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“Tutu” de Philippe Lafeuille: Et si la danse m’était contée?

Le Festival OFF d’Avignon va remettre le prix du public 2015 à  “Tutu”  de Philippe Lafeuille.

Sylvie Lefrère revient sur cette oeuvre, vue en avant première à Marseille le 1er octobre 2014.

Pour ouvrir le bal de cette nouvelle saison, je n’ai pas hésité à faire l’aller et retour entre Montpellier et Marseille. La compagnie «Les Chicos Mambos», emmenés par Philippe Lafeuille,  fait son grand retour après «Méli-mélo», succès planétaire. Pour fêter ses 20 ans, elle m’a emporté dans une vague ! Après les intempéries d’il y a quelques jours, la scène de Klap, Maison pour la danse, va m’inonder de flots émotionnels. J’ai rangé ma robe de sirène pour la troquer avec celle en tulle.

Pour ce spectacle, la costumière Corinne Petitpierre a créé les plus beaux tutus que la danse n’ait jamais vu. Ils peuvent être une fine corolle scintillante, ou longs et ronds; en forme de chapeaux, de cygnes; des pompons, en plissé. Ce sont toutes les diversités d’enveloppes qui recouvrent le corps des danseurs. Le tutu en tulle, symbole de la danse, est aussi cette matière fine, transparente, perforée, comme les alvéoles d’une ruche. Le groupe de six danseurs (Anthony Couroyer, Loic Consalvo, Mikael Fau, Pierre-Emmanuel Langry, Julien Mercier, Alexis Ochin) symbolise nos abeilles nourricières, jeunes artisans faits de force et d’humour, magnifiquement célébrés par la  création lumière de Dominique Mabileau. Chacun laisse éclater sa singularité à travers ses muscles tendus, l’expression de son visage. Ils sont uniques et ils font corps, choeur de danseurs qui nous entrainent dans le mouvement de l’histoire de la danse.

Une succession de scène m’enthousiasme. Pour cette avant-première, le public est composé majoritairement de professionnels du spectacle : je le sens vibrer, à l’image d’un mouvement qui s’immisce entre les fines couches de tulle. Les spectateurs respirent de plaisir, laissent éclater librement leurs rires, jusqu’à saluer par leurs applaudissements les notes d’humour jubilatoires et culottées. « Tutu » célèbre la danse, art vivant qui montre depuis quelque temps un propos épuisé sur scène. Ici, les schémas esthétiques habituels explosent pour nous faire entrer dans un lâcher-prise libératoire. Philippe Lafeuille use de sa liberté d’expression sans se soucier de plaire, sans laisser la moindre place au consensus mou. Dans cette course effrénée, la danse se met dans tous ses états. Elle relie, croise, superpose toutes ses formes, classiques, internationales, temporelles, urbaines, sportives, sensationnelles. Elle nous touche dans ce que nous avons été, ce que nous sommes. Le futur s’accroche à l’énergie des danseurs.

«  Tutu » restera gravé dans ma mémoire, car au-delà d’une fresque de tous les états du geste, je traverse mon histoire de danse (adolescente,  le « Boléro» de Béjart m’a ouvert mes émotions dansées). Avec «Tutu», le végétal et l’animal rejoignent l’humain. Je me frotte contre l’ourson bienveillant, je caresse les cygnes omniprésents, je ressens la liberté de l’oiseau migrateur. Je frôle le dos musclé de l’ange qui nous tourne le dos pour mieux nous faire front. L’humour est palpable dans les moindres froufrous, mais il reste toujours sur une ligne fine, à la lisière du cabaret, sans jamais franchir la vulgarité et le déjà vu.

La danse n’est plus le monopole de l’esthétique féminin. Philippe Lafeuille est un chorégraphe qui bouleverse les codes, mélange les genres. Il ose et devient le magicien d’un jardin extraordinaire. Les références au passé valsent, tournent entre les âges et les modes . J’y observe ces corps d’hommes qui se transforment. La grâce des jeux de jambes dans un tango endiablé, qui se confondent  avec celles du rugbyman Néozélandais qui exprime une danse tribale pour se donner du courage et impressionner l’adversaire. Force et séduction deviennent poreuses jusque dans ses représentations les plus classiques. La part du féminin/ masculin est en chacun de nous et nous oscillons dans le paradoxe.

Le lendemain matin, me revient la sublime scène des bébés tutus, premiers corps dansants. Françoise Dolto disait « tout est langage». Philippe Lafeuille prolonge le propos : «tout est tutu…je tutu nous…tout est corps!». Je garde l’image finale des ces boules de tulles colorées déposées sur le plateau comme les cailloux du petit poucet pour éclairer un chemin. La musique du film de Wong Kar-Wai, «In the mood for love»,  flotte dans l’air et pulse le mouvement du cheminement.

« Tutu », c’est nos liens intimes à la danse.

C’est l’image d’une révolution éclatante.

Nous sommes en marche.

Pour une réévolution en tutu.

Sylvie Lefrère – Tadorne.

Photos: Michel Cavalca.

« Tutu » de Philippe Lafeuille. A Klap, Maison pour la Danse à Marseille, en avant-première le 1er octobre 2014 dans le cadre du festival « Questions de danse ».
 
En tournée dans toute la France en 2015-2016
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Klap…Silence…

Puis-je imaginer ma vie sans la danse ? Il m’arrive parfois de ressentir ce cauchemar, de paniquer à l’idée de ne plus rien écrire sur elle; de la laisser, pour me détourner de moi, de vous. Ce soir, Klap, Maison pour la Danse à Marseille, programme «Stimmlos» d’Arthur Perole. Trente kilomètres me séparent et je dois dépasser ma fatigue accumulée depuis 10 jours. Je ne le connais pas. Juste qu’il vit dans les Alpes-Maritimes, département du bout du bout où la danse cherche sa place au milieu du stress, des paillettes et des barres verticales…En silence…

Klap m’accueille. Mais auparavant, j’entre dans le noir inquiétant d’une rue où les ombres s’affolent au rythme des musiques entremêlées avant d’inhaler les fumées d’un public à l’entrée qui semble attendre le DJ ! A l’intérieur de Klap, l’atmosphère orangée du hall m’apaise. Dans quelques minutes, cinq danseurs étireront le temps, régleront la lumière sur l’aube, propulseront le plateau en terra incognita et m’immobiliseront dans une écoute sans limites.

