Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Du corps en Avignon.

Le corps traverse quasiment toutes les oeuvres du Festival d’Avignon. Si lors de l’édition de 2005 où Jan Fabre était l’artiste associé, il nous était imposé comme une provocation, cette année il crée un langage. Pour certains spectateurs, c’est une révélation. Pour moi, c’est un bonheur particulier de pouvoir appréhender le texte à partir de la danse comme me l’a permis  Maguy Marin. Mais tous les artistes n’intègrent pas cette complexité de la même façon.

Chez les allemands Falck Richter et Anouk van Dijk, «Trust», est joliment nommé «chorégraphie textuelle». Ici, « l’homme devient une sorte de dessin au crayon à papier aux contours incertains et perdus». Ce flou est incarné par dix acteurs (dont un musicien) qui opèrent un grand écart permanent entre l’intime et le mondial, l’individu et le groupe, l’amour du jeu et le jeu de l’amour. Les corps s’écroulent sur les canapés, forment des grappes le long des échafaudages, s’enroulent puis se perdent dans l’espace. Un couple se déchire parce qu’elle dépense, comme une banque mondiale, des milliards d’euros virtuels qu’il n’a pas. Elle croit avoir été avec lui trois semaines il y a quatorze ans, mais il s’entête à lui rappeler qu’ils sont ensemble depuis quatorze ans, mais qu’elle est partie il y a trois semaines…
Le texte est une logorrhée verbale sur le déclin de l’humain (et au passage de l’humanité). Le discours est connu. Est-il sincère, vrai ? Me bouleverse-t-il pour interroger, questionner, mettre en doute ? Tout sonne comme une évidence d’autant plus que la danse est convoquée, non pour créer un métalangage, mais pour servir, illustrer un texte vif, mais sans visée. Ici le corps n’est pas « politique » mais assujetti au politique, au texte de Richter. « Trust » glisse peu à peu vers le « produit » théâtral parfait. La danse donne de l’image, le texte un son entendable et le tout séduit. Mais surtout, le corps ne porte aucun stigmate de la souffrance parce que Richter s’en fout. C’est beau, mais vide.

berenice1.jpg
« Pour en finir avec Bérénice », tentative théâtrale du chorégraphe Faustin Linyekula pour évoquer la colonisation, emprunte le même chemin que « Trust ». En transposant Bérénice (reine de Palestine qui s’exila à Rome par amour pour Titus, son colonisateur) dans son pays (le Congo), Faustin Linyekula tente de démontrer qu’entre les mots et les corps, il y a le chaos produit par la colonisation. Sauf qu’il délimite en permanence sa chorégraphie (puisqu’il danse sur un côté de la scène et parfois en fond) du jeu des acteurs. Les langages se superposent, mais ne s’articulent pas comme s’il séparait ce que la colonisation savait si bien fusionner. En imposant une langue et son langage du corps, les colonisateurs ont réduit des pans entiers de la culture congolaise. Pour incarner ce processus, Faustin Linyekula danse pour illustrer et créer de l’image. Il « colonise » le texte par un corps qui danse, là où il aurait pu offrir une chorégraphie engagée sur les blessures du corps provoquée par une langue maltraitée. Il peut toujours nous effrayer quand les acteurs proposent de le faire disparaître comme acte de résistance. Trop tard…

Quelques jours auparavant, l’Espagnole Angelica Liddell avait bouleversé le public avec « La casa de la fuerza», puis avec « El ano de Ricardo ». Ici, le corps est politique parce qu’il fait texte. Dans « la casa », nul besoin d’une danse pour illustrer. Le corps est propos. Quand qu’elle est désespérée, Angélica se fait des scarifications sur scène. Tandis qu’elle sent son coeur saigner de tristesse, elle se fait faire une prise de sang pour immaculer ensuite son chemisier blanc. Avec elle, le corps est sexuel parce que textuel. C’est encore plus frappant avec «el ano de Ricardo» où elle incarne LE dictateur. Ses corps « politique » et biologique se fondent parce que tout est lié. « Comment aurait été Lénine s’il n’avait pas été malade » se plaît-elle à dire alors que son corps porte les stigmates de la dépression, qu’elle pisse, qu’elle boit, qu’elle fume,…A côté, son bouffon, muet aux cheveux blonds mal colorés, improvise quelques mouvements d’une grande grâce.

