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EN COURS DE REFORMATAGE FESTIVAL MONTPELLIER DANSE OEUVRES MAJEURES PAS CONTENT Vidéos

Anne Teresa de Keersmaeker ne fête pas les 30 ans de Montpellier Danse.

“C’est une pièce culte”; “A ne pas manquer”; “comment ça, tu ne l’as pas encore vue?”. La pression est forte à la veille de “Rosas Danst Rosas” d’Anne Teresa de Keersmaeker, jouée au Festival Montpellier Danse. Cette pièce, créée en 1983 pour quatre danseuses (dont la chorégraphe) est une oeuvre majeure du répertoire de la danse contemporaine. Car, comme le précise Wikipédia , “certains aspects de cette oeuvre marqueront les bases chorégraphiques des pièces d’Anne Teresa De Keersmaeker notamment quant aux circulations élaborées et l’utilisation du motif de la spirale”.  Vingt-sept après, elle est toujours là, avec trois danseuses de la compagnie.

Je suis au premier rang, métaphore du premier de la classe, bien décidé à passer l’examen avec succès. Mais, au fond de moi, une certitude: le lien avec une oeuvre de danse ne se commande pas. Je sais par expérience que c’est un art qui laisse chez chacun de nous des empreintes, où le spectateur élabore son histoire, loin d’être linéaire. Je pressens aussi que “Rosas Danst Rosas” vient un peu tard dans le lien que j’ai tissé avec Anne Teresa de Keersmaeker . Sa création “the Song, vue à l’automne dernier, résonne encore. Je sais ce soir que je ne suis pas là où le festival Montpellier Danse m’attend. Je sais que je suis ailleurs. 

Pendant plus d’une heure trente, mes émotions sont à distance. Cela ne passe pas alors que l’oeuvre est un chef d’oeuvre. Mais précisément, c’est de là où je la regarde. Je me sens écrasé par ces quatre femmes sublimes. J’observe leur danse comme si j’objectivais tout, à la recherche de ce qui fait “chef d’oeuvre”. Je ne m’en sors pas. Mais Anne Teresa de Keersmaeker n’est pas avec nous. Une intuition. Son visage est souvent fermé comme si elle ne pouvait pas être là. Comme si les 30 ans de Montpellier Danse la statufiaient au moment où elle prépare sa nouvelle création pour le Festival d’Avignon. À mesure que “Rosas Danst Rosas”  avance, le climat est de plus en plus lourd dans la salle. J’entends des soupirs d’exaspération, mon voisin somnole et je ne vois qu’elle. Son visage. Son corps. Je me remémore son répertoire, “The song” vu à Nîmes, “Steve Reich Evening à Cavaillon en avril 2007, deux folies de danse, deux empreintes. Mon premier article sur le blog, c’était pour elle, en 2005. À chaque mouvement du quatuor, je feuillette notre livre d’histoire. 
Ce soir, elle danse mécanique, je les regarde calculateur. Elle paraît souffrir, je n’ai aucune empathie. Elle non plus. Le quatrième et dernier tableau où elles dansent pendant plus de trente minutes quasiment un même mouvement qui se déploie du carré au circulaire, finit par ouvrir une brèche: je referme le livre.
Je commence à bouger.
Pascal Bély– Le Tadorne
“Rosas danst Rosas” d’Anne Teresa de Keersmaeker. Les 25 et 26 juin 2010 au Festival Montpellier Danse.
Crédit photo: Tristram Kenton
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En France, en 2010, un élu est intervenu pour déprogrammer une oeuvre chorégraphique.

En 2009, au Festival Off d’Avignon, je découvrais stupéfait,Méli-mélo 2 Le retour” par la Compagnie Chicos Mambo emmenée par le chorégraphe Philippe Lafeuille:  «…même quand il s’amuse de la danse contemporaine, il ne la caricature jamais. Vous ressentirez la présence de Zouc, c’est pour dire. Avec des airs de ne pas y toucher, ils relient tous les courants de la danse comme si tout n’était qu’une question d’amour. Mais ne croyez pas qu’ils soient des enfants de coeur : ces quatre-là ont une histoire dont on devine à peine les chapitres. Ils ont travaillé pour être là. Faire rire pour nous éclairer sur un art fragile demande une culture, un désir d’ouverture, une croyance inébranlable dans le collectif. Plus que jamais nous avons besoin de ces acrobates parce que la danse mérite son cabaret, pour qu’on y célèbre l’orgie de la tolérance ».

À l’époque, je me doutais que l’oeuvre aurait quelques difficultés à s’imposer auprès des programmateurs, tant la danse est devenue un sujet sérieux. La semaine dernière, à Saint-Germain-en-Laye, au lendemain de la première des Chicos Mambo, l’élu à la culture UMP Benoit Battistelli fait pression pour faire annuler une représentation prévue en matinée. Il obtiendra gain de cause tandis que la séance du soir fut maintenue.

Alerté par cette situation, l’auteur et metteur en scène Pierre-Jérôme Adjedj  envoya un mail au maire de Saint-Germain-en-Laye, Emmanuel Lamy.

Une lettre essentielle, qui rappelle aux élus leur rôle à l’égard de la culture et aux spectateurs que le spectacle vivant est aussi là pour nous déplaire…

Pascal Bély – www.festivalier.net

 

“Monsieur le Maire,

J’ai appris aujourd’hui avec émotion que vous étiez intervenu pour demander l’annulation d’une représentation de la compagnie Chicos Mambo, au seul motif que le contenu vous a choqué / déplu / incommodé (rayer la mention inutile s’il y en a, et compléter si besoin).

