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ETRE SPECTATEUR

Aujourd’hui on danse…et demain?

En deux semaines de programmation au festival des Antipodes à Brest, nous avons navigué des rives tout juste trentenaires à celles cinquantenaires ; deux générations nous ont donné les fruits de leurs imaginaires et de leur travail, pour brosser les lignes de la création d’un présent vers un demain. Ces variations d’âges offrent, malicieusement, l’occasion d’interroger les liens d’une jeunesse dansante d’hier à celle d’aujourd’hui. Rien n’est « à jeter » dans ce que j’ai vu le premier week-end; pour ce qui est du second c’est autre chose.

Antipodes, un festival qui se veut inclassable en oscillant entre danse et performance, octroie au corps la première place. Celui présenté par les jeunes créateurs invités questionne. Froideur, distance, mécanisme, productivité, raideur, travestissement, mélange et confusion des genres cultivés, voire même entretenus. Identités froissées et brutalisées, ritualisées comme des messes, païennes certes, mais se sacrifiant à l’hôtel d’une norme prompte à l’image. Celui des plus âgés nous « retapent le coup » de la nostalgie en se confortant au froissement des chairs pour se rassurer (« c’était bien avant »).

Au final, la curieuse impression de l’occultation d’un compte de faits, comme si « les expériences » des années 70 à 90 n’avaient pas été transmises (ou peut-être trop). Comme si une génération « cachait/occultait » en partie son histoire et que la traversée devait s’éprouver par la génération suivante pour être interrogée/éclairée/ingérée/digérée. visuel-antipodes-accueil.jpg

Qu’avons-nous fait à nos enfants pour qu’ils ne s’inventent pas (tout en croyant inventer) et qu’on leur fasse « peur » quand ils nous croisent dans les miroirs ou ouvrent les tiroirs?

Le choix de programmation est en cela bon pour partie, les Antipodes nous laissent « in tranquilles » et c’est tant mieux ; les collages de cette nature en un temps si resserré sont précieux. Quel dommage que le fil ne tienne pas sur la totalité du festival! De cette traversée je garderai, précieusement, le cadeau de quelques beaux êtres (trop rares à mon goût toutefois), courageux quand ils nous renvoient leurs regards et leurs questionnements lancés dans le « vide trop plein » de nos « modernités ».

Le plus brillant reste Steven Cohen et son magnifique « Golgotha » qui touche, avec respect, là où ça gratte. Les pieds plombés au sol, il élève nos regards et tente de nous réveiller de notre léthargie avec une belle poésie. Le plus inutile, « It’s in the air » de Jefta van Dinther et Mette Inguartsen qui là, atteint les sommets ; une performance gymnique remplie de clichés d’où un épileptique ne sortirait pas indemne. À mon grand regret, Mathilde Monnier, Loïc Touzé et Tanguy Viel ont ratés leur vol. Je ne retiendrais de « Nos images » qu’un trio, magnifique, de gestes dansés et un beau duo; mais dix minutes sur une heure, ça reste un peu court ! Boris Charmatz, en collectionneur, nous offre un vivant portrait de la « danse Cunnimghan » dans un « Flipbook » plein d’humour et de belle facture, mais un peu court en créativité. Dan Safer et Witness Relocation avec « The Panic Show » amènent la touche fraîcheur du festival ; un moment savoureux qui porte facilement le sourire aux lèvres et où les performeurs se produisent avec entrain. Bernardo Montet réussit un beau « God needs sacrifice » où la magnifique Raphaëlle Delaunay donne tellement de son corps dansant que cela m’en a fait mal. Avec « Last Meadow » Michelle Boulé, Miguel Gutierrez et Tarek Halaby,  trois très grands performeurs, nous entraînent dans un tableau d’Amérique terrible de noirceur. La performance est parfaite, mais, à de nombreux moments, nous restons « hors du coup » faute de références suffisantes pour apprécier les renvois à la culture James Dean.

La création de Jonathan Capdevielle : “Adishatz/Adieu” ne m’a pas convaincu ; malgré tout le brio de l’homme et l’originalité de la forme, le fond reste bien léger. « Out of Time » de Colin Dunne est un bel écrin pour le grand talent de ce dernier, mais, j’ai tout de même fini par trouver le temps un peu long. “Jennifer ou la rotation du personnel Navigant” de Sandra Amodio aurait dû être un des moments forts tant cette oeuvre est pertinente. Malheureusement, le choix du lieu de présentation, ouvert à tout les « vas et viens », empêchait de pleinement l’apprécier. Le très beau “Comme Toujours Here I Stand” du Big Dance Theater a soufflé le vent de la « nouvelle vague » sur scène avec un joyeux hommage à Agnès Varda. Cécilia Bengoléa et François Chaignaud avec « [Castor & Pollux] » nous ont couchés au sol, mais n’ont élevé ni nos esprits ni nos coeurs. Le même François Chaignaud, cette fois en compagnie de Marie-Caroline Hominal nous a proposé avec « Duchesses » une performance technique parfaite, mais dont aucune émotion ne se dégage. Enfin, pour un atterrissage qu’on préférera vite oublier, Pastora Galvan avec son « Pastora » nous a ramenés, lourdement, sur le plancher, sans finesse et sans âme ; qu’avons-nous fait pour mériter cette descente si vulgaire ?

Des lucioles promises, peu ont brillées vraiment, les performances techniques, si parfaites soient-elles, se regardent sans vrai déplaisir, mais ne peuvent ni alimenter, ni activer le créatif. La forme sans fond (ou au fond usé) n’éveille ni le regard, ni l’esprit. Du passé sortons, mais sans faire table rase, le fil de l’histoire devrait ouvrir de nouvelles réponses qui ne doivent pas par obligation être modernes. Sortons des injonctions, trop de « déjà anciens » nous engluent dans la nostalgie et trop de « déjà plus si jeunes » ne nous proposent que du désincarné et du radical en pure réaction. Le réactif n’ouvre rien de neuf et l’hommage au passé est stérile s’il n’est pas lu à l’éclairage d’un hier, comme graine de chemin, conduisant à un aujourd’hui. Que les artistes ne donnent pas raison à certains qui pensent que la danse contemporaine n’a plus rien à dire! Je croyais naïvement qu’une génération avait b
ousculé le pouvoir et les conventions pour s’en gausser. Antipodes’10 nous montre aussi que la question est toujours vive et qu’à l’approche pour certains programmateurs et artistes d’abandonner la scène, on peut être tenté de couler le vaisseau.

Allumer les étoiles, nous en avons besoin, la danse est un langage qui, en privilégiant le corps, peut traverser chacun. Il est urgent que les artistes nous bousculent et nous bouleversent, que les institutions leur ouvrent la voie et sortent ainsi des potentats. Antipodes’11 pourraient relever le pari (bon, bien sûr il va falloir attendre un an). Si c’est le cas, je prends rendez-vous.