À sa logorrhée, son silence devient le nôtre. Avec Angelica Liddell, ce qui fait danse est un corps qui secrète, qui est traversé par la musique parce qu’elle a toujours accompagné nos métamorphoses. Avec Angelica, boire et manger sont des actes artistiques à l’image de « nourritures terrestres » qu’elle poétise à outrance, mais avec respect. Elle a fait exploser bien des codes établis de la représentation comme si son engagement physique sur scène était sa réponse aux menaces d’uniformisation qui pèsent sur le spectacle vivant. Elle nous déculpabilise en nous aidant à prendre conscience que notre corps est la meilleure voie pour comprendre la danse.

Par sa force, Angelica Liddell nous engage à résister contre ceux qui voudraient manipuler le corps comme «objet artistique ».
Vive la réévolution !
Pascal Bély – www.festivalier.net

“Pour en finir avec Bérénice” de Faustin Linyekula au Festival d’Avignon du 17 au 24 juillet 2010.

“La casa de la fuerza” d’Angélica Liddell au Festival d’Avignon du 10 au 13 juillet 2010.

“Trust” de Falk Richter et Anouk Van Dijk au Festival d’Avignon du 17 au 19 juillet 2010.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage.

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Pour que commence un propos sur la (de)colonisation au Festival d’Avignon.

La (dé)colonisation traverse le Festival d’Avignon avec deux propositions. Cela paraît étonnant de rapprocher deux spectacles aux formes et propos si différents. Tentative.

Le premier « Chouf Ouchouf » des Suisses Zimmermann et de Perrot a séduit une grande partie du public d’Avignon. Alors qu’un spectateur m’interrogeait à la sortie sur mon ressenti, je lui précisais que cette succession d’acrobaties n’avait pas de sens. Ce à quoi, il répondit : « s’il fallait voir du sens partout ». Cette remarque m’a longtemps habité. Comment une telle réponse est-elle possible dans le cadre d’un festival où la question du sens est centrale? « Chouf Ouchouf » est spectaculaire. Interprété par douze performeurs du Groupe acrobatique de Tanger, plusieurs cubes en bois sur roulettes dessinent la ville tandis que le jeu des acteurs métaphorise certains aspects de la culture marocaine. On se cache, on se fait peur, on se regroupe, on s’isole… Les formes pyramidales se succèdent et des saynètes imagées aux propos souvent réducteurs rassurent sur le versant « culturel » de l’oeuvre. Progressivement, les processus dynamiques d’un parc d’attractions finissent par provoquer les applaudissements du public.

L’espace est une aire de jeux (avec des emprunts évidents à «Sutra» du chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui présenté en 2008) effaçant toute chorégraphie (d’où le fait qu’il soit suspect d’y déceler du sens. Le corps musclé de ces acrobates est préféré au corps « intranquille » prolongement du politique). Qu’importe l’histoire entre la France et le Maroc. L’essentiel est de rassurer le public sur ses représentations : on peut observer une culture de son siège, en touriste avec son appareil photo. Ainsi, au coeur du Festival d’Avignon, une culture est réduite à des prouesses physiques et à des marqueurs (ah, le célèbre sac à carreaux et la jeune fille voilée !). Dit autrement, ce colonialisme là appliqué aux Corses, nous aurait probablement proposé une performance cagoulée.

berenice.jpg

Le deuxième spectacle ne reproduit pas les mêmes processus puisque la chorégraphie y est au centre, que le sens voudrait traverser toute la pièce. «Pour en finir avec Bérénice» de Faustin Linyekula est une tentative de porter sur scène un propos sur la décolonisation. Mais rien ne fonctionne sauf le tableau final qui, par sa fonction de sidération, provoque les applaudissements nourris d’un public tout à coup réveillé. En transposant Bérénice (reine de Palestine qui s’exila à Rome par amour pour Titus, son colonisateur) dans son pays (le Congo), Faustin Linyekula tente de démontrer qu’entre les mots et les corps, il y a le chaos produit par la colonisation. Ainsi, le public d’Avignon comprend qu’entre le verbal et le non verbal, qu’entre la danse et le texte, il y a le processus d’acculturation (précisément celui qui fait souffrir certains spectateurs qui réclament – à “corps” et à cri – un théâtre de texte!). Mais avec une dramaturgie cruellement ennuyeuse, une scénographie minimaliste, mais efficace (ah, le café moulu qui s’envole avec le mistral !), une superposition de langages qui ne s’articulent pas (Faustin Linyekula danse pour illustrer le jeu des comédiens), «pour en finir avec Bérénice» crée des espaces où le sens se perd. À aucun moment, les acteurs ne s’engagent physiquement dans leur propos, préférant produire des effets d’images. On peut bien nous proposer deux enregistrements sonores d’une classe récitant une fable de la Fontaine (l’un en 1962, l’autre en 2010), je ne vois pas sur scène où l’on veut m’emmener. Faustin Linyekula dénonce, mais n’énonce rien si ce n’est d’appeler le sociologue Stuart Hall à la rescousse à la fin du spectacle qui rappelle, fort justement, que les immigrés continuent le processus de colonisation que nous n’avons finalement pas stoppé (« Chouf Ouchouf » en est l’illustration).

Je formule l’hypothèse qu’il ne faut pas laisser seul Faustin Linyekula avec un sujet qui le dépasse. D’autant plus que la colonisation culturelle vers les pays du Maghreb se poursuit avec la complicité des institutions qui trouvent avec « Chouf Ouchouf » un spectacle divertissant et économe sur le sens de l’Histoire.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Chouf Ouchouf” de Zimmermann et de Perrot au Festival d’Avignon du 8 au 13 juillet 2010.

“Pour en finir avec Bérénice” de Faustin Linyekula au Festival d’Avignon du 17 au 24 juillet 2010.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage.

 

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Avignon Off : pour écouter le vent.

Ce soir-là je m’aventure vers un lieu encore inconnu, je trouve à l’arrivée un accueil chaleureux dans un tout petit endroit bien sympathique.

La proposition de Bruno Dairou est de qualité. Un théâtre du je, de l’implication, de celui qui ne cède pas à combattre encore. Deux textes, « Les cimetières du nord » et « C’était hier », très beaux, on pense à Koltès. Deux excellents comédiens, Laurent Ciavatti et Antoine Robinet portent le premier, ils nous baladent au-delà de la ville avec brio. Dans le second Antoine Robinet incarne seul un propos engagé, il habite les mots qui sortent  à notre adresse dans un jeu sans esbroufe.

S’il est là, question de différence, de celle qui porte des hommes à aimer d’autres hommes ; ce qui prime, à l’écoute et au souvenir, est d’un ordre bien plus large. On entend ici le rapport à l’autre, on reconnaît la fragilité de ce qui pourrait ouvrir ou fermer  le désir, on entend les chemins de la violence, de la tendresse et de la dignité. On perçoit au-delà des failles, des blessures, des peurs  et des différences, la nécessité d’un être ensemble, essentiel pour que les arbres puissent encore pousser et qu’au-delà des murs on entende toujours un lieu où rentrer chez soi.

vent.jpg

Ne vous arrêtez pas au sous-titre « Chroniques des temps de Sida », ces deux textes méritent qu’on ne les réduise pas à cet aspect, ni même à un choix de sexualité et qu’on ne réserve pas leur porté. Laissez-vous plutôt aller à ce que le vent peut murmurer à votre oreille ce soir-là…

Pour finir, un petit «conseil », pour « C’était hier » évitez le premier rang, assis là, on prend le risque de se laisser happer par la beauté du comédien…

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

« Parce que ce soir-là il y avait du vent » de Bruno Dairou au Vieux Balancier à 23h jusqu’au 31 juillet 2010.

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES

Au Festival d’Avignon, s’abandonner pour la danse.

Le Festival d’Avignon aurait-il de la suite dans les idées? Après une édition 2009 où la danse cherchait sa place et avant celle de 2011 où le chorégraphe Boris Charmatz sera l’artiste associé, 2010 est l’année charnière où se poursuit l’accompagnement du public vers l’idée qu’au-delà des classifications, tout est question de langage. Cindy Van Acker nous propose son parcours comme s’il reposait sur ses épaules de tracer un chemin de danse entre les stars Anne Teresa de Keersmaeker , Alain Platel  et les formes plus radicales de Julie André T. et Angelica Liddell .

Débuté très timidement lors du « Sujet à vif » avec « Rosa, seulement» (sorte de work in progress avec de jeunes acteurs de théâtre immergés dans une série de mouvements sans surprise), Cindy Van Acker s’est déplacé au lycée Mistral pour quatre solos (“Lanx”/”Obvie”/”Nixe”/”Obtus”) où le spectateur vit un moment d’écoute particulier, accompagné par une musique minimaliste et vrombissante! C’est dans ce paradoxe que je trouve le chemin pour mobiliser mes ressources, mon histoire de danse et vivre l’une des expériences les plus stimulantes qu’il m’est était donné de partager dans le cadre du festival.

 cindy.jpg

« Lanx » est une entrée en « matière », interprété par Cindy Van Acker. Au sol, elle invite à lâcher prise, où la ligne du corps se fond, où la courbe contient, où un bras tendu prolonge au-delà des limites. Il devient inutile de vouloir appréhender une vision rationnelle du corps (la tête et les jambes!). Inutile. Mais un fléchage au sol aide à ne pas se perdre, tout en donnant une douce impression de démultiplication de l’espace; je le ressens comme un filet sécurisant entre elle et nous. Pourtant, Cindy Van Acker nous fait confiance: elle sait que nous sommes capables de nous appuyer sur ses gestes minimalistes pour comprendre qu’un mouvement c’est aussi la dynamique de notre regard. Et qu’avec quelques mouvements verticaux, elle vous perd dans sa matière pour vous reprendre alors que le corps roule au sol. Magnifique.

Le deuxième solo, « Obvie » dansé par Tamara Bacci, m’a englouti jusqu’à me faire perdre pied et provoquer un blanc, un  rêve éveillé. Alors que le volume de la musique atteint des sommets, que les murs du plateau de « Lanx » ont été abolis, le noir est le sol du vide, l’abîme. Je perds mes sens, mes perceptions sont embrouillées. Je tombe. Plus aucune image ne me vient. Seuls les applaudissements me ramènent au réel. Je quitte le lycée hagard en me trompant de direction.

Un jour plus tard, « Nixe » m’éclaire. Du « noir terre », je suis propulsé vers l’éblouissement. Perrine Valli s’approche d’une rangée de néons pour y fluidifier la lumière. Elle la traverse du bas vers le haut (à moins que cela ne soit le contraire…), la rend liquide tandis que le plus petit mouvement change radicalement la perception : ce n’est plus un corps qui danse, mais la danse qui fait corps!  À partir de mes sensations, j’investis pleinement l’espace horizontal  crée par Cindy Van Acker: l’important n’est pas ce que je vois, mais ce que je ressens pour voir. Bouleversant. Mais je n’ai encore rien vu.

Le quatrième solo est une apothéose. A la lumière matière du corps de « Nixe », « Obtus » fait du noir une matière où le corps se fond. Debout, Marthe Krummenacher apparaît puis disparaît. Ces apparitions fulgurantes me tétanisent par leur beauté. L’émotion me submerge quand deux bras deviennent deux jambes, qu’une tête fait le dos, lorsque le mouvement crée l’illusion d’un tableau de William Turner. Le noir ne s’oppose plus à la blancheur des néons posés au sol, mais forme avec elle une profondeur sans limites dans laquelle la danseuse se perd. Je transpire parce que le beau procure un bonheur physique, que la danse creuse des galeries dans l’imaginaire où apparaissent des tableaux qui vous précipitent dans un abyme de beauté.
Écrire sur la danse de Cindy Van Acker, c’est plonger au coeur d’une langue de quatre mots.

Lanx Obvie Nixe Obtus, le Nouveau Monde.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Lanx” “Obvie” “Nixe” “Obtus” de Cindy Van Acker au festival d’Avignon du 14 au 18 juillet 2010.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage.

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES

Angelica L.

Ce texte est un poème dédié à Angelica Liddell pour son spectacle « La casa de la fuerza » qui a bouleversé tant de festivaliers. Il est à mettre en lien avec la critique de Pascal Bély. Ce texte est un cadeau. Au théâtre, à Angelica. A nous.

Angelica, on a envie de l’appeler Angelica L, comme on dit de Marguerite D. ou de toute héroïne.
Angelica L. est héroïque.
Elle incarne la Douleur, et la Douleur l’incarne.
Sa douleur rejoint celle de toutes les femmes.
Elle est corps décharné, bras ouvert jusqu’à la souffrance du Christ.
Par son sang elle se souvient de Gina Pane des années 1968;
 
Son sang coule des genoux de son Christ.
De sa douleur, elle a les clous de sa scarification, elle saigne de sa douleur, on lui prend son sang avec un tel plaisir qu’elle l’offre ensuite avec un grand sourire.
Elle déverse sur la blancheur de son linceul, le rouge de ses veines.
 
