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FESTIVAL D'AVIGNON THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Au Festival d’Avignon Off : Travelling Hiroshima.

Aller revoir, dans une nouvelle version, ce bijou qu’est pour moi « Hiroshima mon amour » tient, comme à chaque fois, du désir et de la crainte de croiser un autre regard que celui de  Resnais…
J’entre dans la salle avec en tête le massacre orchestré sur ce texte par Éric Vignier au festival d’Avignon en 2006, pourtant amoureux spécialiste de Duras…Aie…Chasser ça pour créer l’espace ouvert?
Je décroche, l’espace scénique m’attire et je laisse le champ libre… « Tu n’as rien vu à Hiroshima. Rien?  J’ai tout vu. Tout ? », Les premiers mots m’emportent, comme à chaque fois…

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Julien Bouffier met tout à vue du processus de représentation, l’endroit et l’envers du décor, les techniciens. Il n’occulte pas que le texte est à l’origine fait pour le cinéma, il s’en sert pour nous faire naviguer entre le corps image et le corps chair. Il ose les chansons pop avec Dimoné en chorifé, elles servent le propos et l’invite à une nouvelle époque. Vanessa Liautey et Ramzi Choukair portent leurs personnages sans avoir à souffrir de la comparaison avec Emmanuelle Riva et Eiji Okada. La magnifique scénographie d’Emmanuelle Debeusscher et JB ouvre et éclaire le texte.
Une heure trente plus tard j’ai voyagé d’Hiroshima à Nevers en allers retours, j’ai entendu l’amour comme une bombe et Hiroshima comme la fin de tout amour humain. « Tu n’as rien vu à Hiroshima. Rien?  J’ai tout vu. Tout ? ». Autre regard, mais toujours le même trajet…Hiroshima Nevers, violence, perte, crime, châtiment, douleur? Comme un cri, comme une bombe? Une rencontre? pour revivre? pour tourner la page? pour se reconstruire? pour se construire? sur les ruines? pour l’amour? Hiroshima Nevers?, on n’en termine jamais de l’amour et de la mémoire.
Tu n’étais pas tout à fait mort.
J’ai raconté notre histoire.
Je t’ai trompé ce soir avec cet inconnu.
J’ai raconté notre histoire.
Elle était, vois-tu, racontable.
Quatorze ans que je n’avais pas retrouvé … le goût d’un amour impossible.
Depuis Nevers.
Regarde comme je t’oublie …Marguerite Duras.

Dans nos boîtes à souvenirs, toujours un peu de terre, un peu de sang, des larmes, des morts et des amours finis encore à recommencer.
Elle : “Je n’ai rien inventé.
Lui : Tu as tout inventé.
Elle : Rien. De même que dans l’amour cette illusion existe, cette illusion de pouvoir ne jamais oublier, de même j’ai eu l’illusion devant Hiroshima que jamais je n’oublierai. De même que dans l’amour“. Marguerite Duras.

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

“Hiroshima mon amour” de Marguerite Duras , mise en scène de Jérôme Bouffier. A la Manufacture d’Avignon jusqu’au 27 juillet 2010.

Crédit photo: Marc Ginot.

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FESTIVAL D'AVIGNON LE THEATRE BELGE!

Au Festival Off d’Avignon, l’adolescence chagrine.

Belle tentative que d’essayer de mettre le doigt là où ça fait mal à l’adolescence. “Le chagrin des ogres”  de Fabrice Murgia s’appuie fortement (trop?) sur la technologie pour tenter de nous faire entendre (de nous rappeler) le bruit et la fureur de cet âge “cruel”.

Autopsie d’un passage où l’on doit lâcher hier pour aller vers un ailleurs dont on ne perçoit, à ce moment,  que le tonitruant bruit d’un renoncement de soi. L’enfance est là abîmée, ensanglantée, à l’image de cette poupée humaine qui arpente la scène et enjoint, câline ou vociférante, de ne pas céder. Le monde adolescent nous est montré comme enfermé dans la prison des espaces numériques, la relation à l’autre s’établissant via la caméra et internet à coup de « mensonges » scénarisés ou d’obsessions « infantiles ».

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Peut-être est-on avec «le chagrin des ogres» trop dans la métaphore archétypée,  tant dans les tableaux pathologiques des personnages que dans les rappels d’un réel de faits divers. Il me semble regrettable d’avoir raccroché ces portraits à des faits d’actualités trop marqués par les couvertures médiatiques dont ils ont fait l’objet. Le tableau me paraît trop tranché et pourrait renforcer l’idée que c’est par le « scoop » que l’on peut faire entendre sa souffrance. Cela bien sûr étant, je le crois, à l’encontre de ce que souhaite la troupe.
Ce travail pourrait être un excellent outil de prévention et permettrait d’ouvrir le dialogue avec ceux qui traversent ce bouleversement. En ce qui me concerne je n’ai pas retrouvé trace de mon histoire, je sais…, elle date du temps d’avant internet. Mais, en cela, cette proposition peut revendiquer une parole de son époque.
Je n’ai pu m’empêcher de penser à une autre pièce vue l’an dernier au Off : « Chatroom » qui traitait une problématique similaire, mais avec une mise en scène moins « spectaculaire » et un propos à mon sens plus fouillé.
Cette proposition me laisse donc sceptique, je ne peux m’inscrire dans un regard net, c’est peut-être là l’un des objectifs de ce chagrin que de donner à questionner ce que l’on voit et de ne pas trancher. Puissent, dans ce cas, les larmes des ogres ouvrir des espaces où percevoir et entendre que l’enfance n’a pas besoin d’être jetée comme un vieux « doudou » pour se lancer dans le monde des « grands».

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

“Le chagrin des ogres” de Fabrice Murgia à la Manufacture (Avignon) jusqu’au 27 juillet 2010.

Crédit photo: Cici Olsson.

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FESTIVAL D'AVIGNON Vidéos

Au Festival d’Avignon, Cosima, Jean-Luc, Papa, maman, le festival, et moi. Sans moi.

« Le sujet à vif » m’ennuie. Nichée au coeur du Festival d’Avignon, cette programmation a longtemps étonné. Depuis trois années, elle déroute comme si le schéma de « commande passée à » produisait un « entre soi », des formes narcissiques où l’on se regarde à défaut d’ouvrir le regard vers un ailleurs.
Je ne m’attarderais pas trop sur le programme D où se succèdent les commandes passées à Christophe Fiat et Foofwa d’Imobolité. Dans le premier cas, Laurent Sauvage, guitare en bandoulière, nous conte l’histoire de Cosima de Flavigny (maitresse de Richard Wagner). C’est long, froid, immobile. Fiat transforme ce bel homme en glaçon qui peine à fondre. Pour la deuxième proposition, « Au contraire », le chorégraphe Foofwa d’Imobolité nous propose une danse à partir de Jean-Luc Godard. Je connais peu ce cinéaste. Je n’en saurais pas plus. Il y a de l’amusement sur le plateau, mais je me sens au dehors d’une chorégraphie pourtant érotique. Je deviens glaçon, qui ne fond pas.
Le programme C déçoit fortement d’autant plus que deux grands noms en ont pris les commandes : la chorégraphe Olivia Grandville et la comédienne Ariane Ascaride.

La première conte l’histoire du festival d’Avignon à partir de sa famille. En fond de plateau, un grand panneau (genre brainstorming né d’une réunion de managers d’entreprise), où l’on a jeté là les figures mythiques du Festival d’Avignon (Vilar, Bagouet, Bausch, Godard, Moreau,.. ;) et des dates clefs (1968, 1992, 2003, ?). Sur scène, Olivia Grandville, sa mère (Léone Nogarède) et la danseuse Catherine Legrand. Ainsi peut commencer le voyage comme un défilé de cartes postales. Cela ne me traverse jamais d’autant plus qu’Olivia Grandville fait peu de liens entre ce festival et les processus familiaux. Or, la relation au Festival d’Avignon est un rapport presque « charnel » que la danse met à distance. Olivia Grandville semble dépassée par l’ampleur de la tache d’où ce besoin de délimiter par des ronds et des traits qui ne veulent rien dire sauf à tracer sa propre traversée dont elle peine à donner de la substance.

Suffit-il qu’un nom soit posé pour qu’il soit incarné ? Suffit-il d’inviter sa mère sur le plateau (au demeurant fort sympathique, mais dont je ressens la fonction contrôlante du « témoin ») pour qu’un lien se noue entre l’histoire du théâtre, d’Avignon et celle des spectateurs ? La forme donne l’impression d’une déconstruction (en effet, rien n’est chronologique) mais la façon d’aborder l’histoire reste binaire tant la succession d’images et de sons finit par exclure le sens de l’Histoire. C’est un passage en revue, un diaporama, un texte à l’épaisseur d’une carte postale, là où j’aurais tant apprécié du relief, de l’écho. Seule l’évocation de la crise de l’intermittence de 2003 trouve une certaine résonance mais ici aussi, on survole à partir de bribes de discours et de lettres des ASSEDIC là où le silence aurait été plus approprié.

