Catégories
ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON

Nos premières offinités pour Avignon.

L’exercice est toujours périlleux : comment présenter en une heure une programmation tout en éveillant le désir et la curiosité? Beau pari pour le collectif de la Manufacture à Avignon qui réussit, par ses choix pluridisciplinaires, à dépasser la frontière entre le festival «In» et «Off». Pas moins de quatre lieux pour croiser l’esprit manufacturé : la Manufacture (intra-muros), la Patinoire (extra-muros), l’Espace 40 (librairie et rencontres en tous genres avec des journalistes, rue Thiers) et le parking du Marché d’Intérêt National (pour vivre des expériences insolites avec la compagnie Appel d’Air pour le premier Drive in de danse !).

La programmation semble s’articuler autour d’un projet à forte dimension sociale. Citons d’abord, trois oeuvres très appréciées et déjà chroniquées par le Tadorne : «  LIFE : RESET/Chronique d’une ville épuisée » de Fabrice Murgia, succès du dernier KunstenFestivalDesArts de Bruxelles et «Les rêves» de Ivan Viripaev du Théâtre de l’Alibi / Centre dramatique itinérant de Corse et “La grammaire des mammifères” de William Pellier. Nous suivrons particulièrement trois autres propositions : «Un homme debout» de Jean-Michel Van Den Eeyden et Jean-Marc Mahy; «Fait(s)divers à la recherche de Jacques B» par La Volige, compagnie de Nicolas Bonneau;  le «Quand m’embrasseras-tu ?» du poète Mahmoud Darwich, par la compagnie Brozzoni. Autant de formes représentatives de la création artistique contemporaine dont le visage polymorphique permet à la programmation de la Manufacture de sonner juste. Son envie de s‘a-grandir légitime une présence à l’année sur le territoire avignonnais. Les projets sont nombreux et innovateurs. À noter celui de la Web Tv qui impliquera des jeunes des quartiers d’Avignon autour des métiers du spectacle vivant (thème retenu pour cette année). Les actions pédagogiques ont aussi leur droit de cité avec les ateliers menés avec la compagnie Appel d’Air autour de la danse contemporaine. À souligner aussi que l’Espace 40 devrait se pérenniser.
Comme pour tout bon festival, la Manufacture aura son espace de rencontre : les AfterNightschots seront très courus comme le sont les soirées au Bar du In.
Pour résumer: une inscription sur le territoire, trois lieux de spectacles, une librairie, un lieu pour se montrer et démontrer, des partenaires tels que Radio Nova et le magazine Mouvement pour des discussions et autres émissions en direct?
Un souffle de contre festival va se lever.
Laurent Bourbousson – www.festivalier.net
Festival de la Manufacture du 8 au 28 juillet dans différents lieux : Manufacture, 2 rue des écoles, Patinoire, Espace 40, 40 rue Thiers, Parking du MIN.
Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Pour une levée des conflits au Festival d’Avignon.

Avant de prendre la parole face au public venu nombreux, le chorégraphe Boris Charmatz se tortille. Se prépare-t-il pour danser et se jeter dans la fosse aux lions? Probablement. Artiste associé de la 65e édition du Festival d’Avignon, il sait que le rôle l’expose jusqu’à nous confier plus tard que tout commence pour lui avec cette première rencontre. L’homme a de la ressource pour créer un climat de confiance, d’autant plus qu’Avignon n’est pas un festival de danse. Le public fait preuve ce soir d’une belle curiosité, démontrant une fois de plus qu’Avignon est un festival de création et de langages.

Boris Charmatz commence donc par poser un contexte historique. Le sien. Enfant, il passait ses vacances à Berlin, là où la création artistique était déjà le fruit de croisements et d’enchevêtrements. D’Avignon, il se souvient d’un spectacle en 1989 où Maguy Marin avec  «Eh qu’est-ce-que ça m’fait à moi !?” se faisait conspuer. À partir de ces deux anecdotes, le message est explicite : vive la controverse, la diversité, et les nouveaux langages ! À une approche descendante du lien à l’art, Charmatz préfère les chemins de traverse : « Je suis resté un spectateur, car je ne pense pas les choses en terme d’échelon». A ceux qui attendraient de lui une vision bien précise de son rôle d’artiste associé, il répond modestement «qu’il est là aussi pour apprendre». S’ensuivent alors quelques extraits filmés de ses créations (aucune ne fait partie à proprement parler du «patrimoine» populaire de la danse). Nous découvrons, distanciés.  Puis vient un joli moment d’émotions avec «une lente introduction» (2007), sculpture vivante de chairs et de mouvements. Manifestement, Boris Charmatz danse en inversant les prémices, dans des espaces particuliers pour un «spectacle mental».

«Et pour cet été?», s’impatientent (en silence) quelques spectateurs!

Il fait un détour par le «Musée de la danse» qu’il dirige depuis deux ans à Rennes. C’est un Centre Chorégraphique National, pensé comme un musée en mouvement, ouvert dans le temps. Je le relie à Marseille, où Michel Kelemenis prépare l’ouverture de «KLAP Maison pour la danse», espace à disposition des complémentarités avec les acteurs culturels, pour ouvrir la ville aux chorégraphes.  Il y a chez ces deux artistes une vision moins descendante du positionnement institutionnel, plus rhizomique, plus créative.

