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FESTIVAL D'AVIGNON THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN Vidéos

Avalanches en Avignon, un roi sous la neige.

Drôle de nom pour un gymnase : Gérard Philippe. La tête et les jambes ? Devant cette bâtisse de tôle, le Festival d’Avignon y a apposé une rangée de canisses : l’été contre l’hiver ? Étrange et agréable impression de ressentir la foule des spectateurs pour «un nid pour quoi faire» d’Olivier Cadiot et Ludovic Lagarde dans ce quartier résidentiel de la cité papale. Acte de résistance alors que la société française ne voit plus très bien où elle va…Je sais ce soir, ce que j’ai besoin d’un nid. Ce que je ne sais pas encore, c’est que le rire fera trembler la tôle de ce théâtre éphémère.

Il faut d’abord s’échapper de la fournaise avignonnaise. La vidéo en fond de décor projette une montée féerique vers la montagne. Le narrateur (appelons le Robinson…) décrit l’ascension. Il y a la musique de Rodolphe Burger, il y a la voix magique, envoûtante, tellement paisible, qui nous embarque, on voudrait être dans la voiture, dans ce paysage si blanc, la neige est partout, les sapins, et toujours ce rythme parole et musique….Je décolle parce que je pressens que je vais prendre de la hauteur. Les mots d’Olivier Cadiot sont autant de mètres gagnés sur la bassesse du vocabulaire politique et médiatique ambiant. Je jubile. Le narrateur aussi, fier de sa Toyota fantastique.

Sa voix est étrange, mais ses mots sont si bien pesés.  Il n’en dira que quelques-uns pendant la pièce qui emballeront le roi qu’il est censé conseiller. Robinson, c’est l’éternel personnage d’Olivier Cadiot qui pense et il pense que l’exil du Roi n’est pas dynamique, enfermé dans attitude régressive. À tel point que Sire va en mourir.

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Laurent Poitrenaux en personne incarne ce roi « bling bling », isolé dans ce chalet, au sous-sol, en exil pour longtemps et qui se pavane devant son écran géant et tactile (l’Ipad est déjà démodé !) dès qu’on lui diffuse un film sur sa splendeur passée. Ah ce roi et sa cour d’incultes et d’incompétents où même le poète en chef vous sert de la poésie en pâté ! Ah ce roi qui s’englue dans une stratégie de reconstruction de son image ! Mais reconnaissons-lui sa belle équipe, métaphore de toutes les névroses de la société française. Au commencement de la journée, il y a ce conseiller en médecine douce qui dit n’importe quoi, mais que l’on croit sur parole tant il sait manier les combinaisons chimiques et fait de l’alerte orange son principe absolu de précaution. Puis il y a un fidèle qui lui lit les nouvelles et Sire voudrait que l’on écoute Brahms dans les étables ! Il y a des recettes de cuisine prodiguées, on écrase les désirs de la société dans des mixers, on met la main à la pâte, on plante nos idées dans le champ du voisin. Robinson  finit par douter de l’existence du Roi…Il assiste a une séance de brainstorming ou l’on imagine logos et images de marque, on étudie des blasons top-modernes, on “blasonne” à tout va…Les mythes sont  détruits (« le Vietnam, Dylan, 68 et Marcuse aux chiottes ! »). « À force de faire l’autruche, on ira droit dans le mur », dit alors Laurent Poitreneaux-parfois cabotin qui pourrait rejoindre sans le vouloir Jean-Quentin Chatelain.

Tous bons à servir la médiacratie la plus lourde quitte à  réduire le statut d’artiste en bouffon sans paroles. « Ce nid pour quoi faire » est une allégorie du système sarkozyste et berlusconien. Chaque tirade nous rapproche un peu plus du vide sidéral d’un pouvoir sans peur et sans reproche. Je ris beaucoup, sans discrétion, mais mon rire est une libération, un cri après trois ans où je peine à trouver les mots pour décrire le processus de déliquescence dans lequel ce pouvoir corrompu et inculte nous conduit. L’écriture d’Olivier Cadiot et la mise en scène de Ludovic Lagarde crée le rythme effréné que nous impose cette pensée politique qui sait si bien manier le paradoxe et les contre sens. Entre tempo inspiré du théâtre de boulevard (mais qu’est devenue la France si ce n’est le pays où l’on met en scène les infidélités, les trahisons, les complots), et des pauses poétiques où la voix du conseiller nous invite à regarder de haut ce que l’on aimerait bien nous faire voir du bas, je suis accueilli, respecté. D’autant plus que dans ce lieu où l’on rentre par le haut, la mise en scène ouvre par les côtés.

Ce nid est une pièce formidable. Rythme accéléré, des moments tendres-vidéo, un récit off tellement sensible, une oeuvre moderne sans être à la mode. L’humour et la rêverie se relaient, Rodolphe Burger nous emmène dans la Neige. C’est une pièce très réaliste, mais moins optimiste que ce qu’elle en a l’air.

Désabusée, pessimiste peut-être…On se sent encore plus manipulé par les autres, on est soumis, on nous organise…on subit, mais on continue toujours même si le Roi meurt.

Lorsque la nuit retombe sur le paysage enneigé, après la gymnastique, la cuisine et le Sauna, la Cour  s’endort, inquieté,  pas tout a fait rassurée, mais bon le Roi se meurt.

Tout d’un coup, après notre endormissement, on se dit que : “Dormir en rond, avec le temps ça donne des plumes!

Pascal Bély – Francis Braun – www.festivalier.net 

“Un nid pour quoi faire” d’Olivier Cadiot et Ludovic Lagarde au Festival d’Avignon du 8 au 18 juillet 2010.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage

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FESTIVAL D'AVIGNON

Le Festival d’Avignon éliminé du concours de l’Eurovision.