Avec Ariane Ascaride dans “proposition d’un jour d’été” l’histoire prend son temps. Pendant un long moment, elle nous explique le concept de « commande ». Elle s’excuserait presque d’être là. Enfermée elle aussi dans la carte postale, elle nous conte l’histoire du théâtre à partir de sa vie familiale à Marseille. En se plaignant d’être « la madone des ouvriers », elle ne peut s’empêcher d’y revenir même si l’habit ne fait pas le moine. Ariane Ascaride joue la petite fille de son père, là où j’aurais aimé approcher l’humilité de la grande comédienne face à l’histoire. Elle me perd définitivement dans le pittoresque et le dernier tableau où elle danse dans un costume de lumière ne me rattrape pas. Je suis déjà loin.

Au final, entre une “semaine » et « un jour d’été“, on effleure de peur d’être trop présent.
Pascal Bély – Le Tadorne

“Proposition d’un jour d’été” à partir d’un texte de Marie Desplechin; “Une semaine d’art en Avignon” d’Olivia Grandville au “Sujet à vif” du 19 au 25 juillet 2010.

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Big Bang au Festival d’Avignon.

Même le chien ne parlera pas…ou pas de blablabla“, ou “ padutoutpaperlapap »…ou peut-être “ une île pour quoi faire“.
Ça me change des éléments de langage…
Ça me change du prêt à voir et à entendre…
Ça me change…

Avec « Big Bang », Monsieur  Philippe Quesne est doué pour l’art du rien et du tout à la fois.
Monsieur Philippe Quesne est peu loquace, mais il arrive à dire beaucoup de choses avec juste un peu de rien qui nous remplit. La fin du festival d’Avignon approche. On m’a beaucoup dit, mais j’accueille. Il y a encore de la place pour qu’il m’aide à articuler tout ça…

Dans “La Mélancolie des Dragons“, spectacle présenté en 2008 au Festival d’Avignon, il y avait une histoire, du début à la fin, totalement insolente.
Il nous surprenait constamment, et on était ébahi, heureux, émus, déstabilisé, émerveillé comme des enfants. C’était un conte de nulle part, avec sa magie incongrue qui tombait, il faut dire, toujours à pic…
Big Bang“est autre chose.
C’est une proposition différente même si on retrouve ses points de repère. C’est  un concept plus abstrait, c’est une situation qui se veut être plus un état qu’un récit parlé. À vrai dire, ce  n’est pas une vraie histoire.
Et si on lâchait l’histoire? Comme ça, pour voir ce que ça nous fait. Sans histoire, que devient le spectateur ? ll est nu, il cherche à se rhabiller. Moi, j’enlève, j’enlève…Sans être à poil, «Big Bang» me met seulement à découvert…

Je vous livre un secret…le chien ne parlera pas, et en plus  n’attendez pas de long discours.
Décrire ce qui se passe serait réducteur.
Il y a l’éternelle neige chère à Philippe Quesne. Il y a la voiture toujours là, mais cette fois à l’envers…
Il ya le feu des hommes préhistoriques, des formes informes en fausse fourrure qui, comme des pachydermes, se meuvent en rampant; il y a comme des pingouins qui ressemblent à des Pénitents en goguette, il y la neige, la chaleur, il y aura l’eau, l’île, les bateaux, les arbres…
Il y de l’humanité. Celle que l’on ressent si peu à force d’être soumis tous les jours au flux des images, au flux RSS, au flot des mots…Ici, du mouvement, que du mouvement. Et du beau. Oui, du beau, car c’est le langage de l’humanité. Vous ne voulez tout de même pas qu’elle se mette à parler SMS traduit en Anglais ?
 
