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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON

Notre Festival d’Avignon.

Avant de débuter le Festival d’Avignon, je leur ai demandé un texte (pourquoi y allez-vous comme spectateur Tadorne ?).  Leur décision de s’engager avec moi, de rejoindre Laurent Bourbousson dans cette aventure, est un acte à la fois « politique » et «poétique». Je savais qu’ils me répondraient de leurs plumes délicates et engagées. Et j’ai osé croiser leurs textes pour un dialogue imaginaire. Parce qu’en Avignon, l’imagination peut prendre le pouvoir.

Bienvenue à Bernard Gaurier et Francis Braun (texte en italique)

Pascal Bély-www.festivalier.net

Retrouver d’autres Tadornes, cette migration est l’occasion de se voir en chair et en  paroles autour d’une de nos passions.

Y voir le voyage, embarqués que nous sommes, sur les gradins du Théâtre….

Armés de nos petites boîtes à écriture, essayer de porter nos regards et nos émotions à la rencontre d’autres spectateurs migrateurs. S’immerger l’espace de quelques semaines dans un ailleurs où la création sera notre horizon de vue et de pensée. 

Trouver le pourquoi de sa  propre curiosité. Nous regarder à travers le théâtre ? Transfer ? Identification ? On est rassuré ou effrayé par ce qui nous est donné à voir.

“L’âme, aussi, si elle veut se reconnaître, devra regarder une âme” …Platon. 

Se prêter à recevoir la lecture des mondes que les artistes ont mis en vie au fil de leur travail et leurs images, essayer d’en porter un sens relié au vivant quotidien ; qu’il soit du champ politique ou poétique.

Ne pas y voir que de la politique, que du social, que de la théorie. Tout cela néanmoins est important. Il ne faut pas l’occulter. Dans un spectacle y voir la part de création,  voir l’hypothétique filiation, y voir son référencement, y chercher l’allusion, mais aussi discerner son détachement, son “hors les normes », faire  éclore sa  nouveauté…il faut bien avoir des parents.

S’appuyer sur l’artiste pour élaborer du lien entre le réel et l’imaginaire.

Y voir les allusions, les clins d’oeil, replacer la pièce dans l’histoire du Théâtre, dans l’histoire du Festival. Fils de qui, père de qui….Voir pourquoi le succès, y voir les raisons de l’échec. Comprendre le choix des protagonistes.

Le choix du metteur en scène, le choix des comédiens, le choix du spectateur, pourquoi cette pièce et pas une autre?

Peut-être aussi tisser, par la parole et l’écriture, la toile qui témoigne de la place essentielle de la création vivante dans une démocratie, de la nécessité de l’échange et du débat comme ouverture, déplacement et source de vitalité. Re-rêver quelques jours avant à un vent de liberté qui porterait le souffle de spectateurs engagés qui sortent  de leur place de consommateurs pour se faire acteurs de ce qu’ils reçoivent.

Découvrir  dans le théâtre l’universalité. Y voir ce que l’on cherchait en y allant, y voir ce qui nous a surpris, analyser ce à quoi nous ne nous attendions pas. Nous surprendre voilà.

Espérer des colères, des coups de coeur, des coups de foudre, des frissons, des découvertes?  qui s’ouvrent  au consensuel  ou à la polémique. Retrouver des espaces où la relation est possible, où l’échange, le partage et la rencontre sont maîtres mots.

Être à la fois, surpris, dérangé, déstabilisé, inquiet, déboussolé au sens propre du terme….ne plus avoir de lieu, ne plus savoir, n’avoir plus de référence. Avoir de nouveaux repères. Ou avoir ses  propres références et être déstabilisé au point tel que nous doutons de tout.

L’Image du Théâtre….Pourquoi l’image du Théâtre tellement sectorisée…Essayer de percevoir les raisons de la peur qu’engendre le Théâtre. Le Clivage. Pourquoi “Au Théâtre ce soir”…..pourquoi des pièces “de  boulevard”.

Pourquoi plus de Laure Adler. Pourquoi Guillaume Galliène … (ceci sans aucun esprit critique…juste savoir pourquoi plus de …au lieu de L.A. ET G.G)

Éprouver la force des convictions et la vivacité des potentiels créatifs, l’ouverture à de l’autre comme source multiple d’émotions et d’acquisitions de nouveaux savoirs en mouvement.

Au théâtre, la communion entre les gens ; au festival d’Avignon, les gens se parlent si facilement

Les Images restent gravées dans la tête, donc le Théâtre est fédérateur. Le blog en est l’exemple frappant.

Et que, de tout cela, quelque chose puisse se mettre en chemin pour un demain partage.

Je veux  y ajouter un peu d’humain, un peu de “à fleur de peau…dans ce monde de brutes”…Y voir de la poésie, de l’épidermique, du senti…

Y voir le voyage,  embarqués que nous sommes sur des gradins.

Bernard Gaurier – Francis Braun – www.festivalier.net

 

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FESTIVAL D'AVIGNON

Pina Bausch et sa Cour d’Honneur des spectateurs d’Avignon.

 

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Nuit, le jour ne s'est pas encore levé. 12 juin, une heure du matin,presque le silence dans les rues d'Avignon, mais on entend quelques voix de noctambules?Dans quelques heures, le Festival ouvre sa billetterie aux habitants d'Avignon.

La ruelle de l'Hotel du Cloître Saint-Louis est éclairée par quelques lampadaires et de loin, on devine dans une pénombre humide quelques silhouettes  debout, d'autres  assises, il y a même quelqu'un couché sous une couverture écossaise. Certains  parlent à voix basse pour ne pas réveiller les locataires et les résidents de l'hôtel, d'autres s'assoupissent?Le temps pour eux ne semblera pas trop pénible.

La fin de la nuit va être longue, mais nous sommes tous là pour le plaisir et « parce que nous le voulons bien ». Animés par la passion du Théâtre depuis plus de 10 ans, ce samedi de juin devient un rituel.

Nous sommes là pour la grande messe : salut Vilar, salut la Cour d'Honneur, salut Faivre d'Arcier, salut Crombecque, salut les actuels dirigeants, salut Pina, salut tous ces moments inoubliables, salut Flower, salut « Dans les eaux glacées du calcul égoïste“, salut “Venise sauvée des eaux“, salut Jean Pierre Bisson, salut Jean-Marie Willing, salut Ariel Garcia Valdès,  salut tous ces fantômes, salut les salles inconfortables, salut la chaleur, salut l'étouffement, salut les sous-titres, salut les files d'attente,  salut les applaudissements, salut l'ennui, bonjour la découverte, salut les textes, salut les comédiens, standing ovation pour l'inconnu 2010 ou les houlalala d'une mauvaise représentation, salut ces quelques jours de juillet, salut l'éblouissement, salut , on attend?

Nous sommes tous là dans l'expectative. À la fois heureux, optimistes, réjouis, mais néanmoins inquiets. Tous un peu brumeux dans nos têtes, mais toujours fidèles,  nous nous saluons, prenons de nos nouvelles (« ah bonjour, déjà un an, cela fait plaisir de vous voir, et la dame, petite frisée, elle n'est pas là, oh je vois là-bas la dame qui vient toujours à la pointe du jour?.Et le monsieur avec la barbe, et tiens on a changé de meneur de revue ? »)

J'entends la personne bénévole qui s'occupe de noter scrupuleusement les noms des gens par ordre d'arrivée. Nous sommes tous là, comme sur le plateau de la Cour d'honneur, spectateurs soudain devenus comédiens d'un jour, jouant notre propre rôle pour une pièce dont nous pouvons être les jouets.

Il y N?, belle femme aux cheveux gris, qui se ballade avec des dossiers  très lourds, des chemises et des comptes-rendus. Elle vient tous les ans et cette fois-ci, arrivée à minuit, elle est 4ème dans la file d'attente. Elle n'a pas dormi et ne cesse de parler. Son enthousiasme nous fait un bien terrible. Elle a vu tellement de choses, tellement de spectacles. Elle assiste à toutes les conférences, écoute tous les débats, c'est sa cure d'Avignon, Contrexéville de la culture, sa cure de Jouvence, sa source Hépar de bonheur. Elle se souvient de tout et même si on somnole un peu, elle continue à nous bercer de ses souvenirs?.On lui demande néanmoins de se taire un peu?.

