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FESTIVAL D'AUTOMNE DE PARIS PAS CONTENT

La danse ignoble de DV8.

Stupéfait. Sidéré. Comment le Festival d’Automne a-t-il pu programmer une oeuvre aussi ignoble ? «Can we talk about this» de la compagnie DV8 de Lloyd Newson est une proposition « artistique » déplacée, clivante, sans perspective, qui s’appuie sur la paresse des spectateurs pour distiller sa vision binaire de la société multiculturelle britannique.

«Multiculturelle» : le mot est lâché. Lloyd Newson et ses onze danseurs investissent un décor de salle des fêtes un peu vieillot pour y installer le conflit et toutes les cloisons qui l’accompagnent. Assis au premier rang, je dois dès la première minute lever les yeux pour lire les sous-titres d’une logorrhée de plus d’une heure trente. Je remercie chaleureusement l’éclairagiste pour y avoir braqué un projecteur…Mais qu’importe. Suis-je venu au théâtre pour assister à une oeuvre structurée comme un documentaire télévisé ? Suis-je là pour écouter passivement une charge contre l’Islam (d’où le titre de la pièce, «Can we talk about this ?»). Je subis une succession de témoignages (de l’affaire Rushdie, en passant par le cinéaste hollandais  Théo Van Gogh assassiné par les fondamentalistes, en faisant quelques détours par des femmes forcées au mariage,…), illustrés par une chorégraphie mécanique assujettie au texte. Le tout finit par donner la désagréable impression d’être soumis à un propos moralisateur et clivant. Les  figures de style visent à faire du corps un objet de propagande. En empilant les attaques répétées des fondamentalistes religieux contre la démocratie, Lloyd Newson assimile islamisme et musulmans.

Le plus scandaleux dans cette proposition est sa suffisance: elle sort les témoignages de leur contexte au profit d’une dénonciation linéaire sans que ne soit posée une problématique complexe. J’identifie ce même processus lorsque des metteurs en scène font jouer aux enfants des rôles d’adultes. «Can we talk about this» voudrait libérer la parole autour de l’Islam, mais l’enlève au spectateur : il n’y a rien à penser, tout à gober.

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Ainsi, la rhétorique des médias de masse se déploie sans difficulté pour nous matraquer de faits qui, bout à bout, démontre l’impossible cohabitation de l’Islam avec nos démocraties. La danse s’efface peu à peu au profit d’une gestuelle caricaturale, enfermant Lloyd Newson dans ses certitudes. Dénoncer est une chose, énoncer en est une autre.

La danse est un art qui va au-delà du discours pour signifier qu’il n’y a pas de vérité. Seulement des constructions de la réalité.

«Can we talk about this ?» m’a insulté.

Pascal Bély, Le Tadorne.

«Can we talk about this ? » de Lloyd Newson au Théâtre de la Ville dans le cadre du Festival d’Automne de Paris. Du 28 septembre au 6 octobre 2011.

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PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Un article vrai sur le faux spectacle de Joris Lacoste…

Trois fauteuils et une couverture accueillent le spectateur pour «Le vrai spectacle» de Joris Lacoste. Un espace sur ma gauche et ma droite me sépare de mes voisins : la place rêvée. Nous savons déjà que nous pourrons dormir. Cet acte subversif où nous luttons entre fatigue et loyauté est ici autorisé. L’acteur Rodolphe Congé prend le temps d’expliquer les processus qui sont en jeu dans l’hypnose et finit par nous rassurer : notre imaginaire est le vrai spectacle si nous acceptons de lâcher. Ainsi, suis-je sollicité pour me métamorphoser en outil de production et de diffusion du spectacle vivant! Entre internet, ma banque et mon supermarché, je suis en permanence mis à contribution : producteur et consommateur de service. Ce soir, au Théâtre Garonne de Toulouse, cet homme à la voix douce m’invite à faire le spectacle. C’est dans l’air : après les oeuvres participatives vient le temps des propositions productives…

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Rodolphe Congé commence le show hypnotique. Épuisé par une journée de visite des expositions du Printemps de Septembre, je m’endors rapidement.

Je dors.

Je dors.

Profondément.

Puis, c’est le réveil. La salle est plongée dans l’obscurité.

Rodolphe Congé est dans le noir. Il parle. Beaucoup. Calmement. Mais assurément. Il déroule son scénario, probablement persuadé qu’il est le nôtre. Il évoque une danseuse sur scène. Il nous propose d’entrer dans son corps. Rodolphe Congé précise le décor, les faits et gestes pour nous inviter à créer notre chorégraphie. Un synopsis directif. Mais qu’attend-il ? Que son scénario soit le mien ? S’il savait. Je pense à toute autre chose : à mon emploi du temps, aux expositions à visiter dimanche, au titre de mon prochain article, à l’interview de Ségolène Royal dans Libération. Autour de moi, je sens les corps s’agiter d’impatience. Quand cela va-t-il finir ?