Mais ce soir, le public souhaite savoir. Que veut Boris Charmatz pour Avignon ?

De l’ouverture, toujours de l’ouverture. A-t-il l’intuition que les Français sont à la peine pour penser les articulations créatives? «C’est le moment de s’ouvrir», précise-t-il, «il faut la perméabilité des corps, de la porosité, de ne plus être dans le regard qui juge». Tout un programme, qu’il va décliner à la Cour d’Honneur, avec dix adultes et trente enfants. Car «l’urgence, c’est la question de l’enfant. Nous faisons pression sur lui ; nos enfants portent nos angoisses et nos problématiques d’adulte. C’est donc politique». Mais à côté de la Cour, il désire nous faire vivre un moment particulier avec son dernier spectacle, « la levée des conflits», qu’il voudrait bien jouer dans un grand pré (et y retrouver l’esprit de Woodstock!).  L’intention est palpable : Boris Charmatz pose la question de la place du collectif au festival d’Avignon (tant du côté des artistes que des spectateurs). Il compte donc investir l’École d’Art pour «soutenir le geste collectif» (à partir de créations au croisement de l’exposition, de la conférence et de la performance), car «l’expérimentation est la chose la plus solide que l’on ait». «J’ai envie que le festival résonne collectivement, qu’il soit un espace de perméabilité» finit-il par préciser.

«Oui, mais qu’avez-vous à dire au peuple tunisien ?»

Boris Charmatz reste sans voix.

«Quel message voulez-vous faire passer pendant le Festival ?»

Boris Charmatz pense avoir été explicite.

«Pourriez-vous nous faire une improvisation ?»

C’est alors qu’il invite le spectateur à monter sur scène. Deux minutes pour créer le lien, l’alchimie, le souffle. Suspendu, le moment est unique, car généreux.

Mais Boris Charmatz sait probablement que le public du Festival est prêt pour des ouvertures à condition qu’elles ne soient pas seulement des expérimentations esthétiques. Pressent-il que l’édition 2011 devra faire du bruit et non du tapage? On est un certain nombre ce soir à vouloir l’accompagner, car «la nouvelle voie», si chère à Edgar Morin, s’improvisera collectivement.

Pascal Bély – www.festivalier.net

Compte-rendu de la rencontre publique organisée par le Festival d’Avignon le 20 janvier 2011

Boris-Charmatz-Levee-Des-Conflits_theatre_fiche_spectacle_u.jpg

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON Vidéos

Avant le Festival d’Avignon, Boris Charmatz prépare sa (ré)création.

Le danseur chorégraphe Boris Charmatz avait rêvé d’un spectacle qui n’en serait pas un, qui serait une sculpture, une pièce méditative. Pas d’heure de commencement à laquelle impérativement gagner son fauteuil, plutôt un «monstre», disponible au regard pendant une durée donnée. Une compagnie éphémère de 30 danseurs pour une forme inédite de «chorégraphie immobile». Le tout sous l’égide de Roland Barthes pour qui le neutre est vu comme le «désir de la levée des conflits».

Mais…, Jacques à dit : un…, deux…, trois…,  vingt quatre…, soleil…

C’est comme un grand jeu d’enfant pour nous dire seul et ensemble.
Comme un coloriage en 24 corps pour nous offrir un dessin vivant.
Comme un happening de créativités individuelles pour former un corps social.
Comme un idéal participatif où l’un plus les autres, en co-apprenant, constituent un tout et où, si l’un manque, le sens s’appauvrit.
Comme une utopie d’amour enfantine qui fait que l’on est prêt à aller jusqu’à l’épuisement pour être de la partie improvisée sur la cour…
Comme un « rêve » que l’on « oublie » en devenant « grand »…
Comme un peut être compatible avec deux et plus, sans combat, dans le projet d’une réalisation qui tient du désir à vouloir créer, co-créer, un espace collectif qui ne prend pleinement sens que dans l’addition.

Boris Charmatz et ses compagnons de jeu nous offrent, en ces temps de colère, une vision ouverte où se projeter dans un être ensemble créatif. On aimerait alors monter sur la scène pour participer au tableau hypnotique et caresser la confirmation que l’on est moins sans l’autre, et inversement.
S’il a créé, comme il le dit, un « trou de danse », ce serait pour y glisser nos imaginaires « utopistes » ; mais aussi pour y laisser entrer, par les courtes phrases que chacun amène, les univers de multiples chorégraphes habitant l’histoire individuelle des corps en mouvement. En ce sens, c’est autant  au Roland Barthes de «Fragments du discours amoureux» qu’à celui de «Le neutre» ou «Comment vivre ensemble» que le propos me renvoie .
Cette danse mouvante et fluide, ce kaléidoscope de grains de sable humains qui se resserrent et se déploient, se frottent ou s’éloignent, ouvrent en grand les fenêtres. Les grammaires qui composent nos liens à l’autre ( à côté, avec, contre, sans, qui), trouvent là un espace où se déployer.
Boris Charmatz n’a pas pu créer l’objet dont il avait rêvé, les danseurs, épuisés, ne pouvaient pas tenir les 4 heures imaginées et les contraintes à lever quant à la place du public n’ont pu être résolues. Qu’importe, il a réussi à écrire le beau songe d’une danse « méduse » partagée, il a ouvert un espace empli d’une vitalité salutaire.
Là où le sculpteur enlève de la matière pour faire apparaître l’oeuvre, il a, lui, ajouté de l’être pour faire advenir une belle création.
Bernard Gaurier – www.festivalier.net
« Levée des conflits » de Boris Charmatz au festival mettre en scène à Rennes du 4 au 6 novembre – Au théâtre de la ville à Paris du 26 au 28 novembre – A Bonlieu/scène nationale d’Annecy les 23 et 24 février 2011.
Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Festival d’Avignon : finalement, c’est la bonne direction.

C’est une voix qui résonne dans la salle Benoit XII : “je vous remercie de mettre le spectateur en état de risque”. Cette belle phrase est adressée à Hortense Archambault et Vincent Baudriller, actuels directeurs du Festival d’Avignon, dont le mandat se termine bientôt. À ce moment précis, nous sommes quelques-uns à ressentir ce qu’il nous est arrivé l’été dernier. Ces deux-là nous propulsent à chaque édition dans le risque et l’instabilité. Ils «accompagnent» le travail de certains spectateurs (dont votre serviteur) à se confronter aux formes contemporaines de l’art, au langage théâtral, loin du clivage entre texte et corps. Le public a beaucoup progressé si l’on se réfère au succès rencontré par les chorégraphes et les performeurs de l’édition 2010. Depuis 2004 (date de l’arrivée du binôme actuel), Avignon est devenu “le” festival de création contemporaine comme se plaît à le rappeler un spectateur lorsqu’il fait référence au dernier spectacle de Warlikowski chahuté par le public parisien (« ça, c’est un spectacle pour Avignon !»).

Mais ce soir, pour cette soirée bilan, une partie du public a besoin de (re)jouer sa régression infantile. Il y a toujours ceux qui regrettent Jean Vilar (Vincent Baudriller a raison quand il dit:«vous ne retrouverez jamais une mise en scène de Jean Vilar», « le théâtre est toujours un art du présent »). Il est donc beaucoup question de « Richard II », joué dans la Cour d’Honneur. Soit pour vanter la traduction de Frédéric Boyer (une spectatrice nous fait un joli cours à ce sujet précisant que «traduire, c’est aussi créer»), soit pour dénoncer l’ennui de la mise en scène. Mais derrière ce reproche, toujours le même regret : Vilar est mort ! Jusqu’à la sentence d’un spectateur : «vous ne savez pas doser entre théâtres classique et contemporain !».
Puis vient toujours le moment d’opposer le « in » et le « Off » (Hortense Archambault a raison quand elle dit : «ce n’est pas le même projet artistique»). ll y a aussi ceux qui regrettent le froid dans la Cour ou qu’il n’y ait pas de sanisettes dans les rues. Certains spectateurs s’inquiètent même de la proportion d’Avignonnais dans le public. D’année en année, ce type de rencontre rejoue sa dramaturgie: celle d’une France qui regarde son passé, admire ses cloisons et regrette sa puissance perdue!
Loin de cette musique habituelle,  Hortense et Vincent (comme on dit ici; seul le Ministre de la Culture osa la formule sur France Inter, « Hortense et son ami »)  justifient la présence de Christoph Marthaler dans la Cour. Ils ont voulu le faire entrer dans l’histoire du festival. L’Histoire tranchera.
Plus tard, ils reçoivent des applaudissements chaleureux pour avoir organisé le bal du 14 juillet. Que cela puisse les encourager à poursuivre ce travail de réchauffement des relations entre spectateurs ! 
Puis vient le moment où je questionne leur projet de développement. Ils nous expliquent le projet de la Fabrique, futur lieu de répétition et de création qui devrait sortir de terre en 2013. On rêve avec eux d’un développement régional de la création autour d’Avignon qui rayonnerait  au-delà des frontières. J’imagine avec eux des espaces d’accompagnement du public pour en finir avec cette idée qu’il faudrait être formé pour aller au théâtre.
Je rêve alors d’une région PACA ouverte à la création contemporaine, d’une France accueillante envers les créateurs étrangers.
D’une France qui ne se laisserait pas séduire par le divertissement facile ou s’enfermer dans le théâtre patrimonial.
On se prend à rêver d’emprunter cette voie.
Mais finalement, pourquoi devrait-on changer de direction ?

Pascal Bély – www.festivalier.net.

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Bilan du Festival d’Avignon 2010.

Le Festival d’Avignon est un festival de langages. Depuis 2004, le binôme de direction Hortence ArchambaultVincent Baudriller a fait voler en éclat la frontière entre danse et théâtre, posant le langage comme seul repère au risque de s’entendre reprocher que « cela ne parle pas ».

Pour l’édition 2010, cela m’a parlé parce qu’il a été question du corps dans l’espace intime, social et politique, pour imaginer l’inimaginable. Premier bilan pour s’en reparler?

La douleur est politique.

Elle est venue d’Espagne pour crier « gare » ! Angelica Liddell a provoqué la stupeur et les tremblements avec « La casa de la fuerza». Quatre heures d’un théâtre où la douleur intime nous a propulsés vers le corps politique. Ce chef d’oeuvre place Angelica Liddell comme l’une de nos plus grandes dramaturges.

Stupeur aussi avec Christoph Marthaler. « Schutz vor der Zukunft » (« se protéger de l’avenir ») proposé dans le très catholique collège Champfleury a sidéré. Parce que le sort réservé aux fous traverse les siècles et dit tant sur nos capacités à nous civiliser. Avec Marthaler, les fous nous ont fixés droit dans les yeux. Intimement. Politiquement. Moment inoubliable, malheureusement vu par un cercle de privilégiés…

Il en fut tout autrement avec Alain Platel qui, avec «Out of context», a esthétisé le langage du fou en dehors de toute conscience politique. Les rires du public ont signé l’errance de ce chorégraphe dont on se demande s’il n’est pas prêt à tout faire danser. Pourtant, avec « Gardenia », co-écrit avec Frank Van Laeke, il s’est autorisé bien des audaces avec ces vieux travestis de retour sur scène. Lorsque le corps dans sa douleur se donne un genre, c’est magnifique et profondément émouvant.

À côté, « Trust » de Falk Richter et Anouk van Dijk est apparu comme une oeuvre séduisante dans sa forme, mais froide. En prenant à témoin nos corps pour métaphoriser l’impact de la crise sur nos comportements relationnels, la danse a fait le spectacle. Mais de l’intime au politique, il y a le corps et ses stigmates. Ici, rien. C’était trop beau pour ne pas y croire.

Le corps épuré

1392900_3_dde2_en-attendant-d-anne-teresa-de-keersmaeker.jpg

De la terre comme plateau. La lumière du soleil couchant comme seul éclairage. Tout n’était qu’épure pour une danse innommable. Avec « en atendant », Anne Teresa de Keersmaeker a signé un chef d’oeuvre en retirant à son langage chorégraphique des élisions dangereuses pour placer des traits d’union entre des danseurs majestueux et des spectateurs respectueux.

Autre épure avec Gisèle Vienne dont la forêt sur scène nous a embrumé jusqu’à soulever l’humus posé sur des corps violentés. « This is how you will disappear » restera pour longtemps une très belle  ?uvre chorégraphique et musicale.

Le corps langage qui laisse des traces?

Il y a eu le corps qui trace. Le chorégraphe Joseph Nadj s’est trempé jusqu’au cou dans une encre (de Chine ?) pour faire voler ses «corbeaux » au dessus de nos têtes. Sublime.

Dans la « lignée », entre le corps qui trace sur le sol, et la lumière, matière pour traces chorégraphiées, Cindy Van Acker avec quatre solos (« Lanx / Obvie », « Nixe / Obtus ») a provoqué le « syndrome de Florence » au c?ur d’Avignon. Palpitant.

À l’opposé, la Canadienne Julie André T avec « Rouge » et «Not Waterproof» a signé deux propositions sincères où le corps trace pour faire beau et en souffrir. Sauf que par la suite, cela m’est apparu  délébile?

Faustin Linyekula avec « pour en finir avec Bérénice », n’a pas réussi non plus à donner corps aux traces laissées par la colonisation de la langue Française dans son pays, le Congo. Sa danse-théâtre a manqué de force.

Sur un tout autre registre, le duo Suisse Zimmermann et de Perrot nous a proposé de belles envolées dans «Chouf Ouchouf» (regarde et regarde encore) avec le cirque acrobatique de Tanger. Ici, le corps dessine des traces politiquement correctes dans nos imaginaires déjà colonisés par les tours opérateurs Marocains et Européens. Je cherche encore les raisons de sa programmation dans le festival d’Avignon.

Le collectif fait corps sur la convention et le jeu.

« Papperlapapp » de Christoph Marthaler et Anna Viebrock a été une oeuvre injustement décriée par une partie du public et de la presse. Donné dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, ils nous ont proposé un théâtre où le collectif d’acteurs fait « corps » pour conter l’histoire des papes. Vu comme un spectacle chorégraphique et musical, «Papperlapapp» fut un beau moment de drôlerie, de poésie et de provocation au c?ur de cet édifice qui n’est pas adapté aux remises en cause?

Autre collectif. Celui réuni autour de l’acteur Laurent Poitrenaux dans « Un nid pour quoi faire » d’Olivier Cadiot et Ludovic Lagarde. Pièce jubilatoire où le groupe pour maintenir leur roi déchu au pouvoir, fait corps sur la musique rock and classe de Rodolphe Burger. Toute ressemblance avec ?

Laurent Poitrenaux aurait pu en être. Quand un chorégraphe (Pierre Rigal) réunit sur scène un groupe de rock, cela prend corps dans « Micro ». Le rock et ses conventions ont trouvé leur langage. Réjouissant.

logo.jpg

Un paradoxe.

Le Festival d’Avignon est au coeur d’un paradoxe :  il développe de nouveaux langages pour faciliter notre compréhension de la complexité. Mais certaines propositions vont à l’encontre de ce processus. Dit autrement, le festival amplifie le clivage au coeur de l’ouverture.  Il affiche la diversité comme une valeur de programmation au détriment d’une cohérence: il prend d’un côté, ce qu’il donne de l’autre.

Peut-on à la fois proposer une mise en scène risquée, un texte lourd de sens avec « Der Prozess » d’Andreas Kriegenburg («Le procès» de Franz Kafka) et m’infliger une pièce mineure d’Eugène Ionesco (“Délire à deux“) poussivement interprétée par Valérie Dréville et Didier Galas dans une “mise en espace” datée de Christophe Feutrier ?

Peut-on à la fois attendre que « je travaille » (attente formulée par Guy Cassiers sur France Culture au sujet de « l’homme sans qualités I » pour justifier la difficulté  d’entrer dans le jeu des acteurs) et m’enfermer dans la mise en scène académique de « Richard II » par Jean-Baptiste Sastre jouée dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes ?

Comment expliquer que « 1973 », pièce « légère » de Massimo Furlan sur le Concours Eurovision de la Chanson, ne trouve aucun prolongement, aucun écho dans le reste de la programmation? C’est posé là, comme une cerise sans gâteau. Autre isolement,  l’auteur et metteur en scène Christophe Huysman qui, avec «L’orchestre perdu», s’est égaré dans un délire textuel totalement incompréhensible. Dans la même veine (quoique plus réussie!), à quoi bon mettre en valeur le texte dans «Un mage en été » d’Olivier Cadiot pour nous y perdre ?

Est-ce bien pertinent de nous offrir un voyage poétique, empli de tendresse avec « Big Bang » de Philippe Quesne, où le spectateur est encouragé à lâcher toute velléité narrative puis de proposer le collectif GRDA qui, avec ses « Singularités Ordinaires », empile les histoires, les illustre et finit par donner un prêt à penser indigeste ?

Comment expliquer que « Baal » de Bertolt Brecht, mise en scène par François Orsoni, est manqué à ce point de rythme à l’opposé d’un Boris Charmatz qui sait raconter Merce Cunningham avec « Flipbook » ?

Au final, subsiste un malaise, comme une incompréhension: pour mettre en valeur des langages innovants, la direction du festival néglige le théâtre dit contemporain comme s’il y avait incompatibilité entre textes et corps. Là où le KunstenFestivalDesArts de Bruxelles réussit plutôt cette articulation, Avignon oppose et provoque toujours les mêmes réactions clivées de la presse et du public.
À moins que le problème soit ailleurs : et si le théâtre contemporain français était durablement dépassé par la vitalité des metteurs en scène européens ? Et si notre modèle cloisonné de production et de diffusion empêchait toute possibilité d’enrichir le langage ?
Il y a là un véritable enjeu pour l’édition 2011 : offrir une visée sur l’importance de renouveler les formes tout en ne perdant pas la vision, celle d’accompagner les artistes français à se renouveler.
Au risque de finir par bégayer et de développer des tics de langage?

Pascal Bély – Le Tadorne

 

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Putain d’actrice!

C’est mon dernier spectacle au Festival d’Avignon. C’est au Off. Un désir de clôturer, non dans l’allégresse, mais là où je fus traversé pendant tout ce mois de juillet: le corps comme langage, porteur de sa propre dramaturgie. Il y a eu celui de la douleur du monde, du cri à l’intérieur de soi, de l’Espagnole Angélica Liddell dans « La casa de la Fuerza» présenté au «In». Inoubliable. Parce que nous sommes à Avignon, il y a l’expression «faire la pute », de plus en plus répandue et entendue ici ou là au grès des conversations entre comédiens, spectateurs et institutionnels. Même un artiste, Yves-Noël Genod, y va de sa provocation en invitant le public à payer à la sortie de son spectacle (“Entrée libre, car les putains, les vraies, sont celles qui font payer, pas avant, mais après »).

Parce que les mots ont encore un sens, je suis retourné au théâtre. Valérie Brancq est seule sur scène pour interpréter les textes de deux prostituées et écrivains, aujourd’hui disparues (Nelly Arcan et Grisélidis Réal). Très vite, « LB25 (putes) » inclut le spectateur dans la relation avec la prostituée. Ce n’est ni gratuit, encore moins vulgaire. Ici, révéler le corps pour mettre l’âme à nu est un art. C’est souvent cruel, ça saigne parfois, c’est chorégraphié, car le cauchemar a aussi sa danse. Les mots, les photos et les postures percutent parce que la mise en scène d’Olivier Tchang-Tchong articule le corps de l’acteur (donné en pâture aux spectateurs avide de sensations fortes) avec celui de la prostituée (qui telle une chrysalide se dévoile à mesure que les coups et les humiliations cessent). Entre, il y a nos souvenirs d’enfance où le corps était déjà l’objet de tant de convoitises et notre vie d’adulte où nous marchandons sans cesse « notre force de travail ».

putes.jpg

Autant dire que « LB25 (putes) » n’est pas un spectacle de tout repos. Pendant une heure, je n’ai rien perdu de la force des mots; je n’ai jamais baissé les yeux alors que Valérie Brancq vous fixe pour vous donner l’énergie d’entrer dans sa «maison de la force». Loin d’être close, elle est ouverte pour accueillir votre sensibilité afin que vous portiez un regard politique sur la prostitution au moment même où le pouvoir  fait fuir les putes de nos rues pour les cloîtrer dans l’espace virtuel d’internet.
« LB 25 (putes) » est un spectacle où une putain d’actrice transforme la scène en trottoir tandis que défile sur écran géant l’histoire de celles « qui n’en sont pas revenues ».

De leur mal de vivre.

De notre mal d’amour.
Pascal Bély – www.festivalier.net

« LB 25 (putes) » au Festival d’Avignon Off 2010. email: contact.lb25@gmail.com

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival d’Avignon, du « In » dans le « Off »?

La Condition des Soies. C’est un beau nom pour un théâtre, l’un des plus jolis lieux du Festival Off d’Avignon. On monte quelques escaliers pour entrer dans une salle ronde, tel un petit cirque d’Hiver.
À condition de soi.
À condition que soi…

Le matin, à 10h, il y a Aude Lachaise. Elle est danseuse. La piste est pour elle. Elle a juste assez d’espace pour créer le lien entre elle et nous. C’est à propos du sexe et du désir. De cul aussi. Mais aucune vulgarité car la «mayonnaise» (puisque c’est de cela dont il s’agit) demande du doigté et un joli tour de main et de bassin. Avec ses belles chaussures à paillettes dorées, elle arpente la scène pour susciter le désir d’un théâtre au croisement de la danse et du texte (combien se sont cassé le nez à vouloir lier les deux !).

Mais Aude Lachaise écrit bien. « Drôlement » bien. Une écriture complexe où le désir d’émancipation se cogne, se love au besoin d’aliénation à la gente masculine qu’elle associe à Marlon Brando. Au coeur de ce paradoxe, elle danse parce qu’il n’y pas que le CUL dans la vie : il y a aussi le « sexxxxe ». Elle joue avec les mots comme dans une partie de ping-pong où le spectateur est joueur (in)volontaire pour nourrir le désir de corps, de danse, de théâtre !

aude.jpeg

Elle sait créer l’intimité avec distance, car le texte est suffisamment métaphorique pour susciter l’imaginaire. Je m’agite un peu ; je regarde à droite (« pas mal »). Et la partie continue, sans arrêts de jeu. Il n’est que dix heures du matin et déjà…Mais elle s’éclipse comme s’il lui fallait poursuivre l’ooeuvre ainsi commencée : celle d’une danse du ventre pour accoucher d’un essai dansé sur le discours amoureux.
Fin d’après-midi, à 18h, il y a Yves-Noël Genod. Il me croit mal intentionné suite à un article où je ne m’étais pas senti invité dans son univers florissant. Mais aucun de mes regards vers un artiste n’est figé dans le marbre. Nous évoluons tous. Ensemble. Tout n’est que désir. Après Aude Lachaise, j’ai envie d’entendre cet acteur.

La piste n’est pas encore à lui. À l’entrée, comme au bon vieux temps des premières parties, il y a Arthur Ribo pour nous offrir une coupe de champagne. Les théâtres seraient bien inspirés d’en faire de même et de réduire la voilure sur la communication sur papier glacé. Il nous invite à faire silence pour s’écouter. Joli moment. La communication est dans cet instant précieux. Il note ensuite dix mots donnés par la vindicte populaire ! Comme à la Société Générale, « avec quatre mots, je vous en donne 4000 ». Et le voilà parti pour une improvisation. C’est un festival. « In » et « Off ». Il jongle, rattrape, se remet à l’ouvrage. Sans filet. C’est gagné, les bulles de champagnes englobent, relient les mots et provoque l’émerveillement.
C’est alors qu’il arrive, livre de Shakespeare à la main (« Venus et Adonis »). Une heure de lecture, dans son «parc intérieur» : on peut s’y coucher, se lever, penser à autre chose, faire des liens improbables. À peine commencé, il évoque David Bowie. Alors qu’un fan lui tendit une rose, il promit au public un jardin pour en offrir une à chacun. Genod est Bowie. Et chacun de nous prendra « sa » rose : Marguerite Duras, Claude Régy, Jorges Luis Borges, le poète Wallace Stevens. Ils s’invitent dans la lecture. Comme des entremet(eurs). Plus que des apartés, ces textes, ces petites anecdotes font danser Genod tandis que Venus et Adonis prennent le temps de se conter. Cette « rocambolesque » histoire d’amour  a soudain des allures de chevauchée fantastique, comme au bon vieux temps des feuilletons où l’on pleurait d’avoir raté un épisode ! On rit beaucoup, on fait silence alors que les mots de l’acteur se cognent au mur pour créer l’écho. La profondeur de l’écriture prend alors tout son sens d’autant plus que le français n’est pas la langue de Shakespeare !
Puis, subitement, Genod s’approche. Il nous glisse une confidence personnelle à propos de Marguerite Duras. Peu à peu, son « parc intérieur » est un parterre de roses. For Pina.
Pascal Bély – www.festivalier.net

Yves-Noël Genod. Le Parc intérieur, variation sur Vénus & Adonis, le poème de Shakespeare.
« Marlon » d’Aude Lachaise
Théâtre de La Condition des soies. Jusqu’au 31 juillet 2010.

Crédit photo: Jérôme Delatour – Images de Danse.

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Avignon off : Oh Boy ! Sauve qui veut la vie !

Ça commence quand nos histoires…Quel en est le point de départ ?

Pour Bart, ça commence par une lettre, une convocation d’amours, de 5 à 14, mais il ne le sait pas encore…
Un comédien, une armoire, trois étagères, une petite chaise et quelques objets pour une heure de voyage, magnifique, dans les cartes du tendre au pays de l’intranquille. Lionel Erdogan s’est glissé dans la subtile et poétique mise en scène d’Olivier Letellier avec une fougue et un bonheur palpable ; il est tellement crédible qu’on en oublierait presque qu’il n’est pas Bart. L’art du conte est à la fête avec ces deux hommes là.
Siméon et Morgane, qui ne sont pas passés chez Merlin question physique, mais ont croisé la “fée cerveau” en chemin, forment un trio d’orphelins  avec Venise, jolie poupée blonde. Bart et  sa demi-soeur Josiane complètent ce tableau de famille éclaté. Des pères qui partent, une mère qui « se décède » à coup de canard wc dans les escaliers, une anémie pour ne pas dire autre chose, un docteur Mauvoisin qui deviendra celui que l’on attendait; les Morlevent vont mordre la vie à pleines dents autant que la vie les mord. Pour les aider, Barbie sera de presque tous les plans et Ken trouvera un petit ami ; Venise, en docteur « es » histoire d’amours torrides made in « Mattel »,  s’en chargera sans passer par le pont des soupirs.

boy1.jpg
Les thèmes sont graves, questionnant ou dérangeant pour certains, qu’importe, ils sont inscrits dans la vie et ils ouvrent le coeur vers les singularités ordinaires de l’amour, sans raison parce qu’avec toutes les raisons. Si l’on savait où vont les ballons blancs que perdent les enfants, on courrait à perdre haleine pour les ramener au pays des adultes.
Dépasser les barrières des plans de vie « bien établis », dépasser les peurs, dépasser les frontières qui sont remparts au lien, dépasser l’étrangeté de l’autre pour l’accueillir, jouer des clichés pour mieux les évacuer, voilà à quoi nous invite ce parcours avec Bart.
De cette histoire à secouer les armoires des carcans et des intolérances,  je suis ressorti l’oeil brillant et le sourire accroché au coeur. Et si on savait où sont les ballons blancs?

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

“Oh boy!” mise en scène d’Olivier Letellier au Festival d’Avignon 2010.

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Notre problème avec Faustin Linyekula

Cet article fait suite à celui que j’ai publié il y a quelques jours à propos de la pièce de Faustin Linyekula , «Pour en finir avec Bérénice ». Sylvain Pack ne partage pas mon analyse.  

Titus, le fils du Roi de Rome convainc son amoureuse Bérénice de quitter la Palestine pour le rejoindre. Cet homme doit diriger Rome alors que son peuple s’oppose à cette union avec une étrangère. Les deux protagonistes s’aiment passionnément et vont devoir faire face au dilemme de leur responsabilité. Titus a déjà choisi et renvoie son amour chez elle. Ils acceptent leur destin tragique. Bérénice met-elle fin à ses jours ?…

Voilà, esquissé, le drame auquel l’équipe de Kisangani va s’atteler durant le spectacle “Pour en finir avec Bérénice“, joué dans le cloître des Carmes. Voilà une histoire qui m’était inconnue, écrite par Jean racine il y a 4 siècles. Voilà aussi mon problème… La distance de la langue, l’incompréhension de ces vers, l’inaccessibilité de leur syntaxe et de leur musique. Ce qu’a dû, d’autant plus, affronter le chorégraphe et metteur en scène Faustin Linyekula, originaire d’un pays ultra colonisé, ultra envahi par la langue française : le Congo.

Six siècles plus tôt, les Portugais commencent la traite négrière dans ce pays majoritairement pygmée et bantou. Les Français prennent le relais puis bien plus tard, le Congo expulse ses envahisseurs et acquiert son indépendance en 1958. Le Congo a connu toutes les déchirures, tous les déracinements de l’esclavage. Sa conquête d’autonomie et les compromis politiques qu’il a dû subir, lui a valu du sang et beaucoup de cadavres encore. C’est le problème de Faustin Linyekula et c’est un problème de taille, comparé au mien ce soir.

berenice.jpg

Il rentre sur scène en tapant des cailloux, qu’il ne lâchera presque jamais. Ses acolytes déversent du café sur scène, ressource congolaise autrefois florissante et aujourd’hui tari. Leur visage est recouvert de blanc, des perruques de cour tout aussi ridicules et fantomatiques seront portées, envolées, perdues. Faustin Linyekula ne cessera jamais de battre le pouls de son pays, avec la musique, avec son corps, avec le désert que laissent le massacre et les guerres… et même si le pathos de certains interprètes tiraille dans cette cour rafraîchie par le mistral, l’équilibre de l’approche, comme la bassine que porte sur sa tête une des femmes, ne verse ni dans la plainte, ni dans la colère. Faustin Linyekula défie et recherche. Il fait éminemment parti de cette génération consciente et concentrée, avec Israël Galvan ou Ivo Dimchev, qui par la danse et la performance aborde les angoisses de notre monde.

Concernés par des affaires autant intimes que communautaires, ils proposent, en échange, des activités de recherche esthétique portées au regard du public. Et si la forme n’est pas close, si elle est longue, voire maladroite, elle n’est pas prête à consommer, elle n’est pas facile et surtout, elle n’est pas occidentale. L’équipe de Faustin Linyekula se débat avec les débris d’une culture violée et l’appétit dévastateur du pétrole qui règne autour de son lieu de travail. C’est ce qui est donné à voir et à entendre, lorsque le plus simplement du monde, les acteurs témoignent de leur temps de travail autour du futur cadavre de Bérénice et la transforme en scène de comptoir : ” 2,5 millions… non 3, mais non il y a eu 5 millions de morts. Je vous dis qu’il y en a eu 4, 5 ! ” Et on rit. On s’amuse parce que ces acteurs sont touchants, qu’ils sont distants comme exprès, respectant le dessin qui est fait “Pour en finir avec Bérénice”.

berenice1.jpg

Ce spectacle est furieusement fragile et retenu, abordant un concept presque immaîtrisable tant la douleur est sourde et désespérée et, notre conscience européenne, si susceptible à ce sujet. Pour renvoyer  à l’article de Pascal Bély, je ne crois pas que Faustin Linyekula soit trop immature pour toucher à ce sujet. Je pense qu’il est plutôt très difficile de l’entendre, que la décolonisation et le néocolonialisme doivent être chevauchés par ces nouveaux artistes bien plus que par ce dernier défilé du 14 juillet qui fait honte à notre pays.

Notre problème avec Faustin Linyekula a jailli avec un public resté silencieux, apprenant à ne rien renier et à comprendre les fondements de cette violence raciste. Le travail de l’art vivant n’est pas une forme figée, il se réfléchit et se questionne, n’aboutit pas toujours, d’un spectacle à l’autre. Ce soir, je renvoie à ces hommes de scène toute mon admiration en essayant de faire claquer mes deux mains comme des pierres. Je résiste mieux, je rentre chez moi et cherche plus de détails sur l’histoire des Congolais, découvre les liens qui unissent la mienne à la leur.

Sylvain Pack – sylvainpack.blogspot.com

“Pour en finir avec Bérénice” de Faustin Linyekula au Festival d’Avignon du 17 au 24 juillet 2010.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage.

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT Vidéos

Au Festival d’Avignon, des rires primaires pour la dans’amalgame d’Alain Platel.

Le danseur me regarde. C’est interminable. Je lui fais signe d’arrêter, que cela suffit. Il continue. Le combat est inégal. À ce moment précis, je lutte avec le chorégraphe Alain Platel pour que « Out of context (for Pina) » se termine. Je voudrais me lever, demander une suspension de séance, pour que les spectateurs qui rient m’expliquent les raisons pour lesquelles le propos a lâché. Je me tournerais alors vers les danseurs pour les questionner sur leur ressenti d’incarner des handicapés que Platel fait passer pour fous parce que ça l’arrange, parce qu’il y décèle de la «virtuosité». Je l’interrogerais ensuite mais il serait peut-être déjà parti. On m’aurait ordonné de quitter les gradins bien avant, avec une camisole de force. Ce spectateur est fou, fatigué, excessif. Probablement du sud, car à Paris on sait se tenir, surtout au Théâtre de la Ville.

« Out of context » est une (trop) longue chorégraphie, car il faut du temps à Alain Platel pour travestir son propos. En observant les autistes, il n’a vu que des corps tordus.
Coup tordu.

Vous n’avez pas de chance, Monsieur Platel. Avant vous, il y a eu l’an dernier sur cette même scène du Lycée Saint-Joseph,  Pippo Delbono et Bobo. J’ai appris avec eux qu’entre le handicap et la folie, il y a tout un monde que vous avez préféré réduire à une esthétique séduisante. Mais manque de chance, le public rit. Il vous tend le miroir de vos erreurs et de vos égarements.

Avant vous, Monsieur Platel, il y a eu Christoph Marthaler qui, il y a seulement deux jours, nous a proposé de nous introspecter dans le regard du fou. Vous avez préféré créer la distance entre vos danseurs et le public pour faire du spectaculaire. Mais manque de discernement, cela se voit. Vous avez fait d’un handicapé un fou sans lui donner sa fonction politique. Vous avez choisi d’en faire le bouffon, jusqu’à convoquer des bébés sur scène et valider votre hypothèse. Vous penser qu’ils sont seuls capables de  regarder droit dans les yeux le «handicapé fou» (appelons-le ainsi, puisque vous mélangez tout), tandis que les spectateurs rient, non pas parce que cela les dérange, mais parce que c’est rigolo.
Mort de rire.
Avant vous, Monsieur Platel, il y a eu Angélica Liddell. Elle nous venait d’Espagne. C’était il y a dix jours, au Festival d’Avignon. Elle m’a bouleversé parce qu’avec elle, j’ai compris que le corps qui souffre relie l’intime et le politique, que danser autour d’une chanson pop pouvait rendre fou. Avec vous, la pop, la variété, ne servent qu’à séduire le public pour qu’il accepte la danse du « tordu ». Nuance. Vous osez même nous interpeller pour savoir si nous serions capables de danser avec eux. Certains spectateurs (castés) montent sur scène pour une danse de l’étreinte. Sauf que le danseur n’est ni handicapé, ni fou. Se seraient-ils risqués avec Bobo ? Sûrement pas, parce que Pippo Delbono ne l’aurait pas permit. Et puis parce qu’un fou, ça peut aussi déplaire et puer de la gueule.
Mensonge.
Ainsi, vous pensez à Pina Bausch. Moi aussi. Sa danse était virtuose.
La vôtre est en dehors du contexte.
Fin.

Pascal Bély – Le Tadorne

“Out of context for Pina” d’Alain Platel au Festival d’Avignon du 22 au 26 juillet 2010.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage