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Pascal Rambert à l’économie.

Les « amateurs », vous, moi, avons le vent en poupe. Nous abreuvons internet de notre créativité, de notre réactivité ; nous tissons les liens sociaux via le réseau associatif et le secteur mutualiste. Le « réseau invisible » remet de l’interaction et des valeurs au coeur du système économique et d’un corps social éclaté par la perte des repères. Nous inondons les « verticalités descendantes » de visions chaotiques obligeant les institutions à revoir leur modèle industrialisé de la relation.  L’auteur, metteur en scène et directeur du Théâtre de GennevilliersPascal Rambert,  a compris ce mouvement de fond d’où des formes théâtrales « hybrides » qui déboussolent souvent, intriguent, agacent. Sa dernière création « une (micro) histoire économique du monde, dansée » n’échappe pas à la règle avec quatre acteurs, un philosophe (Eric Méchoulan), 26 participants aux ateliers d’écriture du théâtre et 21 choristes de l’Ecole Nationale de musique de Gennevilliers. Les codes traditionnels de la représentation sont ainsi bousculés (démocratie participative ? formation du spect’acteur ?…)1.

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Tout serait donc dans le titre. Comment appréhender l’histoire économique en quatre-vingt-dix minutes en articulant le micro et le macro, le texte et le corps, l’amateur (éclairé !) et l’acteur professionnel, le philosophe (celui qui donne le sens) au théâtre (ce qui fait sens) ? Cette scène gigantesque dans sa profondeur est l’immense toile de l’économique, du social et du culturel ! A nous de tisser.

L’économie est une interaction entre « le corps » au travail et son environnement (d’ailleurs, un chorégraphe ne serait-il pas plus pertinent dans certaines analyses qu’un économiste ?). Alors que les « travailleurs » reproduisent les gestes de l’économie où se dessinent les flux d’échanges des matières et des savoirs, la danse de Pascal Rambert redessine joliment l’espace. L’histoire économique nous apprend donc que le corps et nos façons de communiquer sont isomorphes avec le système. Cette partie du travail de Pascal Rambert est souvent émouvante et sensible, mais vite « rationalisée » par les interventions « écrites et ré-improvisées » d’Eric Méchoulan. Il nous perd dans ses explications, joue à l’acteur  pour illustrer son propos, met fin à l’interaction avec les amateurs jusqu’à les faire disparaître et occuper la scène à lui tout seul (belle image de son impuissance ?). Il réduit l’espace métaphorique avec le langage du savoir descendant pour nous dire ce que nous devons voir.

Le tableau sur la crise des subprimes moque une famille américaine qui agonise et caricature ses comportements. Les corps des acteurs et des amateurs peuvent bien glisser à terre pour mourir,  mais par quel processus ? Suffit-il de créer l’image pour donner du propos ? Cette scène symbolise à elle seule ce qui ne fonctionne pas dans cet ensemble : des professionnels qui caricaturent, un philosophe qui s’impose, des amateurs qui illustrent. Quelle est donc la place du metteur en scène ? Il propose le tableau, mais assume-t-il le point de départ de sa pièce à savoir sa colère, son émotion contre le système économique qui a généré la crise financière ? Il anime un « théâtre participatif », mais feint de ne pas en être le leader. À force de superposer les langages, on s’éloigne du « noeud » de la rencontre, de la turbulence qui nous permettrait d’articuler l’histoire avec la crise actuelle du système. Or, Pascal Rambert ne s’aventure pas sur le global et donc sur sa vision d’artiste. Il empile. C’est exactement comme cela que l’on nous parle d’économie aujourd’hui : de case en case.

Ce théâtre a les ressorts du changement systémique (en s’appuyant sur la base, en croisant les savoirs, en ouvrant la communication) mais il ne fait que renforcer la vision cloisonnée qui a généré la crise financière. Pour s’effacer, Pascal Rambert enferme le philosophe dans sa « leçon illustrée » de l’histoire, case les amateurs dans une très belle figure où peuvent résonner leurs pratiques, place ses acteurs dans des saynètes ridicules.

Ce n’est pas la première fois que je constate ce processus où les amateurs sont ainsi mis à contribution au service d’une réduction de la vision (doit-on y voir une nouvelle économie de la culture ?). Michael Marmarinos en avait convoqué une centaine à Bruxelles pour  « Dying as a contry » sur la période de la dictature en Grèce. Fréderic Fisbach dans la cour d’honneur du Palais des Papes avait effeuillé René Char dans la même proportion. La chorégraphe Mathilde Monnier avec « City maquette » redessinait la ville en chorégraphiant les interactions avec une cinquantaine de participants de tous âges. Chez Pippo Delbono dans « Enrico V », l’amateur fait corps avec l’acteur pour transcender et émouvoir. Quant à Christophe Haleb et Roger Bernat, ils transforment la scène (place publique, hôpital, …) en agora où le spectateur est l’acteur. A chaque fois, le nombre est imposant (métaphorisé par la file indienne, le choeur, ?), la scène déployée dans un espace profond où l’on circule. On s’appuie sur les pratiques artistiques des amateurs pour créer des synergies parfois intéressantes avec les professionnels : le « sensible » trouvant un prolongement dans le statut de l’acteur pour le mettre à distance. Il y a un désir d’impressionner, de sidèrer pour amplifier le sens. C’est une prise de pouvoir sur l’imaginaire. La plupart du temps, le metteur en scène mise sur la dynamique des interactions entre amateurs et professionnels au détriment d’un propos assumé. Or, le nombre de ces propositions « participatives » n’a rien changé à la place du spectateur dans l’économie de la culture enfermée dans le lien consommateur-producteur et au statut de l’artiste dans notre société. Je crains que le travail de Pascal Rambert s’inscrive une nouvelle fois dans ce processus.