1973…aucun souvenir précis de cette année, sauf le Prix de l’Eurovision, Pierre Tchernia ou Cliff Richard.…Je m’en souviens encore. Le souvenir de Gérard Philipe, Vilar, Wilson, Terzieff et Maria Casarès en Avignon cette même année, est plus flou. La représentation des textes de Maïakovski dits entre autres, par Jean-Marie Winling dans son filet tel un acrobate qui hurlait son amour au Palais des Papes, me semble lointain tant l’incroyable charisme que dégageait à l’époque Patrick Juvet et sa tignasse peroxydée a marqué ma mémoire. Tout ces souvenirs  d’Avignon 1973 sont d’une importance  minime par rapport à Pierre Tchernia qui commentait la  plus ringarde des retransmissions télévisuelles en direct d’un pays dont on a oublié le nom….mais qui semble avoir bouleversé Massimo Furlan, « metteur en scène » et «acteur» du spectacle «1973» présenté dans le cadre du festival «in » d’Avignon 2010.

Il nous offre entre deux bouquets de fleurs,  sur un plateau doré et kitschissime une copie conforme de ce Concours International. Il se déguise successivement et reprend en play-back les chansons des différents interprètes. Un chanteur, ça va, deux ça passe, trois on commence à bailler, quatre c’est irritant, cinq, on a envie de partir. On constate  avec une certaine pointe d’étonnement que les spectateurs applaudissent à tout va à la fin de chaque chanson…..c’est tout juste s’ils ne reprennent pas, en coeur, les refrains en tapant dans les mains. Ça y est, on est chez Michou, avec Madame Arthur qui s’invite chez Pierre Tchernia qui se croit très drôle en  comparant la chanson espagnole à « une corrida psychologique ».

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Aux sons ringards de ces interprètes sans aucun talent, on se prend à s’ennuyer fortement lorsqu’arrivent sur la scène trois ou quatre personnages clonés qui entourent Cliff Richard, l’idole de Massimo Furlan : Michel Polak, Raphaël Enthoven, Philippe Manoeuvre intellectualisent le Rituel de l’événement en échangeant platitudes et lieux communs.

Ils nous imposent “une idéologie bateau” du chanteur, de showbiz…du rapport de la vedette, tout sur les  icônes…un catalogue raisonné des poncifs éculés. On a l’impression d’une joute verbale d’étudiants attardés…

On se demande la raison de ce spectacle : sa place est-elle justifiée dans ce festival ? On reste complètement sidéré, voir anéanti  et on ose espérer  une seule chose…une suite avec Patrick Sébastien, Guy Lux, quelques philosophes dans la série “La Philo pour les Nuls“…le tout pourquoi pas au Théâtre Municipal.

The show must go on…

À l’année prochaine pour un autre concours.

Francis Braun – www.festivalier.net

“1973” de Massimo Furlan au Festival d’Avignon du 10 au 14 juillet 2010.

 Credit photo: Christophe Raynaud de Lage

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Au Festival d’Avignon, Vanessa Paradis.

C’est l’un des grands moments du début de ce Festival d’Avignon 2010. Bouleversant à plus d’un titre. « Gardenia » du chorégraphe Alain Platel et du metteur en scène Frank Van Laecke prouve, une fois de plus, que le Théâtre flamand sait décaler notre regard vers les “angles morts” de notre société. Vanessa Van Durme que nous avions tant aimée ici lors de son dernier spectacle, leur a soufflé une idée de départ: réunir sur scène de « vieux travestis qui dansent gaiement sur une musique triste ! ». Quelque temps plus tard, ils sont sept sur scène autour de Vanessa et d’un jeune danseur pour faire revivre ce cabaret éphémère, pour que le rideau se lève enfin et dévoile un pan entier de l’histoire du spectacle vivant.

Autant enlever le masque. L’émotion ne m’a pas quitté tout au long de la représentation. De la première minute (si politique, tant attendu) à la dernière (si respectueuse de la part du public), j’ai baissé la garde pour (re) vivre mon histoire. Car ces hommes et ces femmes ont été sur la route de jeunes adultes perdus, apeurés par le sid’amour, pour leur donner la force de s’affranchir des habits sur pièce confectionnés par des familles oppressantes et une société autoritaire. Alors qu’ils s’avancent vers nous, dans leurs vêtements de ville, sur ce sol en pente, je sens que les lumières et la scène vont les libérer de cette atmosphère de maison de retraite dans laquelle nous les avions oubliés. Mais Alain Platel et Franck Van Laecke n’éludent en rien notre responsabilité d’avoir fait basculer cette pente afin que  disparaissent peu à peu ces corps qui nous ont pourtant tant donnés. Pas plus qu’ils n’épargnent le milieu de la nuit sur la violence de ses rapports sociaux et amoureux.

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Mais ce soir, il est temps de nous rapprocher, de créer l’équilibre entre notre gradin en pente et leur scène verticale. C’est ainsi que « Gardenia » multiplie les points de rencontre pour que le «genre» ne soit plus une question, mais un corps en mouvement. Le résultat est magnifique, généreux, car la mise en scène épouse le processus du travestissement en évitant de tomber dans la gaudriole et la moquerie. La musique joue une fois de plus dans ce festival sa fonction mémorielle et pacificatrice : «Gigi», «comme ils disent», nous est revenu « d’Alexandrie, Alexandra » tandis que la longue dame brune veille sur le destin de chacun. La présence de ce jeune danseur majestueux au milieu de ces vieux travestis amplifie la tragédie, rend poreuse la frontière entre masculin et féminin, symbolise le commencement là où approche la fin et incarne pour toujours «l’objet de tous nos tourments». Les tableaux se succèdent et la scène bascule vers le conte, l’enfer pour n’être qu’à la fin qu’un pacte respectueux entre nous et ces artistes de l’âme. On prend ainsi conscience du rôle déterminant des acteurs travestis pour que le mouvement du corps incarne le désir refoulé (il est d’ailleurs troublant de constater le poids du travestissement dans certaines créations actuelles).