On prépare quoi ? Nous, on ne sait pas vraiment, mais le Script, lui, le sait. Il s’occupe de “ses ouvriers” de l’espace, des lumières, il bricole en coulisse et les comédiens obéissent docilement aux conseils prodigués.
On ouvre l’espace de la scène, et on comprend à ce moment-là que le Maître de cérémonie a dû être plasticien, ou graphiste. En tout cas, maître es-espace, maître es-insolite, peut-être maître es-absurde.
Ce maître de cérémonie remet délicatement du sens. Les «autres», sont hors du coup, hors champ. Ils ont explosé en vol, laissant derrière eux voiture retournée, barbecue d’été et une cargaison de bateaux gonflables. Du stock, il ne reste plus grand-chose. Le toujours plus, le travailler plus pour gagner plus n’est qu’une vieille inscription retrouvée sur les parois des trous à rats.
 
(Les Chemises hawaïennes rivalisent de couleur, les bateaux arrivent…il ne manque plus que le Youkoulélé…!)
Le script -metteur en scène est habile. Souvent présent sur le plateau, il dirige…Mais que dirige-t-il et qui dirige-t-il …? Des singes, des otaries, des scaphandriers, des astronautes ?
Il essaye de donner des indications minimales pour une éventuelle « Règle du Jeu ».
Il ressemble à un maitre de ballet qui donnerait des conseils sur scène, c’est un absurde directeur d’acteurs, c’est Tadeusz Kantor dirigeant des poissons dans un nébuleux Vivarium…
C’est le chorégraphe de nos âmes perdues entre crise interminable, chaos politique et  promesse d’une révolution verte qui développe peu à peu le langage de la norme, du contrôle du désir. Ici, entre l’eau, la terre et le feu, l’homme marche sur l’eau, plonge si c’est beau, seulement si c’est beau. Il est cosmonaute pour se prendre la tête et redécouvrir d’en haut ce que la fourmilière du bas lui cache…

 
Si sur scène on prépare quelque chose, c’est avec beaucoup de riens et ce sera juste vouloir bouger d’un centimètre l’objet du décor pour que ce soit parfait.
Un voyage  imaginaire ou plutôt dire le Big Bang ?
Pas d’importance,  car c’est un moment suspendu, un humour tellement tendre, une “caverne pour nos vieux jours”…c’était juste, c’était chaleureux, on aime, on se laisse aller au plaisir…
Au Big bang, le laisser aller est un art, là où ailleurs, il est la politique du pire…

Francis Braun en maître de cérémonie, Pascal Bély enpachydermerampant sous les couleurs du Big Bang!, tous les deux Tadornes..

“Big Bang” de Philippe Quesne au Festival d’Avignon du 19 au 26 juillet 2010.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage.

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Le rock full sentimental de Pierre Rigal.

Micro” m’accueille avec ma fatigue de trois semaines de festival, avec mes doutes, mes enchantements, et mes barrières de défense. Mais elles s’écroulent dès la première minute, parce que sa générosité donne confiance. La dernière création du chorégraphe Pierre Rigal est un moment de pure jubilation, rassembleur sans être démagogique, populaire sans pour autant verser dans la facilité. “Micro” est une œuvre très soignée, où chaque «plan» (il y a des instants où l’on se croit au cinéma) est minutieusement réfléchi, où le lien entre les séquences évite d’emballer le vide, mais donne du souffle. «Micro» est drôle, très drôle. Le public rit. Beaucoup.

Car Pierre Rigal et ses quatre acteurs-danseurs-musiciens jouent avec le corps sans jamais tomber dans la caricature. Car « Micro » dégage une tendresse infinie, une empathie envers les groupes rock qui brûlent actuellement les planches des festivals de l’été. Après avoir créé la chorégraphie du football dans « Arrêts de jeu », Pierre Rigal s’attache aux rockers. Enfin. Qui plus est dans « la chapelle des Pénitents Blancs », sur cette scène minuscule, comme un hommage à la musique, à la danse seule capable de créer du sens dans un espace aussi réduit (pour ceux qui auraient vu « Press », on sait que cet homme pourrait danser avec son petit doigt dans une boîte d’allumettes).

Car qui n’a jamais été troublé par les déplacements des musiciens lors d’un concert, par la fascination qu’exerce leur corps sur les foules en délire, par la manipulation des instruments qui prolonge l’humain bien au-delà du biologique ? Pierre Rigal prend tout cela et nous embarque dans un concert d’une qualité exceptionnelle.

Lorsqu’il arrive pour incarner le rocker, je suis fasciné par la précision du geste et la dramaturgie qui s’en dégage : le rock est solitude, mise à nu. Il y a là un langage, des codes où la béquille du micro n’est pas sans rappeler la barre de la danseuse classique, où la posture verticale est celle du perchiste. La question de l’émancipation est tout autant posée : comment s’affranchir de ces verticalités, déjouer les codes, tout en sécurisant le groupe ? Parlons-en du groupe ! Au commencement, on pourrait imaginer Pierre Rigal dansant seul au
milieu des micros et des instruments pour nous proposer une chorégraphie « acrobatique » dont il a le secret. L’arrivée des chanteurs (dont la troublante Mélanie Chartreux en «danseuse malade» échappée du camion de Boris Charmatz !) est un tableau inouï où Pierre Rigal s’amuse de l’interaction entre la technologie et le corps. Les machines se métamorphosent pour créer le fluide du vivant (et inversement!). À partir de cet instant, Pierre Rigal et son groupe s’autorisent toutes les audaces, car ils savent que le rock est la musique du croisement des arts, de l’hybridité et qu’il est révolution. Pendant plus d’une heure quarante, les corps créent l’interaction, définissent les contours d’une « micro » société où les prises de pouvoir s’entremêlent avec les liens de solidarité qui finissent par électriser des corps en folie. Avec Pierre Rigal, tout est affaire de démesure, mais dans le beau. Seulement dans le beau. Et avec humour. Les postillons sont feux d’artifice, des baguettes créent l’univers de la marionnette, des cymbales posées sur des visages donnent l’illusion d’un tableau de Magritte…Ici, tout n’est que fluide. Le sens se propage à la vitesse de l’humain avec l’énergie du désir. Celui d’en découdre avec les frontières (ici, le chant se transmet de bouche en bouche,…magnifique), avec l’individualisme (ici on se porte, on se supporte), avec l’idée que le concert n’aurait aucune dramaturgie (alors qu’ici, le metteur en scène joué par Pierre Rigal est omniprésent).

Je suis venu pour de la danse, j’ai assisté à un concert chorégraphié.

Vous étiez venu pour de la musique, vous avez eu une performance dansée de rockers endiablés.

Vous vouliez du rock, ils vous ont offert un théâtre de corps musicaux textuels.

Nous étions au Festival d’Avignon ; en eaux troubles et tumultueuses. Ils se sont jetés dans la fosse aux lions pour nous faire rugir de plaisir.

Pascal Bély – Le Tadorne.

“Micro” de Pierre Rigal au Festival d’Avignon du 23 au 26 juillet 2010. 

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES

Au festival d’Avignon, la claque.

 Je ne suis pas très à l’aise face à la cohorte des spectateurs sans billets qui attend dehors. La programmation est injuste : des spectacles, mais des jauges réduites. Ce sentiment d’être à part est renforcé par le lieu même. Le collège catholique «Champfleury» d’Avignon me saisit dès mon entrée : une cour, la Sainte Vierge en ligne de mire et une aile de bâtiment à l’architecture carcérale. J’entre léger. J’en sortirais bouleversé.

C’est ici que Christoph Marthaler présente « Se protéger de l’avenir » (« Schutz vor der Zukunft »), spectacle déambulatoire, entre expositions aux étages et deux pièces de théâtre dans le gymnase. L’idée de ce parcours est née en 2005 lorsqu’il découvrit les archives de l’hôpital Otto-Wagner de Vienne : de 1940 à 1945, ce lieu fut un centre d’expérimentation et d’extermination d’enfants et d’adultes souffrants de troubles psychiques.
21h30. Le public est invité à visiter certaines salles du collège où Marthaler a créé des espaces d’exposition. Ici des jouets d’enfants en bois. Poignant. Là, des mouches mortes posées sur le carrelage blanc de la salle de physique. Angoissant. Un peu plus loin, dans le couloir, à défaut d’écouter aux portes, on tend l’oreille contre le mur sur de petites enceintes accrochées à des tableaux: des explications sur le sort des malades mentaux dans cet établissement viennois glacent le sang. À côté, sur une porte, je lis : « bureau de la supérieure ». Frissons.

22h. Nous entrons dans le gymnase. Point de gradins. Mais des tables de banquets. Verres sales, miettes de pain, cotillons usagés. Nous arrivons un peu tard. Sur la gauche, un piano et un orchestre où des musiciens fatigués attendent. En face, le projecteur est braqué sur un pupitre décoré aux couleurs de l’Autriche. Nous assistons à un meeting où différents orateurs aux habits collants sur corps disgracieux discourent. Entre apologie de l’eugénisme et phrases langoureuses pour vanter les vertus de l’entreprise et du pays, je navigue en eaux troubles. L’ennui me gagne malgré les numéros d’acteurs. Je ne saisis pas où Marthaler veut m’emmener. Je sors machinalement mon téléphone. Comme une bouée pour me sauver du corps politique. La salle s’amuse, je suis ailleurs, le devoir de mémoire attendra… Le temps s’étire pour noyer les consciences. Marthaler brouille les pistes et crée le contexte où l’on écoute sans rien entendre de la tragédie qui se trame.

Entracte. Les acteurs ont investi les salles d’exposition. Ils font des lectures sur les discours de l’époque, jouent du piano. Elle parle seule dans la cuisine. Maman est folle… Le collège se transforme peu à peu en espace carcéral et psychiatrique. Malaise. Résigné, je suis perdu. Sans force. Le travail de Marthaler fait son oeuvre.

Minuit. Le gymnase. Retour sur le lieu du crime. La scène est immense en comparaison des gradins. L’Histoire a besoin d’espace. Il s’avance vers nous avec ses grosses lunettes contre ce rideau vert qui n’est pas encore tiré. Il est à la fois l’enfant et le commanditaire. Les mots s’entrechoquent entre horreur et déculpabilisation. Transpiration. Le rideau s’ouvre. Revoilà notre groupe échappé du meeting. Ils déambulent sur cette immense scène où est posé le piano. Certains s’avancent vers nous pour continuer le discours : on s’excuse du crime, mais  on obéissait aux ordres ; il fallait bien le faire pour obtenir telle promotion, tel avantage. Les mots des enfants se mêlent à la déculpabilisation.

La musique saisit la tragédie tandis que le groupe se métamorphose peu à peu. Voilà nos fous. On entend leurs cris, leurs larmes sortent de leurs trompettes de la mort. Ils font la queue. Refont la queue. C’est au fond, là-bas. On devine la salle d’expérimentation. On devine…Mais on n’en a pas fini avec eux. Ils réapparaissent avec des masques d’enfant posés sur nos visages d’adultes. Ils dansent, tapent des pieds pour faire fuir l’amour et nous réveiller. Leurs souffrances ont laissé les empreintes qui guident nos pas de citoyen humaniste. Les corps tombent à terre, puis tirés par le col, reviennent et ainsi de suite. Le fou revient toujours. C’est la danse de l’Histoire, la musique mémorielle : comme un devoir, je suis là. Et bien là. Je tremble. Bouche asséchée, gouttes de sueur. Le corps du fou entre dans le corps du spectateur.

L’instant est sublime parce que toute l’humanité est là : dans ces corps, sur leur masque. Assis à la table du banquet, ils nous fixent. Retour à la case départ. Ils nous fixent. La soprano Rosemary Hardy entonne un des “Kindertotenlieder” de Gustav Mahler. Nous ne bougeons plus. L’Histoire est là. Ils nous fixent.

Avec amour.

Les fous vont nous sauver.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Schutz vor der zukunft” de Christoph Marthaler au Festival d’Avignon du 21 au 24 juillet 2010.

Crédit photo: Dorothea Wimmer.

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FESTIVAL D'AVIGNON THEATRE MODERNE

Au Festival d’Avignon, un Kafka comme jamais !

S’il est des textes dits « classiques » qui à certains moments ont la portée d’être d’actualité, « Le procès »  de Franz Kafka est de ceux-là. Le metteur en scène allemand Andreas Kriegenburg nous en offre une démonstration magnifique.
Au-delà de l’absurde et de la noirceur du texte, nous sommes invités à en percevoir le côté « burlesque ». La mise en scène convoque l’esprit du cinéma muet et nous renvoi vers ces héros des temps modernes qu’enfant nous avions du mal à comprendre plus loin que le premier degré. C’est une proposition qui nous emmène inévitablement l’esprit à l’Est et l’on pense au chorégraphe  Joseph Nadj. Le dispositif scénique qui évoque un oeil, un puits, une focale, éveille les images et l’imaginaire avec une grande richesse: toujours à l’Est, Pabst et  à l’ouest Buster Keaton, Lloyd, Chaplin? La scénographie magnifique éclaire l’écran de nos nuits blanches, mais peut, parfois, nous faire perdre le fil tant elle ouvre vers d’autres univers. C’est peut-être là le défaut d’être trop tenté de créer de l’image sur scène.