La pièce va tourner en région et s’ancrer sur des territoires. Elle pourrait évoluer à condition que la mise en scène incarne (sans le discours) une philosophie de l’histoire économique. Pour cela, Pascal Rambert ne pourra pas faire l’économie d’être un artiste visionnaire, quitte à lâcher sur les concepts innovants dont il est le promoteur.

Pascal Bély, www.festivalier.net

(1) Avant d’entrer dans la salle, on nous tend un questionnaire pour sonder notre profil de spectateur : des cases, rien que des cases et toujours les mêmes questions d’un théâtre à l’autre où nous n’avons jamais le retour sur nos réponses. Pour mieux nous connaître, les lieux culturels utilisent les outils des sociétés de services. L’économie de la statistique se porte donc bien. C’est ce que l’on appelle « la culture » du chiffre. Dans les escaliers, une classe de terminale fait du bruit. La salle est quadrillée par le personnel d’accueil (sait-on jamais !). Je m’assois à côté de ces élèves, mais je peine à identifier la finalité de leur « sortie ». Avant même que le spectacle commence, je me questionne : le théâtre peut-il être un lieu d’interactions et de circulation des savoirs, à partir de quelles valeurs partagées ? Cette (micro) histoire économique peut-elle le repositionner au coeur de l’économie de l’immatériel?

“Une (micro) histoire économique du monde, dansée” de Pascal Rambert en collaboration avec Eric Méchoulan. Au Théâtre de Gennevilliers du 8 au 22 janvier puis du 9 au 20 février 2010. En tournée en région pour la saison 2010-2011.

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EN COURS DE REFORMATAGE PAS CONTENT

Rayhana agressée: communiqué de la Maison des Métallos.

Depuis le 8 décembre, 9 comédiennes montent chaque soir sur la scène de la Maison des métallos, Etablissement culturel de la Ville de Paris, pour interpréter A mon âge, je me cache encore pour fumer. Elles incarnent 9 figures de la féminité aux prises avec le refoulement et la violence, réunies dans un hammam à Alger. A la suite d’une première intimidation verbale en décembre, Rayhana, auteure de ce texte et comédienne, a été aspergée d’essence en se rendant à la représentation du mardi 12 janvier. Ses agresseurs lui ont ensuite jeté une cigarette allumée au visage, qui n’a fort heureusement pas enflammé leur victime. Les paroles de ses agresseurs laissent peu de doutes sur le lien existant entre cette tentative d’homicide et les représentations en cours d’A mon âge, je me cache encore pour fumer. Après concertation, la Maison des métallos et la Compagnie ont décidé de poursuivre les représentations jusqu’à leur terme, la barbarie de cette agression venant confirmer à leurs yeux la pertinence et la justesse de ce texte.
Signataires : la Maison des métallos et la compagnie OrtenAGRESSEE.jpg

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Artistes, spectateurs, professionnels, politiques : cultivons nos bambous.

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« Culture, mise en réseau et développement des territoires » : voilà une articulation créative pour une sortie de crise par le haut. L'Observatoire des Politiques Culturelles a eu l'excellente idée d'organiser un colloque sur ce thème au Théâtre de Privas (07). Pas moins de dix-huit intervenants pressés de donner leur vision en dix minutes. En France, pour aborder le « complexe », on pose un cadre rationalisant quitte à utiliser une expression (« table ronde ») totalement dénaturée de son sens puisqu'elle est carrée, sur une estrade, où les interactions avec la salle sont réduites à la portion congrue. Ainsi, pour évoquer le transversal, on communique en verticalité descendante. Le mal français est là. Passé cette désagréable impression d'être au c?ur de ce paradoxe, où le quantitatif dicte sa loi au qualitatif (là où le réseau les articule) on a pu compter sur les intervenants pour déjouer cette consigne absurde et donner à la thématique de la journée sa part de fragilité, d'humanité, d'envolées lyriques, de vision, de passion, mais aussi de provocation.

Le retour de l'Etat centralisateur.

D'autant plus que personne n'est tombé dans le piège de vouloir définir le réseau, même pas Alain Lefebvre, professeur émérite à l'Université de Toulouse-Le Mirail qui, profitant d'une panne de sa vidéo-projection, nous gratifia d'une intervention brève, humoristique et visionnaire. Tout juste apprenions-nous que « le réseau est un activateur de territoire, de projets, qu'il est complexe et qu'il pourrait participer à redéfinir les niveaux de compétences entre institutions ». Nous y voilà ! L'Etat, avec la réforme des collectivités locales, s'apprête à enlever la compétence culturelle aux conseils généraux. Ici, en Ardèche comme ailleurs, l'angoisse monte. Dans ce département rural, l'institution départementale est engagée dans une politique culturelle volontariste comme le rappelle son Président, Pascal Terrasse. Le centralisme se ferait-il une cure de jouvence en totale opposition avec le besoin d'une articulation dynamique entre le vertical et le transversal, portée par les territoires ?  Mais plus globalement, notre découpage administratif est-il pertinent à l'heure du réseau, alors qu'il le réduit bien souvent à une forme linéaire (donc contrôlante) pour une organisation rationnelle de l'information. Comme le rappelle justement Priscilla de Roo (chargée de mission à la DIACT), la France est un ensemble de « plaques territoriales d'attraction » qui déjoue bien des représentations : alors que le solde migratoire est de 0,83% l'an pour le rural, il n'est que de 0,14% pour l'urbain. Les villes sont tirées vers le haut par la dynamique de nos campagnes vues comme des terres d'interactions. « La carte n'est pas le territoire » serait-on tenté d'ajouter.

Pour un changement de gouvernance.