N?.la parlote facile, le débit du souvenir?.Elle ne veut jamais aller aux premières, elle déteste Duras, elle a une passion pour Warlikovsky, n'aime pas les Deschiens et leur critique facile?..Elle nous parle de « Cocaïne » avec un souvenir ému, mais fatiguée, elle se prépare pour son propre marathon. Elle veut des places, échange des idées, veut absolument obtenir un tarif réduit, elle a raison, elle va prendre des réservations pour quelqu'un. Elle aura ainsi le quota souhaité?.25 places minimum et ce sera moins cher. C'est toujours trop cher, mais nous sommes obligés de comprendre la situation.

M?. elle reste discrète. Elle est lovée dans ses écharpes ?doudous, elle a amené son Thé-Biscuits sans beurre, elle est porcelaine à franges, elle a du mal à se réveiller, mais elle semble heureuse. Pour elle, c'est le moment de quitter son Ipod, ses oreilles de fortune qui sont l'écho de France-Culture. Elle va enfin assister, elle va se délecter, elle va être contente. Il ya un an qu'elle attend. Elle a ses idées, n'en démord pas, elle veut ne pas perdre de temps, et refuse certains spectacles. Elle ne s’attend pas à des miracles, mais elle sait garder le sourire.

Il a la petite dame frisée- 70 ans -cheveux blonds, tellement guillerette, sourire aux lèvres, pétillante qui ne prend jamais de place pour elle mais pour ses amis. « Cette année, me dit-elle, je vais quand même aller à la Cour d'Honneur?pour une fois, je vais me faire plaisir ! ». Entre parenthèses, c'est comme si la Cour était gage d'excellence et de qualité?

Soudain?..une dame avec sa couverture de laine écossaise fait les cent pas?elle est âgée, avec des lunettes et un fichu pour se protéger de l'humidité. Elle ne cesse de faire des allers-retours. À pas comptés, tête baissée, comme dans un marathon?

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C'est là qu'une idée me traverse l'esprit?.ET SI ELLE MARCHAIT  ainsi  DE LONG EN LARGE  sur le Plateau de la Scène de la Cour d'honneur?Voilà, c'est ça, je vois tout. C'est enfantin. Le spectacle est presque fait. Ne manque que les paroles. Le son est là?et, à vrai dire faut-il des mots pour sous-titrer ce que nous vivons à l'instant présent.

C'est là encore que je vois Pina Bausch qui apparaît dans un songe et nous devenons alors en une seconde, sa troupe, ses comédiens. La dame fait ses allers-retours, les autres prennent leur petit-déjeuner, les autres somnolent, râlent et discutent?Tout est LA .

En ce lieu, en ce temps, à cette heure, avec eux?Il y a tout pour faire un spectacle.

Chaque personne  sera LE COMEDIEN Il ne faut pas les habiller, il faut les laisser tels qu'ils sont.

Ils sont EXCACTEMENT comme on les aurait souhaités.

Il y a cet homme, sur son tabouret, cette femme sous un ?linceul de laine tricotée, il y a ces gens qui font un pique-nique, thermos, biscuits, assiettes et leur chien qui mange les miettes.

Monsieur barbe blanche nous évoque un souvenir de Télérama, une dame n'arrête pas de râler contre le directeur de la liste des noms, l'autre l'engueule lui disant qu'il faut savoir apprécier de tels moments, qu'il faut positiver?

Il y a ce mec qui va acheter des croissants pour tout le monde, l'autre qui veut aller faire pipi?Il y a ceux qui arrivent trop tard, déçus d'être le 80ème, ceux qui sont étonnés, ceux inquiets?
Tout le monde se joint, s'agglutine, commence à parler fort. Les éboueurs aussi sont là, le vacarme de leur voiture, des volets qui s'ouvrent, pas de musique, mais quelques oiseaux se réveillent.

Tout est là et rien ne manque à ce décor.

L'Hotel devient le Mur du Palais, le chien des pique-niqueurs est le Berger allemand de Pina, la dame à la couverture est Godot?.C'est formidable, tout a l'air fabriqué, et malgré tout, tout est vrai. Mais, tous, autant que nous sommes, restons à la merci d'un homme, un seul homme qui règne  sur nous comme un despote?En maître de cérémonie, il prend notre nom, nous regarde avec circonspection et nous inscrit sur une feuille blanche ?LA FAMEUSE LISTE d'ATTENTE.

D'un ton autoritaire, il nous oblige à rester sur place et nous  interdit de quitter les lieux avant 7 heures du matin sous peine d'être rayé, effacé, supprimé de la liste, annihilant ainsi tous nos efforts.?.

Nous devons attendre, attendre, attendre jusqu'à l'heure fatidique où Le Cloître Saint-Louis ouvrira ses portes et nous donnera le sésame si convoité : ce numéro dans la file d'attente qui nous permettra d'accéder aux ordinateurs-donneurs de billets.

Ainsi, munis du notre numéro (on se croirait a la sécurité sociale) nous pouvons enfin quitter ce lieu magnifique à la condition d'y revenir à 9 heures précises, heure qui sonne le début de la délivrance.

À neuf heures, nous voilà tous à nouveau réunis.

Nous attendons, fébriles, l'allocution de la directrice de la billetterie.  Un accueil très chaleureux. Un a un, nous rentrons dans la salle des ordinateurs?Chacun se trouve dans « sa bulle »?..et ressort avec parfois des liasses de billets impressionnantes. Avec le jour qui s'est levé,  revient très vite la réalité.

La lumière du jour fait tomber le décor. Nous sommes bien au Cloître Saint-Louis, Pina a disparu, les gens partent, chacun de leur côté?Nous avons quitté les Comédiens d'un matin,  nous avons repris nos habits de tous les jours. Nos yeux sont fatigués, mais  les gens sont heureux?..ils on ENFIN en main, les portes du Théâtre.

Il faut attendre maintenant quelques semaines pour entendre les trompettes de Maurice Jarre, on ne verra pas Pina, mais?

L'année prochaine, même lieu, même heure si vous le voulez bien.

Francis Braun – www.festivalier.net

 

 

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La 64ème édition du Festival d’Avignon : danse, andouillette, et tragédies.

Le Festival d’Avignon a donc fait sa conférence de presse pour présenter la 64ème édition. L’exercice ressemble à une réunion d’un “Politburo” d’autant plus qu’aucune question de la presse ne vient perturber ce savant équilibre de prise de parole, jusqu’à s’interroger sur la présence de journalistes dans la salle.

Avec plus de 50% d’abstention aux dernières élections régionales, les politiques présents sur l’estrade n’étaient pas à la fête. Ni la Maire d’Avignon, ni les élus à la culture du Conseil Général et du Conseil Régional, n’ont donné une vision sur la place du spectacle vivant dans l’économie de la connaissance. Ces trois magnifiques joailliers ont enfilé tant de perles jusqu’à immobiliser le public  médusé. Statufiés, rigidifiés, ils n’ont à aucun moment touché. Le vide s’est alors installé comme si notre démocratie était momifiée, prise dans le formol de logiques verticales descendantes où plus rien ne remonte. Terrifiant. Ils en appelent donc aux artistes pour leur donner une direction pour construire l’avenir ! Après avoir fragilisé bon nombre de créateurs, le politique se ressent si précaire qu’il ne pense plus.  Il a fallu toute la finesse d’Hortense Archambault, co-directrice du Festival, pour créer une émotion dans la salle : un beau discours, engagé (où elle évoque la détresse des professionnels de la culture) tout en rappelant fort justement la fonction du spectacle vivant en ces temps troublés. Libérée, traversée par une vision, elle a avec élégance passée la parole à l’un des deux artistes associés, le Suisse Christof Marthaler. Avec gourmandise, il a rappelé le plaisir de partager cette fonction (« associé » «  ascenseur », « assassin ») avec l’écrivain français Olivier Cadiot jusqu’à faire l’éloge de « l’andouillette ». Façon humoristique de signifier aux politiques qu’il n’est qu’un artiste, pas un théoricien. Olivier Cadiot a précisé fort justement qu’il n’était pas programmateur, mais qu’Hortense Archambault et Vincent Baudriller s’étaient immergés dans leurs imaginaires respectifs pour créer cette édition. Je conseille vivement à la Maire d’Avignon (Marie-José Roig) et à Michel Tamisier (Conseiller Général) de rejoindre les spectateurs cet été pour puiser les ressorts de leur politique qui feront (peut-être) reculer durablement le Front National dans ce département où il bat des records.