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Je comprends très vite que le silence provoqué par «Stimmlos» n’est pas décrété. Qu’il se fabriquera pendant cinquante minutes. Qu’il imposera le sens de l’art, même lorsque les sons de la rue tenteront de se faire entendre. Ici, le silence est une émergence du groupe, voire d’un gouffre d’où partent les effluves de nos terrains devenus trop marécageux, à force d’être piétinés bruyamment par nos pas insensibles. Le silence a sa lumière : un soleil levant, à peine couché, pour que la danse éclaire les ondes de danseurs magnétiques. Trois femmes et deux hommes m’invitent à ressentir le silence pour penser le corps ; à détourner le regard pour plonger dans les méandres de leurs gestes où la danse prolonge l’incertitude vers l’inconnu: avec eux, rien ne s’arrête, tout se faufile, défile, file, vers l’écoute.

Je ne cesse de créer mes dialogues intérieurs: lorsque Mathieu Patarozzi, homme peuplier, étire ses branches, disparaît dans son feuillage puis se courbe vers la terre tel un oiseau de bel augure, j’entends la forêt se peupler par la renaissance des quatre autres. Lorsque Steven Hervouet déploie peu à peu les ailes de sa danse vers l’envol de nos utopies, je l’entends qui s’approche du vide créatif créé par le quatuor. Lorsqu’Éva AssayasMarie Barthélémy etAriane Derain étirent leurs corps pour creuser la profondeur du plateau, j’entends deux danseurs qui bâtissent l’espace pour que l’écho soit un mouvement vers nous…

Lorsque tout se fait entendre, «Préludes» de Richard Wagner poursuit la belle œuvre. Cette musique en habits noirs, éclaire les chemins complexes du silence où s’aventurent les danseurs avec élégance. J’y vais aussi. Lorsqu’on y est, Wagner se retire comme à marrée basse, laissant les danseurs pieds à terre, mains en l’air, bras en pinceau pour redessiner les corps pétris de silence. J’y suis, habité par tous leurs gestes. Par vague, j’entre et me retire. Je suis submergé par cette danse de l’écume d’où surgissent des tableaux qu’un vent wagnérien disperse au-delà du plateau pour propager le silence du beau.

Arthur Perole m’a relié à la danse de l’art. Je l’ai écouté comme rarement il m’a été donné de le faire. Cet artiste doit savoir ce qu’il en découle de proposer une danse où les ponctuations font la phrase, où le geste est un mot virgule.

«Stimmlos» est une grande œuvre de danse.

Klap, Klap !

Pascal Bély – Le Tadorne

« Stimmlos » d’Arthur Perole à Klap, Maison pour la Danse à Marseille, le 7 février 2014. Puis au Festival Faits d’Hiver à Paris les 10 et 11 février 2014.
Crédit Photos: Nina Flore Hernandez.
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DANSE CULTE KLAP, MARSEILLE LE GROUPE EN DANSE OEUVRES MAJEURES

Dominique Bagouet, génération Strange.

Je connais trop peu la danse de Dominique Bagouet. Depuis sa disparition il y a vingt ans, je  n’ai approché que deux œuvres. C’était lors d’une très belle soirée à Montpellier Danse en 2007 où «Une danse blanche avec Éliane» et «F et Stein – réinterprétation» m’avait totalement sidéré. Ce soir, un ancien danseur de Bagouet et directeur artistique de Klap, Maison pour la Danse, s’avance vers nous, en confiance: Michel Kelemenisprésente «+ de danse à Marseille»,  un manifeste où pendant une semaine, tout un programme est proposé pour entrer dans l’univers de ce chorégraphe d’exception. Ce soir, «Jours étranges» est repris sous la direction de Catherine Legrand etAnne-Karine Lescop pour neuf adolescents de Rennes. J’ai décidé de m’asseoir à côté des enfants: c’est un bain de jouvence, un geste à la mémoire de Dominique Bagouet, car je pressens que sa danse reliera petits et grands.

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Je ne suis pas déçu. Ces neuf adolescents sur scène dégagent une présence étonnante, un doux mélange de respect et d’affranchissement. Avec la danse de Dominique Bagouet, leur jeunesse est un bel affront; elle est une invitation généreuse à ceux qui connaissent peu l’art chorégraphique; elle est une énergie pour encourager les spectateurs engagés.

Le décor est loin, mais il en impose: de grosses enceintes musicales laissent entrevoir un filet de lumière, un tunnel entre ici et là-bas, d’où l’on entend l’album mythique des Doors, «Strange Days». D’où nous viennent-ils? Est-ce notre jeunesse qui défile ainsi? Probablement. Mais pas que…Il y a autre chose dans «Jours étranges», comme un système d’équations à multiples inconnues entre le désir de vivre et une solitude qui conduirait vers la disparition. Étrange…

Il faut imaginer ces quarante-cinq minutes comme un paysage (le groupe) où les éléments naturels (le rock, le silence) créent un climat (la danse) pour régénérer la nature (notre changement de regard par cette chorégraphie de l’introspection). C’est ainsi que le collectif est plaine, à moins qu’il ne soit terrain caillouteux pour propulser les corps dans le chaos de la métamorphose. Chacun cherche la meilleure façon de danser, d’avancer, de devancer pour créer sa trajectoire dans un paysage qui contient parfois, retient souvent. La danse autorise et empêche en même temps et fait face au désir de liberté de chacun contenu dans la solitude de l’adolescence.