Allez, pour finir, je m’offre le luxe d’une affiche rêvée : Steven Cohen pour ses secousses salutaires, Mathilde Monnier retrouvant  Jean François Duroure pour un duo d’actualité, François Chaignaud interprète d’un solo d’Olivier Dubois, Olivier Dubois par Olivier Dubois, Raphaëlle Delaunay par Raphaëlle Delaunay, Miguel Gutierez au top de son internationalité, Sandra Amodio dans un lieu digne, Michel Kelemenis pour ses cadeaux et son langage, Virgilio Sieni et sa poétique grammaire vertébrale/cérébrale, Maguy Marin pour faire danser les mots et laver nos yeux, Jonathan Capdevielle ayant lâché prise en prenant son talent au sérieux… et si le final devait être flamenco que ce soit Israel Galvan qui nous l’offre.

Bon tout ça c’est trop cher ? De quoi je m’emmêle?, je ne suis que spectateur et qui plus est, c’est au bout du monde que ça se joue? Quel intérêt ? Si ce n’est qu’à l’ouest, en plus des lucioles et des étoiles, il y a les phares pour ouvrir le chemin… On les allume tous en même temps?

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

“Les Antipodes” à Brest du 2 au 13 mars 2010.

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ETRE SPECTATEUR

L’abstention progresse.

La saison culturelle 2009-2010 questionne, dans un contexte de changement de civilisation qui ne peut se résumer à une crise financière, économique et sociale. Depuis septembre, je cherche, non des réponses, mais des espaces pour penser le projet et éviter de tomber dans la facilité de la dénonciation. Les festivals remplissent souvent cette fonction. Or, l’été dernier, Avignon s’est entêté à décliner des esthétiques. Depuis, je scrute l’étincelle. Dans l’aire marseillaise, nous connaissons une saison théâtrale globalement cauchemardesque, faute d’ambitions, de moyens et de propositions. Dernièrement, les Hivernales d’Avignon n’ont proposées qu’une danse démonstrative, sans vision, alors que l’Afrique était invitée. N’avions-nous pas là, l’opportunité de nous projeter dans un nouveau lien nord-sud ? Partir à Brest pour un des deux week-ends des « Antipodes » était vital pour prendre l’air, vivre un dépassement. Déception autour de quatre propositions (on oublie le flamenco de pacotilles de Pastora Galvan, indigne d’être diffusé dans un festival)  qui dessinent une partie du contexte institutionnalisé de la programmation en France.

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Deux créations posent clairement le corps comme un instrument de l’objet. Avec « Duchesses » François Chaignaud et Marie-Caroline Hominal proposent trente longues minutes de hula hoop tandis que Jefta van Dinther et Mette Inguartsen font du trampoline dans « it’s in the air ». Dans ces deux oeuvres, le spectateur est mis à dure épreuve. La dynamique répétitive épuise le regard, donne la nausée, fait tourner la tête. L’imaginaire est à peine stimulé, car la disparition de mouvement est remplacée par des états émotionnels (transe, extase, joie, peur, évanouissement, …) censés faire sens alors qu’ils n’humanisent qu’une mécanique. Ici, la danse ne produit que de l’effet autour d’une partition rationalisée à l’extrême. On n’énonce rien, mais on démontre pour masquer l’absence cruelle d’un langage. C’est une performance du « faire », en phase totale avec l’époque qui requiert chez chacun de nous une production même si le sens n’y est pas. Avec de telles propositions, le spectateur assiste, voit du concept, mais ne pense plus à la fonction de l’art. Il fait face à des créateurs, là où l’on attendrait des artistes. François Chaignaud et Marie-Caroline Hominal peuvent bien « bouger » nus et arborer des postures décalées, ils n’ont strictement rien à nous dire, mais rassurent, en ces temps troublés, sur la créativité dans le spectacle vivant. La politique de civilisation attendra.

Deux autres créations nous ont proposé un bond dans l’histoire. La chorégraphe Mathilde Monnier (directrice du Centre Chorégraphique National de Montpellier) assistée de Loïc Touzé et du romancier (et interprète) Tanguy Viel ont, avec « Nos images »,  dessiné « les contours de leur cinéphilie ». Cette ?uvre transpire de nostalgie, comme un regret d’un retour impossible à l’enfance, qui les dévore jusqu’à empiler les langages sans les traverser. La danse peut parler du cinéma (il y a quelques beaux moments d’une infinie tendresse envers le 7ème art) mais la présence d’un texte assez mineur est un aveu : même en reliant les arts entre eux, il est impossible de faire une ?uvre, juste de proposer un projet. Je ne doute pas qu’ils aient fait équipe. On est certes en bonne compagnie, mais où est la « troupe » engagée ?
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L’autre chorégraphe Boris Charmatz (directeur du Musée de la Danse / Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne) feuillete un livre d’histoire (« Merce Cunningham : un demi-siècle de danse » de David Vaughan). « Flipbook » réunit sur scène une partie du gotha de la danse  (François Chaignaud, Raphaëlle Delaunay, Olivia Grandville, Laurent Pichaud,..) et se propose d’être un « event méta-cunninghamien » ! À chaque  photo du livre,  la troupe illustre. Les années défilent comme un film plan séquence. François Chaignaud excelle dans le rôle de Merce (jusqu’à en faire un peu trop?) et le tout dans sa dynamique dégage le plaisir de jouer, de danser avec les codes millimétrés de Cunningham. L’ensemble du livre d’images est rejoué, en accéléré, avec un changement radical de la bande sonore (chants traditionnels de Bretagne, musique techno, …). À la différence de Cunningham, la musique n’est plus explorée, elle est un fond qui permet d’amplifier le décalage. L’accélération ne créée rien d’autre que de l’amusement, là où l’on aurait pu attendre un « méta langage ». Dans « Flipbook », les corps sont instruments de l’histoire, là où nous aurions tant aimé que cette histoire éclaire le futur de la danse. Cette leçon « instituée » est un bel objet institutionnalisé. Il lui manque une audace, une impertinence qui ouvrirait tant de possibles.

Au final, ce week-end brestois inquiète. Corps instrumentalisés, génération à bout de souffle qui préfère se plonger dans une nostalgie en évitant de proposer une quelconque utopie, mise à l’épreuve du spectateur en l’emmurant sur de la « signalétique » à défaut de le stimuler sur du « politique ». Mais le plus aggravant, c’est que cela ne fait pas scandale. Pour faire bonne figure, on positionne François Chaignaud dans la figure de l’artiste « maudit » (cela permet aux programmateurs de se protéger de l’accusation de normalisation)  quitte à exploiter l’étrangeté comme « marque de fabrique ». Alors que Maguy Marin doit continuer d’affronter les insultes, que le chorégraphe Michel Kelemenis peine à diffuser sa danse, qu’on nous invente des concepts à chaque festival (« soyons moderne » à Brest, « arrêtons le gaspillage » bientôt à Marseille, ?) pour nous dire ce qu’il faut croire, le spectateur est enfermé dans la case du consommateur qui avale les formes faute de vivre ce chaos intérieur, ressource pour (re) penser le monde.

Notre exception culturelle pourrait-elle être autre chose qu’un rempart ?

Pascal Bély– www.festivalier.net

“Les Antipodes” à Brest du 2 au 13 mars 2010.

Crédit photos:

Pour la photo de Flipbook: Pierre Ricci
Pour la photo de Duchesses: Clive Jenkins

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ETRE SPECTATEUR LA VIE DU BLOG

Être un blogueur hybride en 2009.

Être blogueur ne peut se réduire à un statut, à un métier, mais à un travail qui s’inscrit dans un processus dynamique. Faute de quoi, le danger de se rigidifier dans une posture de critique est grand (à moins d’en adopter les codes avec tous les risques d’empiéter sur la chasse gardée de la profession !). Je suis issu de l’internet, espace du réseau, du rhizome, de l’horizontalité. À côté, je suis consultant et formateur auprès d’équipes que j’accompagne à se positionner dans des environnements de plus en plus complexes. C’est donc dans l’interaction, au coeur d’articulations créatives  que je trouve l’énergie pour régénérer mon écriture et mon métier. J’ai quelques outils pour me situer dans un espace élargi (le réseau social Facebook me permet entre autres de communiquer sur le sens de ma démarche) et je travaille des articulations pour amplifier mon positionnement hybride. En 2009, j’ai donc tenté de le rendre lisible. Retour sur quatre expériences apprenantes.

L’accueil  de Michel Kelemenis au Pavillon Noir.

En janvier 2009, le chorégraphe Michel Kelemenis a accepté ma demande d’assister aux répétitions de trois pièces qu’ils présentaient au public aixois du Pavillon Noir (« aléa“, « viiiiite », « tatoo »). Ma démarche se voulait cohérente avec mon apprentissage de « spect’acteur ». Un an après, cette expérience m’a profondément marqué: ce n’est plus seulement le résultat que je ressens, mais le processus de création, avec les limites qu’impose ma place de spectateur. Je me questionne bien plus sur les intentions du créateur, sur la dynamique groupale jusqu’à imaginer ce que je n’ai pas pu voir. C’est incontestablement un élargissement de la focale avec en prime une facilité plus grande à percevoir le mouvement dansé. Il n’y a pas eu de retours croisés sur cette expérience, mais je ressens chez certains créateurs le besoin de faire appel à mon regard extérieur pour aller puiser dans ma subjectivité des informations au croisement du spectateur et du critique.

Isabelle Flumian et le programme de réussite éducative de la ville d’Aubenas.

Isabelle Flumian est directrice adjointe du pôle vie sociale de la ville d’Aubenas. Nous nous connaissons depuis un stage que j’avais animé en 2006 à Montpellier (« la conduite de projets sociaux complexes »). Spectatrice, elle lit régulièrement le Tadorne. C’est lors d’un échange précédent une pièce de David Bobée au Théâtre de Gennevilliers qu’elle formule son projet : « comment, dans le cadre d’un programme de réussite éducative, élargir les publics des lieux culturels  de la ville d’Aubenas par la mise en réseau des travailleurs sociaux du territoire ? ». Cette demande trouve un prolongement dans plusieurs articulations : le consultant et le blogueur ; le réseau et l’institution territoriale ;  le social et la culture. J’active le réseau du Tadorne et du Trigone (nom de mon cabinet) et rédige une proposition: « une formation-action d’accompagnement vers la culture pour les professionnels du social de la ville ». À partir du travail de Julie Kretzschmar, directrice des Bancs Publics à Marseille qui a mené une expérience avec un groupe de spectateurs bénéficiant du RMI accompagné par un travailleur social, je formule une hypothèse : « Élargir les publics nécessite d’articuler la pratique culturelle des travailleurs sociaux avec leurs pratiques professionnelles ce qui suppose leur désinhibition à l’égard des arts de la scène et des arts plastiques». La formation-action a donc débuté en octobre 2009 (pour 18 professionnels) et se terminera en mars 2010. Cinq modules de deux jours où nous allons voir des spectacles (théâtre de Privas, Comédie de Valence, le bournot), où intervient une médiatrice (Anne-Gaëlle Burban), Julie Kretzschmar, un artiste (Luigi Rignanese) en articulation avec un travail sur leur positionnement personnel professionnel institutionnel. Il est encore trop tôt pour faire l’évaluation de ce travail, mais on sait d’ores et déjà qu’il a créé une dynamique de projet global sur le territoire en positionnant la culture au centre des pratiques d’intervention sociale par la mise en réseau des acteurs.

Annette Breuil et l’équipe du Théâtre des Salins de Martigues.

Le contexte du début de l’année 2009 est tendu dans le milieu culturel. Les inquiétudes grandissent alors que Nicolas Sarkozy vient de créer un conseil de la création artistique présidé par Martin Karmitz. Elsa Gomis, contributrice pour le Tadorne, assiste à un débat au Théâtre National de la Coline à Paris réunissant artistes, journalistes, professionnels, public. Quelques jours plus tard, dans un article,  nous formulons quelques hypothèses, dont celle d’organiser au sein des théâtres des débats entre spectateurs et artistes afin que la question sur l’avenir du spectacle vivant ne soit pas aux mains des seuls spécialistes.  Annette Breuil, directrice du Théâtre des Salins, saisit cette opportunité. Après plusieurs échanges, nous décidons de planifier pour la saison 2009-2010, un cycle de débats (« Il y a des Ho ! Y’a débat ! »). Le premier a eu lieu le 20 septembre 2009 (« quel programmateur, quel spectateur êtes-vous ? »). Malgré la fragilité du dispositif, je ressens la forte mobilisation de l’équipe comme si le désir d’ouvrir la relation avec les spectateurs prenait tout son sens. Le prochain rendez-vous est prévu le 26 janvier 2010 (« le théâtre des Salins est-il un lieu d’échanges ? »). Il  permettra d’avoir une image de la relation désirée par les spectateurs et positionner l’équipe sur une réflexion globale autour de la communication. À l’articulation du consultant et du blogueur, j’accompagne le processus afin d’être aux côtés de cette équipe et de sa direction pour poursuivre cette expérience. Elle prend tout son sens dans mon engagement de spectateur, de consultant et de citoyen, déterminé à créer les conditions du dialogue démocratique.

L’auteur et metteur en scène Pierre-Jérôme Adjedj

Notre rencontre est née grâce à internet. D’abord sur un forum de théâtre puis sur Facebook. Pierre-Jérôme Adjedj est un (jeune) auteur et metteur en scène. Nous aimons Berlin l’un et l’autre, le goût
du débat d’idées et un désir d’articuler, de mailler, de relier ce qui est souvent cloisonné « empêchant » l’accès à l’art. Dès l’automne, il me propose d’assister à sa résidence de création à la Ferme du Buisson après m’avoir envoyé par mail, le scénario d’« Initial Sarah Stadt », qui sera interprétée par Amadine Thiriet. Un passage m’émeut particulièrement:

« Sarah transforme la salle en orphelinat

Autant d’orphelins que de spectateurs

Éploré par la perte d’une vérité 

Qu’ils n’étaient pas venus chercher »

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Peu à peu, j’imagine Sarah. Dès le début de sa résidence, il m’envoie un compte-rendu journalier. C’est passionnant, car il décrit le processus de création en laissant suffisamment d’espace pour que je puisse ressentir, même à distance, ce qui se joue. Il prépare ainsi ma venue pour ce week-end de novembre où j’assiste aux répétitions, partie prenante de l’équipe. Ainsi, pour la première fois, je vois l’artiste dans le chaos créatif. J’entends, je comprends tout ce qu’il dit alors que je n’ai pas le scénario en tête. La déconstruction fait sens et les processus de la  mise en scène donnent vie à Sarah. Je note quelques-unes de ses phrases attrapées au vol (« Sarah est sa propre mise en scène », « il y a des endroits où l’on va creuser des galeries » ; à Amadine Thiriet : « ton temps est celui que l’on accepte » ; à un moment, elle lui répond : « je me suis assise pour de mauvaises raisons, pour créer une image »).

À mesure qu’ils travaillent, j’apprends à différencier l’homme connu sur la toile et le metteur en scène : ils sont à fois unique et différent. Il appréhende le théâtre en amplifiant le collectif pour coconstruire. De le voir créer  est en soi une oeuvre d’autant plus que la posture d’Amandine Thieret m’impressionne : elle assume le rôle et s’engage dans la mise en scène. Peu à peu,  Pierre-Jérôme Adjedj conçoit de multiples espaces où le spectateur créera aussi son histoire avec Sarah.

Spectateur au travail, j’imagine déjà le public transporté dans cet imaginaire florissant pour dialoguer par la suite avec les artistes. Pierre-Jérôme Adjedj m’a permis d’écrire cet article, de mettre en lien mon expérience avec Michel Kelemenis, le projet de la ville d’Aubenas et du Théâtre des Salins. En s’ouvrant subtilement au Tadorne, il a créé les conditions de l’émancipation du spectateur et de l’émergence de son  projet global. Chapeau l’artiste.

Pascal Bély- www.festivalier.net

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ETRE SPECTATEUR

Spectateurs et professionnels de la culture: sommes-nous encore ensemble?

photo extraite de la galerie de photos de Heidi Kuisma

En octobre, en fin de journée, les rues d'Avignon sont calmes. L'événement crée par Le Centre de Développement Chorégraphique  d'Avignon (« Les Hivernales ») n'y change rien. Pour fêter l'arrivée  de son jeune directeur (Emmanuel Serafini)  et le début de la saison 2009-2010, le public a rendez-vous à l'extérieur du centre pour assister à la performance d'Antoine le Ménestrel. L'homme s'agrippe à cette façade verticale face à une trentaine de spectateurs amassés le long du trottoir. Il cherche les points d'appui, peine à aller très haut. Doté d'un masque type H1N1, il finit son escapade pris dans un filet qui lui colle au corps, accroché à un croc de boucher (sic). La métaphore est saisissante: sommes-nous conviés à assiéger cette institution pour nous en libérer? Souhaitons à ce jeune directeur d'ouvrir la relation (notre faible nombre devrait l'interpeller), de créer des porosités et des « zones de contact » pour mailler les publics à partir de ses projets artistiques. Il y a manifestement urgence, car ce soir, l'auditoire s'est atrophié, la verticalité finit par donner le vertige d'une violence sociale qui ne dit pas encore son nom.

 

Même jour, une heure plus tard. Hortense Archambault et Vincent Baudriller, les co-directeurs du Festival d'Avignon, convient les spectateurs à une rencontre-débat autour du bilan de la dernière édition. Ils sont assis dans un coin de la scène, tandis que le public (majoritairement âgé et féminin) est sagement installé dans les gradins. Du bas vers le haut et inversement : entre nous et l'institution, le lien est une mécanique bien huilée. Tout commence donc par un spectateur qui regrette l'époque de Jean Vilar et dénonce les « bourgeois ». Bruits dans la salle. La réponse ne se fait pas attendre et finit par des remerciements appuyés envers la direction actuelle. Applaudissements. Entre ces deux caricatures, comment être un spectateur citoyen éclairé ? À défaut d'un regard critique, deux personnes relient les ?uvres en veillant à se mettre à distance tandis que d'autres se positionnent en « spectateur consommateur » quand ils évoquent la qualité des sièges lors des représentations ! Il faut alors attendre la prise de parole d'une jeune étudiante en BEP pour ressentir un frisson dans la salle et sur la scène : après avoir découvert le festival l'an dernier, elle regrette que l'on ne vienne pas vers les élèves des BEP-CAP pour communiquer avec « ceux qui ne connaissent pas le monde du théâtre ». Cette intervention (à la 47′ de la vidéo) arrive à point nommé au moment où le débat tourne sur lui-même, à l'image d'un système autarcique. La réaction sincère d'Hortense Archambault (« donnez-nous des pistes et des idées ») sonne comme un aveu : comment communiquer autrement pour que l'on se rencontre? Le festival associera-t-il cette jeune fille et ses camarades pour inventer un nouvel espace de rencontre où l'humain, avec ses forces et ses fragilités, contourne les codes rationnels du lien développés par les experts de la communication promotionnelle ? L'époque n'appelle-t-elle pas les réseaux sociaux au détriment des tuyaux (encombrés) de l'information ?

Toujours en octobre, le Festival Actoral à Marseille bat son plein. Les nouvelles formes d'écritures, y compris la relation avec le public, sont au coeur du projet. L'actrice belge Viviane de Muynck nous promet donc un débat sur le théâtre. Au préalable, elle lit une correspondance entre un metteur en scène et une comédienne. Nous assistons à une vivifiante leçon de théâtre énoncée avec brio par cette « maîtresse » hors pair. À la fin de sa lecture, elle se lève et vient vers nous pour entamer l'échange tout en maintenant sa position haute. Je tente quelques retours, mais cela tombe à plat. Elle a son scénario en tête et continue sa « leçon ». Un spectateur s'en agace (« si nous parlions d'autre chose que de vous-même ») mais la salle reste impassible, hypnotisée par son charisme. Point de débat, juste une mise en scène où nous sommes de bien mauvais acteurs piégés par nos enfermements.

Mais alors, est-ce encore possible d'innover ? « Y’a des Ho ! Y'a debat ! », est une rencontre que j'ai co-animé  avec Annette Breuil, directrice du Théâtre des Salins de Martigues, le 29 septembre. Une quarantaine de spectateurs a fait le déplacement (des habitués et des professionnels de la culture). La scène est volontairement vide pour ce premier débat de la saison (« quel spectateur, quel programmateur êtes-vous ? ») et nous sommes fondus dans le public, disposé en U. Annette Breuil et moi-même improvisons sur l'historique de notre rencontre où comment j'en suis venu à créer un blog après le spectacle de Jérôme Bel (« the show must go on ») présenté au Théâtre des Salins en 2005 puis comment nous sommes parvenus, elle et moi, à nouer une relation non hiérarchisée. À ce moment précis, nous posons le cadre du débat : échanger loin des cases qui nous enferment. L'assemblée paraît apprécier la chaleur humaine que nous instaurons et semble prêt pour un petit exercice : écrire sur un papier rose ( !), « une question que l'on n'a jamais osé poser à Annette Breuil », sur un papier jaune « une question destinée à votre voisin ». Incontestablement, ce cadre crée une dynamique. Les interrogations fusent en direction d'Annette Breuil (sur ses choix de programmation essentiellement) tandis que celles entre nous peinent à émerger. Nous ne savons manifestement pas nous interpeller! Même si nous abordons la posture du spectateur (« pourquoi quittons-nous un
spectacle avant sa fin ? 
», « quel rôle joue pour nous la plaquette de saison ?»), force est de constater que la forme ouverte de l'échange n'a en rien modifié le fond : ce sont souvent les spectateurs inclus dans le réseau culturel qui ont pris la parole pour un débat autour de la fonction d'Annette Breuil sans qu'émerge un questionnement sur le positionnement du spectateur. Il y a là un enseignement majeur : nos institutions ont « normé » le lien avec le public dans une logique verticale descendante. Pas étonnant que les retours s'inscrivent dans ce lien et maintiennent des postures finalement assez figées.

Dès lors, peut-on imaginer l'ouverture de la relation entre spectateurs et professionnels de la culture à partir des institutions ? N'y a-t-il pas un paradoxe à vouloir créer un lien transversal dans un cadre qui trouve sa légitimité dans un lien descendant ? Pour l'instant, il est difficile de  s'appuyer sur internet pour « bouleverser » les institutions tant les professionnels peinent à utiliser cet outil pour communiquer en transversalité (pour s'en convaincre, Facebook est manié par les structures culturelles comme un panneau d'information !).

Nous avons donc, collectivement, à imaginer de nouveaux espaces. Est-ce à la marge qu'ils émergeront?

Pascal Bély ? www.festivalier.net

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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON LE THEATRE BELGE!

À l’École d’Art, le “livre d’or” de Jan Fabre pour le Festival d’Avignon.


Il y a foule de spectateurs à l’École d’Art pour la rencontre avec Jan Fabre. Comme un besoin de confrontation (pacifique). Une heure d’échanges polis avec un public qui a fait son « travail » avec cet artiste flamand hors du commun. Le metteur en scène, chorégraphe et plasticien semble assagi, comme s’il faisait son dernier tour de piste en Avignon.

Son « Orgie de la tolérance » fait quasiment l’unanimité à l’exception de quelques journalistes (Nouvel Observateur) et blogueurs (Images de Danse, Tadorne, Un soir ou un autre). Et ce n’est pas le moindre des paradoxes. Le public présent ce matin questionne ce succès : « Alors que « Je suis sang » ou « l’histoire des larmes » nous interpellaient dans notre intimité, votre dernier spectacle nous touche beaucoup moins parce que situé au niveau sociétal. N’est-ce pas pour cela que nous sommes tous  d’accord ?». Est-ce pour cette raison qu’une connivence a été ressentie lors du salut final entre la salle et les danseurs ? Une spectatrice ose souligner que le public était « conquis, acquis d’avance » et qu’elle n’est pas «choqué par cette farce obscène ».  On a même droit à cette remarque savoureuse : « Auparavant, j’étais scotché par votre obscénité. Aujourd’hui, je suis emporté par le groupe ! ».  Mais «pourquoi utilisez-vous le premier degré pour nous faire passer le message ? ». « N’y a-t-il pas conflit entre « dénoncer un système et y être dedans » renchérit un spectateur.

A toutes ces observations et questions, Jan Fabre n’esquive pas.

Oui, « Orgie de la tolérance » est une oeuvre qui nous positionne sur le collectif, car « l’extrême droite flamande doit savoir de quel bois je me chauffe d’où l’utilisation du  premier degré ».

Oui, il est dans le système et se dénonce lui-même dans la scène de chasse.

Il se justifie sur l’obscénité en faisant remarquer que « la télé l’est bien plus », que les «publicités sur les numéros roses » sont des « services très mauvais » (sic), où les « orgasmes sont exagérés » d’où les « olympiades d’orgasmes » joués sur scène. Sa critique vise également le monde de la mode qui nous fait habiller en gangster et nous impose une idéologie de droite sur le beau.

Soit. Mais je ne saisis toujours pas au cours de ce débat, la fonction de cette démonstration connue de tous, car comme le souligne une spectatrice, “nous savons que la libido médiatisée vise à canaliser toute l’énergie qui pourrait exploser».

Alors, j’ose une hypothèse : le consensus autour d’« Orgie de la tolérance » ne vise-t-il pas à revenir sur « l’orgie » de violences qui a suivi l’édition 2005 du Festival où il était l’artiste associé ? Jan Fabre revient sur ce qui a fait débat cette année-là. Subtilement. En soulignant d’abord que 2005 a ouvert la porte à des artistes. Que pour lui, il n’y a pas de hiérarchie entre le corps et les mots ; « ils s’influencent mutuellement », « alors qu’en France, le texte hiérarchise ». Dans sa troupe, composée de « performeurs du 21ème siècle », les arts se croisent et s’enrichissent. Avec une pointe d’humour, il souligne « qu’il est aussi un auteur à texte ». Fier de son collectif, Fabre s’appuie sur lui pour s’inscrire dans la tradition de la peinture flamande, où la subversion est une philosophie, un mode de survie.

Il termine par cette phrase, en forme de salut final : « la danse est toujours une célébration de la vie ». Chapeau l’artiste.

Pascal Bély – www.festivalier.net

Jan Fabre vu par le Tadorne: Jan Fabre fuck, avec préservatif, le Festival d’Avignon.

Les débats à l’Ecole d’Art vus par le Tadorne:  À l’École d’Art d’Avignon, Amos Gitaï découvre le public d’Avignon. Sanglant.

Photo: www.théâtrecontemporain.tv

 

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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON LA VIE DU BLOG

Piratons le Festival d’Avignon !

C’est le jour J. D’Aix en Provence vers Avignon, j’opère la migration pour trois semaines de spectacles, de débats et de repositionnements ! Ce matin, je pars pour enrichir ce blog et la figure de “l’amateur éclairé“, si chère au philosophe Bernard Stiegler.

Il est 7h40 et Thomas Baumgartner accueille dans « Les matins de France Culture », Olivier Mongin, écrivain et essayiste ainsi que l’enseignant-chercheur en sociologie Nicolas Auray. Le premier dirige la revue “Esprit” où son article  “De la piraterie protestante aux piratages contemporains. Ou de la capacité à s’incruster dans les interstices” est paru dans le dernier numéro.

Dans l’imaginaire protestant, la figure du pirate conteste l’empire catholique et va puiser ses références dans un monde liquide. Il n’y a dans cet océan, ni frontière, ni prison, ni sépulture. Les logiques de flux  sont préférées aux structures verticales. C’est un environnement dangereux si l’on ne sait pas nager et pour éviter de se perdre, il est conseillé de suivre les courants. Le pirate a besoin des îles pour être en sécurité : le liquide produit donc du solide ! Ainsi, il se nourrit d’une utopie où les contrats se substituent à la loi, où l’on casse les constitutions de rente, où l’on aime mieux le « butinage » à l’implantation terrestre. La figure du pirate,  métaphore de l’internaute, est d’autant plus évidente que les mots « naviguer », « pirater » sont entrés dans le langage commun. Plus l’émission avance, plus l’analogie avec le spectateur – blogueur me paraît manifeste. Comme le pirate, il se crée une nouvelle identité, plus ouverte, où il cherche asile dans une forme d’écriture pour désacraliser le regard critique. Dans cet océan que représente la toile, le blogueur se nourrit des flux et joue des interstices.

J’approche d’Avignon. À l’abordage !

À peine arrivé, l’attaché de presse de l’ADAMI me contacte. Prévu initialement dans un débat (« Internet : un autre espace pour la critique et la promotion des artistes »), je ne figure plus sur la liste des invités. L’aréopage, est majoritairement composé de journalistes[1] qui reproduisent du « papier » sur l’internet. Il n’inclue pas les « pirates », ces blogueurs qui se sont nichés dans les « interstices » (à l’articulation du spectateur et du professionnel, de l’artiste et du journaliste, …). Au téléphone, nous ne parlons pas du même monde. J’évoque débat participatif englobant artistes, spectateurs, journalistes, blogueurs (« les archipels »), on m’oppose un « question/réponse » avec la salle après que les experts se soient exprimés (« l’État nation »). Il faut donc jouer ailleurs et ne pas attendre grand-chose de ces débats excluants où l’on parle à la place « de ».

Une heure plus tard, Maguy Marin est à la conférence de presse du Festival « in ». La chorégraphe paraît épuisée. Elle cherche à s’arrimer aux questions « terre-à-terre » du journaliste. Elle évoque sa prochaine création (dont le nom a été trouvé il y a seulement quinze jours, « description d’un combat », autour de la perte de la mémoire historique). Entre la tribune et l’assistance, un  flottement comme si la mémoire avait besoin de nouveaux espaces (des archipels ?) pour se régénérer. Maguy Marin parle et je me laisse bercer par l’incertitude qu’elle brandit comme un art. Elle est « pirate ».

À la sortie, un jeune homme fait la promotion d’ “Histoire d’amour (derniers chapitres)“de Jean-Luc Lagarce joué par la Compagnie du Veilleur à la Manufacture. Point de flyers. Il me tend un casque et m’offre 20 secondes de cette création. Je plane, je plonge.

En plus de me ressentir pirate, je me sens pousser des ailes.

Pascal Bély

www.festivalier.net

 


[1] Modérateur : Jean-Pierre Bourcier, président du syndicat de la critique dramatique, rédacteur en chef Rueduthéâtre.info
avec :
Emmanuel Bourcet, cofondateur de Kinorézo.com
Fabien Bonnieux, journaliste La Provence et laprovence.com
Vincent Cambier, fondateur et rédacteur en chef du journal les Trois Coups (www.lestroiscoups.com)
Aurélia Hillaire, journaliste et éditrice Ruedutheatre.info, pigiste Libération
Hélène Kuttner, journaliste premiere.fr, Paris Match, radio J
Mathieu Laviolette, journaliste evene.fr
Agnès Lupovici, attachée de presse
Martine Silber, journaliste (ex. Le Monde) et blog (http://marsupilamima.blogspot.com)

Le 13 juillet à 15h au Conservatoire du Grand Avignon.

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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON

Quand le Festival d’Avignon rend fou!

6h30. J’ai rêvé de spectacles toute la nuit : « Ciels», « Une fête pour Boris », « Ode maritime »…

Nous sommes les 13 juin, jour d’ouverture de la billetterie du Festival «In » d’Avignon, réservée exclusivement aux habitants du Grand Avignon. Mais j’habite Aix en Provence. Peu importe. La stratégie d’attaque est décidée depuis longtemps. Des amis autochtones feront la queue, ici au Cloître Saint Louis (siège du Festival), là-bas à la Fnac. Tous se sont levés tôt (certains à 4h du matin !) pour récupérer un ticket de passage numéroté afin que l’ordre numérique ébranle tout désordre possible. Nous achetons des places de spectacles par nombre : 2 pour Amos Gitaï, 4 pour le triptyque de Mouawad, 2 pour Jouanneau, 3 pour Hubert Colas, 2 pour Christophe Honoré… Une orgie théâtrale se prépare. Nous serons nombreux à festoyer !
Je navigue en électron libre entre les deux points, fiévreux de commentaires captés dans ces files d’attente.
9h30. Retour au Cloître. Ce lieu n’a pas encore retrouvé toute son effervescence festivalière.  Pourtant, un homme y aurait acquis 73 places! Le public fidèle du festival est là : Avignonnais, journalistes locaux, et passionnés. Une amie bout d’impatience depuis 7h30 avec son numéro 436. On annonce qu’il n’y a plus de place pour « Ciels ». De mon I-phone, j’appelle mon autre contact dans la file d’attente de la Fnac. Où en est-il ? Combien de personnes avant lui ? Le besoin de posséder ces tickets magiques, crée fébrilement le syndrome de la rareté. Il me faut, sans exception, toutes les places dont j’ai rêvé cette nuit.
Il me rassure. C’est son tour. Il les a toutes !  Je cours. Il me tend la pochette aux feuillets si précieux. Quel soulagement ! Mais je réalise que ce n’est que le « In ».
Il restera le Festival « Off » à conquérir. Il requiert un flair d’expert pour viser juste. Mille spectacles seront joués cette année. Une déferlante, un peu comme une rentrée littéraire où se nicherait le livre rare. Pour nous guider, un programme de 360 pages aux allures de catalogue qui finira par devenir la bible du festivalier. Mais comment s’y retrouver ? Dès les premiers jours, il est conseillé de privilégier les scènes avignonnaises ouvertes toute l’année (« Le Chêne Noir », « Le Théâtre des Halles », « Le Ring », …), les régions ou pays qui font leur festival (la Belgique au Théâtre des Doms, les Hivernales, la Champagne Ardenne à la Caserne des Pompiers, les Pays de Loire au Grenier à Sel,…) et quelques scènes de réputation (la Manufacture ou le festival CCAS à la Barthelasse). Puis, progressivement, être à l’écoute de ce qui se dit à la Maison du Off, lire la presse et se tenir informé grâce au Tadorne (sur son blog, sur Twitter et Facebook) Le blog de Martine Silber offrira également de bons tuyaux.

Demain, le Festival d’Avignon commence. Comme chaque année depuis dix ans, je verrais plus de 50 spectacles. De la folie du début, il ne restera que la sagesse. Celle des hommes, qui le temps d’un festival, baissent les armes pour repenser le monde. Serez-vous de ceux-là?

Pascal Bély

Diane Fonsegrive

Laurent Bourbousson.

www.festivalier.net

 

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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON LA VIE DU BLOG

Tadorne, le blog du Festival d’Avignon : où serez-vous ?

Vous avez peut-être pris connaissance de notre première invitation. Voici la deuxième.

Le compte à rebours est enclenché. Plus que six jours et Avignon ressemblera au “plus grand théâtre du monde“. Nous nous croiserons dans les files d’attente, aux terrasses des cafés, face au panneau de revente des places au Cloître Saint Louis, pour le « In », et en lisant les revues de presse, pour le « off ». Nous en profiterons pour échanger sur nos cadres de réception, sur nos expériences théâtrales et sur notre « traversée » de spectateur. Nous envisageons même de faire votre portrait pour le publier sur « Le Tadorne » ! Bien plus qu’un échange vertical mené lors des rencontres public-institutions (à laquelle nous participerons[1]), laissons nous aller à la poésie de l’amateur éclairé comme nous y invite le sociologue et philosophe Edgar Morin qui déclarait au lendemain des élections européennes : « ll est temps de métamorphoser la civilisation pour poétiser la vie ” (il sera présent au Théâtre des Idées le 25 juillet).

Rencontrons-nous lors d’impromptus et poétisons notre festival ! Notre signe de reconnaissance sera un tee-shirt avec pour logo “Le Tadorne festivalier.net” pour nous et nos rendez-vous sur le site au jour le jour, pour vous. Comme une rencontre non définie à l’avance pour laisser place à l’instant.

Pari fou que cette expérience. Faire de nos échanges un moment repris sur la toile afin de désacraliser la pensée uniforme des critiques et revendiquer notre place de spectateur. Loin d’être des consommateurs de culture, croyons à notre valeur de jugement et relions le “In” et le “Off”, ces deux festivals qui se côtoient sans trouver de passerelles. Rapprochons-nous et échangeons sur des spectacles différents afin de mettre en lumière la création artistique, moteur d’une nouvelle croissance.

Celle du développement durable.

Pascal Bély

Laurent Bourbousson

Diane Fonsegrive.

www.festivalier.net


Photo: Diane Fonsegrive.


[1] Aux différentes rencontres entre artistes du « In » et public à l’Ecole d’Art, aux «rencontres critiques » à la Maison du Off

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ETRE SPECTATEUR

« Le conseil de la création artistique » par Mathilde Monnier.

En 2008, j’ai cherché de nouvelles articulations entre le spectateur – blogueur et les institutions culturelles. Rares sont les théâtres qui qualifient positivement ma démarche. Rares sont les responsables des relations avec le public qui ont « relationné » autour du blog. Quasiment aucun commentaire des professionnels de la profession sur le site à l’exception des artistes qui manifestent un intérêt pour mon engagement. Pour simplifier, on m’a souvent catalogué de « critique amateur », de « spectateur emmerdeur », rarement comme une émergence de ces nouvelles figures de l’amateur en provenance de l’Internet. Dans l’ancien modèle, celui des organisations pyramidales, je n’ai aucune place. Dans le nouveau, celui des réseaux et des structures transversales, j’en suis un des éléments dynamiques. Pourtant, l’intention d’écouter autrement le public, de l’aider à faire son « travail » de spectateur n’a jamais été autant affichée par le management culturel, autant déclinée sur des terrains “sensibles” par des médiateurs. Il est probable que le blog ne soit pas la meilleure façon de s’articuler. On y réfléchit, car finalement personne ne sait comment décliner le nouveau modèle. La chorégraphe Mathilde Monnier en saurait-elle un peu plus lors de cette soirée au Centre Chorégraphique National de Montpellier, lucidement nommée  ]domaine public[ ? Est-ce le commencement de la fin comme elle le laisse entendre dès le début de la représentation ?

Justement, tout commence par la fin, par un jeu de rôles improvisé sur scène. Des spectateurs face à des artistes un soir de clôture d’un festival fictif (sur les « émergences »…toute ressemblance avec…). On y évoque une pièce qui a fait l’événement. L’auteur, le metteur en scène, les comédiens, le directeur, le journaliste, et le public campent sur leurs positions dans un jeu de rôles écrit d’avance. On s’y voit déjà car vu et entendu tant de fois ! Un caméraman filme pour que nous puissions scruter le visage des artistes interviewés. C’est de la télé-réalité. Nous voilà donc observateurs d’un jeu, d’un système, qui s’est progressivement installé dans les théâtres et les festivals sans que les artistes et la presse n’interrogent ce modèle interactionnel rigide, dépassé, qui consolide des relations verticales d’une autre époque. Le jeu est drôle, subtilement joué. Personne n’occupe sa fonction dans la durée ; chacun est invité à changer de place à mesure que le jeu se déroule. Ainsi, le directeur du festival se retrouve quelques diatribes plus tard, spectateur et l’on cherche en vain la différence. C’est un jeu de rôles sur un jeu de rôles. La critique est acide, mais salvatrice.

La deuxième partie de la soirée étonne ! Les danseurs de Mathilde Monnier jouent la pièce en question. Les frontières entre réalité et fiction brouillent : et que ce serait-il passé si nous avions vu ce spectacle en premier ? Aurions-nous ri ainsi ? En inversant les prémices, Mathilde Monnier insinuerait-elle que le regard que nous portons sur l’oeuvre est déterminé par notre positionnement de spectateur à l’égard des artistes et des institutions ou par ce que nous savons de la critique sur elle ? Je ressens un malaise intérieur. Bien joué.

Mathilde Monnier poursuit sa modélisation à l’image d’une pyramide qu’elle inverserait. Place au terrain ! C’est ainsi qu’arrivent 30 amateurs, briefés le temps d’un week-end, moniteur vidéo en appui (ici la télévision guide…) pour une danse apaisante de vingt minutes. Comme un puzzle qui s’agencerait sous la forme d’une fresque, adultes et enfants dansent un langage des signes, métaphore d’une communication différente, où finalement la figure de l’amateur a toute sa place. La scène devient alors cet espace partagé, où la créativité du «terrain » peut s’y exprimer. C’est là que pourrait se jouer l’ouverture des institutions où artiste- public- professionnels expérimenterait des modalités transversales de communication. C’est peut-être de cela que nous avons besoin dans cette période chaotique, comme le moteur d’une nouvelle croissance. Et ce n’est pas un hasard si, à la fin du spectacle, nous sommes nombreux dans le hall du Centre Chorégraphique à échanger nos impressions sans le recours à une table ronde d’après spectacle !

C’est cela que comprend Mathilde Monnier, plus accessible que jamais ce soir là, à qui j’envoie un amical remerciement pour ce domaine ouvert vers une société métissée.

Pascal Bély – www.festivalier.net

]domaine public[  a été joué le 31 janvier au Centre Chorégraphique de Montpellier

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ETRE SPECTATEUR

Spectateurs, artistes: et si nous prenions ensemble la parole ?

Est-ce un frémissement ? Le Théâtre de la Colline de Paris affiche complet : des spectateurs de tous âges sont amassés partout, entre les gradins, pour une parole à l’unisson entre artistes et public. Comme le fait remarquer une spectatrice : « notre réunion est en soi un acte artistique ». Sylvain Bourmeau, journaliste à Mediapart, demande à tous un effort de transdisciplinarité.

Objet d’un tel rassemblement : le Ministère de la Culture fête cette année ses 50 ans et semble  menacé. Pour l’ensemble des participants, l’initiative du Gouvernement de créer un conseil de la création artistique présidé par Martin Karmitz, et supervisé par Nicolas Sarkozy, converge vers le modèle anglo-saxon qui prône le désengagement de l’Etat en matière culturelle et semble sonner le glas du ministère créé sous l’impulsion de Jean Vilar en 1959.

A plusieurs reprises au cours de la soirée, les intervenants font référence à l’article d’Olivier Py dans le Monde du 14 février où il reprend une phrase écrite par André Malraux à Jean Vilar: « peu importe que vous soyez communiste ou non, votre projet est d’intérêt général, c’est ce qui importe ». On cite également la loi Lang du 10 août 1981 (une émergence de la volonté des acteurs de terrain) qui permet à Nicolas Bourriaud d’indiquer l’aspect incantatoire des politiques culturelles menées depuis lors et particulièrement la volonté de démocratisation réitérée au fil des mandatures.

Sylvain Bourmeau fait le lien avec la récente initiative de Pascale Ferran à propos des « films du milieu ». Pour la cinéaste couronnée aux Césars, il s’agit de fédérer « la chaîne de coopération » qui existe dans toute entreprise culturelle, et notamment dans celle du cinéma. En s’entourant des différents métiers de la chaîne cinématographique, Pascale Ferran a créé un groupe de travail idoine avec pour mot d’ordre « si on se fait chier, on arrête ». Tel ne fut pas le cas. Après avoir été reprises par les instances du Centre National de la Cinématographie, leurs propositions sont actuellement en cours de validation par le ministère de la culture. Avec la perspective d’une probable approbation.

Alors, que peut faire le spectacle vivant pour reprendre l’initiative ? Pour Robert Cantarella, l’ouverture en octobre dernier, du « 104 » à Paris est une des réponses, à savoir un lieu voulu comme un outil de la « transmission permanente » entre l’artiste et le spectateur, où l’animation et la création sont intiment liées. Ainsi, les artistes en résidence ont pour obligation d’ouvrir les portes de leurs ateliers aux spectateurs. Pour donner à voir le processus artistique. Car il s’agit « d’être préhensible avant d’être compréhensible ». Ils n’ont pour l’instant rencontré aucune résistance de la part des artistes invités.

Robert Cantarella constate que dans le domaine du spectacle vivant, l’argent est essentiellement placé « sur la scène ». Peu hors de son périmètre. Alors même que le secteur privé se préoccupe de ces alentours (il cite en plaisantant les glaces Häagen-Dazs, partenaires de nombreuses structures du secteur privé).

A ce titre, Jean-Louis Fabiani indique que 284 formations de médiation culturelle ont été recensées en France en 2008. Pour Robert Cantarella ce chiffre est porteur de sens. Il ne s’agit pas d’une « couche graisseuse » inutile entre les artistes et les spectateurs. Au contraire. Pour Nicolas Bourriaud, la « couche graisseuse » actuelle est la critique.

Car loin de la volonté gouvernementale d’instaurer des « pôles d’excellence », ces médiateurs permettent de faire émerger, de rendre visibles, les initiatives artistiques.  La survisibilité de ces « pôles d’excellence » vise à couper ce qui fait tenir le visible. Tous soulignent le rôle de ce « terreau » d’initiatives, de ces viviers d’artistes, du « saupoudrage » dénoncé de subventions qui permet l’entretien du visible. Tous dénoncent la montée en puissance d’un populisme qui préfère le  bon mot à un accompagnement parfois laborieux. Tous estiment que ce sont les prises de position des artistes qui permettent de travailler la transversalité si nécessaire pour produire des propositions à la fois adéquates et pertinentes.


Alors, comment prolonger le débat de la Colline, ici et là, à Paris et en région ?

Les contributeurs du Tadorne se proposent d’impulser,  d’animer, au sein des théâtres, des collectivités publiques, des entreprises, les rencontres entre artistes et spectateurs autour de quelques questions :

–          Dans une société ouverte et mondialisée, comment impulser une communication créative entre acteurs culturels et publics capable d’être une force de proposition auprès des pouvoirs publics?

–          Comment rendre lisibles les nombreuses actions innovantes qui relient la création et l’animation ? Quels rôles peut y jouer Internet ?

–          Comment initier et promouvoir les actions transversales qui participent à l’élaboration d’une politique culturelle globale ?

–          Alors que Jean-Luc Godard répondait à un spectateur qui se
plaignait de ne pas avoir compris son film « c’est parce que vous n’avez pas assez travaillé », quels sont les espaces de travail qu’il faut créer ?


Si toutes ces questions font écho chez vous, sur votre territoire, dans votre collectif, alors co-animons ce débat et alimentons la démarche initiée au Théâtre de la Colline.

Contacts:


elsa.gomis@gmail.com

pascal.bely@free.fr

www.festivalier.net

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D’un ministère de la culture à un conseil de la création artistique“,
une soirée-débat au théâtre de la Colline en partenariat avec Mediapart, le 16 février 2009

Aux côtés de Sylvain Bourmeau, journaliste à Mediapart chargé d’animer les débats : Pascale Ferran, cinéaste, Jean-Louis Fabiani, sociologue, Robert Cantarella, directeur artistique du 104 et Nicolas Bourriaud, directeur de la Tate Britain à Londres.