Au-delà de la réforme sur les collectivités locales, l'articulation « culture, réseau et territoire » promeut un nouveau modèle de gouvernance qui suppose d'inverser les prémices : là où les institutions influencent la forme des réseaux, il s'agit plutôt d'encourager les collectifs à accompagner les structures à changer d'organisation. C'est par la base des acteurs que nous transformerons nos institutions rigides et non plus par le haut, n'en déplaise à ceux qui demandent toujours plus d'Etat,  incapable d'animer la complexité. Il est temps de cultiver des bambous à côté de nos chênes centenaires ! Mais cela nécessite, comme le rappelle fort justement Olivier Bianchi, adjoint au maire en charge de la culture de Clermont-Ferrand et conseiller communautaire, que les acteurs culturels se (re) politisent en « apportant du sens, leurs enjeux, pour créer le rapport de force ». Bien vu.

Vive les collectifs pluridisciplinaires !

Cette nouvelle gouvernance sera donc encouragée par la dynamique des collectifs pluridisciplinaires d'où naissent des territoires élargis, à l'articulation du vertical et du transversal, du réel et du virtuel bouleversant les formes de la création. Pour Jean-Paul Fourmentraux, chercheur à l'EHESS, il faut substituer « à la liste descendante du générique d'un film », « la vision dynamique de la production ». À l'image du spectacle « Oscar, Pièce de cirque ? Schlag ! Opus 2 » où officie Oscar, un acteur virtuel, fruit d'une collaboration entre Montréal, Chalon sur Saône, et Paris. Alors que de  nombreux élus réduisent leur politique culturelle à la seule construction d'une infrastructure, d'autres préfèrent créer un «environnement culturel » comme Palmira Archier (directrice de l'APSOAR) qui voit la décentralisation comme « un partage », où « l'espace scénique, c'est le maillage, seul capable d'intégrer les effets systémiques». En Catalogne, le « réseau transversal »,  qui fut au départ une revue culturelle, réunit aujourd'hui plusieurs collectivités.  Grâce aux nouveaux outils de l'information et de la communication, chaque théâtre diffuse des coproductions. Comme le rappelle Pep Fargas, le directeur de Transversal, « le réseau est un changement d'échelle qui permet d'aller vers des arts plus risqués ». En écho, une auditrice, constata que nous sommes loin de la vision de pas mal de scènes nationales en France qui voient le territoire comme un espace réduit de « vagabondage », de « nomadisme », d' « itinérances » comme au bon vieux temps de l'après-guerre, « où la tournée c'était la province » !

Ainsi l'artiste ne serait plus seulement vissé à un espace géographique, mais inclut dans un territoire de partenariat englobé dans un territoire de projet ! Pour Donato Giuliani (responsable de la coopération eurorégionale et internationale pour la Région Nord-Pas-de-Calais), « le territoire de partenariat des années 90 est devenu aujourd'hui notre territoire de vie et d'activités ». Il va encore plus loin quand il déclare : « nous allons créer un réseau de régions pour dialoguer avec un réseau d'acteurs ». La dynamique des institutions est là !

Les réseaux pour une nouvelle société du savoir.

Mais plus généralement, l'articulation « culture, territoire, résea
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 » nous prépare à une nouvelle société du savoir comme aime à le rappeler  Patrick Bazin, directeur de la Bibliothèque Municipale de Lyon, qui aura sidéré l'assistance par la vision de son propos. Pour lui, « la connaissance s'inscrit dans des lieux d'expériences et de socialisation, ce qui induit que nous n'avons pas tant besoin d'institutions savantes que d'acteurs capables d'accompagner un public acteur et pluriel ». Cela suppose « d'écouter le terrain dans ses comportements et ses expériences ». Seul le réseau permet de restituer la complexité du « bas » (la vison) pour la communiquer vers le « haut » (la visée)  et co-construire des parcours de savoirs, des produits de la connaissance. Cela nécessite de passer d'un régime de médiation hiérarchisé à basse température (chasse gardée des experts) à un mode de médiation ouvert et partagé, créateur de haute énergie. Ce pari démocratique suppose d'amplifier l'articulation entre la culture et le social. Christiane Audemard Rizzo, chef du service Culture et lien social au Conseil Général de l'Isère, en précise l'enjeu : « il nous faut inclure les populations dans le travail des professionnels d'autant plus que les réseaux zappent les filtres institutionnels. Alors que nous repérons toujours plus de solitude et de souffrance, nous avons à observer et à accompagner tout ce qui fait rupture de sens entre l'individu et la société ».

Soyons optimistes : au regard de ce colloque, praticiens, artistes et chercheurs avancent. Mais l'intervention de Philippe Fenwick, comédien, caricaturant bon nombre de propos de la journée, était là pour nous rappeler que notre pays, par ses rigidités et ses chasses gardées, a éloigné bon nombre d'acteurs, dont certains se complaisent aujourd'hui à regretter un passé qui les a pourtant tant isolés du « complexe ».

Pascal Bély ? www.festivalier.net

« Culture, mise en réseau et développement des territoires »: colloque organisé par l'Observatoire des Politiques Culturelles au Théâtre de Privas (07) le 1er décembre 2009.

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De l’identité nationale, par David Bobée, Frédéric Nevchehirlian et Eva Doumbia.

Trois artistes, trois visions, trois manières de traiter la question de l’identité nationale…

Le propos est d’abord posée par le metteur en scène David Bobée et  l’écrivain Ronan Chéneau en janvier dernier (voir la vidéo) à travers le prisme de la dénonciation de l’actuelle politique gouvernementale. Dans « Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue », ils nous renvoient à notre perception, notre ressenti vis-à-vis des nouvelles réglementations. Comment réagir quand la règle exige de prouver et de démontrer son attachement à la République?  Pourquoi cette nécessité, désormais, de fournir des preuves d’amour ? Et surtout, quelle(s) répercussion(s) envisager en cas de désintérêt, de désamour ? Et si je n’aime plus cette France-là, vais-je perdre mon identité nationale ?

Quelques semaines plus tard,   le slameur Frédéric Nevechirlian nous ouvre les portes du studio du Théâtre du Merlan à Marseille pour nous offrir une autre vision, complexe et artistique, de l’identité nationale.

Accompagné de musiciens classiques dont la pianiste Nathalie Negro, Frédéric Nevechirlian nous donne à entendre quelques textes dont un écrit par Eric Vuillard, dans le cadre d’une répétition de « j’ai des milliers de gestes »,  spectacle présenté en juin lors du festival de Marseille.  C’est une musique contemporaine qui hache les notes comme Frédéric scande les mots.

À travers la voix fiévreuse de Frédéric Nevechirlian, Eric Vuillard constate que « Les ancêtres sont des forces défavorables ». « Les ancêtres sont des corps gigantesques, des présences dont les dimensions soustraites à notre vue étirent les signes de la providence qui sont les agents de décomposition des cadavres. ( …) Les pensées semblent venues de notre esprit, mais elles paraissent tenir par une espèce de filament secret aux règnes des esprits antérieurs. Il existe dans nos pensées une accumulation mystérieuse d’angoisse et de splendeur. » Cette angoisse et cette splendeur, c’est un peu l’ambivalence de l’héritage de la France.

 «Mais ils s’introduisent comme du poison dans mes veines, ils viennent se coller sur mes yeux ; et je passe beaucoup de temps à les détruire, je passe beaucoup de temps à les retirer de moi,… ». L’héritage colonial de France, sa difficulté à construire un projet global.

Ces musiciens issus de la musique classique et le slameur Frédéric ont décidé de se croiser. Mais le  croisement n’est pas sans riper. Doit-on respecter la partition ou s’en éloigner pour laisser encore plus de champ à l’improvisation ? Doit-on laisser place à la surprise, à l’émotion, mais à davantage de chaos ? Car que cherche-t-on ? Le vidéaste Patrick Laffont, comme un passeur, fait le lien. Ces artistes ont voulu se confronter à un univers différent du leur. C’est difficile, c’est parfois frustrant,  leurs altérités  comme autant d’aspérités s’entrechoquent. Comment va s’articuler leur projet : la partition ou le chaos ? Nous les quittons sur ces interrogations.

Comme un écho, le lendemain Eva Doumbia présente au 3bisF à Aix-en-Provence.  « Je t’écris… Le métissage ne s’arrête-t-il pas où commence l’oubli (du voyage) ? »,  première étape d’un travail de création.

Avec sa troupe, la Compagnie La part du pauvre, Eva Doumbia nous accueille. Elle se tient face à nous et s’adresse à la foule compacte et mélangée venue assister à la représentation.  Ce « mélange » du public est celui des âges et des origines en miroir à cette équipe d’artistes.

Avec un souci de clarté et une empathie certaine pour ceux qui se sont déplacés pour voir, Eva Doumbia explique sa démarche.  Car précisément, elle conçoit le processus créatif dans cet aller-retour avec la salle.

Le spectacle est composé d’une série de monologues. Ils sont ceux des personnes que France, l’héroïne venue du Brésil a rencontré dans le cadre de ses études. Elles ont partagé l’intimité de France et chacune à leur tour nous raconte leur identité et leur relation avec France.

Les personnages de la pièce d’Eva Doumbia entretiennent tous un rapport avec l’Afrique. Certains sont pieds-noirs, d’autres ont vu leurs parents fuirent l’Afrique pour cause de guerre civile, d’autres ont simplement quitté l’Afrique pour faire carrière en France.

Cette mosaïque de témoignages dessine le portrait de leur interlocutrice, de leur terre d’accueil communes : France.

Le travail inachevé d’Eva Doumbia mérite d’être retravaillé quant à son rythme, mais l’essentiel est réussi : il touche chacun de nous en ce qu’il interroge sans partis pris le rapport que nous entretenons avec notre propre identité nationale.

Le projet d’Eva Doumbia tisse des liens avec celui de David Bobée et avec les mots d’Eric Vuillard prononcés la veille par Frédéric Nevchehirlian. En nous permettant de mieux comprendre leur processus artistique, ces artistes nous guident vers une lecture complexe de notre identité.  Cette question si intime qui questionne notre capacité à construire un projet collectif.

Elsa Gomis

www.festivalier.net

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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON LES EXPOSITIONS PAS CONTENT

Lyon, ses « Sens Interdits » et sa spectaculaire biennale.

Je l’observe près d’une fontaine avec ses ballons publicitaires siglés des différentes marques d’un grand groupe de l’agro-alimentaire. Le vent joue le trouble fête. Le jeune homme passe son temps à les rattraper pour les donner ensuite aux enfants et à leurs parents. Triste spectacle d’un quotidien où le jeu avec l’enfant est marchandisé.

Quelques minutes plus tard, c’est un gigantesque ballon qu’une bande de jeunes tentent d’élever sur la place Bellecour. Ici,  la Biennale de Lyon (dont le thème est «le spectacle du quotidien») fait l’événement publicitaire. Cela n’intéresse pas grand monde. Triste spectacle d’un quotidien où la culture se fond dans le marketing le plus bête. La biennale serait donc objet de spectacle.

Démonstration et petite sélection d’oeuvres qui font débat.

En entrant à la Fondation Bullukian, ce ne sont pas des ballons, mais des dessins tenus par des épingles à linge. Il faut éviter que le message s’envole. Laura Genz a dessiné pendant plus d’un an l’occupation de la bourse du travail par des sans-papiers. Les reproductions sont vendues au bénéfice de « la cause ». À côté de ses oeuvres, l’artiste signe quelques slogans et une revue de presse est accrochée au mur. Je fulmine. La Biennale utilise les mêmes codes que les organisations humanitaires. L’art est objet et le spectateur y est asservi. Comment dans ce contexte évaluer la portée artistique de ces dessins au risque de passer pour insensible à la cause des sans-papiers ? Cette culpabilisation permanente, devenue notre spectacle quotidien à la télé, à la radio, dans les rues, au travail, est reproduite telle quelle. Paresse.

À la Sucrière, un autre dessinateur. L’un des plus talentueux en Europe. Remarqué au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles en 2008, le roumain Dan Perjovschi dessine comme il voit le monde. Deux murs noirs lui sont dédiés pour que jour après jour, ses dessins à la craie nous percutent. Le trait ne montre pas, mais joue le fil entre l’actualité et notre conscience collective d’Européen. Comme dans une galerie commerciale, peu de personnes s’arrêtent  et me voilà bien seul pour débattre. Triste « spectacle ». On passe sans rien voir comme s’il fallait fuir, à l’image de la vidéo proposée par Lin Yilin où un homme menotté à sa cheville déambule dans les rues chics de Paris. Les passants ne font guère attention à lui. Certains visiteurs de la Biennale rient de cette vidéo. Nous sommes au spectacle. Victoire de la société du divertissement.

Adel Abdessemed sait se faire remarquer et arrêter le spectateur. Ses photos et vidéos jouent sur l’opposition. Là des sangliers sur un trottoir, ici un lion quasiment tenu en laisse dans la rue. La ville est  vue comme violente et sauvage. Le son d’autres films projetées à proximité (un homme hurle tel un  vampire dans la rue, l’explosion d’une canette de coca à terre) amplifie la violence. Mais pourquoi cela ne touche pas ? Adel Abdessemed emprisonne son propos dans une vision dépassée à l’heure où la ville se dote de projets plus humains et plus écologiques. Est-ce pour cette raison que la vidéo proposée par le collectif  HeHe percute ? On y voit une voiture miniature téléguidée dans les rues d’une métropole américaine qui fait échapper de la fumée de toutes les couleurs. C’est la théorie du battement d’ailes du papillon qui provoque la tempête, ou la métaphore de la pollution de ces gros bolides qui envahissent nos villes. Bien vu parce qu’on s’en amuse.

Mais à mesure que l’on déambule à la Sucrière, on ressent le besoin de fuir le vacarme de la dénonciation spectaculaire. L’allemand Oliver Herring est là avec ses petits films posés tels des écrins sur le mur blanc. Au hasard de ses rencontres, il improvise avec les habitants des chorégraphies urbaines saisissantes de beauté. Ici, le « corps social » vous serre à la gorge  parce qu’il véhicule de belles valeurs : solidarité collective, appui sur les articulations, jeu avec les éléments naturels pour fluidifier la relation, respect de la différence. Ici, l’humain reprend ses droits, à l’image du Festival de théâtre « Sens Interdits » qui se tient au même moment où la veille, dix vieux de Russie nous avaient fait traverser notre histoire commune de la Deuxième Guerre mondiale à nos jours. Comme le metteur en scène Didier Ruiz, Olivier Herring ne filme pas du « spectacle », mais nous renvoie du sens sans se mettre en position de nous culpabiliser.

Sarah Sze prolonge en nous proposant l’une des oeuvres les plus touchantes de cette biennale. À l’heure où l’on nous parle de « crise systémique », elle a créé une sculpture faite de liens complexes. Tout est lié et l’on s’amuse à imaginer des ruptures, des croisements, des transformations. C’est beau parce qu’elle nous projette dans un Nouveau Monde (celui du développement durable, de la société de l’information) qui ne fonctionnera que si nous mobilisons nos capacités de reliances et de communication autour d’un imaginaire partagé. Et l’on n’est guère étonné d’échanger avec un enfant et sa mère sur l’effet qu’aurait un battement d’ailes de papillon dans cette structure fragile et impressionnante. Rien de spectaculaire. Juste prémonitoire.

Pascal Bély –Le Tadorne.

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En région PACA, la « rentrée » du spectateur serait-elle proche de la sortie ?

Le mois de septembre est celui des lectures assidues de toutes les « plaquettes » avec ce sentiment d'excitation qui caractérise tout spectateur curieux. En région PACA et notamment dans l'axe Aix ? Marseille, les programmateurs nous laissent le temps vu que quasiment tous les théâtres sont fermés. Calée sur le calendrier scolaire, l'offre culturelle frôlera l'indigestion en octobre et novembre.

Si certains lieux ouvrent leur programmation (à l'instar du Théâtre d'Arles autour de la performance), d'autres nous (re)servent des artistes avec qui les liens sont institués (le Merlan revendique les « artistes majeurs », la Scène Nationale de Cavaillon parle d'amis) comme si le concept d' « artiste associé » cher au Festival d'Avignon faisait des émules. Dit autrement, on se demande si promouvoir ses “amis” ne finit pas par être un art de la programmation. Les éditos des directeurs de lieux de diffusion nous rassurent : ils ouvrent leurs portes à l' «émergence». L'ouverture semble si étroite que l'on doute aujourd'hui de leurs capacités à prendre des risques et à inclure le spectateur dans un processus, celui de perdre une certitude au profit d'un questionnement. Il est aisé, grâce au web, de parcourir la France à travers ses scènes nationales, scènes conventionnées et autres espace de création. Une évidence s'impose alors : c'est souvent le découpage en régions qui joue sur les programmations des théâtres.

La culture est politique nous dit-on à longueur d’éditos mais à la lecture des programmes, nous avons l'impression qu'elle est surtout « territoriale ». Il revient à dire qu’hormis les «stars» du théâtre et de la danse contemporaine (Pipo Delbonno, Joël Pomerat, Christophe Honoré, Angelin Preljocaj, Jan Lauwers, Maguy Marin?) qui sillonnent les routes de France, les compagnies débutantes se cantonnent à rester dans leur territoire au nom de la rentabilité. Il est rare qu'un programmateur seul promeuve un artiste d'une autre région pour une date. Sauf si ce théâtre fonctionne en réseau et arrive à imposer son choix aux autres lieux de diffusion voisins, mais avec le risque d'uniformiser les programmations. La logique économique prend bien souvent le pas sur le parti pris artistique. Comment expliquer la quasi-disparition de la danse pour la saison 2009/2010 si ce n'est pour se prémunir d'un propos politique, d'une turbulence ?

Où donc trouver les nouveaux réceptacles de créations et d'artistes émergents ? Essentiellement dans des espaces à la marge. Le festival Actoral tente l'exploit de nous proposer un panorama souvent intéressant de la création contemporaine (qu'il perpétue le reste de l'année dans la programmation de Montevideo). Les Bancs Publics osent des traversées étonnantes à l'articulation de la danse, du théâtre et des arts performatifs. «Domaines» du Centre Chorégraphique Nationale de Montpellier Danse permet à des artistes d'explorer le processus de création par des voies détournées. On salue le Théâtre Antoine Vitez d'Aix en Provence qui offre, au c?ur de l'Université, une programmation risquée ouverte aux jeunes talents. Bureaux de recherche et d'expérimentation pour certains, propositions multidisciplinaires pour d'autres, c'est dans cet acte de création que la parole du spectateur peut se faire entendre et surtout être féconde.

Car la place du spectateur dans les lieux institutionnels se résume à la fonction d'«abonné » avec des formules chocs empruntées au marketing : « Devenez spectateur privilégié » ou «spectateur associé ». Ces désignations fourre-tout ne permettent pas de relier le spectateur aux enjeux politiques, économiques et sociaux de la culture. Enfermé dans un lien « producteur ? consommateur », les services de relations publiques font de l'information, institutionnalisent et instrumentalisent le spectateur, mais ne créent pas de la communication. Il est impératif aujourd'hui de réfléchir à la fonction de chargé de «communication», de « relations publiques » pour la redéfinir dans un contexte où le spectateur croule sous l'information, mais où l'on ne communique plus avec lui. Alors que l'on évoque notre « émancipation », notre « citoyenneté », pourquoi les formes de démocratie participative semblent absentes des lieux de culture ? N'est-ce pas là un paradoxe?

Malgré tout, certains théâtres créent leur blog afin de dynamiser leur relation au public. C'est le cas de la Scène Nationale de Cavaillon. Peu utilisé, car quasiment invisible, on espère que la refonte du site facilite l'expression du public. Encore faudrait-il que les équipes osent la question avant de penser l'outil : « quel lien désirons-nous avec le public ? ». À ce jour, on attend des propositions innovantes qui peinent à venir.

Avec le réseau social Facebook, un nouvel espace de communication semble s'ouvrir. Peine perdue. Quasiment toutes les institutions vous invitent à devenir leurs « amis » pour diffuser ensuite les informations disponibles sur leur plaquette et dans leur newsletter. Il y a là une difficulté à imaginer « le réseau social », c’est-à-dire un lien transversal où circulent aussi des affects, des visions, des débats. Saluons le positionnement récent du Festival d'Uzès Danse qui nous informe sur leur dynamique de projet d'équipe. N'est-ce pas une nouvelle manière de stimuler l'envie, le désir du festivalier ?

D'autres semblent vouloir aller plus loin dans la démarche en créant l'espace du blog vivant! C'est dans cette perspective qu'il faudra suivre l'initiative d'Annette Breuil, directrice du Théâtre des Salins à Martigues, qui a instauré pour cette saison une série de trois débats, avec son public, animé par Pascal Bély, l'auteur du présent blog. La prise de risque est à saluer puisqu'elle ouvre les portes du théâtre à un regard extérieur pour créer de nouveaux liens avec le public. Cette démarche
(re)donnera-t-elle la place au spectateur, celle d'un être réfléchi et réfléchissant ?

La transparence, tant recherchée en politique, pourrait se jouer dans les lieux de diffusion pour permettre à la création de participer à la vie de la cité et d'être plus en phase avec des spectateurs dont on sent bien qu'ils marchandent de plus en plus leur relation avec le milieu culturel.

Laurent Bourbousson ? www.festivalier.net

 

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Au Festival d’Avignon, Christoph Marthaler prépare le pire et se protège.

C’est le spectacle que l’on attendait. Au coeur de la crise, à la veille d’une pandémie, à l’heure où le continent européen cherche son projet politique, nous caressions l’espoir que le théâtre puisse nous ouvrir les horizons, fatigué de n’entendre que des dénonciations. Avec «Riesenbutzbach. Eine Dauerkolonie », le metteur en scène suisse Christoph Marthaler pouvait combler cette attente. Au lieu de cela, il a clivé un peu plus un public déjà déboussolé par un festival qui lui offre si peu d’attaches.

À première vue, le décor surprend et impressionne. C’est une bâtisse à l’architecture est-allemande, où s’enchevêtrent plusieurs espaces : selon que vous soyez puissant ou misérable, votre regard sera attiré par le hall d’une banque, le bureau d’une entreprise, un salon bourgeois, des garages, un balcon d’appartement. Il y en a pour tous les goûts. La troupe de quinze comédiens impose par sa diversité : des maigres, des gros, des chics, des médiocres. Mais ils sont riches, blancs, homme et femme-objet jusqu’à s’incruster dans le mobilier, assez matérialistes pour éructer comme une mécanique qui déraille, et suffisamment vulgaires pour lever la jambe pour un oui ou pour un non. Ils ont l’assurance de ceux qui ont le tout, bien plus de la somme des parties ! Tout lien est objectivé, nivelé, si bien que l’on ne différencie plus la relation commerciale, amoureuse et familiale. Christoph Marthaler se régale à se moquer de ces petits puissants : tout est grossi, mais avec délicatesse. Il ridiculise cette époque, à bout de souffle, désarticulée par la crise bancaire. Alors que les fondations s’effritent peu à peu, il prend un malin plaisir à s’appuyer contre un mur déjà fragilisé. Evidement, tout s’effondre avec fracas. Le public se marre, car n’importe quel détail tourné en dérision devient un événement.

À mesure que ces notables tombent dans la déchéance et se rapprochent du triste sort du peuple réduit à vivre dans les garages après avoir squatté les salles de vente, la pièce s’englue dans un humour potache. Le rire du public se fait plus lourd, signe d’une angoisse qui monte. Nous ne sommes qu’à la moitié de la représentation et  Marthaler a déjà épuisé son propos.