La danse de Dominique Bagouet magnifie l’impuissance d’être «(seul)ement» libre dans son groupe d’appartenance. Il y a ceux qui n’ont peur de rien, dont le corps offre tout ce qu’il est possible de mouvementer. Puis, il y a l’Autre. Comment s’en affranchir tout en ne perdant pas de l’idée que sans lien, aucune liberté n’est à conquérir? C’est dans cet interstice que les gestes de Bagouet s’engouffrent et offrent des moments virtuoses où la danse d’un couple s’évanouit dans la brume d’un amour évanescent. A moins que d’autres corps puisent dans l’énergie de la musique, le désir de s’émanciper pour vivre la solitude comme une l’expérience d’un au-delà.

Je me prends au jeu d’entrer en relation avec chacun, sans perdre le collectif: à quelque endroit que je sois, Dominique Bagouet ne me laisse jamais seul. Ils sont fleuve, je suis de rock tendre.

Alors qu’ils rejoignent le fond de scène, le bruit de leurs pas est battements de cœur à l’approche d’une frontière où le paysage se mue en constellation planétaire.

Celle de nos rêves d’enfance égarés où Dominique Bagouet les éclaire de ses danseurs étoiles.

Pascal Bély – Le Tadorne

«Jours étranges» de Dominique Bagouet. Reprise sous la direction de Catherine Legrand et Anne-Marie Lescop pour 9 adolescents de Rennes. À Klap, Maison pour la Danse à Marseille, le 10 décembre 2012.

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Marseille, capitale des Princesses (mais aussi des princes !)

Dans quelques semaines, Marseille et sa «métropole» seront le territoire d’une capitale européenne de la culture. Peu d’habitants ont conscience de l’enjeu, d’autant plus qu’aucune proposition ne nous a permis de nous rassembler. Pourtant ce soir, à Klap, Maison pour la Danse, un événement a fait date: des gradins, le public a dansé! Oui, nous avons dansé : joyeux et émus d’être ensemble! Depuis quand cette sensation ne m’a-t-elle pas traversé dans cette ville, en proie aux pires démons? D’où nous vient ce petit miracle ?

Il vit à Paris. Mais ne nous y trompons pas. L’homme est avant tout méditerranéen (par ses origines corses et son long exil à Barcelone d’où il créa en 2006 «Méli-Mélo», objet chorégraphique hilarant, toujours en tournée !). Philippe Lafeuille est à Marseille dans le cadre de «Question de Danse», festival de création proposé par Michel Kelemenis, où les chorégraphes présentent une étape de leur projet. Ce soir, je suis particulièrement touché: Président de sa compagnie depuis deux ans, Philippe Lafeuille est sur mes terres où le public marseillais est le premier à vivre l’expérience. Son univers décalé, onirique, un brin provocateur, mais toujours à l’écoute, va-t-il rencontrer un public peu habitué à ressentir la danse par le plaisir partagé?

dress-princess«Le bal des Princesses (et des princes !)» ravive les souvenirs de l’enfance qui se projettent sur la scène de nos désirs dans un aller-retour incessant. Car si Philippe Lafeuille ose endosser la robe dès l’ouverture, c’est pour m’inviter à lâcher la mienne, tressée par des fils de muraille. Avec trois interprètes, il va créer sur la scène les conditions pour qu’elle se prolonge vers nous, dans nous. Un petit miracle, vous dis-je, rendu possible par trois visiteurs du soir, invité à peupler nos imaginaires…Question de danse

Marie Barthélémy incarne princesse utopie: sa robe, c’est notre seconde peau, celle qui se déchire par la force du désir d’en découdre… 

Thomas Caspar est criant de vérité à courir autour de lui-même, à créer le tourbillon de sa valse à mille temps, celle qui le métamorphose en prince éternel de nos fragilités trop souvent réprimées.  

Corinne Barbara est impressionnante en princesse triste: robe à la main, elle s’accroche à quelques spectateurs invités sur le plateau. C’est un moment foudroyant vers nos rêves d’enfance perdus dans la fureur de nos modernités abusives.  Tandis que Philippe Lafeuille, en maître de bal, nous propose de le suivre, me voilà prince et princesse, renvoyé au genre humain. Reviennent alors les mouvements des jeux d’enfants où mes draps se faisaient château, où mon arbre-cheval m’offrait des chevauchées fantastiques, où sous la table de la cuisine, je me proclamais prince du royaume du réconfort. Alors qu’il m’invite à enfiler ma bague, je me souviens des fêtes entre amis, où jeunes, nous revendiquions nos différences à l’heure où le Sida nous faisait croire que nous étions punis, au piquet.

Ce soir, Marseille a eu son bal. Celui de la libération.

Un bal pour faire valser nos péchés culturels capitaux.

Pascal Bély – Le Tadorne.

“Le bal des Princesses (mais aussi des Princes” à Klap, Maison pour la Danse les 9 et 10 novembre 2012. A voir au Centre National de La Danse à Pantin le 14 juin 2013.

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KLAP, MARSEILLE LES JOURNALISTES! PAS CONTENT

Le Nouvel Observateur insulte la danse.

A la lecture du dernier article du «journaliste» Raphaël de Gubernatis, j’ai la nausée. Il me l’avait déjà donnée en 2011 alors qu’il tenait des propos racistes en «critiquant» un spectacle de Faustin Linyekula (lire: l’article incacceptable de Raphaël de Gubernatis)

Lors d’une soirée en févier dernier à Klap, Maison pour la danse à Marseille, il fut l’envoyé spécial du Nouvel Observateur. Deux spectacles furent proposés au  public : «My way», une création de Michel Kelemenis (directeur de Klap) présentée à 19h et «Christoffa» de Davy Brun à 20h30.  L’analyse minutieuse de l’article ne m’a pas échappé tant je suis extrêmement vigilant sur cet homme sulfureux, craint et détesté, qui a sa carte de presse et tous les honneurs qui vont avec.

Dès le début de l’article, Raphaël de Gubernatis se retient de vomir. Mais il a le hoquet. «Quelques mois après son inauguration, la Maison pour la Danse, située à Marseille, vit à plein régime. Le vaste hall d’entrée qui dessert les deux salles de spectacles (l’une d’entre elles, possédant une magnifique scène, attend que l’on soit en fonds pour garnir de sièges les gradins) est plein de monde. On présente ces jours-ci, en avant-première, un ouvrage de Michel Kelemenis dont l’opiniâtreté et la présence à Marseille depuis des lustres sont à l’origine de l’établissement, mais aussi l’essai d’un ancien danseur du Ballet de Lyon qui se lance dans la création chorégraphique.». J’informe les lecteurs que ce journaliste paresseux n’a pas assisté à la représentation de Davy Brun (qu’il ne nomme même pas, le qualifiant par son ancien statut de danseur). Certes, la salle de création de Klap n’a pas encore de sièges et je m’en réjouis. Enfin un lieu qui n’aligne pas les spectateurs où rien n’est permis! A Klap, on peut s’étaler pour admirer la danse et se laisser aller. Mais Monsieur de Gubernatis est probablement habitué aux fauteuils moelleux qu’il confond avec des chaises à porteurs.

Son hoquet vagal se poursuit :

Ce sont là deux des fonctions assignées à cette Maison pour la Danse commanditée par la Ville de Marseille : abriter les spectacles de son instigateur, mais plus encore ceux produits par les nombreux artistes chorégraphiques que l’on qualifiera “d’intérêt local”, et qui se sont multipliés à Marseille comme dans le reste de la France. L’avenir dira si la Maison pour la Danse n’est pas plus belle que les productions de ceux qui vont en bénéficier.»

Je vous laisse apprécier l’appelation «intérêt local». C’est le propos réactionnaire d’un journaliste qui disqualifie les programmes de décentralisation culturelle. Ignore-t-il que les grands chorégraphes français ont souvent débuté en région ? Qu’aurait-il écrit en 1979 sur  Jean-Claude Gallotta qui fonda à Grenoble, le Groupe Émile Dubois pour s’insérer en 1981 dans la Maison de la Culture de Grenoble? Comment peut-il qualifier Michel Kelemenis d’ »instigateur» de Klap alors qu’il en est l’inventeur, le bâtisseur (il le sait puisqu’il était présent à la conférence de presse d’octobre 2011 lors de l’inauguration de la Maison)? Cet homme maltraite les mots, car il ne peut écrire avec raison.

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Alors qu’il aborde «My way», Raphaël de Gubernatis commence à se vomir dessus :

«Visiblement ébloui par la grâce juvénile du jeune homme, Benjamin Duc, lequel a des atouts pour devenir plus tard un bon, voire un excellent danseur, Michel Kelemenis a l’imprudence de le précipiter dans un rôle qui n’est pas de son âge».

Je note d’emblée la mauvaise orthographe du danseur (il s’agit de Benjamin Dur). Lapsus révélateur qui le voit métamorphoser un danseur en duc (duc, du latin dux, ducis signifiant « meneur, chef », est le titulaire d’un titre de haute noblesse attribué par plusieurs monarchies européennes depuis le Moyen Âge). Premier éblouissement.

«On ne demande pas à un garçon sortant visiblement de l’adolescence d’assumer un rôle de séducteur avec le cynisme que cela induit. Benjamin Duc a la gaucherie, et sans doute l’innocence de son âge. Le jucher sur le haut tabouret d’où il joue brièvement un rôle de créature aguicheuse propre à l’univers du cabaret;  le faire se dévêtir sur scène et du coup porter le spectateur à une position de voyeur : voilà qui semble malsain. Ce jeune homme est bien trop vert, bien trop immature, comme danseur et comme acteur, pour assumer le rôle qui lui est dévolu. C’est le déflorer que de l’y pousser.»

Raphaël de Gubernatis a des pulsions qu’il ne contrôle plus. Entendons-nous bien. Cela m’arrive d’avoir d’étranges pensées lors d’un spectacle de danse. Mais cela relève de mon intimité, de ma relation à la scène, au corps. Il me faut en général quelques secondes pour revenir au propos. Or, dans le cas présent, Raphaël de Gubernatis est si ébloui par la beauté dure de ce garçon qu’il ne se contrôle plus jusqu’à perdre tout sens critique et accuser Michel Kelemenis de pédérastie. Mais qui donc avez-vous défloré, monsieur De Gubernatis, pour que ce souvenir vous aveugle ?

Ce n’est pas fini. Son délire se poursuit. Il s’imagine tête de réseau d’agents artistiques sulfureux :

«Et devant ces trois jeunes gens, trop frais, à la technique non encore maîtrisée totalement, on ressent le même malaise que devant ces petits garçons qu’on avait coutume, naguère, dans certains milieux populaires, de déguiser en petits adultes, ou devant ces fillettes que l’on laisse s’habiller en femmes et qui singent inconsciemment la vulgarité de leur mère.»

De mon expérience de spectateur de danse, je n’ai jamais lu un article aussi dégueu
lasse, mal écrit, à la rhétorique réactionnaire et obscène.

J’accuse formellement le Nouvel Observateur de détester la danse pour laisser ce journaliste de caniveau insulter artistes et spectateurs. J’informe ici programmateurs et chorégraphes « institutionnels » que je ne resterais pas inerte dans le cas où vous lui réserveriez, en ma présence, quelques privilèges qu’il vous réclame probablement à corps et à cris.

Pascal Bély, Le Tadorne.

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Mademoiselle Caroline Blanc.