Je me permets de vous dire qu’une telle attitude relève pour le moins de l’ingérence dans le travail de l’équipe du Théâtre de Saint-Germain, et un désaveu sur ses choix. Je dois cependant admettre que de telles situations sont loin d’être rares; partout en France, des salles municipales aux réseaux nationaux, du nord au sud et de l’est à l’ouest, ce triste spectacle se reproduit. J’y vois trois raisons principales, symptomatiques d’une déviance quant à la façon de positionner la culture:

– Trop souvent, le payeur (vous) se sent le droit de vie ou de mort sur les choix artistiques (qui relèvent de l’équipe que vous mandatez).

– Trop souvent aussi, la culture n’est utilisée par les élus que comme un mieux-disant à visée électoraliste, ce qui entraîne un alignement des choix artistiques sur “ce qui plaît”.

– Trop souvent enfin, le payeur (vous toujours) peut finir par confondre son goût particulier avec le goût général.

Or, le rôle d’une institution culturelle est justement de proposer au public ce qu’il ne sait pas encore qu’il aime; c’est à cette seule condition qu’on peut sortir de cette logique de consommation qui finit par gangréner le spectacle vivant et l’aligner sur la télévision et le cinéma commercial.

Je n’ai aucun conseil à vous donner, mais de mon point de vue, vous avez tout à gagner à laisser entrer dans votre ville la surprise, l’inattendu, le déroutant, le choquant pourquoi pas… C’est comme un bon froid sec : ça fouette le sang et ça aide à se sentir vivant, ça pousse à parler à l’autre, à le rencontrer au lieu de le côtoyer seulement dans la promiscuité en velours de la salle de théâtre. Cette vie dans la cité n’a pas de prix, elle stimule la capacité à inventer l’avenir !

 A l’inverse, si votre objectif est de laisser vos administrés se confire dans le conformisme des idées reçues, alors ne dépensez plus un euro dans la culture, c’est de l’argent gâché ! Le conformisme, nous y glissons toutes et tous sans même nous en apercevoir si rien ne vient nous réveiller. Supprimez le budget culture, les élus chargés de la voirie et des bacs à fleurs vous béniront, ainsi qu’une grande partie de vos administrés.

Comptant sur votre bon sens et votre sens des responsabilités, je vous prie d’agréer, Monsieur le Maire, l’expression de ma considération distinguée…

Pierre-Jérôme Adjedj, 

Auteur / Metteur en scène

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Le plastique n’est pas TOTALement fantastique.

Pour certains d’entre nous, l’écologie s’inscrit dans un imaginaire. Le vert symbolise le propos politique ; le bleu, une planète propre. La métaphore est souvent utilisée pour donner la vision globale, nous alerter qu’un « battement d’ailes de papillon » peut provoquer une catastrophe. La phrase de Jacques Chirac (« notre maison brûle et nous regardons ailleurs ») résonne encore, tandis que Yann Arthus Bertrand use des vues aériennes pour nous faire rêver tout en dénonçant notre incapacité à produire autrement qu’en épuisant les ressources.  Dans ce contexte, l’écologie a-t-elle toujours besoin des artistes pour amplifier le discours et ses métaphores ?

Elle peut compter sur la compagnie « Le bruit des images » qui avec « le balayeur céleste » (« hara-kiri écologique pour trois interprètes, 8 tourne-disques et quelques mètres cubes de déchets plastiques ») nous a offert un beau moment de propagande écolo. Présenté au 3bisF (lieu d’art contemporain niché au coeur de l’hôpital psychiatrique Montperrin, le 3bisF, à Aix en Provence), les patients ont joué la voix off de tant de spectateurs désemparés.

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La maison qui ne brûle pas encore est au centre de la scène. Nous la voyons à peine. Mais nous regardons déjà ailleurs, vers cet homme en combinaison, qui sort d’un tonneau. Il a peut-être été jeté à la mer à partir d’un bateau qui partait à la découverte d’un nouveau continent. C’est notre Robinson ; serions-nous son Crusoé ? Allez savoir. La scène est une jolie voie lactée où notre homme en déséquilibre, passe d’une rive à l’autre. Les vieux tourne-disques s’éclairent à tour de rôle. La  «voie » est musicale ; notre terre est encore loin, mais l’utopie est là. Simple et efficace. Mais voilà que le centre de gravité se déplace vers notre « maison container » où un homme et une femme se débattent avec des bidons en plastique. Le cycle « pollueur – pas payeur » se met en place et cela devient vite infernal. Après vingt minutes de spectacle, le « disque » est déjà rayé. Un spectateur, à la démarche hésitante, s’en va. Nous le suivons du regard tandis que la scène s’éloigne de nous. La poésie du début n’est qu’une métaphore usée jusqu’à la corde. Au moment où les deux acteurs endossent une combinaison rouge, un patient s’exclame: « tiens, c’est Total ». Rire dans l’assemblée. Les bidons n’en finissent plus d’être jetés au dehors de la maison pendant que notre Robinson s’empresse de les redonner à l’envoyeur. La mise en scène colle au propos (où allons-nous alors que le plastique envahit tout ?) et s’enferme dans un langage qui puise ses ressorts dans un imaginaire publicitaire. C’est alors qu’un troisième patient lâche: « chaussée aux moines ».

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La tension est  palpable entre la scène et le public comme si nous assistions impuissant à une ?uvre qui parle trop (alors que les acteurs sont muets), à notre place (à l’image d’un micro que l’on nous aurait enlevé) pour imposer un message que personne n’oserait contester. C’est un théâtre de séduction, où la musique colle comme un bonbon acidulé à la fraise pour servir la communication d’une noble cause.

Sauf que l’écologie est politique ; elle soutient notre émancipation (à la différence notable d’autres idéologies qui visent la soumission du peuple).

Sauf que « le balayeur céleste » enferme le spectateur dans un prêt « à penser » et « à voir » particulièrement fragile.

Cette oeuvre  sympathique, au croisement du cirque, de la danse, de la  musique et du théâtre, métaphorise le vide idéologique de notre époque. Mais nous sommes suffisament fous pour ne pas tomber dans le panneau, fût-il en plastique de toutes les couleurs.

Pascal Bélywww.festivalier.net

« Le balayeur céleste » de la compagnie « le bruit des images » a été présenté au 3bisF d’Aix en Provence les 27, 28 et 29 mai 2010.

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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES PAS CONTENT Vidéos

Têtes de nazes.

Il est 22h40. Trois gerbes mortuaires signent le mot « fin » de « Versus », pièce de Rodrigo Garcia présentée au Kaaitheater de Bruxelles dans le cadre du KunstenFestivalDesArts. Le public applaudit mollement, sans hostilité apparente, presque désabusé. Encore une fois, l’auteur et metteur en scène argentin « dégueule », non plus contre le système capitaliste, mais contre nous. Bénéficiant des largesses des institutions culturelles d’Europe et d’ailleurs, il ne prend maintenant plus aucun gant.

Tout commence par cette scène où deux acteurs démontrent le comportement absurde des jeunes qui, de Rome à New York, en passant par Bruxelles, ne mangent que le coeur de la pizza. Pourquoi un tel gâchis ? À partir d’un discours culpabilisant et  moralisateur, les réponses ne tardent pas à venir.  Nous sommes incultes (préférant discourir sur le foot que sur l’avenir du monde), bestiaux avec les femmes, gavants et gavés, spécialistes des « coups de pute » dans nos rapports amoureux et sociaux. Rodrigo Garcia abandonne toute critique du système  pour se vautrer dans des lectures psycho-socio- comportementalistes de nos perversités ! Après tout, le diagnostic se tient. Sauf que Rodrigo Garcia avance sans nuance, clive tout ce qu’il touche, mais le fait proprement. Le temps où la scène était jonchée de liquides et de nourritures et qui éclaboussait jadis le public du Festival d’Avignon est terminé : à Bruxelles, le vin se transforme en eau pour ne pas tâcher et la distance entre les interprètes et le premier rang est significative.  

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Il explore l’intime pour en faire des histoires, mais il est incapable de les incarner avec poésie. Les acteurs sont ses marionnettes qu’il fait glisser et tomber pour accentuer la tragédie. Rodrigo Garcia parle de l’humain avec les mêmes ressorts dramatiques quand, jadis, il dénonçait les multinationales. En confondant le tout avec les parties, il fait preuve d’une paresse intellectuelle révoltante. Il ne nous voit qu’à travers le seul prisme de son impuissance à poétiser un monde qu’il hait. Sa pensée ne résisterait pas à un débat avec un sociologue, un psychanalyste et un anthropologue! Sa bonne conscience moralisatrice de gauche qu’il emballe dans un vernis écologiste puritain culpabilise sans cesse. Il met en scène le cynisme de toute une génération qui, après avoir bénéficié des largesses d’une époque, proclame qu’après eux, ce sera la fin. «Versus» symbolise un mode de pensée largement dépassé : binaire et jugeant, enfermant et sans distance. Comment sortir de ce cercle vicieux qui finit par contaminer la programmation d’un festival qui ne nous a jamais parlé ainsi ?

Inutile de compter sur la chorégraphe portugaise Vera Mantero. Avec « Vamos sentir flata de tudo quilo de que nao precisamos », elle rejoint la longue liste des artistes contestataires de la société de consommation (Rodrigo Garcia, Jan Fabre, François Verret, …).

Ici, deux hommes et deux femmes fouillent, chacun son tour, la tête d’un mannequin d’où ils extraient soit un collier, un avion, une voiture, des bonbons, une arme, de la poudre…Ce « ballet » incessant dure plus de quatre-vingt minutes soit trente de trop. Comme chez Rodrigo Garcia, le sol se macule de tous ces objets retirés de nos cervelles de consommateurs. Nos quatre danseurs, face à la vacuité de leur pensée dont le temps de réflexion dépasse rarement la vie des objets qu’ils désirent, finissent par devenir fous, par avoir peur d’eux-mêmes. L’apocalypse, métaphorisée par des hélicoptères volants ( !) n’est pas une fin du monde, mais un monde sans finalités. Ce défilé finit par «gaver ». Ce trop-plein d’images sature comme s’il fallait faire entrer dans nos têtes de spectateur le contenu et le contenant, la métaphore et son explication, le corps objet et l’objet du corps !

