Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Claire Lasne Darcueil assassine “La mouette” dans le Poitou.

Cette « mouette » n’aurait jamais dû survoler le ciel d’Avignon. Claire Lasne Darcueil, metteuse en scène sur le papier en provenance de Poitou- Charentes, doit bien se douter que cela ne fonctionne pas, à voir le visage désabusé de ses comédiens et la mine déconfite du public. Nous venons de subir pendant plus de deux heures trente un jeu que même les plus petits conservatoires de région n’autoriseraient pas. Par respect pour les acteurs, nous n’avons manifesté aucune hostilité lors du salut final. Nous savons nous tenir. Et pourtant, face à une mise en scène aussi vulgaire, nous aurions pu faire le bruit qui sied aux artistes qui usurpent leur fonction.
« La mouette » de Tchekhov mérite-t-elle un décor aussi laid, fait de matériaux achetés à Conforama dont ce mobilier de jardin affligeant et ses portes vitrées assemblées n’importe comment ? Mais quelle idée se fait Claire Lasne du théâtre, du Cloître des Célestins pour se permettre de le défigurer ainsi ?
Sait-elle au moins qu’un acteur est fragile si on ne le dirige pas ? Mais que s’est-il passé pendant les répétitions ? Je les imagine négocier pendant des minutes interminables pour finalement devoir faire de petits arrangements entre amis pour que cela tienne un peu la route. Le résultat ? Ils ne cessent de courir sur scène et dans les allées du cloître. En haut, puis en bas. Il faut bien occuper l’espace. Je suppose également que Claire Lasne Darcueil  n’a pas vu que les corps des acteurs avaient une tendance à se déhancher d’une étrange manière (à chaque fin de phrase, une tape sur les cuisses), que la vieille servante marchait à petits pas pour caricaturer la vieillesse et que les trois musiciens avaient une fâcheuse propension à s’imposer là où l’on aurait aimé plus de discrétion.
En l’absence d’un metteur en scène sûr de ses choix, certains comédiens en ont profité pour se la couler douce. Le plus important, n’est-il pas de jouer en Avignon ? Prenons l’exemple d’Anne Sée, dans le rôle de l’actrice Arkadina. Quel jeu détestable ! Pourquoi un tel laisser-aller, une telle vulgarité ? Une honte.
Si « La mouette » évoque la condition de l’artiste et son statut dans la société, Claire Lasne Darcueil ne s’est pas embarrassée de cette question, encore moins de l’actualiser à la France de 2008 (il y aurait eu de quoi, me semble-t-il). Elle aurait pu faire un théâtre politique pour accompagner le projet de Vincent Baudriller et Hortence Harchambault, directeurs du Festival. Au lieu de cela, elle empaille cette mouette comme un taxidermiste débutant en stylisant à outrance le phrasé des acteurs à défaut de les guider vers un jeu porteur de sens.
Cette pièce a été jouée la première fois le 2 mai 2007 puis a effectué une tournée dans les villages de Poitou-Charentes. À croire que nos directeurs ne sillonnent pas la France (cela nous aurait évité ce désastre) lui préférant les mornes plaines de la Belgique.
Pascal Bély
www.festivalier.net
 “La mouette” d’Anton Tchekhov mise en scène par Claire Lasne Darcueil a été joué le 23 juillet 2008 dans le cadre du Festival d’Avignon.
Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

«Je tremble» de Joël Pommerat : deux contre un.

En mai dernier, le Théâtre du Merlan à Marseille, programmait “Je tremble (1)” de Joël Pommerat. A l’affiche du Festival d’Avignon, j’ai donc revu le (1) pour voir le (2). Joël Pommerat a de la suite dans les idées, mais semble s’égarer dans ce deuxième épisode très convenu et pour tout dire, sans intérêt majeur.
J’ai de nouveau rendez-vous avec lui, avec eux. Je les reconnais quasiment tous depuis notre dernière rencontre mémorable lors du Festival d’Avignon en 2006. Lui, c’est Joël Pommerat, metteur en scène. Eux, de la compagnie Louis Brouillard, c’est peut-être vous, c’est sûrement une partie de moi, c’est à coup sûr un fragment animé de notre lien social. C’est une troupe de comédiens qui jouent avec nos maux, nos parts d’ombres et de lumières, pour remettre en mouvement ce que nous figeons, faute d’espace et de liens. «Je tremble (1)» m’essore, me plie et me déplie, comme un processus d’inclusion et d’exclusion permanent.
Cela n’échappe plus à personne. Le politique se fond dans la société du spectacle. Encore une fois au cours de cette saison théâtrale, un animateur (télévisé?) ouvre le bal sur fond de rideau pailleté. Sur un ton décomplexé et détaché, il nous annonce qu’il va mourir ce soir, sous nos yeux. Puis se met à danser sur «Sex bomb». Nous voilà donc positionnés en voyeur d’une tragédie humaine que nous feignons tous d’ignorer à force de fusionner le lien social dans le lien économique et médiatique. Joël Pommerat pose d’emblée le contexte en insinuant, «regardez ce que nous avons fait de notre vivre ensemble». Il accentue le malaise quand une jeune femme s’approche du micro pour hurler son besoin vital de rêver, de se projeter, de faire appel à son imaginaire. Elle finit par dénoncer le silence des intellectuels et des politiques.
«Je tremble (1)» est une succession de tableaux, qui en disent long sur la déliquescence du lien social. Joël Pommerat allume les projecteurs, les éteint puis remet la lumière là où nous aurions bien remis une couche de paillettes. Avec empathie, il nous montre une souffrance à la fois intime et sociétale, loin du misérabilisme marchand de nos médias et de l’humanisme calculé de nos politiques. Ce modèle que nous co-construisons depuis une vingtaine d’années fait souffrir parce que nous ignorons «le vivre ensemble», nous enfermons l’autre dans une lecture comportementaliste, nous marchandons notre corps, nous censurons l’utopie. Il ressent notre impuissance alors que nous sommes habités d’intentions honorables (issus des idéaux de mai 68) mais qui ne peuvent plus rien face à ce modèle économique destructeur du lien social groupal. La force de Joël Pommerat est d’offrir un bel espace à l’expression de cette souffrance tout en suggérant, par sa mise en mouvement des mots et des corps, que nous pourrions imaginer un autre futur en nous appuyant sur le collectif comme force transcendante. Il positionne constamment le spectateur dans un dedans – dehors troublant, entre introspection, interpellation, mise à distance, dans un mouvement perpétuel entre le «moi» et le «nous», propice pour inventer nos utopies.
«Je tremble (1)» est la magnifique fresque d’un homme profondément à notre écoute. Joël Pommerat est un clinicien du sociétal, un peintre impressionniste d’une société déprimée.
Mais «Je tremble (2)» casse ce bel équilibre entre le «nous» et le «je». L’animateur du cabaret devient central et nous propose sa descente aux enfers, dans les entrailles du «mal». À partir de cette métaphore, Joël Pommerat met en lumières ses représentations du «mal» mais on finit par se perdre dans une confusion des niveaux logiques. Entre la scène du tribunal où les témoins sont corrompus, les petits meurtres entre amis, la mutilation du corps des femmes par soumission au désir des hommes, les trahisons dans le couple, le spectateur ne sait plus comment relier ces instantanés. Joël Pommerat met au même niveau des scènes du réel, d’autres plus symboliques où il questionne les paradigmes dominants. Mais on cherche la cohérence de l’ensemble. Le texte se désincarne, ne dit rien de bien nouveau comme si l’auteur et le metteur en scène n’étaient plus en lien, comme si le réel n’était plus transcendé. Joël Pommerat répète son propos en tentant de conceptualiser ce qu’il positionnait  auparavant sur un terrain beaucoup plus «résonnant». «Je tremble (2)» se refroidit sans qu’une pensée émergente puisse nous stimuler.
Comme beaucoup d’artistes, Joël Pommerat bute lui aussi à dessiner les contours d’une nouvelle société, d’un nouveau monde. Il semble tourner en rond et je me surprends à m’ennuyer.
«Je tremble (1)» se suffisait à lui-même. Le (2) n’est qu’un tremblement, là ou j’attendais la secousse.

Pascal Bély. www.festivalier.net

Je tremble” (1) et (2) de Joël Pommerat a été joué le 24 juillet 2008 au Festival d’Avignon.

 

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Le Cinéma Paradiso de Johanne Saunier et Jim Clayburg tombe en panne.

Je l’ai rêvé. Le Festival d’Avignon l’a fait.  Avec “Erase-E (X) parts 1,2,3,4,5,6“, un collectif d’artistes s’empare de la danse, du cinéma, du théâtre où chacun avec son puzzle crée une fresque dont les éléments s’assemblent sans s’additionner (“effacer n’est pas supprimer, mais reprendre, transfigurer” nous précise la note d’intention). Le regard du spectateur évolue, alors que ses neurones, trop longtemps enfermés dans des cases, se déploient pour plonger dans une troisième dimension.

Ce pari un peu fou a pour chef de file Johanne Saunier et Jim Cayburgh suivi d’Anne Teresa De Keersmaeker, Isabella Soupart, Kurt d’Haeseleer, Georges Aperghis. Avec en prime, le Wooster Group issu de la scène New-Yorkaise. Deux heures de danse, avec des tableaux inoubliables même si le tout perd de sa puissance dès la cinquième partie pour sombrer dans un vide sidéral.

crop.php.jpg

Pourtant, les premières séquences sont prometteuses. Anne Teresa de Keersmaeker et le Wooster Group nous offrent trois moments d’une beauté saisissante où la danse s’entremêle avec la bande originale du « Mépris » de Godard pour finir par se fondre dans des percussions indiennes. Johanne Saunier est sublime dans sa vulnérabilité où bardée de capteurs, elle doit s’en émanciper pour s’approcher d’une lumière libératrice. Ce maillage entre chorégraphes me propulse au cinéma lorsqu’apparaît dans mon imaginaire Hafsia Herzi lors d’une scène mémorable de « La graine et le mulet » d’Abdellatif Kechiche. Gagné moi aussi par la reliance, je me sens tomber dans cette toile où s’entremêle féminisme, sensualité et fragilité. Je plane, car je surplombe le cinéma d’hier et d’aujourd’hui. En se métissant, la danse d’Anne Teresa De Keersmaeker se déploie dans un réseau imaginaire planétaire. Sublime.
C’est alors que la chorégraphe Isabella Soupart sème sa (mauvaise) graine. Elle nous impose sa chorégraphie (genoux à terre, comme d’habitude…c’est quasiment le recyclage de son spectacle de l’an dernier présenté à Bruxelles!), son acteur et ses lunettes noires de commercial ès globalisation (Charles François). Johanne s’efface presque, écrasée par le dispositif comme si la télévision prenait les commandes. C’est une rupture de sens que les parties suivantes auront bien du mal à rattraper. J’ai le sentiment étrange d’assister à une prise de pouvoir. C’est violent et les rires du public me désarçonnent.
preview.jpg

Il faut tout le génie de Kurt d’Haeseleer pour renouer le fil, sortir de ce cauchemar. D’Isabella Soupart, il retient l’effroyable mécanique métaphorisée par un robot qui filme en hauteur Johanne Saunier, perruque blonde, et drap de bain autour de la taille. L’univers de David Lycnh dans son chef d’oeuvre « Mulholland Drive » (souvenez-vous…« Silenzio »,« Silenzio » !) est magnifiquement restitué et j’entre dans l’inconscient de Brigitte Bardot qui lutte avec la machine. Comme chez Lynch, nous voilà invités à regarder la danse à plusieurs niveaux (un écran vidéo surplombe la scène pour reconstituer l’image du rapport de force vu du robot). Entre inconscient et réel, je lâche, je me perds, je ne sais plus où je suis. C’est hypnotisant, envoûtant. Pendant qu’elle combat, la danse d’Anne Térésa de Keersmaeker la protège.
Sublime.
Tout aurait pu s’arrêter là.
preview2.jpg

Les 5e et 6e parties font éclater le maillage. Loin de se fondre dans cette danse multidimensionnelle, Georges Aperghis (fondateur du théâtre musical) complique plus qu’il ne tisse. Elles sont maintenant trois sur scène et j’entends quatre voix. Une langue imaginaire se déploie à mesure qu’elles dansent, mais je n’écoute plus comme si les corps étaient des cases au service d’une rationalité ennuyeuse. J’ai perdu Bardot, Lynch, l’Inde…Qui sont-elles ? La dernière partie de Johanne Saunier tourne à vide. “Erase – E (X)” devient alors un concept dont elle ne sait plus quoi faire. Sa chorégraphie finale écrase le sens où la forme (créer un maillage) ne suscite plus l’émotion, mais la condamne dans un schéma qui se rationalise petit à petit.
Après la cinquième partie, il aurait fallu imaginer revenir à la première, comme une rétroaction positive, seule capable de remettre du sens.

Brigitte Bardot et David Lynch n’y auraient vu que du feu.

Pascal Bély
www.festivalier.net

  ERASE-E (X) parts 1,2,3,4,5,6, de Johanne Saunier et de Jim Clayburg a été joué le 21 mars 2008 au Théâtre de Cavaillon et au Festival d’Avignon les 23, 25 et 26 juillet 2008.

 

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Emio Greco fait le spectacle. A côté.

La danse au Festival d’Avignon serait-elle condamnée? Après le consensuel Jan Fabre, le spectaculaire «Sutra» de Sidi Larbi Cherkaoui, voici Emio Greco et son «(purgatorio) POPOPERA», oeuvre dont je cherche encore l’articulation avec le projet des Directeurs du Festival d’Avignon : « solliciter l’intelligence du spectateur…respecter sa liberté de regard face aux spectacles…résister aux tentations de simplification qui nous entourent ». La danse n’aura donc pas cet honneur de me rendre moins réducteur.
Et pourtant. Ils sont beaux ces six danseurs dans ce purgatoire à se tenir groupé ainsi. Une superbe énergie, une danse impeccable dans l’ampleur des mouvements. Le rythme est entraînant et l’on basculerait presque sur sa chaise pour les accompagner vers le paradis. La musique de Michael Gordon ne démérite pas avec un son de guitare à la fois strident et mélodieux. On est tout autant attiré par cette belle mise en espace qui voit circuler en fond de scène une étrange dame brune puis blonde. L’image pourrait paraître idyllique, mais le purgatoire est aussi pavé de mauvaises intentions…
Les danseurs sont aussi guitaristes. Pour quoi ? Pour faire corps avec l’instrument ? Sauf que la guitare l’encercle. Elle danserait presque à sa place et l’ensemble patine sur ce sol si bien lustré. On quitte le purgatoire pour s’approcher tout doucement vers une danse «spectaculaire» dont le propos m’échappe. « POPOPERA » ne stimule en aucun cas mon intelligence : au mieux, elle l’endort par une esthétique irréprochable ; au pire, elle l’empêche de se déployer par une chorégraphie qui ne connaît que la diagonale sur scène et répète inlassablement les mêmes mouvements collectifs.
Le Festival d’Avignon a toujours positionné la danse comme un art porteur de sens, qui préfigure bien souvent l’évolution scénographique à venir dans le théâtre.
Cette année, elle ne précède plus.
Faute de nous éclairer, elle court après la mode.Pascal Bély – www.festivalier.net

“(purgatorio) POPOPERA” d’Emio Greco et Pieter C.Scholten a été joué le 20 juillet 2008 dans le cadre du Festival d’Avignon

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

L’imposture Superamas.

Le collectif Franco-Viennois Superamas salue de loin le public et balance une vidéo comme générique final d’«Empire (Art et Politics)“. Les spectateurs bougent à peine, passifs. Il ne manque plus que les popcorns ou la part de pizza, c’est selon les goûts, pour se croire devant la télévision. Vision terrible d’une absence totale de réactivité face à une proposition présentée comme subversive alors qu’elle n’est qu’un enfilage de fausses perles disponibles au rayon bobo du BHV. Il me revient d’expliquer cette métaphore, seul refuge pour le blogueur de donner un peu de sens à sa posture de spectateur engagé, afin de dénoncer cette vision misérabiliste du théâtre.
L’idée de départ est séduisante et répond à un besoin de politique dans le spectacle vivant : comment se fabrique et se propage un empire? En reconstituant une bataille Napoléonienne (celle d’Aspern qui fit 40 000 morts pour rien, Français et Autrichiens revendiquant chacun la victoire) comme un vulgaire son et lumière, Superamas joue déjà avec les limites : ce n’est qu’un tournage de film. Je suis soulagé face à tant de médiocrité théâtrale. Les professionnels du cinéma apprécieront !
Mais ce n’est pas tout…L’ensemble des comédiens (dont le producteur de Superamas) est invité à fêter la fin du tournage chez l’ambassadeur de France (genre publicité pour les chocolats Ferrero Roche d’or). Les dialogues volent bas : nous sommes au coeur de la Sarkozie ! Le milieu culturel n’est pas épargné, de même que les professionnels de l’humanitaire. On sourit, mais la piètre qualité artistique du projet laisse perplexe. Pour en rajouter dans la subversivité, on nous impose un (long) film sur une expédition de Superamas en Afghanistan afin de rencontrer une cinéaste iranienne immergée dans la guerre.
On finit donc par se perdre dans ce dédale même si l’on comprend l’intention : la société du divertissement, alliée aux humanitaires médiatiques et aux professionnels de la culture asservis au pouvoir politique,  créée un empire d’une violence inouïe, générateur de guerres et de génocides. Soit. On peut adhérer au propos. Mais cela suffit-il à faire une oeuvre de théâtre ? Les moyens dont semblent disposer Superamas, la faiblesse esthétique de leur proposition, les positionnent au c?ur de cet empire. Il se dégage de l’ensemble une suffisance d’une gauche bien pensante. Pris à leur propre piège, il ne leur reste plus qu’à s’éclipser  une fois les lumières allumées pour éviter d’affronter un public de théâtre. Cette position obscène devrait suffire pour que le Festival d’Avignon cesse cette gabegie. Présents déjà l’an dernier avec « Big 3rd épisode » Superamas avait refroidi le public.
Guy, auteur du blog «
Un soir ou un autre » écrivait alors pour commenter mon article :
« Imiter ne suffit pas pour dépasser la sottise du modèle, manque la distance et autre chose de plus indéfinissable »
Superamas ne connaît que ce qui est défini. C’est leur façon de prendre le pouvoir sur le public et d’écraser l’utopie.
L’empire Superamas vacillerait-il ?

Pascal Bély
www.festivalier.net

“Empire (Art et politics)” de Superamas a été joué le 20 juillet 2008 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

François Tanguy me largue en rase campagne.

À peine arrivé au Lycée Mistral d’Avignon, une jeune femme nous tend un épais journal de publi-reportages vantant la programmation du Centre National d’AngersFrançois Tanguy et son Théâtre du Radeau sont en résidence.
Gaspillage.
Plus tard, la bible de « Ricercar » inclut un texte de 25 pages sur dont je ne comprends rien. Pas grave. C’est de la poésie.
L’écrit n’est pas mon fort aujourd’hui, mais le théâtre devrait faire son oeuvre.
Avant même que débute le spectacle, mon voisin (et lecteur du Tadorne !) me fait remarquer que la scène a autant de profondeur que la longueur des gradins. « J’aime quand spectateurs et acteurs sont sur le même pied d’égalité ». Pas si sûr que cela soit vrai ce soir…
A l’issue des dix premières minutes, cette profondeur finit par m’engloutir. Noyé dans cette mise en scène où l’on voit défiler des corps vêtus de vieux habits et de longues robes, des chaises sur des tables, où glissent de longs panneaux du décor pour créer du mouvement. Le langage des comédiens est poétique, déstructuré et le plus souvent murmuré en Français, en allemand, voire même en italien. Car la musique sature l’espace et mes oreilles, alors que l’on balance un extrait de Beethoven, de Rigoletto et d’autres airs inconnus. Plus les personnages s’animent, plus je plonge dans un rêve éveillé, pendant que mon voisin somnole gentiment. Mon corps s’alourdit et je comprends vite que ce théâtre n’est pas fait pour moi. François Tanguy le confirme quand il déclare dans la bible du spectacle vouloir “chercher les fréquences propices aux circulations des résonances, rappelant de la pointe extrême du présent aux gestes peints dans les grottes, les plis et les ressorts de l’en commun des sens“. :( :( :(  ? ? ? « Ricercar » est donc un théâtre “fondamental”, comme me le rappelle dans la file d’attente une spectatrice avisée. Pour filer la métaphore, nous serions plus proche d’une recherche sur la physique des particules que d’une découverte transférable dans le quotidien.
À la sortie, je m’approche d’une spectatrice pour échanger avec elle sur ses ressentis. Elle se prête gentiment au dialogue. Elle n’a rien compris, mais s’est laissé porter par la poésie de l’ensemble.
Puis d’un air compatissant, me lance : « mais je ne peux rien faire de plus pour vous ».
Je suis définitivement largué.

Pascal Bély
www.festivalier.net

“Ricercar” de François Tanguy et le Théâtre du Radeau  a été joué le 21 juillet 2008 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival Off d’Avignon, les soeurs schizophrènes et sulfureuses de l’île Piot.

Le tractage incessant auquel le promeneur est confronté au coeur du centre-ville d’Avignon relève quelquefois du matraquage. Soudain, on y fait des rencontres avec des professionnels qui prennent le temps de vous parler du spectacle qu’ils défendent. Les paroles de la chargée de diffusion de la Compagnie d’Elles pour la pièce «Lames soeurs» m’ont convaincu de quitter l’intra-muros pour l’île Piot, un jour venteux, où la Région Midi-Pyrénées fait son cirque.
L’origine de « Lames soeurs » est le double meurtre des soeurs Papin qui a défrayé la chronique des années trente. Louise et Léa, au service des Lancellin, assassinèrent sauvagement Madame et Mademoiselle. Jean Genet en a fait ses Bonnes et nombreux réalisateurs s’emparèrent de ce fait divers (notamment, le merveilleux “Les Blessures assassines” pour lequel Sylvie Testud fut récompensée).
Avec le poids de cet héritage, Yaëlle Antoine en fait sa réécriture. Elle compose les portraits de Louise et Léa, les fameuses soeurs Papin, et dévoile celui de Madame. Trois fils coupent la scène. Ils représentent trois univers, les trois vies de nos protagonistes.
Lames soeurs” est avant tout une histoire de femmes, celle des soeurs incestueuses qui vont jusqu’au meurtre pour se libérer des regards moralisateurs et vivre pleinement leur amour. C’est l’histoire de la folie de Louise, qu’interprètent Yaëlle Antoine et son double, qui l’emprisonne et la manipule. Celle de Léa, objet de désir sexuel aux yeux de sa soeur. Puis, il y a Madame, perverse à souhait, jouissant d’une autorité certaine. L’univers sulfureux du récit transpire dans la relation qu’entretiennent ces trois femmes.
Les s?urs Papin et Madame dénoncent notre perversion. Qu’elle soit familiale (les récents faits d’actualité démontrent tout ce qui peut se faire en la matière) ou sociétale (l’abus de pouvoir de l’employeur, le harcèlement moral, les suicides chez Renault), la perversion abîme l’être humain qu’elle soit subie ou animée.
Le texte sert de décompte à ce jeu. Rythmant les tâches de ces bonnes, les paroles égrènent le temps qu’il reste à vivre, installe le malaise naissant pour l’ancrer dans le temps présent. Il devient étouffant tout comme certaines relations humaines oppressantes.
Le vent soufflant sous ce chapiteau, accessoire météorologique non désiré, profite à merveille le propos et invite l’âme des soeurs Papin à découvrir ce que l’on peut encore dire d’elles.
Laurent Bourbousson
www.festivalier.net
 « Lames soeurs» de Yaëlle Antoine, mise en scène de Paola Rizzamis. Jusqu’au 30 juillet sur l’île Piot à 11h00.Relâches les jeudis 17 et 24.

Crédit photo: “Joa”
Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON LE THEATRE BELGE! PAS CONTENT

Le théâtre sans objet de Benjamin Verdonck…

Trois jours après la première, la presse n’a pour l’instant rien écrit sur «Wewillliverstorm» du Belge Benjamin Verdonck. Serait-elle en panne d’écriture, d’inspiration ? Désintéressée ? Pour le blogueur, cette création aurait pu inspirer (à chacun son « je »).
Aurait pu…
Pour Benjamin Verdonck, les objets ont une âme comme le démontrait déjà son exposition au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles en mai dernier. Elle avait laissé bon nombre de spectateurs circonspects. Au Festival d’Avignon, c’est sur scène qu’il nous invite à entrer dans un univers d’adolescent un peu attardé, sous l’oeil dubitatif de son vrai père, tandis qu’un musicien tire les cordes d’instruments pour le moins étranges. Avec «Wewillliverstorm », bienvenue en Verdonckie.
Je suis resté à la porte. J’ai bien tenté de regarder par le trou de la serrure : je n’ai vu que des objets manipulés par des ficelles où l’on passe de l’un à l’autre sans comprendre ce qui les relie à part le fétichisme de Verdonck et sa maîtrise d’un espace très personnel. En écoutant à la porte, je n’ai entendu qu’un son étiré de la scène au fond de l’église.
En forçant un peu la poignée pour entrevoir, j’ai observé la relation père-fils. Elle ne manque pourtant pas d’intérêt. Observateur la plupart du temps, il est transformé avec détermination par son fils, en objet statufié bancal. Je m’interroge encore sur l’espace choisi pour métaphoriser leur filiation. Benjamin se questionne à l’égard de son père. Soit…
«Wewillliverstorm » est un espace de résonances pour Benjamin. Pour être resté si loin, il devait l’être également pour moi…

Malgré tout, dans la « bible » distribuée à l’entrée, Benjamin Verdonck ne dit rien de tout cela et semble nous prendre de haut quand il écrit :
« C’est un spectacle sans paroles
mon père et moi, nous sommes debout en scène
mon ami le musicien est assis sur le côté
il y a beaucoup de bricolages qui bougent avec des ficelles
nous ne parlons pas
il n’y a pas d’histoire non plus
c’est joli à regarder
»
Même pas.Pascal Bély
www.festivalier.net
“Wewilllivestorm” de Benjamin Verdonck  a été joué le 20 juillet 2008 dans le cadre du Festival d’Avignon.Un extrait vidéo ici.

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE Vidéos

Avec Philippe Quesne, autant être cool comme un dragon.

Inutile de s’énerver.
Inutile.
Cela ne sert à rien.
Autant rester cool et zen après le naufrage de ce week-end où le Tadorne a perdu sa plume après tant de propositions frôlant l’imposture (Superamas), l’inutile (Emio Greco) et l’enfermement (Benjamin Verdonck, le Théâtre du Radeau).
Cool, zen.
On en remercierait presque Philippe Quesne et sa «Mélancolie des dragons» de nous proposer un spectacle aussi inutile, vain, mais tellement cool.
Alors que le mistral se déchaîne dans le Cloître des Célestins provoquant un bruit infernal (l’enfer est très tendance cette année à Avignon), ils sont sept hommes des cavernes à s’extraire d’une Ax Citroën en panne, au beau milieu d’un paysage enneigé. Le chien, Hermès, sort tranquillement tandis que l’autoradio passe subitement d’AC/DC à la musique du moyen-âge. Isabelle, arrive sur son vélo et propose de les aider. Elle finit dans le moteur et diagnostique un changement de delco. Vive les femmes…
Alors qu’il faut attendre une semaine pour réparer la voiture, nos compagnons d’infortune vont présenter à Isabelle leur prochain spectacle, embryon d’exposition d’art contemporain itinérant, inclut dans un parc d’attraction (dont ils n’ont pas encore trouvé le nom…) où l’air, l’eau, le feu, les bulles de savon et la nature forment une oeuvre globale. Isabelle en a donc la primeur : une générale individuelle en quelque sorte.
Cool, zen.
C’est incroyablement ridicule. Je souris, car c’est poétique («on est finalement tous des artistes en devenir »). Je m’inquiète souvent (« ils n’ont trouvé que cette idée pour démontrer l’absence de propos et de créativité des artistes français en ces temps troublés … »). Je m’endors parfois («respire, détends-toi, tu es au 62e festival d’Avignon»).
Cool, zen.

Et puis…cela commence à bien faire. Où sont Jan Fabre (édition 2005), Olivier DuboisChristophe Haleb ? Que le mistral emporte ces ballons de pacotilles et qu’on dépêche illico le régisseur pour acheter en urgence un delco pour Ax année 90 chez un concessionnaire d’Avignon. Qu’ils libèrent enfin le plateau!
Cool, zen.
J’ai presque envie de pleurer. Je pense à Pippo Delbono. Je me sens mélancolique
Cool, zen.
Mais ils sont si fragiles sur ce plateau. Ils parlent si doucement. Ils ont l’air si improductif dans un pays où le slogan «travailler plus pour gagner plus » va finir par orner les façades des écoles, des théâtres et des entreprises. Ils sont incroyables dans leur processus de création à s’appuyer sur tant d’immatérialité pour nous offrir, là, rien que pour nous, une oeuvre d’art contemporain . Et je comprends qu’il faut se laisser porter, sans chercher le sens caché si ce n’est celui d’une émotion tant contenue depuis deux jours. Ces ballons gonflés emportés par le mistral dans ce paysage enneigé ne sont-ils pas une réponse construite à l’envahissement des jolies formes dans le spectacle vivant (Roméo Castellucci serait-il un peu visé ?)
Cool, zen.
J’applaudis à peine presque plus intéressé par les réactions du public : enthousiasme, circonspection, indifférence polie….
A la sortie, j’entame le débat avec quelques spectateurs. Un jeune homme accompagne Laura (il était peut-être caché dans la malle de l’AX). Il me regarde attentivement, tout en souriant, me dépatouiller avec mes explications un peu fumeuses.
Il me regarde.
Cool, zen.
En les quittant, je chante dans la rue.
Prêt à m’envoler comme un ballon dégonflé.Pascal Bély

"La mélancolie des dragons" de Philippe Quesne a été joué le 20juillet 2008 dans le cadre du Festival d'Avignon.
Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Xavier Gallais étouffe d’amour.

Entre la chaleur et les orages, le spectateur se fraie un chemin sinueux dans le programme du off et essaie de repérer « la perle rare », approchée avec « Les nuits blanches » de Dostoïevski, mise en scène par Xavier Gallais (apprécié dans «Ordet » d’Arthur Nauzyciel)  et Florient Azoulay.

« Ils existent des auteurs et des textes qui vous poursuivent » se plaît-il à dire. Avec «Les Nuits Blanches », Xavier Gallais signe ici une mise en scène épurée. Pas besoin d’effets vidéos et autres artifices lorsque la scénographie de Daniel Gallais épouse parfaitement la dramaturgie. Et ce pour notre bien d’autant plus que «Les nuits blanches» nous parle d’amour, ce sentiment si complexe alors qu’il est souvent réduit par notre société de consommation globalisée.

Deux âmes en peine apprennent tout l’un de l’autre en l’espace d’une de ces fameuses nuits, durant lesquelles le soleil ne s’éclipse que l’espace d’un court instant. Ils se livrent à nous, sans retenue, pour nous démontrer la puissance du sentiment amoureux. Xavier Gallais campe ce jeune homme un peu gauche, où la présence de Nastenka éveille le désir. De son côté, elle attend le retour d’un être aimé, parti pour son service militaire, mais revenu depuis peu.
Ils débattent de leurs états d’âme pour nous souffler dans le creux de l’oreille leur envie mutuelle de faire vie commune, pour ne pas se retrouver seul dans ce Saint-Pétersbourg de 1848. Cette rencontre sur les bords de la Neva dégage une sensation de rêve, comme si Nastenka se donnait elle-même la réplique par les traits de Xavier Gallais pour combattre cette attente qui s’étire.
Éclairés par une lumière crue, comme celle de ces fameuses nuits blanches, Tamara Krcunovi et Xavier Gallais donnent corps à ce texte, tout naturellement, comme habités par l’écriture de Dostoïevski. L’échange gagne en profondeur au fur et à mesure de la joute littéraire. Ici, il n’est pas question d’un théâtre visuel, mais de texte. Un théâtre de sentiment que l’on aime à partager.
Certes, le langage convenu de ces deux âmes appartient à un autre temps. Une époque où se tenir la main était le mot d’amour, un geste au delà du baiser.

Je ne peux m’empêcher d’imaginer deux jeunes gens d’aujourd’hui échanger tel propos.
« Tu sais que je te kiffe ? »
« Ah ouais, mais je suis déjà maquée »,
Un peu moins romantique…Quoique.

Laurent Bourbousson
www.festivalier.net

« Les nuits blanches» de Dostoïevski mis en scène par Xavier Gallais et Florient Azoulay . Au Théâtre des Béliers d’Avignon jusqu’au 2 août 2008.