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« Gardenia » est situé sur la frontière poreuse entre la danse, le théâtre, le cabaret, la musique. Dans une explosion de joie, le public du Festival d’Avignon signifie une fois de plus qu’il est grand temps d’ouvrir les codes de la représentation. Il en va de notre désir d’être encore uni, divers et fraternel.

Pascal Bély – www.festivalier.net

Poursuivons avec Bernard Gaurier…

« Gardenia », troubles fleurs des riantes années

Sur un plateau en pente douce (parquet usé des vieux dancings et chaises sans âge pour le repos des danseurs fatigués) ils sont neuf à nous regarder dans leurs costumes gris impeccables. Doucement l’un d’entre eux s’avance et se place face au micro pour lancer en l’air les mots qui ouvrent la danse.
Du Shanghai au Piano, des virées au creux du Marseille de la nuit à celles en bus au bois. Une pluie de souvenirs et de visages remontent alors à mémoire, la force politique et humaine de cette invitation me colore les yeux de brume. Il était une fois, un hier… et, aujourd’hui, ces quelques un/une là devant nous vont en porter la force et l’accrocher très haut dans le ciel de l’humanitude. Très vite nous sommes amenés à lâcher la barre de nos retenues et invités à entrer dans l’émergence du monde de nos souvenirs les plus « secrets ».
Après que les masques soient tombés c’est aux costumes de glisser à terre et aux corps qui se dévoilent de se révéler/revêtir d’apparats plus troubles et vaporeux. Pour souligner une singularité encore bien singulière aux yeux de beaucoup, une « vraie femme » et un jeune homme accompagne ce bel attelage. Les dieux de la nuit sont ici convoqués pour ouvrir les regards tendres et généreux de qui les observe. Elles, ils, ilelles sont magnifiques de leur chair offerte et de leur force à être.
Qui est qui ? Le genre ici importe peut, le corps et le c?ur s’affirmant bien au-delà. La tendresse, quand bien même elle soit vache, cruelle  ou « vulgaire » (soulignant ici la violence et la désespérance qu’on croise parfois au milieu de la nuit) porte haut la douceur humaine de ces différences qui ici viennent à notre rencontre. La dignité qui se dégage invite à ouvrir l&apos
;histoire vers la singularité de chaque être humain, à se percevoir soit même singulier, même si notre différence ne nous porte pas là où sont ces beaux oiseaux de nuit.
En cela le pari d’Alain Platel, Franck Van Laecke et Vanessa Van Durne est gagné, ils offrent ici à chacun l’espace où intimement se rencontrer avec tendresse et respect. Fleurs de pavots, du mal ou du souvenir, ces gardénias sont une gerbe de baisers. Le public ne s’y trompe pas en leur offrant un bouquet de bravos, debout comme il se doit lorsqu’on reconnait la justesse et la générosité.

« Gardenia » d’Alain Platel et Frank Van Laecke, au festival d’Avignon du 9 au 12 juillet 2010.

 Credit photo: Christophe Raynaud de Lage

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES

Au festival d’Avignon: F..Fuer…Fuerza!

3h30 du matin. Les spectateurs n’ont plus beaucoup de force après les cinq heures de ce chef d’oeuvre pictural, d’un théâtre chorégraphique, épuisés par tant de sollicitations visuelles, auditives, voire olfactives. « La casa de la fuerza » de l’Espagnole Angélica Liddell est un coup de poing, qui vous précipite dans la crise, celle que vous aviez un peu trop vite oubliée. Sauf que le théâtre est là pour raviver les plaies parce que nous sommes tous faits de cette matière là. Ce soir, au Cloître des Carmes, acteurs et spectateurs sont infiniment, intimement liés par toutes ces « petites histoires » dont nous en avons tous fait de grandes : le chagrin d’amour, le mal de vivre, l’abandon, le renoncement de soi…Appelez ça comme vous voulez. C’est notre enfer commun. La vraie crise, c’est celle-là. L’économique, n’est qu’économique…et puis, ça commence à bien faire. Assez de discours ! Place à la vérité. Au corps.

Elles sont trois femmes, six destins. Cherchez l’erreur dans l’addition. À la différence de certains hommes qui sont toujours prompts à défendre des causes humanitaires, mais ne peuvent s’empêcher de maltraiter leur compagne, ces trois femmes dépressives au premier acte en invitent trois autres au dernier, pour évoquer la situation de la condition féminine au Mexique. Tout est lié. Nos chagrins d’amour s’inscrivent aussi dans un contexte sociétal. Mais aussi parce qu’être femme battue, violée et tuée ailleurs est un chagrin d’amour pour toute l’humanité.

Trois actes pour (re)vivre du dedans ce que nous avons tous voulu crier au dehors. Car le mal d’amour, la séparation atteint son paroxysme dans la souffrance du corps. Comment porter au théâtre ce qui est d’habitude métaphorisé par des opéras, des danses, des histoires à dormir debout… Ici, tout est convoqué.