Il est 8h55. Sur France Inter, François Morel chronique tous les vendredis. Ce matin, sa poésie tourbillonne autour du préfixe «Mademoiselle». Il regrette la prochaine disparition d’un symbole d’émancipation de la femme. Il évoque Mademoiselle Moreau, Mademoiselle Danièle Darrieu, Mademoiselle Greco. Je divague. J’aurais presque envie de chanter, de danser. Elle apparait. François Morel a oublié Mademoiselle Caroline Blanc dans sa liste. Je ne suis pas certain qu’il l’a connaisse. C’est une danseuse. Je l’ai rencontrée en 2005 alors qu’elle interprétait le chef d’oeuvre de Michel KelemenisAphorismes géométriques»).

Elles étaient quatre sur scène à célébrer la relation si particulière entre danse et musique. Elle m’emportait dans sa partition gestuelle où mon regard s’égarait dans les plis de sa peau, s’échouait sur les rivages de son visage vers une terre chorégraphique qui m’était encore inconnue. Depuis, je ne l’ai jamais perdue de vue. Car Mademoiselle Caroline Blanc a cette présence féminine qu’aucune chorégraphie ne pourra altérer.

En octobre 2011 lors de la soirée d’inauguration de Klap, Maison pour la Danse à Marseille, elle était le fil rouge entre les différentes représentations. Elle s’amusait de son statut, entre clown et personnage de conte de fées. C’était son «échappée belle».  Elle est probablement l’une des rares danseuses à pouvoir jouer un rôle, pour s’en abstraire, sans saturer l’espace de l’imaginaire. Fidèle à Michel Kelemenis, elle a incarné différents personnages pour que la danse s’invite là où l’on ne l’attend pas («Besame Mucho», «L’amoureuse de Monsieur Muscle» «Henriette et Matisse»). Mademoiselle Caroline Blanc est une «émerveilleuse». 
Ce soir, elle nous revient. Toujours à Klap alors que la Maison inaugure son «Channel» sur la plate-forme «Numeridanse.tv». Charles Picq (l’heureux créateur de ce site-carte aux trésors)  et Michel Kelemenis nous proposent “le Pasodoble de Caroline“, film de vingt-cinq minutes. Ils nous transmettent la vision de Mademoiselle Caroline Blanc alors qu’elle était l’une des interprètes de «Pasodoble», création de Michel Kelemenis.  Alternance de séquences filmées en 2007 et de confidences cinq ans après, ce film est un écrin: la caméra chorégraphie cette interprète pour en dessiner le portrait. Si la danse est un langage alors la caméra de Charles Picq est sa grammaire. Son corps en mouvement devient cette page où notre désir s’écrit. Ce film est un angle vivifiant pour évoquer l’histoire d’une danse: une «interprétation» de l’interprétation en quelque sorte !
Tandis que l’écran disparaît, apparaissent  sur la magnifique scène de Klap, Mademoiselle Caroline Blanc et Monsieur Michel Kelemenis pour dix minutes (probablement plus) d’un duo coloré. Leur histoire fait  mouvement: allez savoir ce qu’ils ont du se raconter pour prendre autant de plaisir. Entre coups de poing et stratégies de séduction, se lovent la confiance, la peur, leur créativité, leurs recherches. S’ils s’éloignent, c’est pour mieux se rapprocher. S’il l’approche, c’est pour mieux l’effleurer d’un geste qu’elle prolonge vers nous. Alors qu’ils jouent au chat et à la souris, on devine que leur projet est leur pelote! J’observe avec jubilation leur relation créative et leur corps se transformer par la musique de Philippe Fénelon. Entre ces ceux-là, la partition est leur territoire commun pour que la musique puisse s’écouter par le mouvement. À l’heure où les solos se multiplient sur scène en France, je ne saurais encourager ces deux explorateurs à poursuivre leur aventure pour nous mettre dans leur confidanse.
Mademoiselle Caroline Blanc ne sera jamais Madame. C’est la force de la danse que de résister aux pressions qui normalisent nos désirs d’émancipation. 
Pascal Bély, Le Tadorne.
Soirée Numéridanse à Marseille, le jeudi 8 mars 2012 à Klap, Marseille.
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Klap, Capitale maison pour la danse.

Depuis quelques saisons, la danse disparait peu à peu des programmations à Marseille et aux alentours, chacun déléguant la «tâche» au Pavillon Noir d’Angelin Preljocaj à Aix en Provence. Dans ce contexte, l’ouverture de Klap, Maison pour la Danse dirigée par Michel Kelemenis, est attendue. Pour qu’enfin, l’art chorégraphique se développe dans une ville qui fut, en son temps, si accueillante?

En ce jour historique du 21 octobre 2011, je suis invité à l’inauguration officielle. Au déjeuner de presse, les journalistes parisiens semblent saluer le projet : le bâtiment est entièrement dédié à la création. Symboliquement, la capitale phocéenne revient donc sur le devant de la scène avec le soutien de la Fondation BNP PARIBAS. Sur le ton de la confidence, sa déléguée générale, Martine Tridde-Mazloum, affirme son engagement auprès d’un projet qu’elle accompagne depuis le début, signe qu’un mécène peut voir plus loin que le financement d’actions ponctuelles, souvent spectaculaires?

À 18h, vient le temps des discours. Michel Kelemenis débute par un hommage appuyé à l’Afrique du Sud, pays où il puise la force des valeurs d’accueil du bâtisseur créateur. Avec élégance et émotion, il nous communique sa détermination à voir ce lieu occuper sa place dans un paysage structuré autour des Centres Chorégraphiques Nationaux et des institutions prestigieuses (Maison de la Danse de Lyon, Centre National de la Danse, ?). Jean-Claude Gaudin, Maire de Marseille, poursuit sur la lancée dans un numéro de fanfaronnerie dont il a seul le secret. En insistant sur la préparation réussie de Marseille Provence 2013, dont Klap serait le symbole, il en oublierait presque le sens du projet: après 2013, il y a 2014?Puis vint le Préfet de Région dont l’intervention restera dans les annales : après cinq minutes d’un discours policé, il lâche son texte pour évoquer avec Michel Kelemenis un souvenir de danse. À cet instant précis, Klap joue déjà sa fonction : accueillir tous  nos désirs de danse?

À 20h30, apparaît la danseuse Caroline Blanc en maîtresse de cérémonie. Ses intermèdes espiègles et enfantins sont autant de fils conducteurs pour nous relier à la toile de Klap, patiemment tissée tout au long de sa carrière par Michel Kelemenis. Je retiens cinq moments comme autant de symboles de la Maison pour la Danse.

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L’extrait de «Cendrillon» interprété par le Ballet du Grand Théâtre de Genève provoque l’hilarité. Cinq anges affublés d’ailes sur les fesses, maculés d’étoiles filantes sur le corps, enrobés de chaussures à col plumé, font voler la belle et pas seulement pour la réveiller. Avec des gestes amples et circulaires, la danse est conte de fée pour ranimer nos émerveillements trop souvent empêchés. Quelques minutes plus tard, nous sommes prêts à plonger dans le bleu, celui d’ «Henriette et Matisse», spectacle créé pour la Biennale de Lyon en 2010. La peinture, art pictural et chorégraphique pour minots et parents : Klap au croisement pour relier les âges?

Entre alors Thomas Birzan pour «Faune Fomitch». Il n’a que 17 ans. Il est interprète pour Josette Baïz. Sur la musique de Claude Debussy, une bombe humaine traverse le magnifique plateau du « Grand Studio ». Sous nos yeux, un jeune adulte se métamorphose par la magie de la transmission de Michel Kelemenis. Son «corps fleuve» relie nos désirs affluents. Entre eux, s’engouffre le souffle vital d’une danse pour l’humanité, de celle qui s’affranchit des codes pour créer un langage universel. Thomas Birzan est né à Klap. Je serai là, spectateur-parrain?

Arrive «That Side», interprété par Fana Tshabalala, dialogue entre ce magnifique danseur sud-africain et Michel Kelemenis. De sa force sensible, il déploie une gestuelle «coulée», «ouatée» où le corps est source de transmission, récepteur et ouvert, nourri du vécu, de cultures. Solo ennivrant.

Et puis…Michel Kelemenis lui-même. Pétales de rose dans une main, qu’un souffle pose sur la scène. «Kiki la rose» fut ma première grande émotion de danse. C’était sur la scène du Théâtre de l’Archevêché lors du festival «Danse à Aix». Non annoncé dans le programme de la soirée, le solo surprend l’assistance, médusée. Submergé par l’émotion de ce souvenir, mon corps lâche et se donne: chaque mouvement, du plus petit au plus ample, est une déclaration pour la danse, vers le public. À cet instant précis, Michel Kelemenis explore ce magnifique plateau de ses gestes ciselés pour accueillir les publics : à chacun sa rose, à tous sa tulipe. Pina n’est plus très loin.

Pascal Bély, Le Tadorne.

Soirées d’inauguration de Klap, Maison pour la Danse les 21 et 22 octobre 2011.

 

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KLAP, MARSEILLE

La danse pose question.

Dans le contexte actuel, «Questions de Danse» est en soi un petit miracle. Imaginez neuf propositions chorégraphiques en cours d’élaboration où l’après spectacle avec le public, animé avec panache par Michel Kelemenis, s’inscrit dans le processus de création. Pour impulser cette démarche, il s’engage à faire venir les chorégraphes à Marseille invités en “préambule” du festival DANSEM, manière élégante d’échauffer le spectateur, les artistes et les programmateurs. Chacun est «parrainé» par une structure (Maison de la Danse de Lyon, CND Pantin, Théâtre Sévelin de Lausanne, El Teatro de Tunis, CDC Uzès Danse, 3 bis F d’Aix en Provence, Le Cuvier de Feydeau, Danse à Lille). Ainsi, la mise en réseau des institutions facilite la communication avec le public! Pour cette 5ème édition, neuf propositions nous sont présentées dont six vues par votre serviteur.