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Ici le théâtre intègre la danse pour alléger un rêve cauchemar ; elle le porte vers un réveil au sourire moqueur de qui saurait que la vie se joue avec la lumière. L’espace du drame, comme « un manège » qui tourne et ondule, mais dont il est nécessaire de descendre pour en palper l’épaisseur, n’est pas sans évoquer ces boîtes à musique où la danseuse en tutu continue sa ronde bien qu’on vérifie les lois de la gravité en la remuant de bas en haut. La portée politique et actuelle de la pièce laisse entendre toute sa mesure, elle éveille une potentielle conscience à ouvrir l’oreille et les yeux. Ce, pas seulement sur notre voisin, de droite ou de gauche, mais sur la facilité avec laqueCommentaires 0lle les systèmes se créent et nous dévorent.

Pour mieux souligner l’universalité de K, ici il est unique et multiple. Un, trois, cinq, sept c’est par l’impair qu’il s’illustre.

Il finira un, chemise éclaboussée de sang sur la roue du temps, délaissé par ses pairs, un seul suffira pour la survie temporaire des autres.

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

“Der Prozess” de Franz Kafka mis en scène par Andreas Kriegenburg au Festival d’Avignon les 16, 17 et 18 juillet 2010.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Au Théâtre des Halles, notre survie adviendra.

Les liens entre notre humanité et de nos modèles de (sur)vie tissés par « Simples mortels », roman de Philippe de la Genardière et titre de la dernière création d’Alain Timar, n’est pas un simple catalogue des catastrophes, mais un constat sur nos histoires intimes et collectives dans un monde globalisé.

Des années 80 à nos jours, Alain Timar brosse des portraits féroces de capitalistes consuméristes hédonistes (hédoniste au sens contemporain, à savoir le plaisir égoïste). Dans le no man’s land où se trouvent nos cinq formidables interprètes (Paul Camus en jeune homme sorti de l’adolescence, Yaël Elhadad onirique femme fatale, Nicolas Gèmy en trader, Roland Pichaud en costume pour poursuivre la fête (sic), Claire Ruppli en bourgeoise proche de la crise de nerfs), tout est chaos, poussière et délabrement à l’image de leurs pensées et de leurs corps. Bien qu’en façade, tous soient proprets, la montée du consumérisme et du capitalisme sauvage en a fait des êtres avides du néant.

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Ici, la complaisance se réduit au décor apocalyptique. Seul dans un même et unique paysage, chacun trouve sa force pour continuer à avancer. Il faut du courage pour tomber amoureux de la femme en rouge malgré les années SIDA, pour échapper de son bureau et voir s’effondrer les tours du World Trade Center, pour s’apercevoir du vide de son existence et se frayer un chemin dans ce monde globalisant.
Adoptant des postures tragédiennes, le jeu des comédiens déroute et nous met en touche. Il paraît dépassé, voire « ampoulé », mais illustre notre tragédie contemporaine, celle de ne plus savoir donner de sens aux actes et d’être perdus en chemin. La perpétuelle gestuelle finit par étinceler et éclairer la mise en scène. Elle accompagne les mots à leur juste valeur.
Depuis, je ne cesse de penser à ces belles images offertes. Me voilà coquelicot à l’image de l’affiche du spectacle : un être fragile au milieu des décombres de notre société, mais prêt à créer un monde nouveau.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net
« Simples mortels » création 2010 – Alain TIMAR a été joué au Théâtre des Halles, du 8 au 27 juillet, à 14h00.

Crédit photo: Manuel Pascual

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Au festival d’Avignon, les forces motrices de Jeanne Balibar et Boris Charmatz..

 

 