Le texte, puissant, parce qu’il est fait de mots d’une tendresse brute ;

la musique, omniprésente, en boucle (du Bach et de la pop), parce que sans elle, nous n’aurions peut-être pas survécu au naufrage de l’âme et qu’allongés, Bach, Brel et Barbara ont été nos analystes au doigt et à l’oeil;

le liquide, parce que ça déborde et que l’amour finit toujours par prendre l’eau ;

le sang, parce que l’on se saigne aux quatre veines pour sortir de ce merdier ;

des canapés, beaucoup de canapés, une armée de canapés, parce qu’ils sont nos lits d’enfants avec ou sans barreaux, c’est selon;

des fleurs, en bouquets pour fracasser ce qu’il reste de beau ; en pot pour fleurir les cimetières ; en bouton, pour renaître;

un immense cube de pâte à modeler pour sculpter, enfanter d’une armée de bonhommes façonnée par la tendresse et la paresse, le tout pour résister à la bêtise machiste ;

le tiramisu…parce qu’avec Angelica Liddell, c’est le seul gâteau qui vous relève en chantant ;

le charbon, oui du charbon, pour creuser la tombe, épuiser le corps, tomber au fond du trou, et provoquer le coup de théâtre le plus magistral qu’il nous ait été donné à voir, tel un coup de grisou dans la tête de ceux qui continue à nous gonfler avec leurs classifications (théâtre, danse, et compagnie).

Toutes ces matières façonnent la mise en scène et  « la casa de la Fuerza » bouleverse une partie du public : les corps se fondent dans les objets et leur donnent une âme, la musique épouse les matières, et vous finissez par être sidéré, immobilisé, par une telle orgie de la tolérance et de la beauté. Car ici, le corps n’est pas manipulé, tel un objet pour créer du propos, mais il est traversé pour que tout nous revienne, comme une exigence de vérité. Le corps de l’acteur est un don au public, un lien d’amour engagé et engageant où l’on convoque une infirmière sur le plateau pour prélever son sang et tacher sa chemise. « Je suis sang ».

« La casa de la fuerza » sera l’un des grands moments de l’histoire du festival d’Avignon. Parce qu’Angelica Liddell ne se contente pas de regarder les hommes tomber. Elle leur offre la force de sa mise en scène pour que «Ne me quitte pas » soit un hymne à la joie.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“La casa de la fuerza” d’Angélica Liddell au Festival d’Avignon du 10 au 13 juillet 2010.

Credit photo: Christophe Raynaud de Lage

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FESTIVAL D'AVIGNON

Au Sujet à Vif, certes…proposez.

Cette année et pour la troisième édition la SACD propose Sujets à vif. « Rencontres incongrues au jardin de la Vierge entre interprétation et écriture ». Certes, proposez.

 Programme A.  Première demi-heure. On s’assoit en ce lieu exigu et insolite. On écoute “Rosa seulement” où la chorégraphe Cindy Van Acker passe à côté d’un propos où le corps ne soutient absolument pas la parole de   Mathieu Bertholet. Nous disposons alors d’un ennui notoire, certes chic et poli, car chacun résiste comme il peut. La chaleur accable dans cette cour. Seuls des courageux se lèvent et sortent.

Deuxième demi-heure. Proposez, s’il vous plaît, nous sommes venus pour cela.

Et nous émergeons porté par le caractère d’une voix qui fait envoler les mots  d’un texte efficace d’Arno BertinaAgnès Sourdillon nous décline avec assurance cette femme égarée dans une société qui attend, du moins le suppose-t-elle, qu’elle enfile une position sociale. Mais en est-elle vraiment sûre ? Elle se perd, doute, se noie aux pieds de la Vierge, là, à droite sur scène.

Le burlesque est perché sur des chaussures chinées d’un autre temps, déclamant les dérives d’une société. Et je souris sincèrement victime des mots. Elle,  elle prêche sa bonne volonté à être celle que l’on souhaiterait ; et deux temps un mouvement, le merveilleux frappe. Le point crucial est de croire. Rapproche-toi spectateur du vrai qui vrille la pensée de l’intime. La poésie de l’être. Et c’est autour d’un numéro de cirque imaginaire, supposé imaginable par le spectateur, et fortement imprégné de l’imaginaire de chacun, que Marcus Brisson nous impressionne. Dompte le risque,  avance dans l’invisible de la croyance et démontre à celui qui t’écoute la véritable histoire de l’existence.

Allez croire le monde au travers de légendes comme autrefois. Une belle proposition qui l’espace de 30 minutes réveille en vous l’âme des croyants.
Diane Fonsegrive. www.festivalier.net

“Rosa, seulement” commande passée à Mathieu Bertholet  / “La relève des dieux par les pitres” commande passée à Agnès Sourdillon dans le cadre du “Sujetà vif” du 8 au 14 juillet 2010.

Crédit photo: Pascal Gély.

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FESTIVAL D'AVIGNON LE GROUPE EN DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

Avec Anne Teresa de Keersmaeker, nous sommes entrés dans la nuit…

Sylvain Pack et moi-même avons vu « En atendant » d’Anne Teresa de Keersmaeker. Nous avons écrit chacun de notre côté. Tentative d’articulation avant lâcher-prise !

20h30 précise, le Cloître des Célestins se remplit peu à peu. La chorégraphe belge Anne Teresa de Keersmaeker et son équipe longent la scène pour s’asseoir dans les gradins. Du groupe,  une femme tient un calepin entre ces mains. Ce sera la partition. Il n’y a aucun décor, au centre, un large rectangle de sol damé. Quelques pierres affleurent à la surface. Sous les deux arbres, des feuilles épars comme si l’automne nous revenait en plein mois de juillet. L’odeur nous caressera.

Il y a un petit banc au bois usé, fragile, posé contre la force d’un arbre. Ce sera délicat et déterminé.

Il n’y a pas de projecteur. La lumière sera poésie et notre regard éclairera.

Il fait encore jour lorsqu’un joueur de flûte traversière se met en avant et nous interprète, d’une seule traite, toute la gamme de son instrument, utilisant le souffle continu jusqu’à son apogée et son éreintement. Le ton est lancé. Le corps sera musical. De son souffle, naîtra une partition chorégraphique.

Ils arrivent, quatre hommes, quatre femmes. Du dépouillement scénique, il ne reste que ce savant équilibre des sexes et leur vêtement de toile et de jean : ce sera un mélange des «genres» d’où la peau se libérera.