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Qu’y trouveront-ils ? De la danse, beaucoup. Alors que Montpellier Danse tire sa révérence pour sa 30ème édition en regardant le passé, Avignon reprend le flambeau pour nous offrir un plateau rêvé : Alain Platel, Joseph Nadj, Anne Teresa de Keersmaeker, Pierre Rigal, Cindy Van Acker, Boris Charmatz (il sera l’artiste associé en 2011), Zimmermann et de Perrot. Certes, il n’y a aucune prise de risque, mais c’est la place prise par la danse qui me paraît significative. Pour le reste de la programmation, notons une tendance lourde à nous proposer des formes mineures dont on doute de la puissance visionnaire : Massimo Furlan qui revisite le concours de l’Eurovision de la chanson de 1973, Jean Lambert-Wild et sa chèvre de Monsieur Seguin dont elle ne ressortira pas vivante, Stanislas Nordey qui fera du Stanislas Nordey (qu’avons-nous fait pour mériter un tel acharnement ?), Gisèle Vienne qui risque une fois de plus de nous perdre dans sa pensée sinueuse et torturée. Mais le clou reste la « concession » faîte à la Maire UMP d’Avignon : l’organisation d’un grand bal populaire pour le 14 juillet confié à Rodolphe Burger ! Le pur divertissement s’invite dans la programmation pour calmer « ceux qui veulent changer le monde » ! Décourageant malgré tout le talent de Rodolphe Burger…

Pour le reste, j’ai lu l’avant-programme, mais je n’ai pas entendu de vision. Point de « traversée », mais des voyages dans le temps où la musique accompagnera le théâtre. On ressent un savant équilibre dans cette programmation pour englober le plus grand nombre et ne laisser aucun « courant » des arts vivants au bord de la route. Ce seront les spectateurs qui créeront la dynamique. Cela pourrait vous paraître une évidence, mais c’est bien la première fois que je ne sens pas de chemin tout tracé. J’ignore si nous puiserons dans cette édition une vision, mais les contrastes dans les propositions nous permettront peut-être de questionner notre lien à la culture pour ouvrir tous les « Politburo » qui plombent nos imaginaires et créent la déprime collective.

Pascal Bély– www.festivalier.net

Toute la programmation du festival est ici.

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Festival d’Avignon. ET après ?

Le Festival d'Avignon est un espace de rencontre où l'on échange sur le théâtre sans techniques d'approches ! Lors de la représentation de « Ciels » de Wajdi Mouawad, j'ai osé interpeller Martine Aubry sur la défaite des socialistes aux élections municipales partielles d'Aix en Provence (je passe sous silence sa réponse?sidérante) ? Le même soir, j'ai questionné Leïla Chaid, représentante de la Palestine à Bruxelles, sur les raisons de son absence dans les médias français. Décidement, la file d'attente abat bien des hiérarchies.

Il en va tout autrement de deux lieux pensés pour le spectateur par le festival et ses partenaires. Les débats à l'Ecole d'Art organisés par le CEMEA (mouvement d'éducation populaire) ont pour finalités de créer le dialogue entre artistes et public. Ils sont trois animateurs : un sur scène, un dans l'assistance, un de côté. En général, le ton est convenu et l'on en profite parfois pour régler des comptes avec la critique (ce fut le cas avec Joël Jouanneau). C'est un jeu de questions ? réponses sans dynamique transversale entre spectateurs. Le CEMEA contrôle, même quand le chorégraphe Rachid Ouramdane regrette l'absence de jugement négatif sur « Les témoins ordinaires ». Qu'importe. Un des animateurs joue le rôle. À d'autres occasions, l'un d'eux formule un avis sur le spectacle et saisit l'opportunité pour énoncer quelques principes chers au CEMEA. Alors que je suis un spectateur plutôt « actif », ils n'ont jamais donné une visibilité à ma démarche. J'avais envisagé que ces débats ouvrent mon blog à des spectateurs. Même si j'ai retranscrit certaines rencontres (Maguy Marin, Wajdi Mouawad, Jan Fabre, Amos Gitaï), cet espace, en reproduisant l'estrade et le parterre, ne m'a pas permis de m'affranchir des barrières hiérarchiques.

ARTE avait elle aussi son lieu à l'Ecole d'Art. Des tables, des ordinateurs, des transats, une télévision et quelques spectateurs allongés ou consultant mails et sites internet. Un cybercafé en somme. Je n'ai fait qu'y passer une tête pour constater le désert et la froideur de l'espace. Paradoxalement, c'est sur Twitter que j'ai pu dialoguer avec les professionnels d'Arte. Comment et avec qui questionner la pertinence de ce lieu ?

Finalement, ces espaces hiérarchisés sont en décalage avec les formes artistiques actuelles. Alors que metteurs en scène et programmateurs encouragent l'émancipation du spectateur, évoquent les traversées (en référence au transversal), les institutions contrôlent l'interaction verticale avec le public. Mais peuvent-elles faire autrement ? Est-ce leur mission de créer l'espace démocratique? Pourquoi ces débats ne sont-ils pas organisés par les spectateurs eux-mêmes, promus par le Festival et financés par des partenaires publics et privés plutôt que cette uniformité qui ne permet plus d'entendre la diversité des points de vue et nous enferme dans le lien « producteur-consommateur » ?

De mon côté, j'ai donc privilégié l'informel pour opérer des rencontres. En arborant un t-shirt siglé « Tadorne www.festivalier.net », j'affichais une identité singulière : spectateur mais différent ! Cette « peau » hybride a incontestablement facilité les liens. À la fin du concert « L'autre rive » de Zad Moultaka à l'Eglise de la Chartreuse, j'ai rencontré Hanane, comédienne. Elle venait à Avignon pour y rechercher du « politiquement réveillé », de « l'humanité »,  « des chemins de traverse » pour ne pas se cloisonner. Tout mon projet !

D'autres rencontres ont ponctué ce mois théâtral. Elles m'ont permis de créer des relations particulières, à l'articulation du critique et du spectateur. À la fin de certains spectacles,  j'ai souvent pris le temps d'écouter en relançant la question, tout en donnant un avis que je remettais en débat (Amos Gitai). Je me suis parfois immiscé dans une conversation de groupe pour provoquer la tension et échapper au consensus mou (Jan Fabre) ; à un autre moment, ce sont de parfaits inconnus qui attendaient le débat à la fin de « Casimir et Caroline » ou des «Inepties volantes » pour se rassurer et ne pas se sentir exclus. Avec « les témoins ordinaires » de Rachid Ouramdane, je n'ai pas hésité à questionner une rangée de jeunes spectateurs ! Ce fut aussi l'occasion de mesurer l'étonnante popularité du blog dans le milieu culturel (notamment chez certains artistes). Quelques spectateurs sont venus spontanément vers moi pour saluer ma démarche « engagée », « libre » (merci à Francis et à tous les autres !). Ce fut aussi l'opportunité de dialoguer autrement avec les professionnels de la culture : le lien s'est avéré plus souple, moins rigide que lors de nos échanges au cours de l'année.

Toutes ces rencontres m'ont permis d'appréhender certains processus du dialogue autour de l'?uvre (en finir avec le « j'aime » ou le « je n'aime pas »). La tâche n
'était pas facile. Qu'en faire aujourd'hui ? Comment poursuivre ce travail que j'avais initié lors du festival « Faits d'Hiver » en 2007 à Paris ?