Bouleversé. Transpercé. Bousculé. Avec la danseuse malade“,  Jeanne Balibar et Boris Charmatz démontrent ce que l’on omet trop souvent: la danse est un art difficile, engageant, qui déforme, tord, essore, décolle, plie. Distancié de deux rangs seulement, je suis ébloui au sens propre, comme au figuré : rarement la danse ne m’a été évoqué de cette façon, avec autant de sincérité, de fragilité, d’humilité. Sans faire scandale, «la danseuse malade» fait rupture dans le consensus mou actuel qui entoure certains spectacles chorégraphiques, où le “public consommateur” se questionne peu sur le processus oubliant que cet art se régénère à partir de sa transdisciplinarité.
Tout commence par une explosion sur la tête. Le corps disparaît presque dans la fumée.
Ça tousse dans la salle.
Déjà.
Un camion blanc avance, téléguidé du plafond par un cordon ombilical. Boris Charmatz et Jeanne Balibard sont au sol, qu’ils décollent comme un plasma ; ils fusionnent puis se séparent. Je ressens une naissance, celle d’une nouvelle représentation du butô, l’une des danses les plus caricaturées qu’il soit. J’y suis. Ils ne me lâcheront jamais : du plasma à mes tripes. Les corps explosent, se liquéfient ; se fluidifient. C’est beau. Impressionnant. Elle se dégage, monte dans le camion. Elle a pris froid ; tout ceci finit par la fragiliser ; elle est enrhumée. Parle du nez. Le corps parle toujours.Nous voilà partis pour une conférence, où les mots de Tatsumi Hijikata « co-père » du buto, loin du bavardage, traversent le corps de Jeanne, prêt à se briser contre la vitre. Le camion véhicule le corps, mais peut à tout moment l’écraser, nous foncer dessus. Je le suis des yeux alors qu’il arpente la scène, avance, recule, tourne sur lui-même. Il nous éblouit et se fait danse. Les mots buttent, déchirent et le corps se cogne, à se prendre la tête.
Le butô vient du dedans, comprenez-vous ? C’est la danse des mots qui se heurtent au corps. Voyez-vous?
Ce spectacle me ronge de l’intérieur : il me révèle des émotions nouvelles.
Mes mots butent.
Ces deux-là m’ont trimbalé dans le chaos.
Boris Charmatz a fait danser le théâtre.

Pascal Bély
www.festivalier.net


“La Danseuse malade”, de et par Jeanne Balibar et Boris Charmatz, a été vu au Théâtre de la Ville du 12 au 15 novembre 2008. Actuellement, au Festival d’Avignon du 21 au 24 juillet 2010.

La blogosphére est inspirée: à lire deux regards sur “Un soir ou un autre” et sur “Images de danse

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES

Joseph Nadj rend plumes le Festival d’Avignon.

Il existe une danse démocratique, ouverte à tous, qui pousse délicatement les portes de l’imaginaire, sans brutaliser, mais avec la force du propos. Ce soir, au Festival d’Avignon, « Les corbeaux » du chorégraphe Joseph Nadj et du musicien Akosh Szelevényi ont ébloui, sans effraction, pour nous inviter à découvrir l’atelier du «peintre danseur» et du «musicien pinceau».

Tout est en place pour que nous puissions suivre avec délicatesse, loin du brouhaha des crises, cette métamorphose de l’homme-oiseau. Tel un médiateur, Nadj accompagne. Derrière une toile défilante, il se cache pour dessiner ce qui lui passe par la tête au carré...Le papier déroule et je m’enroule dans cette carte de l’imaginaire, celle tracée par les oiseaux migrateurs qui volent au dessus de nos têtes alors que nous empruntons les chemins de traverse.

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Puis, il apparaît. Avec son costume noir, il est nuit et ses cheveux gris se font lune. Tandis qu’une poudre noire descend du ciel, Nadj et Akosh jouent une musique d’étoiles filantes à partir de cylindres. Est-ce des bombes déterrées? Ce rituel funéraire prépare une renaissance. Ma vue se trouble.

Je le suis, j’ai confiance. La musique étonne, détonne, m’enveloppe. Joseph Nadj poursuit son voyage et le corbeau pointe le bout de son nez pour se faire pinceau. La danse remplume, le mouvement dessine le squelette de l’oiseau, et le corps vole. Le corbeau accueille le pinceau volatile de cet homme devenu le Michel Ange de nos parois nocturnes. La musique amplifie le battement d’ailes tandis qu’il plonge dans un liquide amniotique noir pour renaître de ses cendres.

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Nous y sommes. Il scintille comme si les étoiles s’étaient collées à lui pour l’éclairer. Il se pose sur la toile, sur le bord de nos fenêtres d’où nous contemplons son envolée qui provoque la tempête du sublime. Notre souffle coupé le fait fuir. Il ne crie pas et la musique silence. Cet oiseau de bel augure a rejoint les rapaces de nuit dans la forêt de Gisèle Vienne.

Je le suis, car le Festival est le territoire des humains migrateurs qui se perdent dans la forêt pour voler de leurs propres ailes.

Pascal Bély – www.festivalier.net

« Les corbeaux » de Joseph Nadj et Akosh Szelevényi. Au Festival d’Avignon du 18 au 26 juillet 2010.

Photo: Christophe Raynaud de Lage.