En atendant“, la pièce d’Anne Teresa de Keersmaeker, commandé pour ce 64e Festival d’Avignon nous  coupera le souffle.  Lors de cette création, tous mes a priori partiront en fumée. Le maniérisme, voire une certaine suffisance, qui semblaient parfois poindre dans la maestria chorégraphique d’Anne Teresa de Keersmaeker, n’étaient peut-être alors que les effets d’une rigueur de recherche sans compromis. Chacun des interprètes teste le sol, apprend à marcher, seul ou ensemble, mais déjà nous sommes avec eux. Car la terre, est notre patrimoine commun. Nous la foulons tous. Voilà que la danse met en musique la terre promise, matière pour sculpter le groupe.

…Sylvain,  les spectateurs du Cloître sont derrière vous. Avec le pied à terre, nous battons la mesure de vos mots…C’est à vous…

Tous les spectateurs sont aussi silencieux que l’espace, attentifs au son des pas et des premiers signes invisibles qu’ils tracent au sol. Le regard des danseurs s’inspecte, s’invite, se jauge. Aller. Retour. Le pneuma, mot grec désignant le souffle et, pour le monde médiéval, l’esprit, bat la mesure. Accompagnés par des chants qu’on entendait au XIVe siècle à Avignon même, les corps s’enhardissent dans des combinaisons toujours plus subtiles. L’Ars Subtilior, ce courant de la musique polyphonique se fond lentement à la danse, qui cache et rend si mystérieuse sa fabrication, qui superpose ses rythmes et complexifie toujours plus ses intentions.

Enfin, dans ce raga du soir, le soleil dépose ses dernières couleurs sur des tableaux inoubliables, corps groupaux enchevêtrés et illuminés par l’engagement de leur contact. Chutes du jour, chutes des époques. Les ressources et le don des interprètes m’animent, guident mon esprit et mon regard. Je me penche et me retourne pour ne rien rater, mais déjà la machine infernale d’Anne Teresa de Keersmaker est enclenchée. Et si je regarde un des corps se suspendre dans le temps et danser de l’intérieur, je ressens tous les autres qui font lien. Un autre mord la poussière à nos pieds. Un autre jouit et s’élance pour le simple et grand bonheur d’être animé.  Étrange sentiment lorsque l’objectivité nous quitte, que la raison s’éloigne et que tout autour devient monde sensible.

Nous enlevons nos armures et la moindre oscillation de note, le moindre détail, un échange de costume, de la terre collée au front, deviennent une affaire personnelle. On s’occupe de nous, on nous coupe de toute pensée et la beauté, surprenante donne, notion méfiée, prend le relais de nos paroles, emballe notre coeur, embue nos yeux. La nuit tombe sur le cloître. L’acuité des spectateurs est mise à l’épreuve, l’attention décuplée. Maintenant peut commencer l’émerveillement.

La transe ultramillimétrée d’Anne Teresa de Keersmaker me saisit et me perd. Je me sens plus humain, très concerné. L’offrande devient manifeste. Le plus jeune s’étend et donne au public la chair de son torse dans la pénombre grandissante de la cour. Il se relève et précise son geste, enlève sa culotte et s’allonge de nouveau dans la même position, une main cachant son visage. Mark Lorimer et Cynthia Loemij, poètes athlètes et fidèles danseurs de Rosas, décuplent de grâce, arpentent et font résonner tout l’espace de leur pieds nus. Nous sommes entrés dans la nuit, je navigue dans l’inconscience. Un danseur nu se jette au milieu et semble danser infiniment, pour la dernière fois, un corps blanc, dessiné par la nuit, unique lumière dans l’espace d’un monde assombri. J’entends derrière moi une personne qui ne peut retenir son émotion. Le spectacle s’arrête. J’essaie de reprendre contrôle, de revenir à mon siège. Je reprends souffle difficilement alors que les rappels et les hourras fusent déjà. L’émotion est partout. Sylvain Pack.

En quittant le théâtre, je marche sur le bitume. J’ai eu ma terre promise. Je ne sais plus où je vais.
Je ne sais plus rien de la danse.
Juste qu’elle est théâtre.
Pascal Bély – www.festivalier.net

“En attendant” d’Anne Teresa de Keersmaker au Festival d’Avignon du 9 au 16 juillet 2010.

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES Vidéos

Au Festival d’Avignon, Gisele Vienne provoque notre reforestation.

Il fallait bien que cela arrive. Chaque année, le festival d’Avignon nous fait vivre l’Expérience, soude la communauté de spectateurs, laisse l’empreinte indélébile. En cette fin d’après-midi caniculaire, la pièce de Gisèle VienneThis is how you will disappear ») est un havre de fraîcheur qui par moment glace la peau d’un spectateur peu habitué à vivre « sa » descente aux enfers. Comment écrire sur cette oeuvre sans rien dévoiler, car la surprise, l’étonnement, la peur font partie d’un processus magnifiquement travaillé?

Difficile de s’en tenir à l’histoire qui compte à peu de mots, mais où les corps projettent nos fantasmes, nos désirs inavoués, nos forces et fragilités. Il faut imaginer une forêt comme décor (avec de vrais arbres sans feuilles qui montent haut et des sapins d’un vert aux reflets noirs), où les odeurs remontent du plateau pour vous inviter à lâcher-prise, où le fond de scène semble s’enfoncer à l’infini pour y perdre votre regard. Votre corps ne résiste pas longtemps à l’appel des sons : l’exceptionnelle musique originale de O’Malley, de Rehberg, vous traverse à l’image de ce faucon et de cette chouette qui parcourent la scène de gauche à droite. Car, ici, tout n’est que traversée en descente dans une pureté de rapport à la nature déconcertante.