«Le vrai spectacle» ne fonctionne pas, car l’hypnose n’est pas un art. Elle n’est ici qu’un dispositif scénique et sonore astucieux qui enferme l’acteur dans une pratique qu’il peine à transcender : imaginerait-on un danseur résumer son art à une technique? Mon inconscient peut-il se suffire d’un cadre aussi pauvre, d’un texte si orienté ? N’est-ce pas une manière de réduire le sens critique du spectateur à qui l’on précise qu’il pourrait ne pas entrer dans la démarche (sous-entendu, qu’il ne verrait pas le spectacle faute d’être disponible et ouvert)? N’est-ce pas une nouvelle forme d’exclusion qui hiérarchiserait les imaginaires?  «Le vrai spectacle» n’est qu’une vaine tentative de médiation totalement dépassée qui manipule le regard et isole un peu plus le spectateur dans un « bien-être » vendu comme un produit culturel.

Je n’ai pas attendu Joris Lacoste pour ressentir l’état hypnotique au théâtre. La liste serait longue de tous ces artistes qui m’ont conduit à la frontière de l’inconscient et du conscient. «Le vrai spectacle» n’est qu’une trouvaille séduisante pour programmateurs en quête de nouveauté qui, faute d’idéaux, projette à l’encontre du spectateur, un fantasme de rêverie collective.

Malgré tout, je reste attentif aux recherches sur le corps du spectateur. Celle de Xavier Le Roy («Low Pieces») lors du dernier Festival d’Avignon était une tentative intéressante pour ressentir la danse à partir d’un travail sur la communication entre publics et artistes. «Le vrai spectacle» est probablement là: ouvrir les codes de la représentation pour nourrir les processus démocratiques d’accès à l’art. Je ne suis pas sûr qu’un théâtre soit le lieu approprié, au regard des enjeux de pouvoir dont il est l’objet.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Le vrai spectacle » de Joris Lacoste a été présenté dans le cadre du Printemps de Septembre à Toulouse le 24 septembre 2011.

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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON LES JOURNALISTES! PAS CONTENT

Arnaud Laporte de France Culture se moque de La Biennale de Lyon.

Les oeuvres du Sud-Africain Kemang Wa Lehulere me sidèrent. Papier bulle, morceaux de tissus et toile forment des patchworks fragiles qui dessinent des figures métamorphosées en objet pour des visages déchirés, absents, enfermées dans des contextes où le lien semble rompu. Il y a de la discontinuité, de la perte, des souvenirs enfouis, des fragments impossibles à recoller. Je vais d’un dessin, d’un tableau à l’autre. Kemang Wa Lehulere me perd.

Mais brutalement, je suis interrompu. Il y a du bruit à l’entrée de la salle du Musée d’Art Contemporain de Lyon. L’animateur de France Culture, Arnaud Laporte, discute à bâtons rompus. Je devine les voix qui animent sa nouvelle émission («La Dispute», tous les soirs à 21h, où des critiques échangent leur point de vue). Ils parlent fort. J’entends leur analyse sur la Biennale et la manière dont ces «professionnels cultivés» considèrent les artistes. Leur décontraction perturbe ma concentration. La société du spectacle s’invite par effraction. Mais je m’accroche au travail de Kemang Wa Lehulere, qu’ils ne voient pas.

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Dans la même pièce, l’oeuvre de  l’Argentine Luciana Lamothe menace. Les murs supportent cette oeuvre provocante où un enchevêtrement d’architectures soutient un modeste livre. Suivant le point de vue, je perçois  une arme, l’Europe en tour de Pise, un projet industriel en proie au doute. Mais je suis à nouveau interrompu. Une des journalistes de la bande s’approche et écoute son répondeur. Je comprends qu’on lui apprend une mauvaise nouvelle. Elle en joue, sait que nous la regardons. C’est sa petite comédie du pouvoir. Mais je m’accroche (!) à la mise en abyme de Luciana Lamothe, qu’elle ne voit même pas.

Le bruit augmente. Les rires se font plus gras. La critique aussi. Je les interromps, excédé.

«Pourriez-vous s’il vous plaît faire moins de bruit, je n’arrive pas à me concentrer».

Le groupe éclate de rire, me pointe du doigt, comme dans une cour de récréation. S’ils le pouvaient, ils me jetteraient des pierres pour avoir osé l’offense. Arnaud Laporte lance alors : «on n’est pas dans une église ici», puis ils s’éloignent tandis que leurs rires résonnent.

Cet incident métaphorise une société de castes et de classes où chacun s’attribue sa parcelle de pouvoir pour l’imposer aux autres, quel que soit le contexte. Je ressens l’incapacité des journalistes à penser la relation à l’art en dehors d’un lien asymétrique. Ils ne conçoivent pas qu’un bruit perturbe un visiteur, car la question n’est pas là : l’art s’analyse, point barre. Mais internet menace leur pouvoir. Je n’ai pas eu le réflexe de les filmer avec un iPhone. Si tel avait été le cas, nous pourrions porter un regard critique sur les comportements de ces «professionnels» qui nous disent tant sur la manière dont ils communiquent avec une oeuvre. De haut.

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Le soir, j’ai pris en cours de route l’émission consacrée à la Biennale. J’ai entendu les mêmes rires alors qu’ils évoquaient le travail de Michel HuismanThe secret garden»). Un petit meuble, un seau, un drap et une invitation à nous y glisser. J’ignore ce que les visiteurs ont perçu de mon corps (un dernier soupir, ma sépulture ?) mais je me souviens encore de ce que j’ai ressenti à la vue de ce petit oiseau mécanique qui me regardait de haut. Un sentiment profond d’humilité.