Je retire ce spectacle de ma tête, objet clinquant de consommation culturelle. Il m’encombre parce que le propos, tant entendu ailleurs, décourage. Il signe l’impuissance de l’artiste à penser l’après-crise, lui-même « objet » d’une économie du « toujours plus ». On ne retient que l’engagement sincère de Vera Mantero, laissant sur le côté la faiblesse de la dramaturgie.

Faute de mieux, le spectateur finit par ne goûter que le centre de la pizza.

Pascal Bély www.festivalier.net

“Versus” de Rodrigo Garcia a été joué du 14 au 16 mai 2010; « Vamos sentir flata de tudo quilo de que nao precisamos » de Vera Mantero du 12 au 15 mai 2010 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

crédit photo: © Christian Berthelot  

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Avec « [Castor & Pollux] », Bengolea et Chaignaud…points de suspension…

La dernière  création de Cécilia Bengolea et François Chaignaud,  “[Castor & Pollux]“, est une performance technique de haut vol d’autant plus qu’elle a  le mérite de mettre le spectateur dans une position peu commune. Que dire d’autre sans risquer de dévoiler ce qui fait la singularité de l’objet ? Comme pour « Pâquerette », lorsque l’on sait ce qui va se passer, que nous reste-t-il à découvrir, à ressentir ou à éprouver?

J’ai rencontré leur travail lors du festival des « Antipodes » à Brest, mais j’en savais déjà beaucoup sur leurs précédentes propositions. Sans les avoir vues, j’en connais les ressorts, ceux là même qui auraient, peut-être, pu m’ouvrir à une émotion personnelle.

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Cela pose la question de l’information, au sens de « préparation » du spectateur à quelque chose « d’inhabituel ». En avons-nous besoin, serions-nous à ce point revêches et timorés ? Le risque serait-il si important de nous voir mécontents de ne pas avoir été prévenus des changements de « codages » ? Ce principe de précaution (est-ce de cela dont il s’agit ?) ne permet pas  de vivre l’expérience proposée et conduit à venir potentiellement en « voyeurs » assister à la « curiosité dont il faut avoir été ». Peut-être empêche-t-il également toute réaction du spectateur autre que l’applaudissement. Dans ce cas, le contenu (s’il y en a un) et de fait, l’artiste, ne se trouvent-ils pas réduits à des « boîtes à faux frissons » qu’il est de « bon ton » d’approcher pour être, qui sait, dans la « norme » du moment ?

Disons-le tout court, je suis admiratif de l’exercice, mais rien ne me touche ici. Ce spectacle m’a laissé « froid » et il me semble que le « buzz » (c’est cela qu’on dit ?) qui entoure ces deux concepteurs (c’est ainsi qu’ils sont nommés sur les feuilles de salles, ça donne à réfléchir sur la « porosité » concept/artistes) à contribué à cela, autant que le fait de ne rien avoir à découvrir à mon entrée dans la salle.

Cela est dommageable compte tenu du travail indéniable qu’ont dû fournir les « danseurs » pour conduire leurs corps à cet endroit là. Il est probable que Cécilia Bengolea et François Chaignaud soient pris dans un système qui tue leur poésie. On les pose (ils se posent…) en objets « en vogue », qui plus est très productifs. On les contraint (ils se contraignent), probablement alors, à lancer leurs béances spectaculairement en pâture. Mais les autorise-t-on (s’autorisent-ils) simplement  à offrir leurs fleurs en cadeau ? Ou les conduit-on  alors (se conduisent-ils)  à n’être que des « performistes» au « plaisir » des « hédonismes contemporains » ?

Mais alors, comment aller voir un spectacle dont on ne devrait rien savoir? Peut-être en acceptant, simplement, de connaître ce dont il traite globalement et à minima, puis en se risquant, quitte à ne pas apprécier et à le signifier. Libérons-nous des filins. Quitte à tomber sur quelqu’un d’autre. Castor et Pollux n’en attendent peut-être pas moins, depuis le temps qu’ils errent dans la voie lactée, enfermés dans leur fausse gémellité.

Cécilia Bengolea et François Chaignaud possèdent le talent du corps. En cela, j’ai l’envie de leur faire la confiance d’être au rendez-vous d’un demain, sans chaînes, pour, dans la liberté de leurs regards, avancer leurs chimères et leur danse plus prés de l’émotion.

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

 

« [Castor & Pollux] »  de Cecilia Bengolea et François Chaignaud a été joué aux Antipodes de Brest du 2 au 6 mars 2010. À voir au Festival Montpellier Danse les 27 et 28 juin 2010.

Crédit photo: Alain Monot.

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HIVERNALES D'AVIGNON PAS CONTENT Vidéos

La danse enterrée.

Ambiance glaciale pour l’ouverture du festival de danse contemporaine en Avignon, « les hivernales ». Le public n’est pas au rendez-vous pour « Switch me off », fruit d’une rencontre entre un metteur en scène (Thomas Ferrand) et un chorégraphe, directeur du Centre Chorégraphique National de Tours (Bernardo Montet). Pourtant, nous aurions du être nombreux pour accueillir la danse, art de l’ouverture, tant on imagine difficilement l’inverse : un chorégraphe dirigeant des comédiens. On serait en droit d’attendre que ce spectacle hybride nous conduise dans un ailleurs, un espace inédit. Déception. Je n’ai pas décollé du sol.

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Dans une récente interview à « La Nouvelle République », Bernardo Montet dit avoir bâti « une pièce qui a autant à voir avec la photographie, les arts plastiques que la danse. Une sorte de poème composé pour la scène?Une oeuvre où le vide est riche de sens, où l’invisible devient visible, où l’imaginaire de chacun est laissé libre, et où l’histoire collective devient soudain individuelle. ». Soit. Sauf que cet ensemble hétéroclite ne crée pas le paysage.

Bernardo Montet est un homme à la carrure impressionnante. Alors qu’il s’avance nu, les pieds dans la terre, son « ciel » est un magnifique assemblage d’ampoules dont le tout façonne un imaginaire baroque. Ses premières apparitions sont de toute beauté, car on ne sait d’où il arrive. Rapidement, cet homme « lourd » évoque notre humanité. Ses mouvements, ses cris, témoignent. C’est un retour aux sources de la vie. Dépouillé à l’image de sa danse, son corps transporte toutes nos fractures. Évoluant dans l’antre de la terre, là où les âmes se perdent, il s’ébat, crie « I’m here », comme pour mieux s’affranchir de sa vie.

Mon imaginaire est prêt à se laisser tenter par l’aventure, mais la mise en scène est une entrave. L’ambiance apocalyptique plombe l’évolution de la danse. Dans ses précédentes créations, le parti pris de Thomas Ferrand est d’en faire toujours trop avec les mêmes bruits d’un même chaos ambulant. Pourquoi donc l’affubler d’une perche où vient se nicher un micro (emblème phallique ?) afin que l’homme crée du son avec les ampoules ? Cet objet utilitaire, laid, rempli sa fonction, mais clive l’espace : ici le son, là le corps, ailleurs le mouvement. Pourquoi donc réduire la sphère entre la terre et le cosmos pour que l’homme trace son sillon de gauche à droite pour « travailler » sa danse à défaut de l’incarner ? Pourquoi donc ces « tics » de mise en scène (avec la musique stridente tant entendue ailleurs) qui illustrent (pour venir vers nous fort et déterminé, l’homme « retouche » son sexe dans la terre !), hypothéquant définitivement la force du mouvement dansé? Là où le décor fait oeuvre d’art, où le corps fait le danseur, Thomas Ferrand impose une installation et précarise la danse.
Le tout est une jolie démonstration qui force le respect. Et c’est bien là notre problème.

Pascal Bély-Laurent Bourbousson- www.festivalier.net

« Switch me off“, mise en scène de Thomas Ferrand a été joué le 13 février 2010 dans le cadre des Hivernales d’Avignon.

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Trip do Brasil

Bla, bla, bla“: les mots se succèdent et la lassitude se creuse dans cet air-plane-movie du sentimentalisme multiculturel.

« France do Brasil », mis en scène par Eva Doumbia, est un assemblage de textes écrits par Aristide Tarnagda, originaire du Burkina Faso, suite à des improvisations faites par les acteurs qui composent la troupe multiethnique (brésilien, africain, français, arabe?) de “La part du Pauvre”.

À la lecture du résumé dans le programme, j’entrevois le sens polymorphe de l’être humain qui s’avère…inracontable ! France, écrivaine, brésilienne de naissance, vient en France pour des études. Elle laisse deux amours : un homme, qui succombera à une overdose (on est au Brésil après tout), et la soeur de cet homme avec qui elle a eu une liaison (pour le côté sulfureux du Brésil ?). Après quelques années passées sur notre territoire, et suite au refus de son éditeur au sujet de son dernier roman qui traite de l’identité nationale, elle rentre au Brésil et convoque l’ensemble des personnages de ce roman. On y parle d’identité, d’appartenance, d’héritage familial et culturel.

Un brassage de moeurs, d’histoires plus personnelles les unes que les autres, des allers-retours France-Brésil, un amour lesbien, de la drogue, un mort, des sans-papiers, des clichés gros mon point (ah la coiffeuse africaine !) et la violence, point d’orgue de cet air-plane-movie théâtral « abracadrabentesque ». Mon passeport en règle, j’embarque dans cette histoire. Ou plutôt, je reste collé au tarmac, halluciné par l’enchaînement des situations, zappant d’un point à un autre de la scène avec pour fil conducteur la lumière délimitant les espaces, les lieux et le temps. L’économie de la direction d’acteurs, où chaque protagoniste a son temps de paroles bien réparti, ne décolle pas du plateau.

J’assiste, impuissant, à une discussion, sans sentiment, sans envie et sans grande conviction. Un échange entre amis dans lequel chacun a son propre mot à dire sans pour autant trouver une résonance. Un bla-bla insipide qui aurait dû m’emmener loin de Marseille, quelque part au-dessus de nos têtes, à la rencontre de nos identités.

Rendez-vous manqué.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net 

“France do Brasil” a été joué les 27, 28, 29 janvier 2010 au Théâtre du Merlan. À noter que France Do Brasil est labellisé “França.Br2009” pour l’année de la France au Brésil.

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Le théâtre, notre penche de salut.

Le théâtre penche. Après les structures métalliques et les échafaudages qui ont envahi les scènes du dernier Festival d’Avignon, métaphore de la déshumanisation de nos sociétés, la tendance est à la pente. « Avatar » le film de James Cameron illustre ce monde en 3D, où le bas est en haut, où tout penche pour mieux rééquilibrer le vivant. Deux pièces méritent une analyse approfondie, d’autant plus que leurs scénographies se ressemblent étrangement.

 « Öper Öpus» de Zimmerman et De Perrot nous offre une scène toute en horizontalité, qui penche dangereusement. Métaphore de l’instabilité, elle voit un collectif pluridisciplinaire composé d’un DJ un peu déjanté et de quatre danseurs-circassiens où les corps longilignes des uns  répondent des corps tout en rondeurs des autres, dans un équilibre quasi parfait. Le décor est fait de tables et de chaises tandis que des morceaux de bois jetés à terre encerclent la scène. Il y a également des trappes qui permettent de voir à travers les planches. Nous voilà donc sur une aire qui s’amuse du déséquilibre pour interroger les relations humaines. Les corps minces, gros, musclés, imposants autorisent certaines audaces pour questionner les stéréotypes qui déséquilibrent les rapports sociaux. La mise en scène accentue le chaos permanent, où l’on joue de la pente pour tenter de se risquer dans le lien et l’humain avec humour, décalage, tendresse et énergie. On se s’ennuie pas à les voir se moquer comme des clowns, à recréer l’univers de Jacques Tati, mais on finit tout de même par se sentir un peu seul.

Étrange paradoxe. Le déséquilibre, c’est souvent de la douleur, du fragile. Cette approche est purement escamotée alors même que cette pièce ne parle que du corps !  L’horizontalité est ici approchée à partir d’une vision verticale (accélération-perte de vitesse, haut-bas, … ) où le déséquilibre ne se joue qu’à la surface si bien que le spectateur est séduit par la forme, mais rarement touché. Le tout s’inscrit dans une mécanique, un rouage que la technique sans faille des circassiens ne fait qu’accentuer. On cherche un point pour ne pas glisser aussi, mais à force d’observer la surface qui décline, on reste en dehors. Or, l’horizontalité a besoin d’un centre de gravité que l’on ne trouve jamais. On effleure juste le « sale » pour ne pas se salir les mains. À vouloir être à la frontière du théâtre, du cirque et de la danse, ils ne sont sur aucun territoire, sauf celui de la performance, d’une esthétique de l’excellence que le public ne se gêne pas d’applaudir quitte à faire fuir la poésie du fragile. À défaut d’« intranquillité », on joue avec le décor et des pans entiers du sol. Bien vu, mais sans risque.

On pourrait reprendre mot pour mot les critères de cette analyse pour le spectacle conçu par Mathurin Bolze pour la compagnie MPTA, “du goudron et des plumes”. Ici, point de DJ mais du jazz et du bon qui se fond dans le décor là où la platine s’imposait. Ici aussi, la scène penche tel un radeau de la méduse où des trappes permettent aux cinq circassiens de traverser cette scène pour se pencher sur notre ici-bas fait de logiques symétriques. Mais il y a une différence fondamentale avec le spectacle précédent: le déséquilibre nous invite à explorer le fragile, le sensible. Ici, on ne s’accroche pas au décor, mais on s’y relie pour communiquer. La pente produit de la poétique qui libère de l’espace, abat les cloisons là où elle n’était que mécanique chez « Öper Öpus» . C’est une poétique qui adoucit le monde circassien fait de barres, de cordes et de gestes symétriques. Le collectif emmené par Mathurin Bolze tend vers le mouvement dansé pour interroger notre vivre ensemble alors que tout penche vers le vide sidéral de la perte des valeurs. Ici, la crise de civilisation est palpable: d’un monde de fer, de planches qu’ils finissent par faire exploser, ces beaux artistes nous guident vers un environnement plus aérien, où le fragile est la ressource du lien, où l’articulation s’amplifie au détriment des rouages (de va-et-vient) qui formatent depuis si longtemps notre approche de l’humain. Avec eux, le centre de gravité sur scène est une passerelle où la force du collectif se joue du déséquilibre pour mieux se régénérer.

À aucun moment le public n’applaudit la performance physique parce que le propos n’est pas là: leur poésie habite tant notre imaginaire qu’on en oublierait notre place assise de spectateur. Quelques maladresses de mise en scène mériteraient d’être effacées (comme celle avec les ombres chinoises, grand moment kitchissime!) pour que ce goudron et ces plumes finissent durablement par nous coller à la peau.

Pascal Bély -www.festivalier.net

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“Du goudron et des plumes” de la compagnie MPTA a été joué les 28 et 29 janvier 2009 au Théâtre des Salins de Martigues.

 « Öper Öpus» de Zimmerman et De Perrot a été joué en novembre 2009 au théâtre du Merlan à Marseille.

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L’expression « besoin de faire le vide » est couramment utilisée tandis que nous atteignons la frontière. C’est alors que nous posons des limites, bien que nous préférions parfois amplifier le désordre. Il n’est pas rare que le théâtre participe à ce processus : combien de fois affirmons-nous, « cette pièce a fait le vide en moi » en référence à une résonance, à moins qu’elle nous ait permis de « ne pas nous prendre la tête ». C’est au choix. Il existe aussi des oeuvres sur le vide projetant le spectateur dans l’espace du néant à l’image du « monde merveilleux de Dissocia » d’Anthony Neilson, traduit et mise en scène par Catherine Hargreaves.

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Alors que nous connaissons une crise de civilisation sans commune mesure depuis la Deuxième Guerre mondiale, force est de constater que certains metteurs en scène ne s’embarrassent pas de la question ! Catherine Hargreaves nous a donc déniché ce texte où l’auteur britannique « s’attache à trouver de mettre en scène ce qui se passe dans la tête des gens, seul lieu qui, théoriquement, reste inviolé par la police, la société de consommation et l’actualité. C’est un lieu absurde, inconnu, mystérieux, passionnant et infiniment théâtral ». Quelle trouvaille ! Et que lui inspire ce lieu ? Accrochez-vous. En revenant d’un voyage à New York, Lisa Jones a perdu une heure si bien que sa vie ne tourne plus tout à fait rond. Pour la retrouver, un horloger Suisse lui recommande fortement d’aller à Dissocia, lieu imaginaire, peuplé d’hommes et de femmes égarés. Et là, que trouve-t-elle ? Un monde absurde, une société qui marche à l’envers de la nôtre, où quelques unes de nos névroses sont amplifiées (l’obsession sécuritaire, les politiques de prévention, …). Ce « lieu » n’est que l’espace de la farce. alors qu’il est l’univers du fou. Soit. On est bien sûr priés de se plier en deux. Quelques spectateurs s’aventurent sur ce terrain tandis que beaucoup restent figés. Entre ces acteurs qui confondent une scène avec un plateau d’une émission de télévision censée libérer du temps de cerveau disponible et notre désir de chercher au théâtre quelques questions sur l’avenir de notre civilisation, il nous faut résister pour ne pas tomber dans le vide. Outre le fait que le texte est mineur, la mise en scène court après le bon mot, le geste drôle, la posture décalée. À aucun moment, on ne ressent une mise à distance du metteur en scène. En effet, elle aurait pu créer un espace imaginaire autour de cette heure perdue (après tout, nous aurions pu nous y projeter). Mais elle préfère guider ces acteurs vers des numéros d’équilibriste où le corps se débat, prisonnier du déguisement. Comment est-ce possible aujourd’hui de confondre à ce point la déraison avec la bêtise ? Ici, le fou est débile. Consternant.

Le deuxième acte accentue le naufrage. La farce est terminée. Retour au bon vieux « théâtre bourgeois ». Alors que Lisa se retrouve à l’hôpital pour troubles psychiques (ouf, le spectateur peut voir à quoi il a échappé!), Catherine Hargreaves nous propose quelques effets empruntés à l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat (deux minutes de dialogue. Noir total. Autre scène. Noir total…et ainsi de suite). Délesté du comique de situation, l’acteur se fige dans un dispositif tout aussi enfermant comme pour s’excuser de l’acte précédent. Là où Pommerat provoque la sidération, Catherine Hargreaves préfère jouer à la bonne élève. À ce moment précis, rien n’est assumé. Au délire de la première partie, suit le conformisme de la deuxième ! Et pourtant, nous sommes à nouveau sur le terrain de la folie. À peine effleuré. Le vide me submerge comme si je n’avais rien vu, rien entendu. Avec l’étrange impression d’avoir perdu, non pas une, mais deux heures.

Je rassure les lecteurs : ce théâtre-là ne rend (malheureusement) pas fou mais juste assez vide pour faire une critique de l’inutile.

Pascal Bély – www.festivalier.net

« Le monde merveilleux de Dissocia » d’Antony Neilson, traduit et mise en scène par Catherine Hargreaves a été joué du 14 au 30 janvier 2010 au Théâtre des Célestins de Lyon.

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Avec « Gilles », David Bobée abandonne « nos enfants ».

Propos du metteur en scène David Bobée, feuille de salle de “Gilles“: « Entre pluridisciplinarité et délire loufoque, début de narration et fragmentation des scènes, entre exigence et générosité, la liberté de création est grande ; c’est ainsi que je souhaitais réaliser ce spectacle : au fil des répétitions et des improvisations des acteurs. Je voulais avant tout le laisser vivre pour, petit à petit, le découvrir »

Sur le plateau, de la terre, une voiture, un réverbère…Tous ces éléments seront crédités par le récit, mais, comme un souvenir de déjà vu…dans « La mélancolie des dragons » de Philippe Quesne : même si la terre remplace la neige, on peut se questionner. Les « clins d’oeil » n’en sont pas toujours et les « hommages » sont parfois douteux. Nous en verrons «malheureusement» d’autres plus loin dans la soirée.

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” Gilles” – David Bobée.
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“la mélancolie des dragons” – Philippe Duquesne

Narration : « Ils ne savaient pas comment m’appeler “Gilles” c’est court à dire, comme ça c’est pratique». Le spectacle lui,  n’est pas court et il en perd toute sa force et sa puissance. « Pratique »… il l’est peut-être tant il est passe-partout, tant il veut éviter toute polémique, toute tension, toute émotion, tant il brosse dans le bienséant, le politiquement correct et le sens du poil, tant il gomme tout chemin de traverse. Pourtant, le chemin singulier de Gilles est hors des « sentiers battus » et remet en cause bien des conventions. Mais, on n’est là ni pour réfléchir, ni pour s’émouvoir, surtout pas pour être dérangés. Est-ce le «rejet» subit par « Nos enfants nous font peur quand on les croise dans la rue », (sa dernière création, pamphlet anti gouvernemental), qui a poussé David Bobee à faire cela ?

Les scènes sont sans fin et tuent tout le contenu émotionnel du propos. Allons-y, qui plus est accompagnés par un gentil “docteur » : naissance de Gilles (déjà sous les sunlights), mariage de Gilles, l’enfant qui grandit, le clown vagabond, le « vieil » homme qui ne veut plus de sa mémoire…Et de le faire descendre dans la salle pour se jeter dans des embrassades imposées et faire lever le public les bras en l’air. Et de faire descendre deux jeunes acteurs (ayant pour « particularité » d’être porteur de handicap) pour faire tournée de bisous à un public captif. Cela n’apporte rien, ni au propos, ni à la pièce, mais contribue à «plomber» un peu « l’ambiance ». « La Compagnie de l’oiseau mouche »(1) associée à ce projet  mérite meilleur écrin pour son talent que ce racket organisé qui la conduit à s’exhiber. Que se passerait-il si un spectateur agressé refusait les baisers, en ce lieu imposé ? Il me semble facile d’exploiter cette veine pour s’assurer (obliger) les applaudissements.

Le handicap, s’il empêche certaines choses, n’exclut pas le talent, mais ce qu’il renvoie, encore aujourd’hui, exige que le «metteur en scène» conduise le public, avec force, à lâcher les clichés et les peurs pour modifier son regard et laisser place à l’être. Le handicap, comme d’autres singularités, dérange encore et provoque de nombreux troubles de comportement, des lois seules n’y changeront rien.
Loin le temps où le fait d’être porteur de handicap ou d’une différence et d’être sur scène ne sera plus une performance en soi.
Loin le temps où la différence aura place comme « normale » et « évidence » au point de n’être même plus soulignée dans une feuille de salle. Cela aiderait pourtant probablement ces acteurs à se sentir reconnus comme vraiment « professionnels de la profession » ; et, par probable répercussion, aiderait, des milliers d’hommes et de femmes à se sentir reconnus. Ce n’est pas la personne porteuse de handicap qui doit changer pour se « mettre  dans » la société, c’est cette dernière qui doit bouger pour faire de la place à celui/celle, qui, quoi qu’il/elle fasse, ne pourra pas gommer sa particularité et de fait « rivaliser, comme il se doit ». Le « monde de l’art » peut offrir un espace possible pour changer les regards de nos peurs et nos intolérances. Que lorsqu’il s’y colle, il le fasse avec exigence, conviction et force.  J’oserais dire le mal-être de certains spectateurs autour de moi qui, de toute évidence, n’avaient qu’une envie, que ça finisse et sortir pour, peut-être, fuir le malaise d’avoir accepté « ce cirque » et applaudi quand même. Dois-je dire qu’il est loin d’être évident de rester bras croisés à attendre que le show des « claps claps » soit fini, qu’il est encore moins évident de se lever et de partir ou de se « lâcher » à contester. Mais quand on applaudit… qu’est-ce qu’on applaudit au juste ?
Au lendemain de ce « spectacle », ma colère est toujours là… j’en veux à ce « Gilles » raté, pour avoir, je crois, cherché le consensuel sur un « fond de boutique » compassionnel. Je suis en colère de n’avoir pu vivre les émotions allumées par un beau texte et qu’ont fait mourir cette mise en scène.  Je ne peux m’empêcher, tant certains tableaux en sont copie, de penser à une autre mise en scène et à un autre spectacle.
« Flash back » d’émotions qui, là, ont pu se vivre: « Questo buio feroce » de  Pippo DELBONO s’est joué dans la même salle quelques semaines avant « Gilles ». Il travaille avec des personnes en situation de handicap, elles sont indispensables à ses créations. Sans elles, il y aurait manque car ce qu’elles proposent comme acteurs ne peut être proposé que par elles. Le metteur en scène sait qu’il ne peut pas demander à un autre ce qu’il demande à celui-là, compte tenu de ce qu’il est et de ce qu’il peut seul traduire.
Là se montre la force de la singularité et se prouve la place de chacun comme indispensable à un tout.

Je veux oser croire au “bousculement” qu’a fait vivre à David Bobée la rencontre avec le handicap psychique. Mais je m’autorise à penser qu’il doit autre chose à cette rencontre que ce « salmigondis » et que ce qu’elle a éveillé en lui est d’une autre teneur.

 « Puisqu’on allume les étoiles, c’est qu’elles sont à quelqu’un nécessaires » ( MAIAKOVSKI)

Allumer les étoiles pour qu’elles nous soient utiles et fassent pétiller nos intelligences, nos cerveaux et nos coeurs, cela me semble être le minimum à demander à un créateur.

Des tableaux accumulés, quand bien même ils soient « subjectivement beaux », ne font pas un bon spectacle.

Ici quarante-cinq minutes auraient probablement suffi à faire lever le vent. Ce texte le méritait, ces comédiens aussi ! Une heure trente ont tout tué.

Que le créateur montre aussi à ceux qui croient en « Nos enfants » que le théâtre (subventionné ou non) n’a pas vendu son âme et que les enfants de demain pourront encore pousser les portes de cet ailleurs pour se remettre vent debout en allant croiser les « Saltimbanques ».

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

Gilles”, de Cédric Orain, mise en scène de David Bobée a été joué du 12 au 14 janvier au Théâtre Universitaire de Nantes.

(1) Troupe professionnelle et permanente qui compte vingt-trois comédiens, personnes en situation de handicap mental.