Elle est là. C’est une belle athlète. Il est là avec son survêtement blanc cache-misère d’une splendeur passée. Ils s’entraînent, de long en large, mais pas de travers. Impossible. Leur espace horizontal est trop étroit tandis que leur relation s’enfonce dans la forêt. La musique élargit le chemin de la souffrance à une telle soumission. Leur animalité ne fait plus de doute à mesure que les lumières se tamisent pour amplifier le contraste entre leurs corps. Elle est biche, il est loup. Elle est oiseau, il est l’appât. Vous serez peut-être l’arbitre de ce combat de cerfs. Il finit par disparaître, elle aussi, dans un déluge de brouillard et de pluie fine qui vient vers vous pour vous perdre. J’ai froid et je commence à avoir peur du plaisir. Cela sent bon, comme une peau après l’amour. À moins que cela ne soit l’odeur de la mort, celle que vous auriez provoquée pour préserver la survie de votre espèce. Mes vêtements collent et mon corps descend peu à peu du fauteuil. Le Théâtre se (me) métamorphose : dans un processus régressif qui semble ne plus vouloir s’arrêter, tout s’embrouille et tout renaît. De ce culte de la performance dont vous êtes le rapace qui rode, Giselle Vienne vous fait oiseau de nuit et la souffrance se fait brume…

L’arrivée d’une rock star suicidaire amplifie le décor de mort. Les arbres deviennent squelettes, comme s’il l’on projetait sur eux, les os enfouis des artistes et de ceux qui n’en sont jamais revenus. Le blanc de la mort se confond dans l’aube qui éclaire le visage de marionnettes posées là. Fantômes de notre enfance égarée, j’ai perdu de vue les trois personnages du cauchemar. La forêt est un théâtre et nous contemplons notre disparition. Au loin, j’entends le cri du hibou qui  m’emmène au-delà.

La séance est terminée. Je laisse mon fauteuil de théâtre et me retourne. Sophie, celle que j’ai connue il y a dix années sur le parvis de l’Opéra d’Avignon puis trop souvent perdue de vue, semble me dire : «on a fini par se retrouver, car la forêt ne perd jamais les oiseaux qui se reconnaissent à partir du cri d’une danse»…

Pascal Bély – www.festivalier.net

“This is how you will disappear” de Gisèle Vienne au Festival d’Avignon du 8 au 15 juillet 2010.

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FESTIVAL D'AVIGNON LES JOURNALISTES! PAS CONTENT

À Avignon, la Cour du déshonneur.

Avant que le spectacle de Christoph Marthaler ne commence pour sa première, l’actrice Agnès Sourdillon s’approche vers nous. À droite de la grande scène de la Cour d’Honneur du Palais des Papes, elle lit un texte sur le contexte général des politiques publiques. Elle rappelle le bouclier fiscal et la réduction de la TVA dans la restauration dont le montant équivaut au budget de la culture au moment où celui-ci va subir un coup de rabot. Le Ministre est là. Le discours est applaudi, pour ce qu’il est : un diagnostic froid, implacable, mais qui arrive à nous inclure quand elle évoque notre imaginaire et notre engagement d’être là ce soir. Nous aurions pu en rester là. Mais deux comédiens surgissent des gradins et improvisent une bien triste tirade. Ils attaquent le nom du Ministre (Mitterrand) puis font référence à Jean-Luc Hess Président de Radio France. Les amalgames s’accumulent et le public, plutôt uni jusqu’à présent, se clive. La tension monte : spectateurs de gauche contre ceux de droite. Absurde. Car ce soir, ce qui nous lie, c’est le festival. C’était donc de là qu’il fallait nous guider vers une visée politique entendable. Suffit-il encore et toujours de répéter inlassablement le même discours (à savoir, les budgets baissent)? Ne serait-il pas le moment, de proposer aux spectateurs un nouveau contrat social et culturel qui les associerait? N’est-il pas opportun de suggérer des chemins de traverse qui permettraient d’ouvrir les financements ?

La Cour d’Honneur ne sera donc pas le lieu d’où partira l’étincelle, car il reste voué aux conservatismes de tout poil. Inutile de compter sur la presse, qui se contente au mieux de reporter l’événement, au pire de l’amplifier. Laurence Liban  de l’Express ne se gêne pas sur son blog pour poursuivre les amalgames (présent, le ministre de la Culture a reçu l’avertissement et l’appel à la manifestation du 15 juillet. Mais au vu des grappes de spectateurs qui s’enfuyaient au bout d’une heure, et, peut-être, au vu de ce spectacle assez pauvre, au fond, il a pensé que cet argent qui manque  pourrait être mieux employé. Il est possible aussi qu’il ait apprécié la soirée plus que moi. Manuel Vals, quant a lui, n’a pas tenu jusqu’au bout. Il ne fut pas le seul.). Elle mélange tous les niveaux et n’hésite pas à rendre public ce qui est dans la sphère privée. Car, jusqu’à preuve du contraire, le théâtre est encore un espace protégé qui permet à chacun d’entre nous d’être libre d’entrer et de sortir. Mr Valls retournera-t-il au théâtre s’il se sait épié?  Or, nous avons intérêt à ce qu’il s’y rende si l’on veut qu’il défende une politique culturelle globale.

Au final, Laurence Liban ne fait que diffuser une certaine idéologie de l’excellence, reprise par les caméras de BFM TV: les deniers publics ne doivent servir que les oeuvres réussies et qui plaisent au plus grand monde. Ainsi, elle préfère, avec d’autres, mélanger les genres plutôt que de nous offrir une lecture  critique des enjeux. Déconcertant.

Pascal Bély, www.festivalier.net

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Le blablamobile de Marthaler au Festival d’Avignon.

Pascal Bély : Alors que les spectateurs prennent place dans la Cour d’Honneur, je n’ai d’yeux que pour lui. La scénographie d’Anna Viebrock est en soi un spectacle. Des climatiseurs accrochés au mur, du plexiglas aux fenêtres, une antenne parabolique. Au sol, des parquets de toutes les matières et de tous les tons (ah, le lino usé de mon enfance !) de ce hall d’Église qui ne sait plus très bien qu’elle est sa fonction. Là un confessionnal, ici des bancs, là-bas des machines à laver et un frigidaire siglé Coca-Cola. À lui seul, le décor signe la déliquescence des valeurs où le laid sacrifie le beau, où le commerce est religion. La résonance avec le contexte politique actuel est forte. De mémoire de spectateur, je n’ai jamais vu la Cour d’Honneur du  Palais des Papes exploité pour ce qu’elle est : un lieu de pouvoir qui, encore aujourd’hui, est utilisé par le Festival pour démontrer de sa superbe et de sa puissance. Le metteur en scène Suisse Allemand Christoph Marthaler s’offre ce lieu mythique pour réécrire à sa façon l’histoire des papes, métaphore de l’évolution de l’humanité. « Papperlapapp » ouvre le 64èmeédition du festival !

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Francis Braun : Ah bien sûr, ces oppositions sont saisissantes. Ces contrastes et ces contraires sont là pour mettre en branle nos idées reçues sur la Religion, sur ces Papes, ces “rois du looping arrière”, ces Fantômes qui ont arpenté cette scène icône. Qu’en est-il en effet de ce lieu mythique? Le Mur de la Cour d’Honneur, un certain Mur des Lamentations, ce mur qui a reçu en pleine figure tant d’acteurs, tant de danseurs. J’ai aimé ces sols lino-usés, ce confessionnal – peep-show, ces tombeaux érigés, cet homme aveugle cheveux-rouges – canne blanche,  chef de fils d’acteurs si tristes, nonchalants et sans âme. Mais merde, le Théâtre qui vire en opéra, c’est lancinant ! Au bout de 10 minutes, c’est déjà long, on commence à s’ennuyer. On attend qu’ils disent, qu’ils crient…on attend la surprise…Ca y est ils baisent, font semblant, la copulation des Bien-pensants. Après l’orgasme, ils reprennent leur place sur les tombeaux.

Pascal Bély : Mais pourquoi crier ? Précisément, c’est long, lancinent, parfois silencieux parce que le temps pour retracer cette Histoire n’a peut-être pas grand-chose à voir avec un théâtre de texte.  Ici, les corps sont la chair de l’Histoire ! Comment imaginer que cela puisse aller plus vite alors que le catholicisme nous imprègne (presque charnellement) depuis tant de siècles !  Ces quinze acteurs parlent peu et la lenteur permet bien des audaces, car elle relie en continu l’histoire et notre contemporalité : entre un passé lointain où le pouvoir religieux s’autorisait bien des extravagances silencieuses et notre époque où la perte des valeurs fait un bruit assourdissant. Marthaler joue sur la musicalité de ce bruit tout en évitant de nous rendre sourds. Et lorsqu’il faut laisser la place à la fureur, aux cris, il convoque une musique hybride, mélange de classique et de percussions modernes, qui fait trembler les murs et les gradins. D’un coup, l’intérieur du Palais des Papes incarne le vacarme de ce que la religion a détruit au dedans de chacun de nous.

Francis Braun : Je vous accorde ma bienveillance….Je trouve que vous donner un  réel sens a des images  que je n’ai pas senties. Votre position m’intéresse vraiment…mais hier soir, je m’attendais à une autre vision de l’histoire des Papes d’autant plus je ne connaissais rien de Marthaler. J’aurais aimé me laisser aller, vers une candide découverte comme portée par on ne sait quelle magie. J’ai été assommé par la lourdeur de la volonté de dire, d’oublier la poésie et le drame, de ne faire du texte qu’un bavardage banal….Le passage sur les mensonges, ceux qui parlent pour Dieu, le son amplifié des mangeurs de sandwichs, la symbolique des vêtements, la lessive des accoutrements papaux, les règlements de compte conjugaux. A-t-on besoin de tous ces artifices caricaturaux  pour déchiffrer les travers de l’Histoire ?

Je comprends la volonté de “rendre politique et social” toute expérience théâtrale, mais assez du symbolisme et des images appuyées. Pascal, la chair de l’histoire, je veux bien, mais pourquoi est-elle incarnée par une horrible lassitude, une tristesse annihilant, par une parodie ironique et fatigante mimée par des zombies tristes, hagards et qui ne veulent, ni ne peuvent rien laisser transpirer ? En fait, ils parlent tous au nom d’un Dieu-Espoir qui ne trouve aucun écho chez eux. Mais tout d’un coup une belle lumière éclaire le tout, mais vient-elle apporter autre chose ?

Pascal Bély : J’ai ressenti cette lassitude. Enfin, Marthaler se lasse de son théâtre où l’ironie vous prend à la gorge à chaque instant. Ce processus était ovationné l’an dernier au Festival alors que je le dénonçais ! Cette proposition est à l’image de notre époque : le cynisme a remplacé toute proposition. Comment imaginer que le théâtre puisse (pour l’instant) proposer autre chose dès qu’il s’attaqu
e au pouvoir? Il est lui aussi en crise de sens. D’ailleurs, il est étonnant de constater qu’Anna Viebrock a plus de propos que le metteur en scène. Ne doit-on pas y voir une prise de pouvoir progressive des scénographes?