En évoquant cette oeuvre, Arnaud Laporte se moque.

J’ai coupé le son.

Pascal Bély, Le Tadorne

Les autres articles sur la Biennale 2011:

Bloc Notes / Urgent, la Biennale de Lyon perd ses plumes.

Tu n’as rien vu à la Biennale de Lyon

Extra-terrestre Biennale de Lyon.

La Biennale de Lyon donne le vertige.

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LES EXPOSITIONS PAS CONTENT

Ennuyeuses Rencontres Photographiques d’Arles.

Vous trouverez aux Rencontres Photographiques d’Arles une belle critique de la photographie : «le désir de photographier est le contraire du désir de signifier à tout prix, de témoigner ou d’informer. Il est de l’ordre de la sidération et de l’illusion. De l’ordre de la disparition aussi, car si quelque chose veut devenir image, ce n’est pas pour durer, c’est pour mieux disparaître» (Jean BaudrillardSommes-nous »- 2006.). Nous pourrions inclure la danse dans cette citation…

Avec un tel propos en tête, Arles déçoit. Rien n’est venu me sidérer, «m’illusionner». Tout au plus, ais-je ressenti les bouleversements d’une profession qui semble ne plus savoir comment s’intégrer dans un espace aux frontières élargies par les amateurs internautes  de la photographie. Le site des Ateliers consacre toute une zone «grillagée» à la toile (“From Here On“), avec un stand d’accueil perché, tel un mirador. On sourit face à tant de créativité même si rien n’étonne : ces images font déjà partie de notre “culture” photographique de l’internet. Ici, la photo est mise en espace jusqu’à se métamorphoser en installation (Viktoria Binschtok) ou en performance. L’ouverture est là : aux amateurs de photographier leurs prouesses, aux artistes la mise en perspectives !

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Dans l’idée d’une photographie participative, notons dans un autre espace deux belles séries : celle de Dulce Pinzon qui transforme des émigrants pourvoyeurs de richesse des États-Unis vers leur pays d’origine en super héros. Ce recadrage est un joli travail d’économiste. Puis vient «Supermarché», de Jean-Luc Cramatte et Jacob Nzudie  où sont photographiés à Yaoundé des consommateurs fiers d’en être arrivé là : faire son marché loin de ceux à ciel ouvert réservé aux peu fortunés. La pose est une posture.

 Toujours aux Ateliers, j’ai passé une heure dans l’espace «Tendance Floue» consacré à ce collectif de photographes basé à Montreuil qui autogèrent leur agence. L’installation immerge le visiteur dans ce groupe notamment à partir d’un film retraçant l’épopée d’un voyage en Chine. Cette « photo réalité» de l’envers du décor suggère que l’avenir des agences de photographie réside dans le collectif. Sacrée découverte, mais ne boudons pas notre plaisir: ces artistes sont drôles et talentueux.

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En dehors des Ateliers, j’ai erré d’espace en espace. On ne s’attardera pas sur les séries consacrées aux publications du New York Time Magazine, sorte de publi-reportage ennuyeux. Je n’ai pas été accueilli par les clichés de la Révolution Mexicaine : rarement un espace ne m’est apparu aussi mal agencé comme s’il était réservé à une approche didactique de la photographie.

Que penser de la fresque de Wang Qingsong, longue de 42 mètres de long, où 200 figurants restituent une vision sur les civilisations ? Le film retraçant la fabrication semble bien plus intéresser les visiteurs que l’oeuvre elle-même?

Je n’ai pas bien compris la finalité du lieu dédié au directeur de la photographie mexicain Gabriel Figuerda. Une mise en espace majestueuse (et probablement coûteuse) dans l’Église des Frères Prêcheurs pour des extraits de films bien difficiles à appréhender dans leur globalité à moins de butiner?

Les propositions de Chris Marker ont aussi déçu : outre un accrochage indigne, ses oeuvres sur les visages dans le métro parisien me laissent un peu indifférent. Sur ce registre, Vincent Debanne en 2006 avec «Station»nous avait présenté un travail bien plus puissant en associant la position d’attente des voyageurs en gare avec des paysages suburbains.

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À l’issue de cette journée, deux expositions m’ont surpris. Fernando Montiel Klint avec «Actes de foi» (photo de gauche) explore nos engagements par sa focale utopique. Graciela Iturbide immortalise portraits, objets et décor du Mexique comme si elle invitait Dali à la veille d’une fin du monde. Troublant.

Les Rencontres 2011 posent un espace vide entre le “bouillonnement” créatif  des Ateliers et une certaine photographie institutionnalisée ailleurs. Une frontière qui, loin d’être poreuse, fait barrage en délimitant des îlots là où nous aurions besoin d’archipels.

Pascal Bély, Le Tadorne.

Les Rencontres Photographiques d’Arles jusqu’au 18 septembre 2011.

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LES JOURNALISTES! PAS CONTENT

Le Monde, la Croix, l’Express, Le Figaro et Libération: la critique au bûcher?