Trois projets sont en préparation pour cette rentrée. Un avec la Ville d'Aubenas et Isabelle Flumian où en tant que formateur, je vais accompagner un groupe de professionnels du lien social (travailleurs sociaux, animateur de l'éducation, de la petite enfance, de la culture ?)  vers la culture afin de créer avec eux les conditions du décloisonnement pour inclure l’art dans leurs pratiques professionnelles.

Dès septembre, j'intègre l'équipe de consultants de l'entreprise Entrepart  animée par Christian et Sylvie Mayeur dont la finalité est de “mêler étroitement l’art dans ses processus de création, l’entrepreneuriat et l’attention aux territoires“. Basée à l'Isle sur Tarn, elle y installe un espace artistique, « La Coursive » (« lieu plastique d'invention à chaleur ajoutée », photo), où j'écrirais régulièrement une chronique.

Le troisième projet est avec Annette Breuil, directrice du Théâtre des Salins de Martigues où j'inaugure  fin septembre un cycle de débats avec les spectateurs.

Dans ces trois situations, mon positionnement, telle une métaphore, sera questionné: spectateur et professionnel, spectateur et critique, dedans et dehors. C'est dans ce « et » que se nicheront tous nos possibles.

Pascal Bély – www.festivalier.net

Un merci amical à Bernard qui m’a accompagné tout au long du Festival d’Avignon  pour me soutenir dans ma créativté, dans mes questionnements et ma fatigue!

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L’impossible bilan du Festival Off d’Avignon 2009.

Au total, le Tadorne a vu vingt spectacles dans le festival « Off » d'Avignon, trente dans le  « In ».

Dans le « off », chercher une ?uvre parmi les 1000 proposées demande du temps pour tisser les liens entre les structures dignes de confiance (Théâtre des Halles, La Manufacture, le Théâtre des Doms, les Hivernales, la Fabrik'Théâtre) et les metteurs en scène déjà chroniqués sur le Tadorne ou ailleurs. Petit bilan impossible.


Quand Le « off » fait  son commerce.

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Comme dans le « In » avec Christophe Honoré, Jan Lauwers, Wajdi Mouawad, et Johan Simons, une esthétique du loisir a fait rage dans le off. « Stones » de la compagnie Israélienne « Orto ?Da » en est le meilleur exemple. Six acteurs, statufiés dans de la glaise, miment pendant une heure la vie des résistants du ghetto de Varsovie. La sculpture les propulse dans l'imaginaire de notre époque à partir de références cinématographiques, publicitaires, télévisuelles et musicales. Comme dans « Casimir et Caroline » présenté au Palais des Papes, l'esthétique gomme peu à peu le propos politique. Et l'on s'interroge d'entendre le public rire avec la marionnette d'Hitler comme s'il déambulait chez Eurodisney. « Stones » est un nivellement vers le bas de l'art du mime au profit d'une forme paresseuse visant à séduire le public dont le regard est saturé d'images publicitaires.

Autre succès, « Tabu » de la Compagnie britannique « nofitstate », qui a installé son chapiteau de « cirque contemporain » sur l'Île Piot. Le public déambule debout, de scène en scène. Ici aussi, on zappe d'un imaginaire à un autre, accompagnée d'une musique d'ascenseur légèrement énervée et énervante. Les clichés se succèdent et l'on ressent vite que  le cirque est ici une foire. Commerciale ?


En 2008, cette pièce affichait complet. Idem en 2009. « Confidences à Allah », mise en scène de Gérard Gelas, est un cas d'école. La comédienne, Alice Belaïdi, joue seule un texte qui ne réserve aucune surprise : il reprend la trame des contes de fées, plaquée ici à une jeune fille pauvre en terre islamique. Les clichés abondent et la mise en scène accompagne un déluge gluant de bons sentiments. Le public est rassuré dans ses représentations et jamais bousculé ou interpellé dans ses préjugés racistes.


Quand le  « off » se fait « on ».

Si le « in » évoque peu les phénomènes de société en tant que tels, le « Off » peut nous éclairer sur leur complexité.

Avec « Chatroom », mise en scène par Sylvie de Braekeleer, nous comprenons que l'internet diffère  de l'image qu'en donnent les discours frileux de la génération 68 ! Une pièce d'adolescents pour éviter de vieillir trop vite.

« Hamelin » de Juan Mayorga, mise en scène par Christophe Sermet, surprend par sa sobriété sur le thème délicat de la pédophilie. Positionné à la fois comme spectateur et acteur, le public vit cette ?uvre comme une déstabilisation de son positionnement d'observateur passif et voyeur d'un crime en passe d'être un phénomène de société. Percutant.

« Occident » de Rémi de Vos est une très belle mise en scène par la Compagnie Corse Alibi, pour des mots qui finissent par saigner au c?ur de la crise d'un couple. La nôtre ?


Quand le « off » célèbre la danse.

Nous avions aimé Rita Cioffi à Montpellier Danse en 2007. Sa pièce « Pas de deux » présentée aux Hivernales, a fait un joli carton. L'exigence de cette chorégraphe est en soi un langage.

Au « In », Rachid Ouramdame dans « Les témoins ordinaires » a mis le son au centre de sa proposition chorégraphique. Avec son musicien Jean-Baptiste Julien, la guitare électrique danse. Aux Hivernales, la compagnie « La Vouivre » nous a offert un bel opus sur le couple (encore lui) où le son de Gabriel Fabing a fait vibrer nos cordes sensibles.

Tout comme la Compagnie Chicos Mambo qui nous a fait rire sur la danse à en pleurer. Avec les danseurs de Dave St Pierre qui ont enflammé le “In”, Pina et Merce ont dû se marrer. 

 

Quand le « off » jubile avec Isabelle Starkier.

La metteuse en scène Isabelle Starkier a illuminé le off avec pas moins de six créations ! Nous n'avons vu que « Le Bal de Kafka » et « Monsieur de Pourceaugnac » et découvert un théâtre que l'on croyait disparu : des acteurs engagés, un décor qui joue toujours entre réalité et coulisses pour y cacher nos démons, l'utilisation du masque pour accentuer la comédie-tragédie. Isabelle Starkier est une grande: elle comprend qu'en chacun de nous, il y a une part de lumière qui éclaire son théâtre aux multiples visages.

 

Quand le « Off » se fait « In ».


Trois ?uvres auraient eu toute leur place dans la « traversée » du « In » :

Avec « Et puis j'ai demandé à Christian de jouer l'intro de Ziggy Stardust », Renaud Cojo est revenu en Avignon. Avec lui, le « double » est unique. Magnifique travail.

Au Théâtre des Halles (exceptionnelle programmation), François Clavier avec « Une voix sous la cendre » interprète le texte de Zalmen Gradowski pour nous interpeller sur la Shoah. La mise en scène d'Alain Timar nous habite encore.

« Naître à jamais » (photo) par le Théâtre Hongrois de Cluj est LA pièce du « off ». Un chef d'?uvre absolu entre « May B » de Maguy Marin et « (A) pollonia » de Kristof Warlikowski. Quand l'évocation de la Shoah touche à ce point le sublime, on se demande si « Naître à jamais » n'est pas déjà entré dans le patrimoine de l'humanité.

 

Pascal Bély ? www.festivalier.net

Le bilan du “In” est ici!

 

Le palmarès OFF 2009 du Tadorne.

« Naître à jamais » d'Andras Visky ? Théâtre des Halles.

« Et puis j'ai demandé à Christian de jouer l'intro de Ziggy Stardust » de  Renaud Cojo ? La Manufacture.

« Une voix sous la cendre », d'Alain Timar ? Théâtre des Halles.

« Le bal de Kafka » de Timothy Daly, mise en scène d'Isabelle Starkier ? Théâtre des Halles.

« Oups + Opus » de la Compagnie « La Vouivre » – Studio des Hivernales.

« Chatroom »,  mise en scène de Sylvie de Braekeleer ? Théâtre des Doms.

