festival d’Avignon, l’accueillante Biennale de la Danse de Lyon, et le généreux Festival d’Automne de Paris, mon écriture de spectateur engagé a buté au cours de l’hiver. Il s’installe un profond décalage entre les ambitions affichées par les festivals et la frilosité des théâtres où les mêmes noms reviennent associés aux mêmes esthétiques enrobées dans des politiques de communication aux slogans creux. Pour la première fois depuis six années, j’ai failli jeter l’éponge. La quasi-disparition de la danse contemporaine, en dehors de la programmation policée du Centre Chorégraphique National d’Aix en Provence, a accéléré mon dépit. Malgré tout, il faut poursuivre, même si c’est pour s’émouvoir du déclin culturel de ma région. Il y a pourtant de quoi espérer : une maison pour la danse emmenée par Michel Kelemenis ouvrira à l’automne prochain à Marseille, tandis que l’année capitale 2013 finira bien par créer une émulation…
Mais en attendant, programmateurs et artistes s’accrochent à l’Histoire, non pour réinventer les valeurs de l’avenir, mais pour nous transmettre les idéaux d’une modernité dépassée. J’ai cru au théâtre engagé d’Ariane Mnouchkine en me rendant à Lyon pour ses «Naufragés du fol espoir». Naufrage total pour une nostalgie gluante. Qu’importe ce présent pourri, pourvu que soit célébrée la France de grand-papa! Avec François Cerventes, «le voyage de Penazar» proposa de traverser neuf siècles pour finalement me  perdre dans des détails historiques insignifiants. Malgré la performance de Catherine Germain, je m’interroge : à quoi sert le théâtre s’il doit nous donner une approche linéaire de l’histoire, là où j’attends qu’il la transcende?

Catherine Marnas avec “Lignes de faille” du roman de Nancy Huston a fait pire : elle a tué toute possibilité de transcendance en nous offrant un voyage dans le 20e siècle à partir d’une vision transgénérationnelle, mais en empêchant l’imaginaire du spectateur de fonctionner. Au total quatre actes d’une heure chacun pour quatre périodes (2000, 1980, 1960, 1944) où l’enfant raconte (avec mimiques enfantines à l’appui) tandis que les adultes s’affairent. On plaque sur le plateau des images vidéo de l’époque pour mieux signifier que tout est sous contrôle : avalanche de texte, même dramaturgie et effets de scène répétitifs. Comme avec Ariane Mnouchkine et François Cerventes, le spectateur n’a plus qu’à se laisser porter. Tout est donné au détriment d’une recherche partagée entre artiste et public. Le théâtre célèbre le visible, le linéaire, à partir d’une scénographie signifiante qui fait totalement l’impasse sur le complexe (l’espace de la résonance). À l’image du discours politique qui peine à se renouveler et à embrasser la complexité, ce théâtre-là s’accroche au texte aux dépens du corps, souvent déguisé. Il perd en intimité et semble incapable de parler de la douleur du monde.

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Quid alors de la création «pluridisciplinaire» ? Julien Bouffier a mis en scène Marguerite Duras avec «Hiroshima mon amour». J’attendais que le corps évoque le drame collectif. Sauf que la scénographie fait office de mise en scène et les différentes esthétiques (documentaire, cinéma, chanson, théâtre, danse) visent à remplir le vide provoqué par la tragédie. Pendant que je regarde le film sur un mur (une visite du musée d’Hiroshima probablement pour que le spectateur comprenne enfin ici aussi, le théâtre fait oeuvre de transmission!), je ne vois plus ce qui se joue à ma droite et à ma gauche. On me perd vraisemblablement pour que je me retrouve. Finalement, je  ne ressens plus le corps de l’acteur, comme si toute cette machinerie prenait le pouvoir. À quoi sert le pluridisciplinaire si c’est pour propager la même idée du progrès : accumuler de la technique pour reposer l’homo spectator de la turbulence (un comble alors que le Japon est au bord de l’implosion). Et s’il me plaît de ressentir le vide sous mes pieds ?
C’est ainsi que l’hiver 2010-201 m’aura frigorifié. Alors que le monde connaît des soubresauts encore inimaginables il y a quelques mois, j’ai l’étrange impression que certains lieux culturels s’en protègent, véhiculant ainsi la croyance que tout ceci n’est que “feu de paille”, que la globalisation n’a rien à voir avec l’émancipation des peuples. Je me sens pourtant totalement traversé par ces chaos, mais le théâtre qu’il m’a été proposé reste sourd. Probablement parce qu’il manque d’empathie. Sûrement, parce que l’entre soi produit un théâtre suffisant.
Pascal Bély- Le Tadorne.

« Hiroshima, mon amour » de Marguerite Duras par Julien Bouffier à la Scène Nationale de Cavaillon les 17 et 18 mars 2011.
« Le voyage de Penazar » par François Cervantes au Théâtre Massalia de Marseille du 8 au 26 mars 2011.
« Lignes de faille » de Nancy Huston par Catherine Marnas au Théâtre des Salins de Martigues du 23 au 25 mars 2011.

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« Pororoca », patatra et puis basta !

Pendant tout le spectacle, je n’ai pas réussi à m’asseoir convenablement. À plusieurs reprises, je me suis même mis de biais pour voir autrement. Vers la fin, j’ai fini par me lever croyant prendre de la hauteur pour ressentir cette humanité en mouvement.
Curieux, mais jamais touché.

L’oeuvre chorégraphique de la Brésilienne Lia Rodrigues ne m’a pas atteint. Tout juste réussit-elle à interpeller sur la manière dont cette «bombe humaine» se déplace, sans exploser.
Pétard mouillé.

Au Théâtre de la Ville à Paris, la pièce avait fait grand bruit chez les spectateurs. Ici, à Cavaillon, rien. La salle paraît dans l’expectative. Certains se retiennent probablement de siffler, mais la direction du Festival et de la Scène Nationale de Cavaillon avait pris soin de célébrer le talent de la chorégraphe lors de leur numéro de duettiste sans micro.

Sans sonorisation, un groupe de dix danseurs s’agite pendant une heure, s’accordant quelques pauses pour avaler un quartier d’orange comme des sportifs à la mi-temps. Reconnaissons qu’ils s’engagent physiquement à dessiner la vie sociale d’une favela où les murs seraient leurs corps ; les rues leurs liens ; la misère, leur richesse intérieure ; la libido, leur bestialité…La liste pourrait s’allonger à l’infini. Mais sans distance, nous pourrions très bien imaginer une orgie tant l’acte sexuel est suggéré à chaque mouvement. Malgré tout, leur cul, leurs seins, son sexe, me laissent de marbre.


Arrive le moment où ils osent nous regarder, peuple d’Europe, riche et rassasié. Ils finissent par en rire tandis que des spectateurs, gênés, applaudissent. À cet instant précis, je pressens la suite : le groupe remonte l’escalier au milieu du public, à contre-courant. Chez certains metteurs en scène, ce procédé vise à amplifier la dramaturgie au coeur d’une «assemblée populaire». Mais ici, je ne saisis pas le sens de cette traversée en solitaire.

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Pourtant, deux tableaux se révèlent majestueux. Celui, où, par un jeu très subtil de lumières, les corps inertes se relient dans une fosse commune. Les bras n’ont plus que la peau sur les os. Il y a cet autre instant où, pieds et mains à terre, ils dessinent avec leur ventre la «terre patrie » si chère à Edgar Morin.
Mais à l’agitation sur la scène, rien ne répond. Un mur invisible s’est peu à peu dressé avec la salle. Cette danse véhicule une esthétique de la misère, mais ne «précarise» pas le spectateur. “Pororoca” est une démonstration. On montre un pouvoir créatif comme on gonflerait ses muscles. Pour impressionner. Mais leur union ne fait même pas leur force ; leur férocité n’est qu’un jeu de rôles, la favela, qu’un «concept» de plus dans un paysage chorégraphique français saturé d’oeuvres distantes.
Un court instant, j’ai pensé à la place Tahir ; cela m’a rassuré. Des corps en mouvement peuvent m’éloigner de mes rivages.
Permettez que je prenne le large pendant quelque temps.
Pascal Bély – Le Tadorne.
« Pororoca » de Lia Rodrigues – Scène Nationale de Cavaillon – Le 28 février 2011 dans le cadre du festival des Hivernales.

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A fond la forme.

En 2011, alors que tout bascule et se bouscule à la vitesse d’un battement d’ailes de papillon, que pouvons-nous attendre du spectacle vivant ? Un propos ? Encore faudrait-il qu’il soit «ré(é)volutionnaire», qu’il cesse de s’agripper à des paradigmes usés. Trop de propositions n’ont «rien à nous dire». Qu’importe, la démarche, le processus artistique sont souvent intéressants et nous permettent  de penser autrement ce que nous figeons par incompétence, impuissance et paresse ! Mais qu’écrire à partir d’un propos appauvri, d’un processus qui lasse?

«Questcequetudeveins?» d’Aurélien Bory pour Stéphanie Fuster est un exercice de style, certes sincère, mais qui ne «transporte» pas. Stéphanie Fuster métamorphose sa danse de flamenco. Vêtue d’une longue robe rouge, elle s’en détache pour la faire danser. Cet autre “marionnette” n’est plus elle. Ce détachement fut souvent le manifeste de danseurs issus du classique qui s’émancipaient de la barre parallèle. Le processus n’a donc rien de nouveau si ce n’est le désir d’inclure le flamenco dans le sillon de la danse contemporaine. On utilise alors «l’installation» (à savoir poursuivre sa mue dans une baraque de chantier, où derrière une vitre embrumée, Stéphanie Fuster change de «peau») pour «performativer» (être enfermée) et finir “transformée” sur une scène où le liquide remplace le sol en dur. À défaut de faire des ronds dans l’eau, la danse jaillit, produit des effets «spectaculaires». Les éclaboussures habitent le  mouvement. Dépendante d’une vision classique du flamenco, Stéphanie Fuster se soumet à une forme qui dénature le fond. Tout change parce que rien ne change !

Avec «Flux» du Théâtre du Centaure, la déception est à la hauteur de l’enjeu : habiter du dedans et du dehors, l’imposant Théâtre des Salins de Martigues, à partir d’une «installation» itinérante où des êtres hybrides (mi-humains, mi-chevaux) poétisent la rencontre. Tout commence par une vidéo spectaculaire où l’homme et le cheval galopent sur la plage tandis que nous sommes debout sur la scène. Totalement enivrant, d’autant plus que les casques audio sensualisent le son. Puis, des coulisses, elle arrive sur son cheval. Débute alors un parcours qui nous mène au dehors, où des poésies caressent les murs, où installés sur des bancs dans la cour, un cheval blanc surgit du hall d’accueil pour une «danse» érotique avec l’homme.

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La traversée se poursuit pour nous perdre définitivement dans la grande salle du théâtre où une longue vidéo nous immerge dans les turpitudes du désir sexuel entre l’homme et le centaure avant que les protagonistes ne l’incarnent en réel sur le plateau. Le travail avec les chevaux est indéniable, mais quel sens peut avoir le moment  où on les fait asseoir dans un fauteuil? Quel est le processus qui nous guide de la vidéo vers la scène ? Suffit-il de multiplier les formes pour créer du fond ? Ici aussi, l’acte performatif (produire du mouvement par la fusion des «corps») masque plus qu’il ne révèle et ne touche pas, ne traverse pas. La «fusion» avec le Théâtre des Salins était probablement le «niveau» à travailler pour y puiser les processus qui auraient permis l’articulation entre le fond et la forme. Mais à prendre le bâtiment comme une «surface», le Théâtre du Centaure n’a pas habité l’espace : il l’a juste occupé.

Pourtant le centaure est une bête de scène.
Pascal Bély – www.festivalier.net
«Questcequetudeveins ?» d’Aurélien Bory pour Stéphanie Fuster à la Scène Nationale de Cavaillon des 17 et 18 février 2011.
« Flux » du Théâtre du Centaure au Théâtre des Salins de Martigues les 18 et 19 février 2011.