Chaque année, je m’accroche à ce festival…sait-on jamais…Mais depuis quatre ans, toujours la même déception: propositions artistiques convenues (quand elles ne sont pas expérimentales au plus mauvais sens du terme); absence d’ambition, de visée alors que la danse a longtemps éclairé les arts de la scène; public vieillissant qui ne se renouvelle pas d’où des salles clairsemées. Ce festival n’a aucun projet à part de maintenir son image, justifier son existence même s’il faut pour cela balader le public dans des lieux réputés hors du département. Faute de se remettre en question, sa direction fait appel au critique sulfureux du Nouvel Observateur pour se plaindre du prix des billets de train, du coût de l’électricité, …
Pourtant, l’affiche était belle. Très belle. Une invitation à la danse dans ce qu’elle a de plus fragile : son apparition, sa disparition. Mais une affiche ne fait pas le printemps…
Que pouvais-je attendre ? Plutôt qu’une thématique (la méditerranée cette année), j’aurais aimé un horizon. Il m’est arrivé de me ressentir habité à la fin d’un festival : «Cette année, la danse à…». Ici, rien. A la sortie de chaque spectacle, j’ai approché mon vide émotionnel: à la danse bavarde a répondu mon mutisme comme si mon engagement de spectateur ne trouvait aucun écho dans un processus de création.
J’ai cherché un propos, là où je n’ai eu que de la démonstration: ici des jeunes égyptiens baladés sur scène par deux chorégraphes françaises en quête de légitimité ; là une danse qui produit de la matière à observer plutôt qu’un mouvement pour entrer en communication ; ailleurs des clichés sur la condition féminine à partir d’une chorégraphie elle-même habitée par des clichés sur la danse; ici encore, une soirée «israélienne» sous le patronage du consul où la danse fait salon et se justifie d’exister…J’ai même eu à supporter la crise d’adolescence d’un chorégraphe comme si «chorégraphier» la bancalitude du monde était en soi une danse…
Dans ce festival, rien ne m’a été proposé avec générosité comme si ce n’était finalement pas une finalité. Le plaisir de voir de la danse n’est même pas un objectif : tout juste, un hasard…Je n’ai croisé aucun enfant dans la salle, encore moins sur scène. La danse les exclut d’autant plus qu’elle n’intègre pas les familles (inutile de cherchez le festif…). Pour cela, il vaut mieux voir du cirque : au moins cette discipline nous accueille-t-elle dans notre diversité…
Dans ce festival, le projet pour la danse n’est qu’un programme qui ne développe pas les publics. Parce que la danse incarne sa propre domination là où elle devrait englober, nous relier, faire de nous des spectateurs sensibles où nos fragilités seraient gage d’ouvertures.
Dans ce festival, on fait référence au bon vieux temps, à la direction précédente comme pour s’excuser de la médiocrité du présent avec cette désagréable impression d’être pris en otage entre un passé glorieux et un futur qui ne peut exister faute de ressource publique abondante.
Je rêve d’un festival de danse où celle-ci serait célébrée, dans toute sa diversité ! Où artistes, spectateurs, chercheurs dialogueraient pour régénérer une PENSÉE, pour qu’elle irrigue la société. Toute la société.
Je rêve d’un festival où l’on débattrait sans fin des spectacles ! Où l’on ovationnerait le talent ; où l’on sifflerait l’imposture !
Je rêve d’un festival qui interrogerait en permanence mon désir de danse ; où l’intimité des corps m’évoquerait la douleur du monde.
Je rêve d’un festival sans thème, mais où la rumeur ferait entendre l’émotion collective d’un public passionné.
Je rêve d’un festival animé par un collectif de défricheurs, en profonde empathie avec les artistes, soucieux de préserver ce qui doit l’être pour ouvrir là où le pouvoir verrouille.
Je rêve d’un festival au printemps pour qu’à la sortie des spectacles, nous nous retrouvions dans la rue à oser danser et rire du temps paléolithique où nos corps frigorifiés fuyaient les rues balayées par un mistral glacial.
Je vous en conjure…il nous faut maintenant un printemps pour la danse.
Pascal Bély – Le Tadorne.