Cette année, « Question de Danse » dessine un paysage chorégraphique fait de plaines et de montagnes, d’où se dégagent des climats contrastés. Le spectateur se promène parfois, s’arrête ou passe son chemin. Ici, il ne s’agit pas d’évaluer l’oeuvre, mais de ressentir l’accueil du public dans le processus.
Avec la chorégraphe franco-suisse Perrine Valli, la création est prête. « Je ne vois pas la femme cachée dans la forêt» sera présentée dans une semaine à Genève. Ce soir, nous avons droit à la bande-annonce! A l’issue des vingt minutes, la frustration est palpable. Perrine Valli articule à merveille la narration et l’abstraction donnant toute liberté au spectateur de faire son parcours entre corps sculptés par la danse et cadre métallique considéré comme un espace de projection picturale. Mais cette présentation ne permet pas d’entrer dans le processus de création d’autant plus que, si la danse de Perrine Valli offre une liberté, la froideur de l’ensemble ne facilite pas le dialogue. À voir donc dans son intégralité au Festival Faits d’Hiver à Paris les 14 et 15 janvier 2011. J’y serai!
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Deux propositions se sont clairement inscrites dans le principe de «Question de Danse». La première, de l’actrice Céline Romand et du chorégraphe Christian Ubl, est un travail de recherche. «La Semeuse», est un dialogue entre danse et théâtre (à partir d’une nouvelle de Fabrice Melquiot). Ici, la traversée est encore très fragile, car la danse ne se laisse pas «théâtraliser» facilement d’autant plus qu’entre abstraction et narration, le duo est en « travail ». À ce stade du processus, un dispositif plus intime avec les créateurs aurait été préférable pour qu’un retour ne soit pas entendu comme une évaluation de l’oeuvre, mais comme participant à la recherche. Le spectateur y a toute sa place, car l’exploration d’un nouveau langage est aussi son «travail». Pourquoi ne pas l’associer pour inclure dans le temps de la création, un temps partagé? La pièce sera jouée en avril 2011 au 3 bis F d’Aix en Provence.
La deuxième est présentée par Thomas Lebrun pour une «traversée» très étonnante. Avec «Six order pieces», les prémices sont inversées. Des collaborateurs (une vidéaste, un créateur lumière, une chorégraphe..) proposent et Thomas Lebrun dispose! Imaginerait-on en France un manager proposer à son équipe: «posez le cadre pour que je crée»? De notre place, nous ne percevons pas ce processus et c’est l’après-spectacle qui donne les clefs. Le dialogue qui s’engage entre Thomas Lebrun, Jean-Marc Serre (le créateur lumière) et Michel Kelemenis stimule la participation du public comme si la remise en jeu de la posture du chorégraphe interrogeait la perception du spectateur sur la place du créateur. Avec «Six order pieces», Thomas Lebrun pourrait imaginer un après-spectacle où, son équipe assise dans les gradins, assisterait à un échange entre spectateurs autour de ce changement de prémice. Cela serait d’autant plus intéressant que le travail de Thomas Lebrun est profond et permet toutes les audaces d’interprétation. A voir au printemps prochain à «Danse à Lille»!
Nejib Ben Khalfallah nous vient de Tunisie. «Mnema» est une danse très théâtralisée, sorte de «rêve mouvementé» (pour reprendre l’expression d’une des danseuses). Ici, l’après-spectacle avec le public provoque un dialogue brut, animé, sans langue de bois, comme si la distance entre le créateur et le spectateur était l’objet même du travail. Distance mise en scène par la compagnie Androphyne dirigée par Pierre-Johann Suc et Magali Pobel. « [?] ou pas » est encore à l’état d’embryon et a sans doute besoin d’un propos assumé pour que les spectateurs (acteurs de la pièce) puissent dans l’avenir s’inscrire dans un processus de co-construction.
Avec  “Guintche“, la portugaise Marlene Freitas réussit une forme d’exploit. Celle de nous présenter une étape de création stupéfiante et jamais vue ailleurs, mise en dialogue avec le public avec une belle sincérité. Sidérés par la proposition, nous avons applaudis chaleureusement cette transe où le corps explore la musique tel un organe vivant.

Ici «Question de Danse» se fait murmure pour  laisser Marlène travailler et nous revenir. A coup sûr, c’est une grande. Parole de spectateur.
Pascal Bély – www.festivalier.net.

“Question de danse” du 26 octobre au 6 novembre 2010 à Marseille.

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Une Maison pour la Danse à Marseille ! Klap ! Klap !

C’est certain. À l’automne 2011, Marseille aura sa « Maison pour la danse ». Elle est déjà membre du réseau «European Dancehouse Network». Joli présage. Ce matin, sur la scène du Théâtre des Bernardines (dans le cadre de la 5ème édition de «Question de Danse»), ils sont huit (1) à s’engager pour ce projet. En première ligne, le chorégraphe Michel Kelemenis précise que ce ne sera pas la maison de sa compagnie, mais bien un espace d’accueil privilégié pour la danse.

Cet équipement de 1900 m2, au c?ur d’un quartier populaire de Marseille, sera un lieu de production et de création en lien avec l’action culturelle existante de la compagnie. En positionnant la Maison (joliment nommée Klap) comme un lieu de partage, de rencontre et d’élaboration commune avec les acteurs culturels de la ville, Michel Kelemenis pose un postulat : la danse a besoin d’un espace temps protégé, mais aussi d’ouvertures nourries par le dialogue entre tous les acteurs qui la croise. Klap ne sera donc pas une chapelle pour quelques esthétiques

Le plateau, animé par Philippe Fanjas (président de Kelemenis & cie) est à l’image de ces intentions : chacun est invité à faire part de sa représentation et de ses hésitations ! Maison «de» (en référence à celle de Lyon),  maison «pour», tandis qu’Alexandre Carelle de la Fondation BNP Paribas préfère «maison avec». Sûrement, les trois à la fois ! Ce sera un «outil à usage partagé» comme se plaît à préciser Cristiano Carpanini, directeur du festival DanseM ; «à nous d’en construire les ponts, mais pour cela, il faudra reconnaître l’endroit où chacun de nous a travaillé». La question de l’épaisseur des murs est donc indirectement posée. Le chorégraphe Christophe Haleb questionne : «comment allons-nous l’habiter tout en permettant sa porosité ? Entre la danse éphémère et le mur pérenne, quelle tension allons-nous créer pour accueillir l’étrange ?».

«Fabriquez ! , « cherchez !», «donnez du temps au temps de la création» semble répondre Michèle Luquet-Bonvallet qui rappelle que la Maison de la Danse de Lyon est un lieu de diffusion. Elle ressent déjà la complémentarité entre les deux établissements. Deuxième joli présage. Car faut-il le préciser, Klap ne sera pas à proprement parler un lieu de diffusion («même si la tentation sera grande de dériver vers la programmation» souligne Alain Fourneau, directeur du Théâtre des Bernardines) mais surtout un outil « à disposition des acteurs culturels » pour «creuser les complémentarités» et «amener plus de danse à Marseille» lui répond Michel Kelemenis. D’autant plus que Klap sera propulsé au niveau international dès son ouverture à la fois par le réseau européen des Maisons de la Danse et par Marseille Capitale 2013. Car «le local s’attrape par le global» souligne Christophe Haleb.

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Tandis que la chorégraphe Perrine Valli (de nationalité franco-suisse et originaire d’Aix en Provence) précise tout le chemin qu’elle a dû faire ce matin pour revenir dans sa région d’origine (faute d’équipements pour travailler ses créations), je fais un rêve : celui d’inviter des spectateurs actifs à créer un maillage autour de Klap afin que le processus de création chorégraphique se nourrisse de nos visées de danse. Pour qu’il ne soit plus nécessaire de courir après elle aux quatre coins de l’hexagone.
C’est une Question de Danse.