La critique est divisée sur la création “Sang et Roses” du flamand Guy Cassiers jouée à la Cour d’Honneur. Mais ces divergences ne sont qu’apparentes. Fascinée par la rencontre entre Jeanne d’Arc, Gilles de Rais et la Cour d’Honneur, elle peine à dénoncer comment Guy Cassiers maltraite le lien théâtre- public. Tout ce qui fait la force de cette Cour est ainsi gommé au profit d’un dispositif technologique sophistiqué qui malmène les sens. Pourtant, mettre en résonance l’histoire de ces deux figures du Moyen-Âge est séduisant. L’un et l’autre, sont pris en tenaille entre leur foi religieuse, leur folie et le jeu pervers d’une Église toute-puissante. Construite en deux parties, Jeanne d’Arc et Gilles de Rais subissent le même sort : les faits, le procès, l’exécution. Cette linéarité empêche bien des mises en lien…

Dans «La Croix», Didier Mereuze voit dans ce décor d’écran métallique «l’écrin de la cour d’honneur qui retrouve magiquement ses couleurs originelles d’un Moyen Âge». Une Cour dans la Cour, en quelque sorte ! Que restituera cette pièce dans un théâtre de béton ? Fabienne Darge du Monde peut enfin légitimer sa plume de critique de théâtre : «voilà enfin, la grande création théâtrale que l’on attendait depuis le début de ce Festival d’Avignon, qui semble voué depuis quelques éditions à offrir plus de bonheurs du côté de la danse que de l’art dramatique». La vidéo contre les corps, voilà un bien bel aveu. À plusieurs reprises, Fabienne Darge justifie que l’«on est pleinement au théâtre». Comme si ce n’était pas évident jusqu’à s’appesantir sur les costumes: « Ils ne sont pas seulement d’une beauté inouïe : chacun d’eux est doté de mains postiches, qui donnent une image synthétique de chaque personnage». Nous frôlons l’image de synthèse…

Laurence Liban de L’Express (dont le titre de l’article est quasi identique à celui du Monde, «Jeanne la Pucelle enflamme la Cour d’Honneur») formule une critique sans appel : «Habité, presque encombré parfois, d’écrans, le plateau est dominé par un immense panneau fait de carrés métalliques où sont projetés les visages en gros plan des comédiens à l’oeuvre en chair et en os. Du fait des sous-titres traduisant le texte flamand, on a très vite l’impression de regarder un film. Ceci d’autant plus que, pour faire face à la caméra, les acteurs jouent de profil. Ce qui est accompli sur scène devient dès lors moins important que ce qui est vu à l’écran. C’est l’une des limites de ce spectacle par ailleurs splendide et passionnant, mais qui fait peu de place aux comédiens de chair et d’os pour laisser la plus grande place à l’image et à la parole. Et rive le spectateur aux écrans et aux sous-titres, sans lui donner le loisir de balader son regard ailleurs ». Mais se reprend : «Malgré ces réserves, Sang&Roses rend justice à la mémoire de la cour d’Honneur du palais des Papes et place haut les enjeux du théâtre contemporain. L’accueil fut on ne peut plus chaleureux. Et mérité sous le grand vent». Ainsi, Laurence Liban est fascinée par ce décorum jusqu’à le relier aux enjeux du théâtre contemporain! Ici aussi, s’interroge-t-elle sur le sens de cette oeuvre au-delà de la Cour ? Ne voit-elle pas que ce théâtre incarne les processus réactionnaires de la représentation?

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René Solis de Libération se laisse lui aussi aller à des accents lyriques puisqu’il voit dans ce spectacle programmé en fin de festival, une «clôture monumentale dans la cour d’honneur» pour reconnaître plus loin un décalage: «Grand sujet, grands décors, grands acteurs. Et c’est tout. Difficile d’imaginer plus parfait décalage entre forme et fond. La pièce de Tom Lanoye a l’art d’habiller l’anecdote de grands mots pour ne rien dire.» La critique est un peu plus sévère. René Solis ne s’interroge pas sur ce théâtre qui lui fait dire le tout et son contraire jusqu’à terminer sa critique par une analyse de texte?

Armelle Heliot du Figaro attaque à la machette : «Bref, de grands personnages, une troupe superbe, mais un mélange de naïveté et d’arrogance du côté des concepteurs oublieux aussi du vent dans la cour : le grand écran a dû très vite être replié».Mais là aussi, aucune analyse de ce théâtre d’images qui offre au spectateur un cours d’histoire sans solliciter ses sens. Assurément réactionnaire.

Ainsi va la critique en France. Fascinée par La Cour, elle oublie de décrire les processus de fascination utilisés par le metteur en scène au détriment de l’émancipation du spectateur. Elle repère les divergences entre le fond et la forme sans s’interroger sur le sens de ce grand écart. Dit autrement, Guy Cassiers propose un théâtre autoritaire sans que la critique n’y trouve rien à redire. Inquiétant, non ?

Pascal Bély, Le Tadorne.

«Sang et Roses, le chant de Jeanne et Gilles » de Tom Lanoye, mise en scène de Guy Cassiers au Festival d’Avignon du 22 au 26 juillet 2011.

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Bertrand Cantat, «le condamné» d’Avignon.

À la veille de la représentation,  je pars au théâtre avec une absence en tête. Bertrand Cantat n’est pas là. Ainsi l’a voulue la «vox populi» après le battage médiatique du printemps dernier.  Ce soir, à la Carrière de Boulbon, un homme est absent pour «Des femmes : les trachiniennes, Antigone, Electre» de Sophocle, mise en scène par Wajdi Mouawad. Un homme condamné qui a purgé sa peine n’est pas là parce qu’à la douleur légitime d’un homme (Jean-Louis Trintignant), nous avons opposé un principe moral, l’excluant de cette traversée écrite spécialement pour lui. Nous lui avons symboliquement coupé les cordes vocales pour l’enterrer mort vivant.

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Dès lors, comment me positionner alors qu’à peine la pièce commencée, je conteste la décision de Wajdi Mouawad de maintenir la représentation? Pourtant, je suis là ce soir (après avoir longtemps hésité) pour écouter un enregistrement. Je suis ici et ailleurs. «La posture paraît intéressante», me rétorque-t-on. Certes. Sauf que Wajdi Mouawad n’a pas intégré ce processus. Tout juste laisse-t-il la place libre. Tout juste fait-il entendre la bande-son (tant qu’il y était, un vidéaste aurait pu tout aussi bien projeter Bertrand Cantat).

Il y a  des acteurs, mais un trou béant, sans que celui soit «mis en scène» : «débrouillez-vous avec» semble-t-il nous dire, lui qui nous avait enchanté et éprouvé en 2009 lors d’une nuit mémorable au Palais des Papes.

«Débrouillez-vous». Mais comment faire, sachant qu’entre eux, nous et le Choeur (la Cité), il y a un précipice ? Les trois musiciens errent comme des fantômes parmi des interprètes bien incapables d’incarner leur rôle alors que l’acteur principal est absent, condamné une deuxième fois. Comment entendre la tragédie sur scène alors qu’elle se joue ailleurs ?

Je comble le vide. Je m’accroche au chant de Bertrand Cantat qui fait tout trembler. Le rock est prière. Il est le cri primal de la démocratie. Il est ma peine. Il est un lancer de pierres de Boulbon contre l’autocratie.  Le sens de la tragédie est dans sa voix tandis que celle des acteurs se perd dans des effets de manche d’un cours de conservatoire.
Je m’accroche à l’insignifiant, au détail : je songe à Déjanire, épouse d’Héraclès, qui joue mouillée de la tête au pied. Comment fait-elle avec un froid pareil ?
Je repère ce qui est suggéré : les acteurs en font des tonnes pour créer une nouvelle forme théâtrale, un loft-story tragi-comique où la «masse-média» a déjà voté pour exclure l’un des protagonistes, observant toute-puissante le produit de sa lâcheté.
Je ris avec quelques spectateurs quand Wajdi Mouawad confond la scène avec un espace d’art contemporain où l’acteur devient oeuvre plastique, matière de son propre jeu, où le vivant se prend les pieds dans la figure de l’objet d’art, où une image en chasse une autre, sans lien.
Je ris et j’ai honte d’assister à un théâtre kitch qui me positionne dans une performance (six heures de représentation au coeur d’une nuit frigorifiante) sans que je ne ressente de la peur, de la pitié, de l’admiration. Cette  «tragédie» me laisse indifférent. 
Il est deux heures du matin. J’en ai assez vu. Je quitte la Carrière sans voir «Electre».  Je cherche du regard tous ceux qui pensent que l’on fait du théâtre avec de la morale et qui, ce soir, se contentent de si peu. Ils n’auront certes pas à l’applaudir, à se «salir» les mains. Ce soir, ils l’ont enterré.
Antigone cherche désespérément son corps.
Pascal Bély, Le Tadorne.
« Des femmes : les trachiniennes, Antigone, Electre» de Sophocle, mise en scène par Wajdi Mouawad au Festival d’Avignon du 20 au 25 juillet 2011.
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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Cet «Avignon» auquel je ne comprends rien.

Cette année, le festival d’Avignon véhicule un théâtre de concepts portés par un collectif d’artistes réunis autour de l’artiste associé Boris Charmatz, directeur du Musée de la Danse à Rennes. Il s’en dégage la désagréable impression d’un entre soi qui isole l’art des idées, pose les concepts comme une fin en soi au détriment d’un propos qui créerait les conditions d’un dialogue vivant.

La «session poster» du 14 juillet fut révélatrice de ce constat. Organisée comme une exposition itinérante, le spectateur circule dans différents espaces, occupés soit par un danseur, un chorégraphe, un chercheur…Le « clan » de Boris Charmatz est là. J’observe, mais je peine à relier. Entre la partition chorégraphique sur le rire d’Antonia Baehr et la performance de François Chaignaud (qui demande aux spectateurs de l’attacher avec des ficelles tel un Christ sur la croix), je zappe… Je ne prends pas le temps de contempler la danse de Daniel Linehan trop occupé à scruter la métamorphose de Latifa Laâbissi. Épuisant.

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Le même soir, François Chaignaud (toujours lui, omniprésent dans les festivals, voir l’analyse que j’en faisais lors des Antipodes de Brest en 2010) présente avec Cecilia Bengolea, Marlène Monteiro Freitas et Trajal Harrell, «(M)imosa». Un entre soi autour d’une question : «que ce serait-il passé en 1963, à New York, si une figure de la scène voguing d’Harlem était descendue jusqu’à Downtown pour danser aux côtés des pionniers de la danse post-moderne ?». Bonne question sauf que je ne perçois pas l’ébauche d’une réponse. Les numéros se succèdent rappelant les travestis des années 80 dans les boîtes gay. Seule Cécilia Bengolea est sidérante alors qu’elle arpente le plateau, masqué de la tête aux pieds sous un bas qui laisse apparaître un godemiché et une mâchoire. Troublant, car symbolique des années sida. Mais il manque à l’ensemble une construction dramaturgique qui dépasserait leurs égos démesurés.

Celle d’Olivia Grandville dans «Le cabaret discrépant» est plus harmonieuse. Elle mobilise des noms proches de Boris Charmatz : Sylvain Prunenec, Vincent Dupont, Pascal Quéneau, Catherine Legrand et l’acteur Manuel Valade. Ils sont réunis autour d’Isidore Isou, créateur du lettrisme («mouvement qui renonce à l’usage des mots, s’attache au départ, à la poétique des sons, des onomatopées, à la musique des lettres»). Olivia Grandville tente de revisiter cet art en l’articulant aux oeuvres radicales qui jalonnent l’histoire de la danse. Entre exposition itinérante dans le hall du théâtre (une session poster plutôt réussie car cohérente) et un cours déjanté sur scène, chacun y trouva son bonheur. Sauf qu’à trop vouloir faire le spectacle divertissant, Olivia Grandville empêche toute lecture sur le sens de ce mouvement. Ici aussi, ce qui est montré semble avoir plus d’importance que le pour quoi s’est montré…

« Levée des conflits » de Boris Charmatz a été présentée au Festival «Mettre en scène» en novembre 2010. Bernard Gaurier avait apprécié cette proposition sur ce blog. Mais au Festival d’Avignon, cette oeuvre chorégraphique jouée sur l’herbe du Stade de Bagatelle (pour un Woodstock de la danse…sic), a perdu son sens. Nous retrouvons Olivia Grandville (bien peu inspirée), Catherine Legrand ainsi que  Boris Charmatz lui-même qui décrit « Levée des Conflits” comme un ensemble où «chaque danseur est pris dans un mouvement perméable à la fois au danseur qui le précède et à celui qui le suit, pour fabriquer une chorégraphie dont toutes les parties sont vues simultanément…c’est une sculpture. La pièce est donc essentiellement méditative». Soit. Sauf que l’énergie déployée par les danseurs n’est jamais arrivée jusqu’à moi, car enfermée dans un concept finalement trop «lisible» dans ses intentions. Je me sens ignorant face  à une telle virtuosité. Alors que je m’interroge sur la page Facebook du Tadorne, un lecteur me renvoi vers les cours de Roland Barthes pour décrypter le propos de Boris Charmatz, preuve en est que l’articulation entre la recherche et l’art ne fonctionne pas.

François Verret dans «Courts-circuits» propose un dispositif qui se suffit à lui-même (écrans vidéos, homme orchestre et chanteuse au centre, deux espaces scéniques, des danseurs et des circassiens). Le chaos est savamment orchestré pour narrer la catastrophe. François Verret dévoile ses références dans la note d’intention pour les accumuler dans une «session poster» d’images, de cris et de chansons. Je n’ai strictement rien compris si ce n’est que François Verret ne parvient pas à donner une force poétique à son propos en dehors de la dénonciation tant entendue ailleurs.

J’aimerai que l’on ne me rétorque pas que je manque de ces connaissances tant étalées. Les concepts et les penseurs dont il est question alimentent ma curiosité, mais la proposition n’arrive pas à ouvrir le sens à partir de ma sensibilité, me rendant incapable d’inviter ces artistes à nourrir le projet de ce blog.

Pascal Bély, Le Tadorne.

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Au Festival d’Avignon, les réactionnaires ont le gourdin et sortent du bois?

«Promenons-nous dans les bois, pendant que le  le loup n’y est pas»…et bien non, ce n’est pas le loup, c’est Tonton…et  vous savez quoi ? Tonton, il a le gourdin et Tata est une Lutin. Bienvenue dans «Oncle gourdin»  de Sophie Perez et Xavier Boussiron…

Chaque édition du Festival In a son objet fétiche, son truc, son appareil scénique, et souvent une attitude commune à tous les spectacles…Une année, ce fut des ballons gonflables, puis des filets de maille suspendus, des échafaudages,  les fumées sur les plateaux, le sang à toutes les sauces, beaucoup de bruit pour rien, des bruits de chemin de fer. Une autre fois, ils étaient tous nus…

En 2011, après quelques représentations, le faux prend sa revanche sur le vrai…La taxidermie est partout, les scènes sont envahies par des peluches,  des animaux de compagnie . Le furet est là en guise de spectre, le chien sert de défouloir, et le chat que l’on force à danser… Avec le thème dominant de l’enfance,  la régression irradie bien des spectacles : c’est le “nin- nin”, le doudou, la poupée, la  fourrure qui prennent le dessus…Tout ce que l’on touche doit être doux, ce que l’on caresse doit apaiser, ce  que l’on cajole doit rassurer.

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Ce soir dans «Oncle Gourdin», on caresse, mais on scie aussi. On découpe en tranches son animal préféré, on sort du bois, on se couche, on se touche, on s’exhibe, on prend une carotte en guise d’outil masturbatoire, on s’assoie sur un sexe avec des pattes d’araignée….

Toute cette folie forestière sert d’artifice pour dire que nous sommes tous des Lutins fous et lubriques, qu’on joue tout le temps comme si on était en représentation…..jusqu’à se prendre pour Pina Bausch, pour Jeanne Moreau en E.T qui appellerait désespérément le fantôme de Jean Vilar.

Allez, allons-y, n’ayons pas peur, on se fout gentiment de la gueule de tout le monde. En avant la Déraison, en avant l’Autodérision. C est  parfois désopilant même si au bout d’un moment on commence à se lasser.  N’est pas Pina Bausch qui veut ! Contrairement à  Vincent Macaigne (qui fout autant de bordel sur scène que nos lutins lubriques), l’histoire s’éparpille, et ce bric-à-brac (dans le sens noble du terme) ne devient qu’une suite de gags et de sketches sans cohésion. Juxtaposition et non Intégration. À regret.

On reste souvent au bord du lit même si les Lutins veulent “être in bed with Paul  Claudel” ! On regrette une vraie Yolande Moreau et ses vrais Deschiens sachant que, comme ils disent, “Jean Vilar ne nous laissera jamais tranquille” et que l’on est inquiet quant à «la venue d’Olivier Py» à la tête de la direction du Festival d’Avignon en 2014.

On est loin de l’univers de Philippe Quesne et de sa “Mélancolie des Dragons présentée en 2009. On aimerait bien que le chorégraphe Dave St-Pierre nous revienne aussi avec sa bande d’illuminés….eux qui nous avaient tant attendris en 2009 avec «Un peu de tendresse, bordel de merde!».Comment ne pas évoquer Olivier Dubois et son “Après Midi d’un Faune” présent à Avignon en 2008 : c’est la même forêt qu’en 2011 mais on regrette les fondements, qui en sont absents…..

En passant,  les comédiens d’Oncle Gourdain nous disent qu’ils ne sont pas danseurs, qu’ils ne sont que  des performeurs… c’est peut-être vrai, c’est ironique, mais on les appellera toujours “Pudelague et Kaunasse”…de drôles de Lutins perdus, superbes, magnifiques et attendrissants.

C’est un bon moment passé avec eux, les FousFous, mais on reste quand même, caché derrière un arbre, un peu insatisfait, et va savoir… on se demande pourquoi on reste sur sa FIN…La Dérision ne masque-t-elle pas un  désespoir caché ?…Allez savoir…

Francis Braun.

Mon désespoir, c’est la répétition d’un tel propos: faute de pouvoir penser le théâtre comme  un geste artistique et politique permettant de renouveler la pensée, des artistes tapent.  Même sur le Festival d’Avignon (en évitant soigneusement de s’en prendre à la direction actuelle…). On tape sur le système tout en profitant de ses largesses. Cette génération de metteurs en scène (ils ont entre trente et quarante ans)  est enfermée dans une vision romantique : ils croient à l’immensité de leur talent, mais ils pensent que le monde actuel leur est hostile. Alors, ils tapent…Et nous rions…sauf que derrière ces lutins, se cache une bande de réactionnaires, ceux-là mêmes qui nous pourrissent la  vie en empêchant l’émergence d’une pensée complexe qui serait capable de redistribuer les cartes, avec d’autres jeux, dans d’autres mains. Je combats ces gens au quotidien dans mon métier et sur ce blog. Car nul ne doute que si ces lutins voyaient un tadorne, ils le déplumeraient pour le jeter aux chiens.

Pascal Bély  – Le Tadorne.

“Oncle Gourdin” de Sophie Perez et Xavier Boussiron du 12 au 17 juiillet 2011 au Festival d’Avignon

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Au Festival d’Avignon, le mur du «Suicidé» nous tombe dessus.

« Le suicidé» de Patrick Pineau à la Carrière de Boulbon est l’un des spectacles d’ouverture de la 65ème édition du Festival d’Avignon. Celui-ci prend soin de préciser sur sa page Facebook qu’il ne faut se fier au titre : «“Le Suicide” est une pièce terriblement drôle, une comédie féroce et loufoque !». Les communiquants sont décidément toujours bien intentionnés pour ne pas perturber notre confort.

Nous sommes propulsés dans l’ère soviétique, de celle des appartements communautaires, du poids de la masse sur les individus et de la folie technocratique. Sémione Podsékalnikov est au chômage depuis trop longtemps. Au bord du suicide, il va faire l’objet de toutes les attentions d’un groupe prêt à le manipuler pour transformer son acte en geste héroïque envers différentes causes. Sa famille tente de déjouer les pièges, mais sa maladresse amplifie le chaos. Tel un jeu de dominos, l’auteur Nicolaï Erdman écrit une oeuvre à la mécanique infernale où l’action d’un personnage provoque le désordre dans la communauté.

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Malgré l’agitation sur le plateau, certains spectateurs déchantent, jusqu’à décrocher physiquement (entendez, dans les bras de Morphée). Car si l’on rit à certains moments, l’ennui nous gagne rapidement.

Il y a ce mur qui nous saute aux yeux, au coeur de la mythique Carrière de Boulbon. C’est déplacé. A plusieurs reprises, notre imaginaire rêve de franchir LE MUR : il est une barrière à la Carrière. On ne comprend pas pourquoi CE MUR,  alors que la Carrière est un vrai MUR  de pierres…Nous voici  dans le faux,  dans le jeu, dans la farce. C’est une mascarade assumée.  Il y a bien une bande de comédiens qui veulent jouer, qui jouent trop et c’est dommage. À regret, Anne Alvaro (la grande et belle) en devient caricaturale. Patrick Pineau en taureau désespéré s’en tire bien.

On peut évoquer Gogol, Tchekhov,  toute la Russeideité, on peut y voir tout le désespoir d’un homme et de ceux qui l’entourent (à qui la faute ?).  Mais quand cette pièce rejoint le théâtre de Boulevard, quand on est témoin d’une telle rigolade,  il vaut mieux stopper là le jeu, se cacher derrière ce mur, qui devient  celui de toutes nos déceptions, de nos regrets et de notre amertume.

Francis Braun, Pascal Bély / Le Tadorne.

« Le suicidé » par Patrick Pineau au Festival d’Avignon du 6 au 15 juillet 2011.

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Au Festival d’Avignon, pièce à vomir.

Cette oeuvre est un plat si indigeste qu’elle pourrait vous faire vomir. «La paranoïa», texte du dramaturge argentin Rafael Spregelburd, mise en scène par Martial Di Fonzo Bo et Elise Vigier est  une «pièce montée» avec tant de «crèmes» et de moyens qu’elle finit par provoquer du dégoût. La lecture des coproducteurs est si longue qu’elle donne elle aussi le tournis.

Et pourtant, quel scénario ! Nous sommes 5000 ou 20000 ans après J.-C, époque où les humains n’ont plus le monopole de la raison. « Les intelligences » sont bien meilleures qu’eux. Non seulement, elles leur piquent leur monnaie d’échange (« la fiction ») mais celle-ci commence à se raréfier. Hagen (mathématicien), Claus (astronaute), Julia Gay Morisson (écrivain vedette), Béatrice (robot à la mémoire corrompue) vont tenter d’inventer, sous la pression du Colonel Brindisi (chef des opérations spéciales terriennes), une fiction que « les intelligences » n’aient pas déjà ingurgitée. Il y a urgence, car il en va de la survie de l’espèce humaine ! À lire le résumé du scénario, on est (presque) plié de rire.  Mais les premières douleurs d’estomac se manifestent tant  la traduction de cette prose argentine frôle l’indigestion. Les phrases saccadées dans un style proche d’une mauvaise série B, vous plongent dans un texte boueux où votre cerveau s’engloutit peu à peu. Vous appelez au secours. Les acteurs viennent alors à votre aide. Ils sont excellents à caricaturer leur rôle. On reconnaît l’humour « gay », voire « queer », en vogue dans certains milieux ou chez certains chorégraphes (on pense au «Jardin des délices» de Blanca Li). On rit parfois et cela vous donne un peu d’air. Mais pas suffisamment pour rester un spectateur critique. Alors que Rafael Spregelburd dénonce les mécanismes de la fiction contrôlés par nos sociétés de consommation globalisées,  la mise en scène utilise les mêmes ficelles. C’est un grand classique dans le spectacle vivant. Le chorégraphe plasticien Jan Fabre, le metteur en scène argentin Rodrigo Garcia sont les experts en la matière : accuser le système en profitant de ses largesses.

Ici, tous les dispositifs scéniques entre en symétrie avec le jeu des acteurs : la vidéo, la bande dessinée, le plateau en arrière scène où l’on joue en direct des séries télés, le décor qui tourne en rond. Cette escalade est largement soutenue par une énigme « policière » absurde où la mise en scène épouse le propos : absurde. Tout finit par fusionner (le fond et la forme) et créer une matière théâtrale visqueuse, dégoulinante et totalement indigeste. À trois reprises, l’une des actrices est prise d’un fou rire, preuve qu’elle craque aussi. Dans un tel cadre, le sens critique est impossible : même si vous n’avez plus faim, on vous gave à nouveau et avec talent ! Cela n’en finit plus parce que Martial Di Fonzo Bo et Elise Vigier ne contrôlent plus le cadre de leur mise en scène comme s’ils étaient enfermés eux aussi dans un tourbillon créatif. On peut aisément imaginer que chacun dans la troupe y est aller de son idée pour créer un contexte explosif permanent. Nous ne sommes plus sur une scène de théâtre, mais dans un espace virtuel, celui de l’internet, où l’on clique ici, pour se diriger là, en passant par ici, et ainsi de suite. « La paranoïa » n’est qu’une escalade, qui emprunte bien des codes à la société du divertissement (rire toujours plus pour « ne pas se prendre la tête »). C’est réussi, car le « spectateur critique », pris de nausées, peine à penser par lui-même, étouffe dans un tel dispositif claustrophobe.

«Les intelligences» ont gagné ce soir. Mais heureusement, d’autres humains sont à la tâche pour ne pas se laisser contaminer par ces codes modernes du XXème siècle,  largement dépassés.

Pascal Bély, Le Tadorne“La paranaoïa” de Rafael Spregelburd, mise en scène de Martial Di Fonzo et Elise Vigier a été joué les 5 et 6 novembre 2009 à la Comédie de Valence puis au Festival d’Avignon du 9 au 15 juillet 2011.