Alors, il étire le temps, non pour se dégager de ces personnages et se mettre à distance pour nous aider à comprendre ce qui se joue, mais pour installer un processus de persécution qui n’a plus de limites. Cette classe moyenne possédante serait composée de juifs qu’il plongerait dans l’antisémitisme. La moquerie s’enracine, prend des allures de dénonciation : il n’énonce plus rien et tombe dans un consensus qui gangrène la pensée politique et les propositions artistiques de cette 63ème édition du festival (Jan Fabre, Federico Leon, Thierry Bedard et Jean-Luc Raharimanana). Le monde est binaire : il y a les faibles et les puissants, les méchants et les gentils. À quarante minutes de la fin, Marthaler tourne en rond et distille son propos condescendant. Ses comédiens jouent des airs d’opéra pour célébrer un rite funèbre et installer la parade des hommes et femmes déchus. Cette forme artistique, vue tant de fois ailleurs, atteint son apogée quand il les fait défiler sur un stand de mode improvisé. Voilà nos riches, habillées avec rien, mais qui continuent malgré tout  « à se la jouer ». Avec les « Deschiens », c’était quand même plus sexy.

Arrive le moment où il faut conclure. Et Marthaler ne s’embarrasse pas. On aurait pu s’attendre qu’avec la crise, il saborde sa mise en scène. Même pas: il fait enfermer deux groupes dans un garage chacun. Et rétablit les camps. La vengeance est toujours le fruit d’un propos clivant.

« Sommes-nous au tournant d’une époque ? », proclame un des acteurs. Oui, parce qu’il y a peut-être assez d’énergie créative pour repenser un nouveau monde. Non, parce qu’il a des artistes et des intellectuels qui, tout en profitant des largesses du système, répète inlassablement le même discours qui leur garantit une position haute et un statut privilégié.

« Riesenbutzbach. Eine Dauerkolonie » de Christoph Marthaler prépare le public au pire. Lui, s’en sortira. Ses coproducteurs (Festival de Naples, d’Avignon, d’Athènes, de Wroclaw, de Tokyo) le protègent même des banquiers rapaces.

Je m’étonne que la relation avec un artiste m’emmène vers une telle conclusion.

Rideau.

Pascal Bély – www.festivalier.net

« Riesenbutzbach. Eine Dauerkolonie » de Christoph Marthaler au Festival d’Avignon du 23 au 26 juillet 2009.

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Au Festival d’Avignon, l’Islam se noie dans le Protokoll.

 

À la sortie de « Radio Muezzin » du Suisse Stefan Kaegi, le malaise est perceptible parmi les spectateurs. Mais ne l’était-il pas sur scène alors que l’un des acteurs fut pris d’un fou rire contagieux, signe d’un cadre qui ne contient plus mais qui enferme? Comme à son habitude, Stefan Kaegi, issu du collectif Rimini Protokoll nous propose son théâtre documentaire dont il a seul le secret. Pour la troisième fois depuis 2006, il est l’invité du Festival d’Avignon. Cette année, c’est l’Egypte et ses « muezzins », hommes sélectionnés sur concours et dont la mission est d’appeler à la prière. Il y autant de muezzins que de mosquées sauf que l’État Égyptien prévoit une « radiodiffusion systématique ». « Que devient l’aura de cette cérémonie ? », s’interroge Stefan Kaegi.  Il a donc invité quatre muezzins et un technicien à monter sur scène pour y raconter leur art, ponctué de témoignages sur leur quotidien, d’appels à la prière et de chants religieux.

 

Aux corps souvent statiques et lourds des invités (le poids de la religion et l’enjeu d’être en Avignon n’y sont pas étrangers), répond une mise en espace classique et sans créativité de Stefan Kaegi. Suffit-il de projeter des images vidéo de circulation au Caire pour créer le mouvement ? Suffit-il de reproduire l’éclairage des mosquées pour nous immerger ? Suffit-il d’accompagner la présentation des muezzins par un diaporama de photos personnelles pour créer l’intimité ? À toutes ces insuffisances, vient s’ajouter un malaise sur le propos lui-même. Si la métaphore de la mondialisation qui uniformise et fait disparaître le singulier a toute sa place ici, il en est tout autrement du sens implicite qui parcours la pièce. À la frontière de la fiction et du réel, le spectateur joue l’équilibriste, sur un fil, faute d’une mise en scène qui transcende le propos.

C’est la faiblesse de Kaegi qui jongle avec les limites pour ne pas s’engager et faire supporter aux amateurs le poids de leurs fragilités.  Comment écouter ces hommes qui réduisent la visibilité du féminin à une présence derrière un paravent, femme remplacée ce soir par un matériel d’haltérophilie? Comment entendre ces chants religieux sur la scène d’un théâtre dans un pays laïc ? Comment ne pas réagir quand ces hommes font du prosélytisme comme au bon vieux temps du théâtre catholique en France d’avant 1905 ? Mais le plus troublant, c’est l’utilisation des ficelles d’un théâtre propagandiste, utilisées en leur temps par les socialistes dans les années cinquante : créer la communion entre la salle et les acteurs ; orienter le propos vers des principes moraux ; susciter l’amitié entre acteurs et spectateurs ; mettre l’accent sur la pauvreté des moyens du peuple.  

Stefan Kaegi a probablement le souci d’ouvrir le théâtre vers un réel que nous ne voyons plus. Mais il doit éviter absolument de nous cacher la vue sous prétexte de vouloir inventer (ou de réinventer) un théâtre à lui tout seul.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Radio Muezzin” de Stefan Kaegi du 22 au 28 juillet 2009 au Festival d’Avignon.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage.

En mars dernier, à Berlin, la critique de Stéphanie Pichon.

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Au Festival d’Avignon, le « Ciels » terrorisé de Wajdi Mouawad.

Wajdi Mouawad, l’artiste associé du 63ème festival d’Avignon, a laissé durablement son emprunte dans l’imaginaire des spectateurs lors d’une nuit à la Cour d’Honneur, où il nous proposa sa trilogie « Littoral », « Incendies », « Forêts ». Il nous manquait la quatrième partie du quatuor qui forme « Le sang des promesses » : « Ciels ». Nous aurions préféré ne jamais l’avoir vue et n’attendre qu’une promesse.

À l’intérieur du bâtiment de Châteaublanc, nous entrons dans un espace d’expérimentation où les spectateurs, au centre, s’assoient sur des tabourets. Ils finissent par former « le jardin des statues ». Nous n’avons plus qu’à pivoter pour suivre la déambulation des acteurs sur sept scènes, telles des bulles d’une bande dessinée sans profondeur. Vidéo et art dramatique se relient dans une forme artistique hybride menacée de réductionnisme aiguë.

Ce dispositif scénique inexploité donne l’étrange impression que les acteurs  sont incrustés dans le décor d’un parc d’attractions, à défaut de s’incarner dans un imaginaire théâtral. Nous naviguons entre « Da Vinci Code » (les musées sont décidément des cibles bien utiles), « 24 heures chrono » (des terroristes manipulant la poésie et l’art menacent), et « Plus belle la vie » (quand l’intrigue se relâche). Ainsi, la forme ne soutient plus le fond, mais l’absorbe.

Pour faciliter cette hiérarchisation, Stanislas Nordey occupe le rôle de l’agent Clement Szymanowski et l’espace plus qu’il n’en faudrait. Son corps épouse le décor : lourd, droit, avec appui sur les articulations (genoux, bras). Il déclame le texte comme un mauvais Shakespeare et écrase de son regard mortifère les autres acteurs, réduits au silence à moins qu’ils ne rivalisent maladroitement avec lui. Le jeu de Stanislas Nordey abime la poésie de Wajdi Mouawad. Il incarne ce terrorisme du texte sur le corps dont souffre tant le théâtre français. Ainsi, comme dans les meilleurs moments de « 24 heures chrono », la troupe de comédiens est infiltrée par l’ennemi. L’intensité dramaturgique en pâtit et certains spectateurs sont gagnés d’un rire nerveux, signe d’un malaise qui ne fait que croître. Seule la vidéo (quel paradoxe !) permet à deux acteurs de s’échapper d’une telle main mise (impressionnant Gabriel Arcand et touchant Victor Desjardins dans le rôle du jeune Victor).

Alors que « Ciels » devait clôturer  le quatuor commencé avec « Littoral » par « un vagissement inarticulé », nous n’entendons qu’un vacarme, une bombe, posée par ceux qui n’ont pas fini de nous imposer leur jeu terre-à-terre.

Sauf que nous avons tant besoin de relever la tête pour voir d’autres archipels.

Pascal Bély Le Tadorne

“Ciels” de Wajdi Mouawad au Festival d’Avignon du 18 au 29 juillet 2009.

Crédits photo : AFP

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Au Festival d’Avignon, François Chaignaud et Cecilia Bengolea, concepteurs cherchent chorégraphe.

François Chaignaud et Cecilia Bengolea sont appréciés des Festivals. Après Uzès Danse où ils ont dernièrement présenté « Self and Others » d’Alain Buffard, ils seront à l’affiche de la 30ème édition de Montpellier Danse en 2010 (répondront-ils au souhait de son directeur, Jean-Paul Montanari qui, en les programmant ,souhaite renouveler la danse contemporaine ?). En attendant, ils doivent se contenter de la « 25ème heure » lors du Festival d’Avignon, c’est-à-dire une programmation à minuit, à l’Ecole d’Art.

Ce couple avait déjà fait parler de lui en 2008 avec « Pâquerette » en faisant le plein d’audience à Berlin et Paris ainsi que sur les blogs. Leurs « stratégies de pénétration » avaient pourtant provoqué un débat un peu mou parmi les spectateurs et la critique, faute d’un propos suffisamment fort et lisible. Même si « l’introduction d’un godemiché ne fait pas encore une danse », j’avais applaudi leur audace. Leur deuxième proposition, « Sylphides », présentée ce soir, est un concept. Saluons le projet novateur de ce duo qui se nomme « concepteur » plutôt que « chorégraphe », pour « fabriquer » de la danse. Si les mots ont un sens, rendons hommage à cette autocritique.

Qu’attendre d’un concepteur si ce n’est qu’il nous propose des formes moins esthétisantes, porteuses de sens et de vision ? Or, « Sylphides » n’est qu’une très belle esthétique du corps. Difficile donc d’évoquer ce concept sans entrer dans une description un peu laborieuse. Ici, le corps est aérien puis perd toutes ses articulations, avant de devenir quasiment liquide. Par une étrange alchimie, il se transforme jusqu’à se métamorphoser en forme dansante sur un air de Madonna. L’ambiance est totalement mortifère (la série « Six feet under » aurait-elle inspiré ?) et l’on sourit lorsque nos trois danseurs, en état de larve, cherchent une issue de secours.  Le corps est dansé de l’intérieur, mais il ne véhicule que sa propre image. C’est elle qui fait sens et confère au propos une pauvreté déconcertante. J’observe une « recherche », je recherche une « poétique «  et me voilà positionné comme évaluateur d’un  concept (il en serait sûrement tout autrement dans un espace d’art contemporain).  Conceptuellement, « Sylphides » se regarde, mais sa programmation dans un festival qui nous a proposé en son temps les plus grands chorégraphes est en soi un aveu d’échec.

Cette esthétique a de quoi inquiéter au moment où le corps est traversé par la fureur du monde.

Pascal Bély – www.festivalier.net

« Sylphides» de Cecilia Bengolea et François Chaignaud a été joué les 18 et 19 juillet 2009 au Festival d’Avignon.

Photo: ©Alain Monot.