Francis Braun : cher Pascal, je tiens à cette parenthèse….Vous allez me dire que Pina Bausch est ma seule référence et que l’on ne doit pas penser à elle dès que l’on voit une ribambelle de gens arpenter en file indienne un  plateau de théâtre… Chez elle, ses acteurs, ses hommes, ses femmes (je dis bien “ses”) incarnaient la violence, le désir, l’ironie, l’intérêt, la connivence, le témoignage, le clin d’oeil. Leusr yeux, leur regard portait en eux la violence de leur Histoire, la violence de l’Histoire. De leur sourire, se déversaient l’actualité, le bonheur, l’angoisse et la tristesse. Pas d’artifice, seulement la légèreté du Satin. Hier soir, rien de tout cela, ces gens pauvres dans leurs vêtements, ni beaux, ni laids, ni envoûtés, ni passionnés…Ni à l’intérieur d’eux-mêmes, ni à l’extérieur, juste là au service d’un Opéra-Théâtre tellement lourd…. Pourquoi pas d’Expressionisme, pourquoi pas d’incarnation… Comédiens sont-ils?

Pascal Bély : C’est très émouvant ce que vous m’écrivez. Marthaler a probablement réduit votre regard de spectateur, là où je me suis amusé. Vous étiez à terre, atterré. Je vous ai envoyé plusieurs fléchettes amicales pour vous réveiller. Vous avez presque abandonné puis, par un réflexe vital, vous vous êtes souvenu de Pina Bausch, disparue l’an dernier. Et là, le spectateur revit ! Nous voilà sur la même longueur d’onde. Pina n’est plus et Marthaler joue la partition d’un pays lourd, passif. Il ne voit pas que le monde change. Ce soir, au Festival d’Avignon, nous en avons peut-être fini avec ce théâtre-là.

Pascal Bély, Francis Braun- www.festivalier.net

“Papperlapapp” de Christoph Marthaler et Anna Viebrock, à la Cour d’Honneur du 7 au 17 juillet 2010 dans le cadre du festival d’Avignon.

Crédit photo: Christophe Raynaud De Lage

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Festival Off d’Avignon : au Théâtre des Doms, tronches de vieilles, têtes de bestiaires

La marionnette fête son grand retour dans l’univers théâtral. Certes, elle ne l’avait pas déserté, mais nous l’avions presque oubliée. Et pourtant, avec « Trois vieilles » d’Alejandro Jodorowsky, elle permet toutes les extravagances, tous les dépassements dans sa relation charnelle avec son manipulateur. Ce qui dédouble les personnages et fonctionne comme un vase communicant entre le moi, le surmoi et le ça ! Cette pièce jubilatoire à l’humour corrosif conte l’histoire de l’aristocratie décatie incarnée par deux soeurs et leur bonne. Tout est périmé dans la représentation : les corps fripés des marionnettes, le paravent et les rideaux tombant en lambeaux. Le lit à baldaquin, jouet d’adulte, pièce « maîtresse » de ce trio.

La mise en scène de Jean-Michel D’Hoop et le jeu des manipulateurs (Cyril Briant, Sébastien Chollet, Pierre Jacqmin, Coralie Vanderlinden) s’imbriquent pour ne laisser aucun moment de répit et finit par nous entraîner dans une surenchère effrénée. Certes, l’écriture de Jodorowsky est poussive, mais elle lui permet de nous guider dans les recoins les plus obscurs de l’humain à travers les mythes de l’éternelle jeunesse et celui d’Oedipe, qui dépeignent une image cuisante de notre société. Si l’écriture peut nous perdre, on reste accroché à ces trois âmes esseulées de ce trio de roublardes prêtent à se vendre pour être en vie.

C’est alors qu’une métaphore s’impose. Ces « trois vieilles » jouent ce que nous léguons aux générations futures : plus grand-chose tant notre solitude est grande. À la vacuité de la sphère intime, comment laisser trace de soi dans le domaine public ? Les trois vieilles, pour exister, ont trouvé leur réponse : devenir des putains de la société de consommation. Un peu comme les stars qui prêtent leur physique pour vanter les mérites d’un antirides ou d’une marque de jeans…

Tout est sombre. Comme en des temps reculés à moins que ce ne soit dans un lointain futur. La faible lumière laisse apercevoir un hologramme. Une forme humaine, animale ? Happé par les sons, le regard est ensuite attiré par le premier animal d’une longue série. Construit à partir d’un rien, ce petit animal nous parle. Il vit au fond des eaux, des fonds marins, d’où nous venons, bien avant que BP rende invivable le milieu aquatique. Rejoint par un acolyte bien plus gros que lui, cet être inoffensif se laisse dévorer. On assiste alors au règne animal dans toute sa splendeur. Les plus faibles périssent, les plus forts résistent à l’image d’une société humaine. La manipulation des objets orchestrée par Nicole Mossoux nous amène dans un  “ici et maintenant” devenu flou et nous perd dans le foutoir de l’humanité. Les objets prennent possession du corps, se transcendent et se métamorphosent. Ils font leur danse, jouent avec notre perception, finissent par m’agacer, mais me fascinent au plus haut point. Le regard aimanté, la vision du monde se modifie et je me vois vivant au temps de la sorcellerie, où les objets avaient une puissance mystique, bien plus importante que la force consommatrice d’aujourd’hui.

C’est un univers en suspens, un au-delà fantasmagorique, éperdu d’onirisme. C’est du brut, entêtant, strident, comme la vie. Les jeux de lumière et la musique jouée en live par Thomas Turine illustrent ce bestiaire fantastique qui nous croque, nous dévore et finit par hypnotiser. Je mue, me transforme, pour ne faire plus qu’un avec mon assise et poursuivre la démence frénétique de cette danse d’objets.

Avec “Kafer Nahum“, je suis entré dans une nouvelle ère, celle de la mutation transgénique. Je ne suis plus tout à fait moi, plus tout à fait un autre. A suivre…

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

Au Théâtre des Doms:

“Trois vieilles”, d’Alejandro Jodorowsky, par la Compagnie Point Zéro, jusqu’au 27 juillet, à 22h00,

“Kafer Nahum”, de la Cie Mossoux-Bonté, au Théâtre des Doms, du 7 au 27 juillet.