« Monsieur de Pourceaugnac », mise en scène d'Isabelle Starkier ? La Fabrik Théâtre.

« Pas de deux », Rita Cioffi. Théâtre des Hivernales.

« Occident », mise en scène de François Bergoin- La Manufacture.

« Hamelin »,  mise en scène par Christophe Sermet ? Théâtre des Doms.

 

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FESTIVAL D'AVIGNON

Bilan du Festival d’Avignon 2009: la crise?

La 63ème édition du Festival d’Avignon s’achève et l’amertume est palpable chez les spectateurs qui osent formuler un avis éclairé. L’attente était-elle trop forte après que la co-direction promette un « festival créatif et insolent, énervé et enthousiaste, en aucun cas résigné »? Le festival vivrait-il une crise systémique, de recherche de sens, dans un contexte de perte des valeurs qui l’engloberait aussi ? L’uniformisation des propos contestataires et nostalgiques, la dilution de la narration dans des esthétiques gloutonnes, la censure insidieuse de la parole différente du spectateur et la pensée unique de la critique, provoquent un état de crise latent, mais qui pourrait bien s’inscrire dans la durée. D’autre part, des jauges importantes ont dilué la confrontation et augmenté le risque des réactions provocantes et extrêmes. D’autant plus que cette programmation ne fut que cases, empilements de formes sans articulations les unes aux autres, dont le seul lien ne semble être que les réseaux d’affinités et d’artistes. Ils ont eu du mal à faire émerger une nouvelle vague comme l’a connue le cinéma.

Loin du chahut de 2005 qui questionnait les formes, 2009 signe peut-être une inquiétante perte d’influence du Festival d’Avignon. Il est en crise ; serait-il temps d’en revoir les fondements ?

Trop de certitudes véhiculées, trop d’émotions instrumentalisées.

Que ce soit avec Jan Fabre et son « Orgie de la tolérance », avec Thierry Bédard et Jean-Luc Raharimanana pour «Les cauchemars du Gecko», ou Christoph Marthaler et son « Riesenbutzbach », l’approche binaire et cloisonnante de la crise prime sur toute autre vision du chaos dans lequel nous sommes plongés. C’est une dénonciation permanente sans que soit énoncés une ouverture, un processus incluant. Il y a de quoi se sentir exclu, voir culpabilisé, par ces discours bien pensants qui confèrent à l’artiste une position haute à laquelle nous n’étions pas habitués dans ce festival.

Ces certitudes sont souvent véhiculées par des esthétiques rigides réduisant le théâtre à un objet. Tout a commencé avec le cinéaste Amos Gitaï qui nous a imposé une mise en espace pour une lecture statique malgré Jeanne Moreau. Cela s’est poursuivi avec un autre cinéaste, Christophe Honoré,  dont « Angelo, tyran de Padoue », fait par et pour la télévision, a rendu téléspectateurs bon nombre de festivaliers. Avec l’Argentin Federico Leon, le théâtre a observé le cinéma au profit d’un propos alambiqué et sans profondeur sur la transmission entre générations (inutile de penser le futur, il est déjà écrit !). Une compagnie suisse (Oskar Gomez Mata) a joué avec les codes de la représentation pour distiller un propos simpliste et démagogique sur la place de l’art dans notre société. Avec Stefan Kaegi et « Radio Muezzin », le théâtre d’amateurs s’est institutionnalisé tout en provoquant une régression de sa fonction critique.

C’est toute une esthétique du loisir, où la forme prime sur le fond, qui a fait son entrée au Festival avec le dispositif scénique laid et compliqué de Wajdi Mouawad dans « Ciels », puis avec Jan Lauwers dans « La maison des cerfs » où l’imaginaire de Wall Disney en a déconcerté plus d’un. Dans « Casimir et Caroline » de Johan Simons et Paul Hoek, cette esthétique a carrément gommé le propos politique; Au final, ce « théâtre réduit » à l’objet a empêché la contemplation.

Trois oeuvres ont eu des esthétiques un peu plus habitées. Avec « Photo romance », le couple d’acteurs libanais Lina Saneh et Rabih Mroué a donné corps à la place de l’art au Liban à partir d’une forme circulaire reliant politique et artiste, ce que bien d’acteurs occidentaux semblent avoir du mal à opérer. Avec « Les inepties volantes », la poésie de Dieudonné Niangouna a fait résonner le bruit et les horreurs de la guerre avec justesse  malgré une mise en scène minimaliste.  Les marionnettes d’« Une fête pour Boris » de Denis Marleau ont interpellé sur le sort que nous réservons aux handicapés malgré l’essoufflement d’une esthétique théâtrale pourtant osée.

Des auteurs enfermés.

Peut-on mettre en scène son discours ? Hubert Colas avec “Le livre d’or de Jan” s’y est essayé sans beaucoup de succès. Il s’est enfermé dans les codes culturels de son milieu l’empêchant d’aller jusqu’à l’indécence de son propos. Avec “Sous l’oeil d’oedipe“,  Joël Jouanneau s’est muré dans son désir d’auteur en désarticulant son audace d’écrivain et sa créativité de metteur en scène. Quant à Wajdi Mouawad, il s’est fait voler “Ciels” par l’acteur et lui-même metteur en scène, Stanislas Nordey.

Ces auteurs nous ont narré le mensonge, la lâcheté et la terreur sans que cela nous atteigne. On avait les ressorts de la narration qui transcende, mais nous sommes restés collés à terre, dans la démonstration.

Des oeuvres fondatrices pour une sortie de crise.

C’est un théâtre qui refuse le consensus, mais qui s’appuie sur le sensible.

C’est un théâtre où le temps s’étire pour « dépolluer » notre regard formaté par le rythme médiatique.

C’est un théâtre où le temps laisse la place au sens.

C’est un théâtre qui vient  chercher le spectateur pour le déshabiller, le bousculer avec respect et l’inviter à faire confiance à ses émotions pour découvrir une esthétique du divers.

C’est un théâtre qui fait entrer le passé dans les ouvertures du futur.

C’est un théâtre qui s’en remet au fou pour traverser le chaos.

C’est un théâtre qui créée le collectif de spectateurs parce qu’il fait corps avec lui.

C’est un théâtre qui ne lâche rien.

C’est un théâtre où toute la danse est là.

« Description d’un combat » de Maguy Marin.

« Un peu de tendresse, bordel de merde ! » de Dave St Pierre.

La trilogie de Wajdi Mouawad pour une nuit au Palais des Papes (« Littoral », « Incendies », « Forêts »).

« La Menzogna » de Pipo Delbono

« Ode maritime » de Claude Régy

« El final de este estado de cosas, redux » d’Israel Galván

« Des témoins ordinaires » de Rachid Ouramdane

« Le cri » de Nacera Belaza.

« (A)pollonia » de Krzysztof Warlikowski

Ils sont neuf, comme les muses et tel des oiseaux, ils laissent leurs petites empreintes sur un sol où tant de chemins sont déjà tout tracés. Sauf que ces oeuvres-là sont les seules à nous avoir ouvert des possibles quand tant d’autres routes ne sont que des ronds-points.

Pascal Bély – le Tadorne

 

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FESTIVAL ACTORAL FESTIVAL D'AVIGNON

Le Festival d’Avignon et ses écrits de spectateurs : Francis Braun.

L’intérêt des salles non numérotées, c’est qu’on y fait la queue, souvent à l’avance. Ce soir-là, Francis Braun me reconnaît grâce à mon T-shirt siglé « Tadorne ». Il aime mon travail et le fait savoir. Près de lui, Leïla Shahid, déléguée de la Palestine à Bruxelles, aime le festival. Le dialogue s’engage. Nous formons l’agora. C’est aussi cela Avignon !

Depuis, Francis Braun m’écrit. Il m’envoie ses textes d’après spectacles. Ils n’ont pas leur place dans la case «commentaire ». Il est aussi Tadorne, car c’est une parole engagée.

 

 « El final de este estado de cosas, redux » d’Israel Galván.

Merde à la planche qui tape trop fort.

L’accessoire  – c’est soit indispensable, soit ça fout tout en l’air.

L’accessoire est parfois essentiel pour une femme.  Une robe très simple, presque invisible, elle porte un bijou, un sac ou une écharpe  autour du cou….et on ne parle plus de beauté mais de classe et si l’accessoire est bien choisi, alors, on parle d’ALLURE. 

Dans un spectacle, c’est parfois le contraire….

L’allure, la classe, c’est le comédien nu, sans accessoire, sans truc, habillé mais nu d’artifice.

C’est lui dans un dé-NU-ment total, pantalon – cheveux gominés, musique, espace et bruit de ses pas.

C’est cet homme  ISRAEL GALVAN.

D’abord il est Kazuo No, butoh trapu, ténébreux arquebouté sur lui-même, crispé, bandé, tendu, masqué dans les rochers, dans son carré sablé-éclairé-encadré au sens propre du terme…..pourquoi un masque.

Son corps, ses efforts contenus, son dos voûté, son ventre rentré, ses chevilles en lévitation, sous une force tellurique incroyable….

Oulala, ça va être  certainement terrible.

Il danse contre…

Il lutte avec….
Il parle avec ses avant-bras…

Il dit des choses avec sa main qui comme une ombre chinoise qui suggère plus qu’elle ne dit. Il veut quand même nous expliquer, presque nous le crier…

Il insiste, en frappant, en trépignant, en scandant cette violence de son corps qui va comme exploser.

Il est seul maintenant sur ce sable – sur cette transversale sablonneuse……

et soudain ça y est l’accessoire prends le pas sur le danseur.

Merde et pourquoi cette rupture.

On déteste l’anecdote dans ce cas là.

Elle nous distrait, on a du mal à ne voir que lui.

L’accessoire prend à ce moment-là,  trop de place. Il ne l’accompagne pas, il se substitue à lui.

Il va danser avec sa planche dans un duo inégal alors qu’un solo égoïste suffirait totalement.

Cette planche subtilement articulée lui répond quand même, comme s’il en était le dompteur….la lutte de deux animaux féroces.

On ne regarde que lui, que cette révolte du Flamenco.

On ne voit que les trépidations d’un homme qui, lorsqu’il danse, veut parler, crier, hurler.

Merde à la planche qui tape trop fort.

À table, il est seul. Et là c’est magnifique.

Il envahit toute la carrière.

Ne parlons pas des musiques rock…

N’écoutons que cet orchestre espagnol, ces mains qui claquent, les pieds qui scandent, ces voix qui hurlent.

L’Union irréelle avec la sauvagerie.

Il ne faut pas qu’il se dissipe, Israel Galvan.

On ne parle pas du film, sûrement pas …. on ne verra que lui, même si le regard se perd parfois.
On cassera même cette bouteille d’
eau qui rend anecdotique sa performance.

On détestera même ce  simulacre mort-cercueil et sa lumière dedans.

On évitera le final music-hall qui transforme ce flamenco en produit pour touristes…..

Putain, avec un tel cadre, une telle aura, un tel orchestre, une telle force dans son corps, une telle envie de bousculer, de rentrer dedans…..

Merde la solitude a du bon parfois.

On l’attend ce mammifère trapu dans un prochain dénuement, isolé au son de voix et de lumières flamenco….

Pourquoi n’était-il pas l’épicentre de la Carrière,  SEUL avec sa danse sous cette voûte noire et brillante…

On a aimé, mais regretté.

 

« Un peu de tendresse, bordel de merde ! » de Dave St Pierre.

On se souvient du célèbre “Pina m’a demandé” au Palais des Papes lorsque ses comédiens racontaient des bribes de leur vie intime ….c’était il ya plus de vingt ans, c’était dans le raffinement, le pudique.

Ce soir , aux Célestins , ses « Enfants » se sont fait l’écho de son passé, comme pour mieux la faire renaître…..ils n’ont pas fait pareil, c’était plus “dit”,  ils ont montré ce qu’ils savaient faire, ils ont dansé comme des fous, ils ont montré leurs sexes, leurs perruques et leurs fesses, ils ont montré leurs poils, ont joui, ont aimé, ont détesté, dans le calme, la violence et  l’orgie, sans scrupules, libérés, outranciers, jamais grossiers…toujours dignes et maîtres d’eux-mêmes.

Ils ont escaladé les gradins, enjambé les spectateurs en deux fois. La première, habillés année 50 avec des vêtements de tous les jours, la seconde fois complètement nus, en prise directe avec nous, joues contre fesses, sexe contre nez, trou du cul contre tête….l’un d’eux a même mis mes lunettes sur sa bite (soyons crus, on emploie les mots qu’il faut…ils vont bien avec ce genre de “show”).

Un show en traduction simultanée, dans un français traduit au premier degré…très rigolo, grinçant et terriblement incisif.

Les Enfants de Pina Bausch, Dave Saint Pierre et sa troupe nous ont raconté…..ils s’en sont tirés à merveille, ils nous ont nous emmener là où l’ont voulait secrètement aller sous les ordres ironiquement sarcastiques d’une Maîtresse Femme, qui a force de menaces et de manipulations,  vient s’effondrer  à la fin, gracieusement, mais épuisée.

Ce que ceux de Pina ne disaient pas, ses enfants l’ont dit….l’on montré avec joie et violence, se sont bien amusé. Ils ont dansé, ils sont passé sans complaisance du tragique au dérisoire, du rire aux sanglots…..

Merci a eux que l’on aurait aimé serrer dans nos bras, même trempés qu’ils étaient…ils auraient dû saluer parmi nous, dans les gradins……au milieu de nous…..bonjour la suite!!!!!! 

 

« La Menzogna » de Pipo Delbono

 

Un Italien   incarné… ou un Allemand désincarné…. on hésite …..Senior Pipo,  Herr Delbono…

Un Opéra  Wagnerien…..bien sur, même du Shakespeare Italien….;

Un homme cheveux gominés, lunettes noires…

Roméo costumé, Juliette hurlait.

Moins de Cabaret ce soir  – on se souviendra néanmoins du “Travelo – Dalida” dans la cour de la Faculté des Sciences , il y a plus  de Tragédie ce soir.

On a tous vu Hamlet de Ostermeier, on n’a pas suivi Apollonia jusqu’au bout….Monsieur Delbono, contrairement à ses contemporains , fait appel à nos pleurs…on est suspendu…larmes peut-être.

Mais  Pipo, ce soir,  s’est pris pour Jean Vilar lorsqu’à Paris au TNP, il jouait Arturo Ui de Bertold Brecht. Souvenir, clin d’oeil, référence ?

En plein “show”…..un &nbs
p;type derrière nous a crié “c’est bien ficelé”, ….et j’ai répondu “connard”…..

Bien sur qu’il a raison ce type…c’est vrai que c’est super bien fait…la musique, l’opéra, les cris, la douleur, leurs  morts…on est pris bien sur par son essoufflement quand il parle, nous chuchote dans le micro ses obsessions lancinantes, on aime son souffle d’émotions, Pipo on t’adore , on te déteste, tu nous fais mal, tu nous fais du bien.

Tu es notre Hiroshima  de Alain Resnais, tu parles comme Ennanuella Riva qui se souvient de Nevers-Hiroshima..

Tes ficelles sont impeccables et c’est certain, elle tisse un piège…..on rentre ou on rentre pas.

On t’aime, on te hait….attention tu racontes toujours la même histoire en partant d’un prétexte…mais ce n’est pas grave……on t’aime on te hait quand tu te prends pour Taddéus Kantor, quand tu te fais voyeur, exhibitionniste, photographe ironique , tu vas avoir un sacré album de photos.

Mais bon…..c’est quand même vraiment bien…..souffle coupé comme toi, quelques yeux humides…je peux pleurer  ?…On va pas me dire attention sensiblerie et non-dramaturgie…

Et puis vous êtes nus encore, cette année, la guerre, à poil, le gras du bide, les petites couilles…..Tu nous montres tout par ta nudité. Tu as maigri et tu restes devant  “nu / nous”…tu jouis de nos regards, Jean Luc aussi est nu….pourquoi encore êtes-vous nus ?….Jean-luc n’est plus l’autiste, il est devenu le Comedien…..tu nous le montres aussi…

Jannot Lucas est devenu comédien grâce à toi, à cause de toi.