Une question démocratique.

Pascal Bély – Le Tadorne

(1) Michèle Luquet-Bonvallet, secrétaire générale de la Maison de la danse de Lyon, Christophe Haleb, chorégraphe,
Perrine Valli, chorégraphe lauréate du programme Modul Dance de l’EDN, European Dancehouse Network, sélection Question de danse 2010
Alexandre Carelle, responsable du pôle culture, Fondation BNP-Paribas,
Les partenaires de Question de danse :
Cristiano Carpanini, directeur du festival DanseM et Alain Fourneau, directeur du Théâtre des Bernardines.

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KLAP, MARSEILLE

La danse, au centre.

Au-delà des institutions bien loties, la diffusion de la danse me paraît de plus en plus fragilisée. Nous perdons, me semble-t-il, la vision sur sa place dans une société qui ne cesse de « jouer » avec le corps et de bafouer l’éthique du vivant. Il nous faut donc investir des territoires où spectateurs, artistes et programmateurs élaborent un discours, non pour l’enfermer dans une rhétorique, mais pour l’ouvrir vers un espace circulaire. Nous avions à l’automne dernier salué l’initiative du chorégraphe marseillais Michel Kelemenis. Avec « Questions de danse », il avait créé le « plateau » en invitant des artistes en cours de création pour organiser ensuite un échange avec le public. C’est ainsi que la danse inclut et ne prend personne de haut. La même démarche a été engagée par « Les Hivernales » (centre de développement chorégraphique d’Avignon) avec son rendez-vous régulier « les lundis au soleil » où artistes et acteurs culturels de la danse proposent un regard, une production. Ce soir, Michel Kelemenis est l’invité avec deux danseurs (Fana Tshabalala, Caroline Blanc) et deux propositions (« Lost & Found », « That side »).

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« Lost & Found » est une création de Fana Tshabalala, danseur sud-africain intégré pour cinq mois dans la compagnie depuis novembre 2009. Ce solo est le résultat de son travail entrepris au cours de sa résidence marseillaise. Comme un remerciement, il nous danse. Et nous voilà embarqués dans sa ronde, dans ses déplacements où l’amplitude est un geste d’amitié. On ressent la quête d’un mouvement qui serait à la fois une recherche personnelle et une ouverture à la différence. Comment ne pas éprouver dans ce solo, la dynamique d’une danse « métissée », « globalisée » qui amplifie la diversité, mais nous relie à elle. Fana est magnifique.

« That side » est un « nouvel aphorisme ». Convoquant deux danseurs pour une même solo, Michel Kelemenis nous interroge sur notre rapport à percevoir sa danse à partir de deux interprétations. Fana Tshabalala et Caroline Blanc forment cet « entre », entre le chorégraphe et le public, entre l’écriture chorégraphique et leur réceptacle sociétal. Ils sont différents sur bien des domaines : leurs corps, leurs imaginaires, leurs cultures (africaine et française) et sur l’appréhension du langage de Michel Kelemenis (Caroline Blanc travaille pour la compagnie depuis 2004).

Ainsi,  le noir se fait et la Danse peut s’exécuter.

Le premier solo est interprété par Caroline Blanc. Elle connaît l’écriture chorégraphique de Michel Kelemenis, ses appuis, comme si son corps, ses muscles étaient tracés de ce langage, de son vécu. Elle traduit cette dynamique à l’aide de son « background » qui lui donne cette disposition particulière à se fondre dans ses gestes qu’elle fait siens. Elle impulse le mouvement avec une émotion palpable comme si « l’autre côté » portait sa part de cauchemar, amplifiée par la musique électroacoustique (pour jouer sur la dénomination electroacouCycle) de Christian Zanési. Onze minutes où le temps se réduit, s’étire. Entre le langage du mouvement et cette musique de l’enchevêtrement, elle explore le sensible, elle joue de sa force. Elle se couche, court, se perd et s’approche de la lumière. Elle sépare pour encercler et englober. Avec Caroline Blanc, la danse « arpente » la musique, qui n’est plus un « fond » mais participe au fond…Et c’est beau.

Fana Tshabalala nous revient pour rejouer « That side ». Dans les pas de Caroline, il peut y aller de sa force sensible. Son corps en mouvance illustre une gestuelle plus « coulée », « ouatée ». Ce magnifique interprète ajoute un sentiment d’humanité à cet « autre côté » où le corps est source de transmission, de récepteur et d’ouverture. Celui-ci est nourri du vécu, de culture et finit par bouleverser  le champ des perceptions.

Avec ces deux interprétations, le geste, évanescent, de par sa nature, démontre qu’un mouvement ne peut être identique et similaire. Le corps, matière humaine, ne sera jamais supplanté par les nouvelles technologies qui l’aseptisent, mais au contraire confère à la danse, ce charme de l’instant, ce rêve d’être l’interprète d’une musique qui danse.

En offrant à Fana ce solo qu’il pourra jouer avec trois projecteurs en Afrique du Sud, en lui permettant d’interpréter sa création née en France, en nous donnant une double lecture de « That side » où chaque danseur peut créer une improvisation dans un interstice, Michel Kelemenis dessine les contours d’un modèle démocratique de développement de la danse. Basé sur des valeurs de générosité, d’écoute mutuelle entre public et artistes, de dons et contre dons, il tisse la toile des liens qui nourrit la danse. Ce soir-là, le débat avec les spectateurs n’avait pas besoin d’une « médiation » clivante et réductrice, mais qu’importe : Michel Kelemenis sait nous faire parler de danse parce qu’il considère à juste titre, qu’elle est le territoire d’un sensible partagé.

Pascal Bély-Laurent Bourbousson- www.festivalier.net

“Lost and Found” de Fana Tshabalalaet “That side” de Michel Kelemenis ont été joués le 8 mars 2010 aux Hivernales d’Avignon.