L’avion passe avec un enfant, le voyage ainsi commence.
Cinq heures à les voir chanter, danser, parler, c’est cinq heures comme cinq minutes, c’est cinquante  années de cris, c’est ainsi,  le long voyage de sa vie.
 
Aimer à ce point pour mourir toute seule, faire sa toilette de son corps avec des citrons, se mutiler jusqu’au plaisir de la douleur, elle se sent comme une merde, sa solitude est un scandale.
Elle continue, néanmoins à manger du Tiramisu…
 
Être pute ou mourir, on installe les canapés d’une manière inversement logique, on fait la course jusqu’à l’étouffement, on enterre l’autre sous le charbon, on l’étale, on l’enlève…
Angelica éclate de douleur, se déchire et nous attache. Elle  est  regardée, on la respire, elle nous attache encore plus et on devient son intérieur.
On se sent liquéfié puis  absorbé par son corps et par ce qu’elle dégueule.
Son histoire devient une histoire immense….ses soeurs-femmes l’accompagnent et vivent la douleur des autres.
On est fatigué, le corps a du mal à suivre, on est avec elles toutes, ces femmes, ces soeurs, ses frères de déchirement.
On est dans la stupeur, on veut que cela continue encore jusqu’à demain, encore, toujours, le temps ne  compte pas, il passe et on ne s’en doute pas.
Jan Fabre  nie l’histoire individuelle, Angelica L nous impose le contraire. Elle passe avant  tout le monde. Elle est l’exemple.
 
Des musiques pop aux paroles effrayantes, un violoncelle et des fleurs, un moment inouï comme posé là, hors du temps. Avec des fleurs, Brel et Elvis, des images à la Pina (encore-toujours), la lenteur de l’amour, je te cajole, je t’aime, calme et volupté, les petits canapés de Gulliver, la force du Culturiste, tiens je renverse la voiture, je suis un mec moi !!!!
 
Comment sortir de là, épuisé, éreinté dans un bonheur inouï de grâce et de suspension.
 
L’autre soir, l’Espagne a gagné…Elle l’a appris, elle a hurlé de bonheur, sautillant comme une enfant, tellement heureuse.
La douleur d’Angelica était cicatrisée, et nous, nous étions meurtris de bonheur.

Francis Braun – www.festivalier.net. 

A lire la critique de Pascal Bély en Français et en Espagnol.

“La casa de la fuerza” d’Angélica Liddell au Festival d’Avignon du 10 au 13 juillet 2010.

 

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival Off d’Avignon, aux pères et caetera.

Le nom du père, avec une rare constance depuis des lustres, se transmet de père en fils. Le fils lui-même, dans une égale logique de tragédie, devenant père.
Le tout s’orchestrant en fautes majeures et chacun fera, c’est dit, mieux que le précédent lorsqu’il endossera le costume. Que les fratries s’en mêlent et le drame prend de l’ampleur. La mère, de sa noble et malheureuse double place, regardant la scène en attendant la fin…inéluctablement…
Tout ça vous dit quelque chose?
Deux pièces du off vous proposent d’aller vous délecter du goût d’hier, ou d’aujourd’hui, à voir avec nos histoires de famille.

« Les langues paternelles » par le collectif De Facto vous démarre la visite au moment de la mort du père. Le registre, même s’il est là de famille juive, explore toute la gamme des émotions traversantes où chacun aura une occasion de se retrouver, voire de se rencontrer. Une très belle scénographie inscrivant le déroulement de la pièce et le poids des mots portés avec intelligence et justesse par les acteurs. Le jeu, bien habité prend parfois un rythme qui s’emballe…un peu trop? Quoique… si je me souviens de mes histoires familiales, ça devait s’emballer tout autant pour bien peser sa livre? Le texte est beau, bien vu et on est touchés de se rencontrer souvent au coin des mots.

recits.jpg

« Récits de table » de Marielle Rémy et Guillaume Servelly vous invite à la version repas. Celui du dimanche ou des grands jours avec entrée, deuxième entrée, plat et dessert. Celui du quotidien avec le plat mitonné, la conserve ou la soupe? Bref, tous ces repas en famille où la table est le lieu de tous les découpages de chairs. Là encore, la scénographie est belle, les scénaristes comédiens sont très bons comme dans les deux premières pièces de la trilogie. Leur inventivité à dessiner les espaces avec trois fois rien est ici encore parfaite. Le fait de donner vie aux hommes et femmes de trois générations marque joliment l’idée que tout un chacun, dans le jeu des transmissions, navigue et se débrouille avec avoir été, être et devenir. La question de qui ouvre ou coupe le chemin, restant le n?ud de vipère.
On croise dans ces deux créations bien des moments connus ou reconnus, ceux là amenés avec subtilité et espace pour le sourire, le rire, la tendresse ou l’émotion. Le plaisir de réentendre que nous ne sommes pas uniques dans nos histoires de familles dédramatisant les flashs, parfois amers, de nos mémoires.

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

« Les langues paternelles » par le collectif De Facto au Théâtre des Doms à Avignon du 7 au 27 juillet.
« Récits de table » de Marielle Rémy et Guillaume Servelly au Théâtre Girasole jusqu’au 31 juillet.

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Aux Hivernales d’Avignon, la carte géopolitique de Frank Micheletti

Ils sont trois sur un plateau dépourvu d’effets. Deux danseurs et un guitariste. Deux âmes et un politique. Tels des énoncés de discours politiques, les accords joués par le guitariste résonnent dans les corps dansant leur état, leur passé et leur avenir. Lui, Idio Chichava, le noir, et son double, Frank Micheletti,  le blanc. Deux corps qui oscillent de manière différente, mais avec un but commun, nous raconter.

Tout commence dans la pénombre. Il bouge au centre du plateau. La faible lumière nous laisse l’entrevoir. Il est le berceau de l’humanité. Ses gestes lents marquent la difficulté de son être. L’acte de naissance est beau. Le tissu de ses muscles dessine son territoire.

kubi.jpg

Scandée par les riffles, la danse d’Idio Chichava est lourde de sens. La couleur de sa peau nous immerge dans un pays lointain, meurtri, où le corps est torturé. À le voir s’enrouler autour de la ficelle raccordée à la guitare, je pense à la prison et à ses sévices. Un corps déchiré qui s’agite et nous emmène dans un ailleurs. Il faut partir vite, se dégager, aller vers, trouver asile dans un lieu plus serein, empreint de liberté. L’entrée de Frank Micheletti apaise la tension corporelle. L’un contrebalançant la force de l’autre, le duo se forme. Les corps se mélangent faisant disparaître la couleur de peau. Il est noir, il est blanc, il est un tout.
Ce tout libère les corps. Ils dansent à perdre haleine. La musique accélère le rythme, le regard s’immerge dans cet espace que les corps dessinent. Je suis ici, ailleurs, à l’intérieur, à l’extérieur.
Je m’accroche aux interprètes. Ils sont ma bouée de sauvetage. Je suis pris dans un naufrage. Un naufrage humain.
Puis, tout se calme. Frank Micheletti est seul en scène. Il nous offre une danse sensible dans laquelle le corps a toute sa place. Il suspend le temps, je reprends mon souffle. Je pense au duo passé. Je me sens tout à coup seul, comme si la perte de l’un amputait mon autre.
Je repense alors au spectacle d’Ayse Orhon, vu il y a un mois au Festival d’Uzès Danse. Elle dansait le silence, eux dansent le rythme. Elle m’offrait la peur du vide, ils m’offrent la peur du plein.

Ressurgit alors le double, pour une tombée en abîme, racontant les corps de l’apartheid, la peur de mourir ici. Une sombre histoire qui n’a de cesse de se répéter. Le langage du corps prend toute sa mesure. Il est politique, économique, porteur d’une histoire sociétale, et appartient à nos identités culturelles avant de nous appartenir. Idio Chichava danse jusqu’au noir. Il s’accroche au plateau, pour nous dire son combat, et libère son corps avec le dernier souffle de sa vie.

Je quitte la salle abasourdi, regagne la lumière crue du dehors et le monde bourdonnant autour de moi. Je viens d’assister à une leçon géopolitique, très lointaine de l’effervescence avignonnaise. Depuis, le corps d’Idio Chichava m’habite. Cette danse est un acte politique nous dépassant.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

Espaço contratempo, de la compagnie Kubilai Khan Investigations, au Théâtre des Hivernales, tous les jours à 19h00. Rela^che le 17 juillet 2010

Crédit photo: Eric Boudet

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Aux Hivernales d’Avignon, Fabrice Ramalingom singe l’homme et réinvente la sensualité.

Animal presque, Homnimal, Homme dans tous ses états quoi qu’il en soit. Bien joli costume beige doublé rouge, chemise rouge en accord, le garçon s’est habillé pour la parade. Il va nous la jouer quarante cinq minutes durant et nous séduire avec force de talent et d’humour.

Fabrice Ramalingom a bien observé ses semblables et s’est bien observé, il a semble t-il atteint une distance suffisante pour  ouvrir la voie de nos traces mnésiques avec une belle tendresse. Il visite dans une gestuelle magnifique une foule d’attitudes que mâle déploie pour imposer sa « virilité » ; il distord avec malice et finesse l’attitude, le genre et le corps imposés. Il moque avec un bel aplomb l’usage du non que l’on acquiert en grandissant et qui égare le oui dans l’ombre des sentiers de nuit.

L’homme est un loup pour l’homme car il oubli le singe, c’est bien pourtant de l’arbre qu’il est descendu avant de courir l’asphalte. Avec une douce poésie Fabrice Ramalingom nous le prouve en image. L’homme peut alors être tendre et inviter à lâcher les armes quand il sait s’habiller de lui-même, le corps à nu et s’habiter assez fort de ses traces pour mieux se reconnaître et être reconnu.

fabrice.jpg

Donc, n’ayons crainte d’être vu à un spectacle estampillé jeune public, il y a toujours un enfant qui sommeille en nous et qui lui n’a pas oublié le singe. Et puis m’est avis que certains passages risquent de donner de drôles d’idées aux petits…

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

« Comment se Ment  » de Fabrice Ramalingom -Théâtre du CDC- Les Hivernales d’Avignon –  13H00 du 11 au 23 juillet

Une vidéo en ligne ici.

Crédit photo: Eric Boudet

 

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON HIVERNALES D'AVIGNON

Aux Hivernales d’Avignon, panique à tous les étages.

Il est le musicien, elle est la chanteuse. Ils sont M. Loyal, le gardien de cet immeuble. Ils sont italiens, ça se voit. Comme une marque de fabrique: lui, le bel italien, elle, la mode incarnée. La lumière s’étiole, la musique commence et la voix envoûtante de la chanteuse me berce et permet l’accès aux autres. Ils sont le pont qui nous relie au plateau. Ils sont les passeurs. Un balai de portes débute. Elles tombent, se relèvent, s’ouvrent. Juste le temps d’apercevoir les hommes et femmes qui vivent de l’autre côté.
Ils sont cinq. Cinq, comme les doigts de la main. Unis, désunis, incarnant le vivre ensemble. L’espace scénique nous invite dans leur lieu d’habitation, dans leurs chassés-croisés. Tous sont célibataires (le mal du siècle), cherchant des moyens de communication, d’échanges. Le mouvement lie, délie les rencontres, les corps, nos corps, et souligne l’importance de l’humain qu’Internet a si facilement occulté.
Leur danse fluide a un aura tout particulier: elle est d’une sincérité déconcertante. J’imagine les accompagnant, sonnant à leur porte, dans leur danse empreinte de multiples références (Pina est toujours avec nous).
Leurs histoires s’inspirent du quotidien et l’influence de la Cinecittà est reconnaissable. Visconti, Rosseline, Fellini soufflent sur leurs échanges. Les images de Vespa, de la Mama, de la vie d’immeubles dépeintes dans les vieux films italiens, de l’animation des ruelles, prennent vie sur le plateau. On se sent comme chez soi est c’est ici que la légèreté apparente de la proposition laisse entrevoir l’acte politique et sociétal de la danse. La fragilité des relations humaines mise à nu par le jeu des portes, la beauté des corps se découvrant et la fête pour mieux enivrer les pantins du monde, sont les ingrédients de cette réussite chorégraphique, et invitent le public à l’empathie. C’est une décharge contre le politique, car transposer les personnages dans un immeuble fantasmé, c’est évoquer la dureté de la vie, les privations auxquelles nous, citoyens européens, sommes prêts à affronter (l’image de la rose entre les dents est remplacée par celle du céleri, contexte économique oblige!). Leur monde est le nôtre et toute ressemblance est fortuite.
italie1.jpg

J’ai aimé me perdre dans les étages de cet immeuble avec cette bande d’amis, trouvant refuge dans notre cercle, à fredonner des chansons pour endormir les banbini et nous faire supporter le réel.
Je ressors heureux, bercé par la légèreté ambiante qui se dégage de cette proposition, comme si je venais d’écouter un discours politique où tout irait bien.
Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

Canzoni del secondo piano, de la compagnie Tecnologia filosofica, au Théâtre des Hivernales, à 10h00, juqu’au 23 juillet.

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Thomas Lebrun et ses contes à découvert.

Au festival Off d’Avignon, le solo de danse se fait discret dans l’affichage orgiaque de la ville. Difficilement «vendable», c’est le bouche à oreille et la notoriété du lieu qui fait office de promotion. Thomas Lebrun jouit d’une excellente réputation. Remarqué dans le « in » avec «Parfois, le corps n’a pas de coeur», il présente au Off trois solis rassemblés dans le programme «Allone#3» qui permettent d’appréhender un propos chorégraphique complexe. En jouant sur les mots (Allone, alone, seul), le solo pour exprimer la solitude, le corps, la marchandisation de notre époque et approcher cette danse aux multiples facettes.

lebrun1.jpg

Pour débuter, un solo épuré. « Gwiazda » est époustouflant. Interprété par Anne-Emmanuelle Deroo, votre coeur ne cesse de battre à la mesure de ce corps pris de légers spasmes à l’origine du  mouvement. Métaphore de la chrysalide, vous ne la quittez pas, car la limpidité du propos accueille votre sensibilité. L’hyperbole de l’énigme du Sphynx donnée à résoudre à Ulysse plane. De la naissance à la vieillesse, couchée, puis debout, Anne-Emmanuelle Derro s’envole comme un oiseau de nuit qui aurait peur de la lumière. Magistral !

L’arrivée de Lora Juodkaité dans « to do this, don’t do that » est plus tonitruante. Tailleur classique, perruque noire, lunettes bling-bling, elle arpente la scène d’un pas assuré, entre défilé de mode et parade de séduction dans une boîte de nuit. Le personnage déroute. Il faut attendre qu’elle crée le ralenti, pour qu’une fragilité émerge. La carapace tombe. Dépourvu de ses artifices, notre danseuse a du mal à nous regarder droit dans les yeux et seul un juste au corps doré la protège de la  nudité. Torche vivante, elle se consume à chercher sa place, à assumer un rôle, prise dans de multiples contradictions. Elle nous promène, nous perd parfois, nous récupère parce que le corps enfermé dans certains codes de la danse classique, s’affranchit par la recherche d’un langage où l’émotion transperce sa peau dorée. Elle est l’humain polymorphe préférant s’égarer dans les méandres de  la représentation sociale quitte à se perdre elle-même. Touché mais pas coulé.

À peine remis, le voilà qui arrive. Thomas Lebrun en personne ! Claquettes au pied, comportement nonchalant. Il interpelle l’administrateur – régisseur- technicien (on est au off !), prêt à insulter le public de le déranger dans la torpeur de l’été. Il dit nous proposer une pièce non terminée, présentée en son temps à Lyon. Clin d’oeil au Off qui autorise tous les recyclages, mais aussi au système de diffusion qui ne permet plus aux oeuvres de se déployer dans le temps et l’espace. Notre inquiétude de spectateur d’être largué en rase campagne se déplace peu à peu! Pris dans la tourmente d’une valse de Vienne, la lumière devient plus inquiétante et le voilà affublé d’un masque de banquier en queue de pie puis d’une créature « féminine »  cauchemardesque. Leur danse bat la mesure d’un mix composé de musiques  publicitaires. Apportant une charge contre notre système marchand (tout se vend, pas de perte, que du profit), les recycleurs des musiques classiques, tel André Rieu remplissant des stades avec ses Valses de Vienne, n’ont qu’à bien se tenir. Thomas Lebrun explore et démonte les mécanismes de notre société qui a oublié tout sens premier jusqu’à se perdre dans le mauvais goût. Le découragement initial du chorégraphe devient (notre) son cauchemar : il noie sa danse dans le brouhaha marchand où la banque, coproducteur, le poursuit.

Mais l’homme a des ressources. Il tombe le masque, nous offre sa danse virtuose qui vous soulève le coeur de tant de grâce. Le final gourmand signe l’exigence d’un chorégraphe prêt à métamorphoser son angoisse en mouvement généreux. Rare et précieux.

Pascal Bély-Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

« Allone#3 »de Thomas LEbrun à Présence Pasteur jusqu’au 14 juillet 2010. A suivre, “La constellation consternée” du 15 au 26 juillet à Présence Pasteur.