Tant mieux , c’est bien….mais merde….. tu l’exhibes un peu trop….Pipo,…..Monsieur Loyal.

Ce ne sont pas des bêtes de foire…maintenant ils existent par eux-mêmes…ils sont autistes , sauvages, SDF…ok maintenant ils actent, ils font l’acteur, ILS SONT COMEDIENS…..grace à toi ok, je te l’accorde.

En toute humilité…bande d’exhibitionnistes que l’on adore…..on est content de te voir amaigri, ayant quitté ta bonhomie pour une classe terrible…..t’as de l’allure en Blues Brother, mec  !

Alors, on a pu adorer, on a pu aimer…on a pu détester et critiquer…..

Le principal c’est d’avoir été pris à ta saloperie de piège, on est tombé dans tes filets, on a frémi, on a eu le coeur fêlé…..quand même on ira te revoir…..et puis ta santé est bonne maintenant…ça, c’est bien.

Francis Braun.

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Au Festival d’Avignon, Christoph Marthaler prépare le pire et se protège.

C’est le spectacle que l’on attendait. Au coeur de la crise, à la veille d’une pandémie, à l’heure où le continent européen cherche son projet politique, nous caressions l’espoir que le théâtre puisse nous ouvrir les horizons, fatigué de n’entendre que des dénonciations. Avec «Riesenbutzbach. Eine Dauerkolonie », le metteur en scène suisse Christoph Marthaler pouvait combler cette attente. Au lieu de cela, il a clivé un peu plus un public déjà déboussolé par un festival qui lui offre si peu d’attaches.

À première vue, le décor surprend et impressionne. C’est une bâtisse à l’architecture est-allemande, où s’enchevêtrent plusieurs espaces : selon que vous soyez puissant ou misérable, votre regard sera attiré par le hall d’une banque, le bureau d’une entreprise, un salon bourgeois, des garages, un balcon d’appartement. Il y en a pour tous les goûts. La troupe de quinze comédiens impose par sa diversité : des maigres, des gros, des chics, des médiocres. Mais ils sont riches, blancs, homme et femme-objet jusqu’à s’incruster dans le mobilier, assez matérialistes pour éructer comme une mécanique qui déraille, et suffisamment vulgaires pour lever la jambe pour un oui ou pour un non. Ils ont l’assurance de ceux qui ont le tout, bien plus de la somme des parties ! Tout lien est objectivé, nivelé, si bien que l’on ne différencie plus la relation commerciale, amoureuse et familiale. Christoph Marthaler se régale à se moquer de ces petits puissants : tout est grossi, mais avec délicatesse. Il ridiculise cette époque, à bout de souffle, désarticulée par la crise bancaire. Alors que les fondations s’effritent peu à peu, il prend un malin plaisir à s’appuyer contre un mur déjà fragilisé. Evidement, tout s’effondre avec fracas. Le public se marre, car n’importe quel détail tourné en dérision devient un événement.

À mesure que ces notables tombent dans la déchéance et se rapprochent du triste sort du peuple réduit à vivre dans les garages après avoir squatté les salles de vente, la pièce s’englue dans un humour potache. Le rire du public se fait plus lourd, signe d’une angoisse qui monte. Nous ne sommes qu’à la moitié de la représentation et  Marthaler a déjà épuisé son propos.

Alors, il étire le temps, non pour se dégager de ces personnages et se mettre à distance pour nous aider à comprendre ce qui se joue, mais pour installer un processus de persécution qui n’a plus de limites. Cette classe moyenne possédante serait composée de juifs qu’il plongerait dans l’antisémitisme. La moquerie s’enracine, prend des allures de dénonciation : il n’énonce plus rien et tombe dans un consensus qui gangrène la pensée politique et les propositions artistiques de cette 63ème édition du festival (Jan Fabre, Federico Leon, Thierry Bedard et Jean-Luc Raharimanana). Le monde est binaire : il y a les faibles et les puissants, les méchants et les gentils. À quarante minutes de la fin, Marthaler tourne en rond et distille son propos condescendant. Ses comédiens jouent des airs d’opéra pour célébrer un rite funèbre et installer la parade des hommes et femmes déchus. Cette forme artistique, vue tant de fois ailleurs, atteint son apogée quand il les fait défiler sur un stand de mode improvisé. Voilà nos riches, habillées avec rien, mais qui continuent malgré tout  « à se la jouer ». Avec les « Deschiens », c’était quand même plus sexy.

Arrive le moment où il faut conclure. Et Marthaler ne s’embarrasse pas. On aurait pu s’attendre qu’avec la crise, il saborde sa mise en scène. Même pas: il fait enfermer deux groupes dans un garage chacun. Et rétablit les camps. La vengeance est toujours le fruit d’un propos clivant.

« Sommes-nous au tournant d’une époque ? », proclame un des acteurs. Oui, parce qu’il y a peut-être assez d’énergie créative pour repenser un nouveau monde. Non, parce qu’il a des artistes et des intellectuels qui, tout en profitant des largesses du système, répète inlassablement le même discours qui leur garantit une position haute et un statut privilégié.

« Riesenbutzbach. Eine Dauerkolonie » de Christoph Marthaler prépare le public au pire. Lui, s’en sortira. Ses coproducteurs (Festival de Naples, d’Avignon, d’Athènes, de Wroclaw, de Tokyo) le protègent même des banquiers rapaces.

Je m’étonne que la relation avec un artiste m’emmène vers une telle conclusion.

Rideau.

Pascal Bély – www.festivalier.net

« Riesenbutzbach. Eine Dauerkolonie » de Christoph Marthaler au Festival d’Avignon du 23 au 26 juillet 2009.

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Au Festival d’Avignon, l’Islam se noie dans le Protokoll.

 

À la sortie de « Radio Muezzin » du Suisse Stefan Kaegi, le malaise est perceptible parmi les spectateurs. Mais ne l’était-il pas sur scène alors que l’un des acteurs fut pris d’un fou rire contagieux, signe d’un cadre qui ne contient plus mais qui enferme? Comme à son habitude, Stefan Kaegi, issu du collectif Rimini Protokoll nous propose son théâtre documentaire dont il a seul le secret. Pour la troisième fois depuis 2006, il est l’invité du Festival d’Avignon. Cette année, c’est l’Egypte et ses « muezzins », hommes sélectionnés sur concours et dont la mission est d’appeler à la prière. Il y autant de muezzins que de mosquées sauf que l’État Égyptien prévoit une « radiodiffusion systématique ». « Que devient l’aura de cette cérémonie ? », s’interroge Stefan Kaegi.  Il a donc invité quatre muezzins et un technicien à monter sur scène pour y raconter leur art, ponctué de témoignages sur leur quotidien, d’appels à la prière et de chants religieux.

 

Aux corps souvent statiques et lourds des invités (le poids de la religion et l’enjeu d’être en Avignon n’y sont pas étrangers), répond une mise en espace classique et sans créativité de Stefan Kaegi. Suffit-il de projeter des images vidéo de circulation au Caire pour créer le mouvement ? Suffit-il de reproduire l’éclairage des mosquées pour nous immerger ? Suffit-il d’accompagner la présentation des muezzins par un diaporama de photos personnelles pour créer l’intimité ? À toutes ces insuffisances, vient s’ajouter un malaise sur le propos lui-même. Si la métaphore de la mondialisation qui uniformise et fait disparaître le singulier a toute sa place ici, il en est tout autrement du sens implicite qui parcours la pièce. À la frontière de la fiction et du réel, le spectateur joue l’équilibriste, sur un fil, faute d’une mise en scène qui transcende le propos.

C’est la faiblesse de Kaegi qui jongle avec les limites pour ne pas s’engager et faire supporter aux amateurs le poids de leurs fragilités.  Comment écouter ces hommes qui réduisent la visibilité du féminin à une présence derrière un paravent, femme remplacée ce soir par un matériel d’haltérophilie? Comment entendre ces chants religieux sur la scène d’un théâtre dans un pays laïc ? Comment ne pas réagir quand ces hommes font du prosélytisme comme au bon vieux temps du théâtre catholique en France d’avant 1905 ? Mais le plus troublant, c’est l’utilisation des ficelles d’un théâtre propagandiste, utilisées en leur temps par les socialistes dans les années cinquante : créer la communion entre la salle et les acteurs ; orienter le propos vers des principes moraux ; susciter l’amitié entre acteurs et spectateurs ; mettre l’accent sur la pauvreté des moyens du peuple.  

Stefan Kaegi a probablement le souci d’ouvrir le théâtre vers un réel que nous ne voyons plus. Mais il doit éviter absolument de nous cacher la vue sous prétexte de vouloir inventer (ou de réinventer) un théâtre à lui tout seul.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Radio Muezzin” de Stefan Kaegi du 22 au 28 juillet 2009 au Festival d’Avignon.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage.

En mars dernier, à Berlin, la critique de Stéphanie Pichon.

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES Vidéos

Avec Dave St Pierre, les tendres enfants de Pina Bausch.

La danse est revenue en force au cours de cette 63ème édition du Festival d’Avignon. Et de quelle manière! L’époustouflant combat de Maguy Marin, la cérémonie majestueuse de Rachid Ouramdane, et le cri intérieur de Nacera Belaza ont marqué les festivaliers. À quoi s’ajoute le bel hommage à Pina Bausch, au coeur de la nuit, dans le jardin du Palais des Papes. Un parterre d’oeillets, crée par son ancien dramaturge et aujourd’hui chorégraphe, Raimund Hoghe, a magnifiquement accompagné un film composé d’extraits de spectacles joués dans la Cour d’Honneur. Un journaliste interviewe Pina Bausch sur la vision de son avenir. Hésitations puis…”le futur est un présent qu’il faut sans cesse réinventer. Avec amour“. L’image immobilise son visage. Une fragilité. Une force.

Le lendemain. 21h30. Il est assis sur sa chaise. Nu. Avec une perruque de longs cheveux blonds et bouclés. Il salue un à un les spectateurs entrants avec un geste frénétique de la main, accompagné d’un cri animal. Nous sommes quelques-uns à lui répondre. Nous rions de son culot. On le prendrait presque dans nos bras. Dans trente minutes, « Un peu de tendresse, bordel de merde ! » du chorégraphe canadien Dave St Pierre va débuter, mais nous y sommes déjà. Dans ce titre, un paradoxe, une injonction, une définition arbitraire de la relation décortiquée pendant une heure cinquante.

Ils sont dix-huit : neuf hommes, neuf femmes. Parité parfaite. Une se distingue du lot : habillée de noir, elle est la maîtresse de cérémonie, un big brother de la communication amoureuse, n’omettant jamais de parler en anglais traduit en français googolisé. Hilarant. Mais le sujet est grave : hommes et femmes seraient dans l’impossibilité de communiquer. Dès les premiers tableaux, le message, dansé par différents couples, est sans appel : nous sommes allés trop loin dans la marchandisation de l’intime, trop vite à étaler nos secrets sur Facebook. La démonstration n’est pas suffisante ?

Neuf anges bouclés, nus, échappés de Bacchus, débarquent sans ménagement pour monter dans les gradins. Ils hurlent, chantent, provoquent. Le public, hilare, ne sait plus où donner de la tête. Pendant qu’une orgie s’organise, les femmes, habillées, se disputent sur scène, s’insultent tout en imitant des actes sexuels. Tout n’est que sauvagerie. Le chahut dure dix minutes. Un bordel. Le nôtre. Comment s’y retrouver ? Chacun se perd dans un cadre qui explose. Pendant ce temps, Big Brother enlève sa culotte et la lèche. Elle se régale. D’autres démonstrations suivront : tout aussi savoureuses et explicites. Nous voulons l’acte d’amour, mais pas la relation qui va avec à moins qu’elle soit un « objet consommable » que nous réclamons, à corps et à cris. Big Brother ne se prive pas de faire le lien avec la relation que nous entretenons avec les artistes: du spectacle, du sang et de la sueur, mais surtout que cela ne nous éclabousse pas.

Dave St Pierre assume son propos, sans fard, ni démagogie : les femmes ne veulent plus jouer à ce jeu-là et quitte à goûter au gâteau de l’amour, autant se vautrer dans un vrai ! Les hommes, englués dans un imaginaire où la femme serait à la fois autoritaire et absente, se perdent dans des jeux puérils où la sexualité est une performance, un langage.

L’ouverture serait-elle à chercher dans une absence de sexe ? Pouvons-nous recréer la relation dans le tendre ? Les dernières scènes éloignent nos anges blonds et chacun, à nouveau civilisé, joue le jeu d’une tendresse ici célébrée. Elle requiert de s’immerger dans un nouveau liquide, celui d’une relation circulaire, où le corps imprégné retrouverait la souplesse du f?tus.

Dave St Pierre, a compris que la danse est l’art de l’intranquille, un espace d’interpellation et qu’elle requiert de la part des danseurs un engagement dans un corps torturant et généreux. Il est un des enfants de Pina Bausch, à qui il semble rendre hommage par cette rangée de chaises, symbole si fort de « Café Müller ».

Et l’on imagine ces dix-huit danseurs fraterniser avec Dominique Mercy, magnifique complice de Pina Bausch, et poursuivre la révolution des oeillets.

Pascal Bély – Le Tadorne

Pour prolonger, le regard de Francis Braun, spectateur éclairé…

On se souvient du célèbre “Pina m’a demandé” au Palais des Papes lorsque ses comédiens racontaient des bribes de leur vie intime ….c’était il ya plus de vingt ans, c’était dans le raffinement, le pudique.

Ce soir , aux Célestins , ses « Enfants » se sont fait l’écho de son passé, comme pour mieux la faire renaître…..ils n’ont pas fait pareil, c’était plus “dit”,  ils ont montré ce qu’ils savaient faire, ils ont dansé comme des fous, ils ont montré leurs sexes, leurs perruques et leurs fesses, ils ont montré leurs poils, ont joui, ont aimé, ont détesté, dans le calme, la violence et  l’orgie, sans scrupules, libérés, outranciers, jamais grossiers…toujours dignes et maîtres d’eux-mêmes.

Ils ont escaladé les gradins, enjambé les spectateurs en deux fois. La première, habillés année 50 avec des vêtements de tous les jours, la seconde fois complètement nus, en prise directe avec nous, joues contre fesses, sexe contre nez, trou du cul contre tête….l’un d’eux a même mis mes lunettes sur sa bite (soyons crus, on emploie les mots qu’il faut…ils vont bien avec ce genre de “show”).

Un show en traduction simultanée, dans un français traduit au premier degré…très rigolo, grinçant et terriblement incisif.

Les Enfants de Pina Bausch, Dave Saint Pierre et sa troupe nous ont raconté…..ils s’en sont tirés à merveille, ils nous ont nous emmener là où l’ont voulait secrètement aller sous les ordres ironiquement sarcastiques d’une Maîtresse Femme, qui a force de menaces et de manipulations,  vient s’effondrer  à la fin, gracieusement, mais épuisée.

Ce que ceux de Pina ne disaient pas, ses enfants l’ont dit….l’on montré avec joie et violence, se sont bien amusé. Ils ont dansé, ils sont passé sans complaisance du tragique au dérisoire, du rire aux sanglots…..

Merci a eux que l’on aurait aimé serrer dans nos bras, même trempés qu’ils étaient…ils auraient dû saluer parmi nous, dans les gradins……au milieu de nous…..bonjour la suite!!!!!!
Francis Braun

 
"Un peu de tendresse bordel de merde!" de Dave St Pierre du 21 au 26 juillet 2009 au Festival d'Avignon.
Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage.