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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Frédéric Fisbach “dépressive” Juliette Binoche.

Juliette Binoche est à l’affiche du Théâtre de l’Odeon à Paris du 18 mai jusqu’au 24 juin 2012. Retour sur “Mademoiselle Julie”, vu au dernier Festival d’Avignon. A fuir…

J’hésite. J’ai mon billet  pour «Mademoiselle Julie»,  mise en scène par Frédéric Fisbach avec Juliette Binoche. Je doute. L’agent d’accueil du Festival d’Avignon m’attend. J’hésite. Une professionnelle de la culture me repère et me lance : «n’y va pas, tu n’aimeras pas». J’admire ceux qui ont des certitudes à votre place. J’hésite. Fréderic Fisbach, c’est risqué. Je n’ai pas oublié «Les feuillets d’Hypnos» qu’il présenta en 2007 dans la Cour d’Honneur alors qu’il était l’artiste associé du Festival. Jamais la Cour n’avait subi un tel outrage. Je n’ai pas oublié la façon dont il a coupé un équipement culturel («le 104» à Paris) de son quartier, l’obligeant à rendre les clefs d’un établissement déficitaireJuliette Binoche, ce n’est pas rassurant. Elle véhicule un tel imaginaire autour du cinéma. Sans vouloir l’enfermer trop vite, Binoche c’est du cinoche. Nicolas Bouchaud, c’est ennuyeux. Son jeu appuyé ne m’a jamais traversé.

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Finalement, j’entre. Premier rang. Le décor m’est familier : murs  blancs, des néons, des vitres et des troncs d’arbres. Comme d’habitude avec Fréderic Fisbach, j’ai l’impression d’être dans une galerie d’art contemporain. Il sait aménager l’espace pour figer la communication.

Julie est fille d’un conte. Profitant de l’absence de son père, elle organise une fête le soir de la Saint-Jean. Elle fait l’amour avec Jean, son valet. La ligne a été franchie : ils sont prêts tous les deux à poursuivre leur aventure en quittant la Suède pour ouvrir un hôtel en Allemagne. Mais leur différence de statut aura raison de leur folie. Ils restent. Elle se tue.

En 2011, quelle interprétation en fait Frédéric Fisbach ? Je ne doute pas du scandale qu’a pu provoquer cette pièce à sa création en 1906. Mais en 2011?Le jeu des acteurs peine à restituer un conflit de classe, tout un plus une divergence de projet. Dans quel environnement  vit Frédéric Fisbach ? Probablement celui qu’il singe lors de la fête entre « amis » où des comédiens amateurs se déhanchent en fond de scène: relations codées, aseptisées, où l’on fait semblant d’en être. Culturellement, Jean et Julie sont si proches que leurs corps adoptent les mêmes codes de comportement. Nicolas Bouchaud n’incarne qu’un employé de classe moyenne qui trouve en Mademoiselle Julie une opportunité de gagner plus en travaillant plus. C’est un peu court. Psychologiquement, leur relation ne véhicule aucun désir sauf lorsque Bouchaud surjoue la séduction.  Mais tout est factice comme si le théâtre devait cohabiter en permanence avec une caméra. Pour s’échapper de cet enfermement, je finis par n’observer que Juliette Binoche. La star va-t-elle faillir ?La portée politique de la pièce s’estompe très vite, même si je décèle les ressorts d’une classe moyenne qui s’ennuie et sommeille (à l’image d’une partie du public?). Fréderic Fisbach nous lasse : le jeu des acteurs est au service de l’espace, de l’esthétique, les métamorphosant peu à peu en figures désincarnées. Il peine à mettre en scène une tension sociale et psychologique : tout au plus, sait-il la réguler.
Le théâtre de Frédéric Fisbach orchestre le vide, agence les langages tel un puzzle, mais ne sait pas les relier. Quand les « amateurs »de la fête  dansent la ronde de «Nelken» par Pina Bausch, je fulmine : il recycle les gestes mythiques  pour masquer l’absence de propos.
Fréderic Fisbach fait un théâtre dans les pas des autres. Avec Juliette Binoche en tête d’affiche, cela se voit. C’est l’avantage de la lumière : on s’y brûle vite les ailes quand on ne sait pas où l’on va.
Pascal Bély, Le Tadorne
« Mademoiselle Julie » d’August Strindberg mise en scène de Fréderic Fisbach du 8 au 26 juillet 2011 dans le cadre du Festival d’Avignon.
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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON

Appel à participation pour les Offinités du Tadorne au Festival Off d’Avignon.

Au prochain Festival Off d’Avignon, nous vous proposons de nous rencontrer autrement, au-delà d’un lien producteur et consommateur de spectacles qui peine à transmettre la complexité des nouveaux langages de la création. Pluridisciplinaires, voire «indisciplinaires», ils n’opposent plus le corps et le texte, mais les enchevêtrent. Loin des chemins tout tracés, les spectateurs font leur «traversée», carte du off et programme en main ! Ainsi, nous nous  croisons sans toujours prendre le temps de nous arrêter pour échanger collectivement sur nos ressentis. Dès lors, quels espaces faut-il ouvrir, quels outils créer pour entendre la parole des spectateurs engagés ?

Une communication différente est à promouvoir pour s’éloigner d’un «j’aime», «je n’aime pas» qui finit par cliver texte et mouvement, théâtre contemporain et patrimonial. Le spectateur émancipé y a toute sa place ; le spectateur intimidé aussi.

Nous souhaitons que le Festival Off soit un espace de dialogue ouvert d’autant plus qu’il ne se positionne pas comme programmateur. C’est le spectateur qui fait son programme, mais ce sont les organisateurs du Off qui multiplient les rencontres au Village. Espace circulaire et convivial, il y accueille depuis deux ans des «chroniques critiques» et les Offinités du Tadorne. En 2012, le Festival Off proposera six rendez-vous au Tadorne animés par Pascal Bely et Sylvie Lefrere. Ils relieront petits et grands, spectateurs, professionnels et artistes?Car pour les animateurs du blog «le Tadorne », l’art relie et fait société?

MARDI 10 JUILLET, 17H, «Le grand OFF du tout-petit».

Au cours de cette journée, des professionnelles de la toute petite enfance assisteront à différentes représentations. A 17h, elles croiseront leurs regards et échangeront avec des familles et des artistes sur la place de l’art dans l’éveil du tout-petit.

Plus généralement, nous nous interrogerons sur la place du spectateur tout-petit dans le festival Off et les opportunités de dialogue qu’elle nous offre.

Jeudi 12 JUILLET, mardi 24 JUILLET  à 11h: «Spectateur, quel programmateur êtes-vous ?»

Nous proposons d’écouter les choix de programmation de deux groupes de spectateurs (présent du 7 au 14 et du 21 au 28). Comment programmons-nous en début et fin de festival ? Quels sont les processus en jeu ? Comment sommes-nous conditionnés dans nos choix ? Comment nous émancipons-nous des pressions publicitaires ? Comment programmons-nous au-delà d’un lien consumériste ?

Dimanche 15 JUILLET à 11h, «Médiateurs, pédagogues : pour un partage du plaisir créatif»

Nombreux sont les professionnels de l’éducation (du tout-petit à l’Université), de la médiation et des artistes qui créent des outils et des démarches pour promouvoir un autre lien à l’art. Ils sont des créateurs invisibles, mais jouent un rôle essentiel dans la vitalité artistique du pays. Et si nous écoutions leurs expériences ? Que viennent-ils chercher au Festival Off d’Avignon ? Et si Avignon était le lieu de rassemblement des médiateurs et pédagogues, quel en serait le projet ?

Mercredi 18 JUILLET à 11h, «Danse,théâtre: tous dans le même mouvement !»

En écho à la journée sur la parité homme-femme organisée par le Festival Off, nous proposons un dialogue inédit autour d’un « sensible » partagé qui transcende les genres. Des chorégraphes et des danseurs assisteront à des représentations théâtrales tandis que des metteurs en scène et des acteurs gouteront à la danse. Nous proposerons un spectacle «hybride» vu par tous. Ainsi, ce croisement des regards nous permettra d’explorer de nouveaux territoires, d’entendre d’autres langages et de s’exercer à la critique transversale, territoire de la parité !

Samedi 21 JUILLET à 11h ,«artistes, spectateurs : quels étrangers sommes-nous ?»

Pour inaugurer la semaine internationale, nous proposons d’inviter des spectateurs et artistes étrangers pour croiser nos regards sur les propositions étrangères du festival. Comment percevons-nous le langage de l’art dans une langue qui n’est pas la nôtre ? Qu’observons-nous depuis quelques années de la création internationale ? Comment le Festival Off peut-il être l’espace de la conversation des cultures ?

Vous souhaitez participer à ces tables rondes ? Vous pouvez nous contacter à l’adresse suivante :

pascal.bely@free.fr ou au 0682839419

Pascal Bély – Sylvie Lefrere – Des Tadornes.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Bilan du Festival d’Avignon 2011.

– «C’était bien le festival d’Avignon ?

– Euh…je ne sais pas…

– D’accord, mais c’était bien ?

– Euh…ni bien, ni mal…»

Comme un dialogue de sourds. Je n’arrive plus à répondre. Le Festival est ce que j’en fais. D’édition en édition, il n’est plus un programme. Il est une toile où je tisse les fils qui dégagent des lignes de force. Cela requiert de s’émanciper d’une relation codifiée avec les directeurs du Festival (dit autrement, ne plus avoir d’attentes) et s’affirmer comme un festivalier «en travail» qui veut penser le changement sociétal, non comme un progrès linéaire mais comme un processus chaotique et créatif.

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En deux épisodes, retour sur mon festival…

Épisode 1 : on n’est pas spectateur, on le devient…

Elle n’a donné lieu à aucun article dans la presse écrite. Pourtant, «This situation» de Tino Seghal, performance jouée à la Salle Franchet pendant toute la durée du Festival, fut un moment unique: le public assista un brin interloqué à un«théâtre des idées» avec six «philosophes » debout ou couchés chorégraphiant la dynamique de leur pensée! En entrant et sortant, nous redonnions de l’énergie jusqu’à participer pour éviter l’entre soi. Tout mon corps fut sollicité pris dans un mouvement artistique ouvert et tendre envers celui qui ose penser la complexité.

Quelques rues plus loin, «Unwort, objets chorégraphiques» deWilliam Forsythe poursuivait le mouvement : au cœur de l’Église des Célestins, sculptures et danseurs m’entrainèrent à questionner, par le corps, notre métamorphose.

Autre mouvement, d’introspection. Arthur Nauzyciel, dans « Jan Karski (mon nom est une fiction)” m’a permis de questionner mon lien à la Shoah. En reprenant les trois parties du livre de l’écrivain Yannick Haenel, Nauzyciel proposa un cheminement qui allait au-delà d’un devoir de mémoire qui immobilise. En forçant notre écoute, Arthur Nauzyciel nous a guidés vers le corps de Jan Karski, résistant polonais, interprété par le magistral Laurent Poitrenaux. Cette pièce fut une épreuve inoubliable.

Autre épreuve. Celle d’assister à 4h30 du matin à « Cesena», chorégraphie d’Anne Teresa de Keersmaeker. Au final, 6000 spectateurs ont osé surmonter le sommeil et le froid pour vivre un instant unique, poser un acte politique radical en célébrant la force de l’art dans une société en perte totale de valeurs collectives. Entre une pièce créée pour la Cour d’Honneur et notre désir de danse, il y a eu un espace de dialogue qui a dépassé le clivage construit par des journalistes paresseux entre l’art chorégraphique et théâtral, entre théâtre populaire et savant.

La danse a osé questionner les codes de la représentation. Avec “Low Pieces“, Xavier Le Roy a tenté d’interroger notre rapport au spectacle vivant. Il nous a permis de «dialoguer» avec la danse, loin des simplifications dont elle fait l’objet quand nous la confondons avec une mécanique des mouvements…On aurait aimé un prolongement dans Violet” de Meg Stuart où la transe de cinq danseurs fut perturbée lors de la première par une spectatrice entrée par effraction dans la dramaturgie. Elle fut reconduite et pourtant : elle signifia qu’à cet endroit, le public pouvait lui aussi se faire…transe. Mais Meg Stuart n’est pas allé jusque-là…À l’inverse de Roméo Castellucci qui avec «Sur le concept du visage du fils de Dieu», a sollicité notre corps en diffusant une odeur d’excréments. La scène fut un miroir inversé pour nous interroger sur notre façon de regarder le monde…

Avec Katie Mitchell et Léo Warner de la Schaubüne Berlin, j’ai vécu un moment jubilatoire avec leur théâtre cinématographique composé d’ombres, d’objets et de ficelles. Leur « Mademoiselle Julie» restera dans les annales pour avoir métamorphosé la vidéo en obscur objet de désir.

Et le monde dans tout ça ? Avec «Yahia Yaïch – Amnesia»,Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi nous ont interpellés sur la fonction du théâtre dans la révolution tunisienne. La danse-théâtre de Pina Bauch a été célébrée, prouvant une fois de plus la modernité des révolutions arabes alors que nous sombrons peu à peu dans la résignation.

Car, comment réinterroger pour voir autrement et se projeter? En interprétant différemment «Hamlet», Vincent Macaigne a bouleversé. «Au moins j’aurai laissé un beau cadavre» n’a rien dit sur cette tragédie que nous ne savions déjà. Sauf qu’il a changé la focale, décalé ce qui était figé dans nos représentations sur le pouvoir et métamorphosé la scène est espace quasi liquide. Un travail exceptionnel pour des spectateurs désireux de ne plus se laisser manipuler par des esthétiques sans fond.

Si bien qu’à côté…

«Mademoiselle Julie» de Fréderic Fisbach avec Juliette Binoche est apparue fade parce que tout y était à distance.

«Le suicidé» de Patrick Pineau…si loin parce que dépassé dans cette façon d’introspsecter notre société avec de vieilles ficelles…

« Courts-circuits» de François Verret…« Oncle Gourdin» deSophie Perez et Xavier Boussiron…si binaires que je m’interroge encore sur leurs intentions: sont-ils à ce point réactionnaires pour croire un seul instant que l’on puisse accepter un tel discours aussi clivant ?

Je suis le vent” de Patrice Chéreau…Sang et Roses” de Guy Cassiers, si mécaniques et calculés comme si les corps ne pouvaient s’affranchir d’une machinerie théâtrale prétentieuse.

Exposition Universelle” de Rachid Ouramdane si hermétique que je me questionne encore sur la transparence de sa  visée de chorégraphe….

Olivia GranvilleBoris Charmatz (avec “Levée des conflits“), Cécilia Bengoléa et François Chaignaud ont finit par former un clan.

«Des femmes : les trachiniennes, Antigone, Electre» de Sophocle par Wajdi Mouawad…si raté parce que l’art du vide (l’absence de Bertrand Cantat) n’est pas donné à tout le monde.

Episode 2: le Festival, un jeu d’enfant?

Le thème de l’enfance avait été annoncé par le chorégraphe Boris Charmatz, l’artiste associé. Nous avons vu beaucoup d’enfants sur les plateaux, mais était-ce suffisant pour que cela soit au “centre”, d’autant plus que le théâtre dit «jeune public» est toujours absent de la programmation. Pour évoquer le statut de l’enfance, encore faudrait-il que nous partagions avec eux les émotions de la scène. Avec « Enfant», Boris Charmatz a été le seul à chorégraphier ce lien, métaphore de notre désir d’utopie réparatrice et de ce  nous lui faisons subir. Ce fut un beau moment de prise de conscience collective: le bonheur des enfants est à (re)penser. Cela suffira-t-il à amplifier la présence du «théâtre pour bébés» et pour jeunes enfants dans les lieux culturels ?

À côté, le regard sur l’enfance de Cyril Teste (« Sun») m’est apparu «fabriqué», sous l’emprise d’un dispositif technologique manipulant l’imaginaire des deux enfants. Tout comme dans «Le petit projet de la matière» d’Anne-Karine Lescop d’après la chorégraphie d’Odile Duboc et Françoise Michel. Les minots du quartier Montclar ont «exécuté» avec présence la consigne. Mais il a manqué leur créativité et le plaisir d’y être…à l’image de l’intrusion d’une chorale d’enfants interprétant Bashung chez Pascal Rambert dans «Clôture de l’Amour». Est-ce à croire que les artistes préfèrent voir les enfants sur scène, en rang et obéissants ?

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L’Espagnole Angelica Liddell était attendue après son succès en 2010. Cet été, «Maudit soit l’homme qui se confie en l’homme : un projet d’alphabétisation» a déçu. Ici leur présence amusante dès le premier tableau était un prétexte pour démolir l’image concensuelle de la famille («espace de l’idiotie où l’on empêche les enfants de grandir en les privant de livres»). En déroulant son alphabet, Angelica Liddell précisa: à force d’avoir pactisé avec le diable du divertissant et du médiatique, nous avons placé les violeurs au sein même des familles. Sa conclusion («comment peut-on imaginer qu’un bon enfant fasse un bon adulte?”) figea bon nombre de spectateurs.

L’enfance vu par le «Nature Theater of Oklahoma» dans « Life and times» fut sur un tout autre registre et dérouta le public. En deux parties (cinq heures trente au total!), ces acteurs hors-normes ont retranscrit la vie de Krinstin tirée d’un enregistrement téléphonique. Rien ne nous a été épargné : ni les «hum», ni les «genre». La partition fut totale: chorégraphique, chantée et musicale. Jubilatoire. Du premier cri de la naissance aux premiers boutons sulfureux de l’adolescence,  les moindres détails de la famille furent passés en revue. Pour porter un regard sur l’enfance, encore faut-il accepter que nous lâchions notre vision normée. le «Nature Theater of Oklahoma» y est parvenu.

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En programmant «Du printemps» du chorégraphe Thierry Thieû Niang, le Festival avait-il imaginé un «pont» entre l’enfance et le troisième âge ? Cette oeuvre réunissant des séniors amateurs fut un immense succès, pour seulement deux dates et une petite jauge. On aurait pu rêver d’un lien avec “Enfant de Boris Charmatz sur le plateau de la Cour d’Honneur, tant le sujet de l’émancipation traverse les âges. Tant l’enfance et la vieillesse questionnent la métamorphose. Mais le miracle n’a pas eu lieu : aux enfants la Cour, aux vieux un gymnase…

Un jour, le festival et les artistes feront confiance aux enfants pour qu’ils nous renvoient une vision. Encore faut-il que nous accueillions leur imaginaire chaotique pour à côté du Petit Prince, écouter l’ogre qui est en eux, qui est en nous…

Pascal Bély, Le Tadorne.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Festival d’Avignon: merci…

Le festival «In» d’Avignon est terminé. Avant mon bilan global qui sera mis en ligne début septembre, quelques remerciements…

Merci à Vincent Macaigne de m’avoir fait plonger dans son théâtre de terre, de sang et de feu. Ma révélation.

Merci à Anne Teresa de Keersmaeker pour m’avoir offert à 4h30 du matin une chorégraphie de l’aube et de l’espoir.

Merci à Arthur Nauzyciel pour son théâtre d’une humanité désespérée où Laurent Poitrenaux nous a sidérés par son jeu magnifique d’acteur.

Merci à Romeo Castellucci de m’avoir fait vivre une expérience théâtrale d’où j’ai trouvé le chemin.

Merci à Boris Charmatz d’avoir transformé la Cour d’Honneur en aire de (ré)création.

Merci à Tino Sehgal d’avoir inventé un théâtre des idées tendre, malin et subversif.

Merci à Katie Mitchell et Léo Warner d’avoir crée le cinéma théâtral d’un amour à mort.

Merci à Angélica Liddell d’avoir révisé mon alphabet pour y presser les raisins de la colère.

Merci à Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi pour leur danse théâtrale révolutionnaire.

Merci à Kelly Copper et Pavol Liska pour la force de leur quotidien réenchanté.

Merci à Thierry Thieu Niang pour son printemps rajeunissant en plein été.

Merci à cette spectatrice pour sa volonté d’en découdre avec «Violet» de Meg Stuart.

Merci à Xavier Le Roy d’avoir fait du noir la couleur de la communication.

Merci à François Berreur pour Laurent Poitrenaux en Jean-Luc Lagarce.

Merci à Jérôme Bel. Pour tout.

Merci à William Forsythe pour ses objets chorégraphiques posés dans mon théâtre des idées.

Merci à Anne-Karine Lescop d’avoir ouvert le Festival avec un petit projet qui voit si grand.

Merci à Médéric Collignon d’être un si beau cornettiste dansant.

Merci au Festival d’Avignon d’être l’un des rares lieux où vivre pour le théâtre est une pure folie.

Pascal Bély,  Le Tadorne

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FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival d’Avignon, «Rien ne laissait présager» un tel final.

C’est toujours troublant une dernière journée au Festival d’Avignon, où l’esprit flotte, le corps chancelle…

Elle débute par la conférence de presse de bilan de la 65ème édition. Elle permet de repérer le niveau de «jeu» entre la direction du festival (Hortense Archambault et Vincent Baudriller), le public et l’artiste associé (Boris Charmatz). Celui-ci se montre bien peu prolixe sur son bilan, donnant l’étrange sensation qu’il avait eu ce qu’il voulait. De son côté, la Direction préfère rapidement laisser la parole au public comme s’il y avait urgence à entendre ” la vox populi“. Des questions sur les conditions matérielles d’accueil ont dominé les échanges («il faudrait apporter le même soin aux gradins que celui prodigué à la scène»). Des clivages apparaissent encore entre Avignonnais (accusés d’avoir un accès privilégié à la billetterie) et le reste de la population, entre le Off et le In. Finalement peu de retour sur les propositions, mais un hommage appuyé à la Maison Jean Vilar (lieu qui rassemble), le Cinéma Utopia et le Théâtre ouvert. La diversité des esthétiques artistique semble ne plus questionner et je finis par m’ennuyer lors cet exercice trop convenu.

 

Pour clore le festival…

Direction la salle Franchet où Tino Sehgal propose depuis le 8 juillet de 12h à 18h, «This situation», une performance totalement jubilatoire. Pensant entrer dans une salle d’exposition, je suis d’emblé sidéré : le public est assis par terre contre les murs et assiste un brin interloqué à un «théâtre des idées» où six personnes debout ou couchés philosophent tout en chorégraphiant la dynamique de leur pensée! Tel un jeu, un «acteur» lance le dé (« quelqu’un a dit?») et le groupe poursuit la partie. Mais tout s’arrête dès qu’un spectateur entre dans la salle?Ainsi, le public régule le débat, redonne de l’énergie aux mouvements. Il arrive qu’il participe pour ouvrir et éviter un entre soi entre chercheurs.

Pris dans cette dynamique répétitive, je me lève, m’assois, n’en perds pas un du regard. Mon corps est écoute, inclut dans un espace où la pensée est un mouvement artistique permanent dans un “ici et maintenant” ouvert où la tendresse est infinie envers celui qui ose penser la complexité du monde. Probablement l’une des performances les plus stimulantes de ma trajectoire de spectateur.

Pour clore le festival…

Je  suis donc totalement prêt pour «Fase, four movements to the music of Steve Reich». Cette pièce d’Anne Teresa de Keersmaeker fut créée en 1982 et présentée au Festival d’Avignon en 1983. Presque trente ans après, ces quatre tableaux musicaux et chorégraphiques n’ont pas pris une ride. De vraies “danses libres” où le duo formé avec Tale Dolven explore avec brio la musique répétitive de Steve Reich. Déjà mis en mouvement par Tino Sehgal, mon regard ne perd rien. J’entre moi aussi dans cette danse avec ma virtuosité, celle d’un spectateur nourri par trois semaines de festival : «Piano Phase» me rappelle la transe de Meg Stuart dans «Violet» ; «Come out» me guide vers les mouvements vitaux d’Angelica Liddell ; «Violin Phase» m’évoque la spirale de la vie de Thierry Thieû Niang dans «du printemps» ; «Clapping music» me plonge dans des déplacements insensés, où le corps se casse, se plie, se déploie et change. A l’image d’une traversée festivalière. «Fase» est une chorégraphie pour spectateur reliant?
Pour clore le Festival?
Boris Charmatz nous donne rendez-vous à minuit trente pour une “‘bataille” avec le cornettiste Médéric Collignon. Entre duo et duel, les deux artistes s’écoutent, improvisent et nous offrent un feu d’artifice musical et corporel, le tout ponctué de références à la programmation du festival. Médéric Colligon est extraordinaire : délaissant son instrument, il s’abandonne pour créer les sons à partir de son corps, entraînant dans cette symphonie déjantée un Boris Charmatz pris dans cette tourmente créative. Peu à peu, l’improvisation fait émerger une forme totalement inédite: c’est par la danse que le corps est musique ; c’est avec leurs langues et leurs doigts dans la bouche que la performance atteint des sommets de drôlerie et de virtuosité.
Puis, le final est miraculleux: j’ai commencé le festival le 6 juillet à 15h, avec « Petit projet de la matière» d’Odile Duboc dansé par des élèves du quartier Monclar. Je le clôture à 1h30 du matin le 25 juillet avec une danse d’Odile Duboc par Boris Charmatz sur une partition musicale corporelle de Médéric Collignon. La traversée s’arrête là : «Rien ne laissait présager?» this situation.
En Fase 
Pascal BélyLe Tadorne. 
« Fase » d’Anne Teresa de Keersmaeker du 24 au 26 juillet 2011. 
« This situation » de Tino Sehgal du 8 au 24 juillet 2011.
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FESTIVAL D'AVIGNON THEATRE MODERNE

Au Festival d’Avignon, le théâtre crève l’écran.

Imaginez une scène de théâtre saturée de caméras et de fils, où le décor paraît lointain pris entre cabines de prise de son et tables où s’affairent des bruiteurs. Rêvez d’un plateau où le rôle titre est joué par plusieurs acteurs qui, à leur moment perdu, peuvent passer derrière la caméra.

«Christine, d’après Mademoiselle Julie» librement adapté d’August Strindberg par Katie Mitchell et Leo Warner de la Schaubüne de Berlin est d’une telle virtuosité qu’elle vous entraîne aux frontières du cinéma, du théâtre et de la danse. La mise en espace est d’une telle complexité qu’elle procure chez le spectateur un sentiment total de liberté l’invitant en continu à changer de regard et d’angles de vue. A être l’auteur de son propre cinéma théâtral !

Et pourtant, tout commence bien mal. À peine les acteurs prennent-ils position, qu’une caméra tombe en panne. Le théâtre peut-il à ce point dépendre de la technique ? Mais la suite nous démontrera que c’est exactement le contraire…

Julie est fille d’un conte. Profitant de l’absence de son père, elle organise une fête le soir de la Saint-Jean. Elle fait l’amour avec Jean, son valet. Celui-ci n’hésite pas à franchir la ligne: ils sont prêts tous les deux à poursuivre leur aventure en quittant la Suède pour ouvrir un hôtel en Allemagne. Ils proposent même ce voyage à Christine, fiancée de Jean et cuisinière du comte. Mais leur différence de statut aura raison de leur folie. Ils restent. Elle se tue.

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Plutôt que de mettre la focale sur Julie, Katie Mitchell et Leo Warner choisissent Christine comme héroïne, la métamorphosant peu à peu en tragédienne. Un grand écran restitue le drame tandis que les agencements permanents du décor font office de traveling de cinéma. Chaque scène, est une suite de plans répartis sur l’ensemble du plateau: quand Christine fait sa toilette, une bruiteuse orchestre le son comme une symphonie, tandis qu’une deuxième comédienne permet à l’une des caméras de zoomer sur une partie du corps. Alors qu’elle descend de sa chambre à la cuisine, le son étouffé dans les cabines prend de l’ampleur pour que les caméras puissent ouvrir des pans entiers du décor. Le film se fait donc en direct, sans montage, car le théâtre ordonne tout ! Toute la machinerie n’est qu’au service de la poésie pour entendre et comprendre la douleur de Christine, héroïne d’un film d’Ingrid Bergman.

Le plateau devient ainsi un tableau aux multiples touches de couleurs. La mise en scène s’autorise toutes les audaces: la caméra donne à chaque geste de Christine, une profondeur stupéfiante. Alors qu’elle prépare le repas, elle découpe un gésier comme elle transpercerait le coeur de Jean. Magnifique. L’épaisseur de chaque son, nous fait entendre son vacarme intérieur. Le moindre déplacement, nous permet de mesurer l’espace clos dans lequel vit cette cuisinière pieuse et loyale qui se crée tout un univers fait de plantes, d’herbier et d’odeurs de pré mouillé. La plus petite expression du visage nous est restituée comme un plan fixe dans lequel notre altérité est célébrée.

Alors que se trame une tragédie, je m’émerveille face à ce déluge de poésie qui submerge le plateau. Étrange paradoxe d’autant plus qu’à l’urgence des acteurs et des bruiteurs répond la lenteur des images. Elles nous reconstituent comment Christine vit à la fois le conflit de classe sociale entre Julie et Jean et la trahison amoureuse. La lumière presque sombre nous plonge dans ce trou sans fond à peine éclairée par son dialogue avec Dieu. Quand la doublure de Christine passe derrière la caméra, c’est pour nous offrir une mise en abyme stupéfiante : elle met en scène sa propre dramaturgie comme pour répondre à celle de Julie.

À mesure que le film avance, Christine dégage une force étonnante née probablement de son rapport si particulier à la nature et à la beauté. Tout ce qu’elle touche comme domestique, elle le métamorphose comme amante. Majestueux.

Katie Mitchell et Leo Warner créent une forme d’opéra théâtral où les sons et les images transforment la tragédie d’August Strindberg en espace mental où sont projetés nos désirs d’histoires d’amour impossibles.

Sur grand écran.

En dix D.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Kristin, Nach Fräulein Julie » mise en scène par Katie Mitchell et Leo Warner au Festival d’Avignon du 22 au 24 juillet 2011.

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Bertrand Cantat, «le condamné» d’Avignon.

À la veille de la représentation,  je pars au théâtre avec une absence en tête. Bertrand Cantat n’est pas là. Ainsi l’a voulue la «vox populi» après le battage médiatique du printemps dernier.  Ce soir, à la Carrière de Boulbon, un homme est absent pour «Des femmes : les trachiniennes, Antigone, Electre» de Sophocle, mise en scène par Wajdi Mouawad. Un homme condamné qui a purgé sa peine n’est pas là parce qu’à la douleur légitime d’un homme (Jean-Louis Trintignant), nous avons opposé un principe moral, l’excluant de cette traversée écrite spécialement pour lui. Nous lui avons symboliquement coupé les cordes vocales pour l’enterrer mort vivant.

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Dès lors, comment me positionner alors qu’à peine la pièce commencée, je conteste la décision de Wajdi Mouawad de maintenir la représentation? Pourtant, je suis là ce soir (après avoir longtemps hésité) pour écouter un enregistrement. Je suis ici et ailleurs. «La posture paraît intéressante», me rétorque-t-on. Certes. Sauf que Wajdi Mouawad n’a pas intégré ce processus. Tout juste laisse-t-il la place libre. Tout juste fait-il entendre la bande-son (tant qu’il y était, un vidéaste aurait pu tout aussi bien projeter Bertrand Cantat).

Il y a  des acteurs, mais un trou béant, sans que celui soit «mis en scène» : «débrouillez-vous avec» semble-t-il nous dire, lui qui nous avait enchanté et éprouvé en 2009 lors d’une nuit mémorable au Palais des Papes.

«Débrouillez-vous». Mais comment faire, sachant qu’entre eux, nous et le Choeur (la Cité), il y a un précipice ? Les trois musiciens errent comme des fantômes parmi des interprètes bien incapables d’incarner leur rôle alors que l’acteur principal est absent, condamné une deuxième fois. Comment entendre la tragédie sur scène alors qu’elle se joue ailleurs ?

Je comble le vide. Je m’accroche au chant de Bertrand Cantat qui fait tout trembler. Le rock est prière. Il est le cri primal de la démocratie. Il est ma peine. Il est un lancer de pierres de Boulbon contre l’autocratie.  Le sens de la tragédie est dans sa voix tandis que celle des acteurs se perd dans des effets de manche d’un cours de conservatoire.
Je m’accroche à l’insignifiant, au détail : je songe à Déjanire, épouse d’Héraclès, qui joue mouillée de la tête au pied. Comment fait-elle avec un froid pareil ?
Je repère ce qui est suggéré : les acteurs en font des tonnes pour créer une nouvelle forme théâtrale, un loft-story tragi-comique où la «masse-média» a déjà voté pour exclure l’un des protagonistes, observant toute-puissante le produit de sa lâcheté.
Je ris avec quelques spectateurs quand Wajdi Mouawad confond la scène avec un espace d’art contemporain où l’acteur devient oeuvre plastique, matière de son propre jeu, où le vivant se prend les pieds dans la figure de l’objet d’art, où une image en chasse une autre, sans lien.
Je ris et j’ai honte d’assister à un théâtre kitch qui me positionne dans une performance (six heures de représentation au coeur d’une nuit frigorifiante) sans que je ne ressente de la peur, de la pitié, de l’admiration. Cette  «tragédie» me laisse indifférent. 
Il est deux heures du matin. J’en ai assez vu. Je quitte la Carrière sans voir «Electre».  Je cherche du regard tous ceux qui pensent que l’on fait du théâtre avec de la morale et qui, ce soir, se contentent de si peu. Ils n’auront certes pas à l’applaudir, à se «salir» les mains. Ce soir, ils l’ont enterré.
Antigone cherche désespérément son corps.
Pascal Bély, Le Tadorne.
« Des femmes : les trachiniennes, Antigone, Electre» de Sophocle, mise en scène par Wajdi Mouawad au Festival d’Avignon du 20 au 25 juillet 2011.
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Au Festival d’Avignon, une spectatrice en VIOLET sème le trouble.

Il peut arriver qu’un imprévu change le cours d’un spectacle. Dans «VIOLET» de la chorégraphe Meg Stuart, une spectatrice a bouleversé le rapport scène-salle en entrant par effraction dans la dramaturgie pour lui donner un sens tout à fait particulier?

Meg Stuart précise son intention : «VIOLET se situe à l’endroit où le personnel rencontre l’abstraction». C’est clair et sans paraphrases inutile. Cinq danseurs, trois hommes, deux femmes se tiennent droit, sur une ligne imaginaire qui les relie. Le  fond du décor m’intrigue: une forme bombée de plastique noir semble prête à exploser sous la pression. Mais rien ne vient. Il produira tout au plus quelques flashs?À gauche, un musicien, légèrement en retrait, entre batterie et ordinateur, entre MP3 et boom boom. Il est mon casque sur les oreilles.

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Lentement, ils s’avancent. Leurs premiers gestes saccadés dévoilent les effets d’une musique peu à peu assourdissante. Chacun est dans sa bulle. Les corps s’électrifient. La danse est polarité : charges positives sur scène, négatives dans la salle. Il y a manifestement de l’électricité dans l’air. Ils tremblent, décollent du sol pour s’abandonner dans une sphère, probablement parsemée d’archipels de couleurs et d’ondes magnétiques. J’observe, mais je ne m’engage pas. Leur danse, déjà vue dans bien des chorégraphies, ne me surprend plus. Tout au plus, la musique commence à faire vibrer les gradins jusqu’à faire dérober le sol sous mes pieds. Entre apocalypse et battements de c?ur, ils entrent en transe. Ils sont certes isolés, mais l’onde de choc de l’un produit l’oscillation chez l’autre. A l’unisson. Comment font-ils pour être ensemble à ce tel niveau d’abstraction, à heure fixe, face à cinq cents spectateurs?

Soudain, devant moi,comme dans un concert,une jeune fille se lève. À côté, une spectatrice lui ordonne de s’asseoir. Je la rassure («c’est une danseuse»). J’en suis convaincu. À ce moment précis, j’entre dans«VIOLET». J’accepte que leur danse soit l’expression de ma tension. Ils sont ma jeunesse. Elle s’assoit. Puis se relève. Pris entre la scène et le gradin, je me penche. J’ai envie de me lever aussi, électrisé. Ils s’approchent, nous observent tandis que la musique se tait. Sommes-nous avec eux ? A ce moment précis, elle se lève à nouveau. Pour applaudir. Seule. On n’entend qu’elle. Battements d’ailes. Les protestations montent. Elle poursuit. Les danseurs aussi. J’hésite à me lever. La tension augmente. Elle est ce matériau conducteur entre eux et nous. Elle est cette enveloppe isolante. Elle est l’âme de cette danse.

Un agent d’accueil la fait sortir. Elle se tourne et nous dit : «Vous n’avez pas compris, c’était fini et ça a recommencé. Ce n’est pas grave. Il y aura d’autres moments pour comprendre». Elle part. Effectivement, c’était bien fini, mais ça recommence. La deuxième partie n’apportera rien de plus si ce n’est la rencontre des corps à terre où ils forment un magma poussif qui peine à propager de l’énergie malgré quelques couleurs hallucinogènes. Mais je me sens avec eux, emporté par ce projet : celui d’une danse abstraite dont le corps véhicule le rythme du vivant. Mon a(tension) ne faiblit pas : c’est de Jazz dont il s’agit. Abondance de syncopes et de contre temps, accentuation des temps faibles, interactions en groupe…Le VIOLET est donc Jazz.

Le lien avec cette spectatrice m’a permis d’opérer la rencontre entre cette danse abstraite et mon imaginaire musical et chorégraphique. Cette jeune femme, médium, médiatrice, s’est perdue pour nous dans le VIOLET.

«Elle est folle» ai-je entendue dans le bus. «Elle m’a sauvé», ai-je répondu.

Pascal Bély, Le Tadorne

« VIOLET » de Meg Stuart, au Festival d’Avignon du 19 au 25 juillet 2011.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Au delà d’hier, il y a aujourd’hui.

Tellement de “raisons” pourraient vous faire écarter cette proposition…Le thème, l’heure, la durée… et pourtant, vous y trouverez de quoi alimenter en vous un petit peu d’humanité en plus. Au-delà du thème, du «devoir» de mémoire, des acteurs qui sont magnifiques, il y a dans cette pièce des mots essentiels qui font résonnance de nous.

Ce n’est pas du sujet annoncé (la persécution homosexuelle par les nazis) dont je souhaite vous parler, mais de l’aspect «universel» des relations humaines qui traverse le propos, jusqu’à toucher, sans faux semblants, la question de l’intime dans les dernières scènes. Quitte à «choquer», je «gommerais» ici la question de sexualité ou de genre ; c’est le meilleur que peut nous offrir ce texte pour que ce qui a été vécu ne l’ai pas été pour rien.  Que ce que nous avons appris de l’horreur serve, même juste un peu  aujourd’hui, tout en ne nous « enfermant » pas dans hier. Le personnage de Max porte ce qui pourrait nous ressembler, que l’ont soit homme ou femme, homosexuel ou hétérosexuel. A condition bien sûr que l’on soit humain, un tant soit peu intéressé par de l’autre, voir même sexuel, sans nécessité de préfixe.

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Max traverse le quotidien sans trop se questionner sur ce qu’il vit ; il aime, mais ne sait pas le voir; il «consomme» la vie et les autres. L’horreur va le pousser à croiser, à entendre, ses petites et ses grandes lâchetés, mais aussi à accepter «l’effraction» et à sentir «l’essentiel» quand l’autre approche pour aimer. Ce texte parle de vie, de rencontre et de relation. Certes dans un contexte particulièrement terrible, mais qui porte, probablement en cela, la possibilité de «dire» et de «lire» ce qui nous tient vivants. C’est au plus violent de ce que l’humain peut inventer que Max rencontre Horst. C”est parce qu’ils sont dans cette situation qu’il peut trouver raison pour s’ouvrir par les mots.

Allez entendre, voir et laissez résonner la «scène d’hiver», écoutez les mots qui disent ce que souvent l’on tait, pris dans nos «peurs», engluées dans les «rôles à jouer» à l’approche des corps, occupées à ne surtout pas laisser l’autre «approcher trop près». Ce spectacle, au-delà de sa «fonction» mémoire de l’horrible porte beaucoup de vivant. Toutefois, pour éviter  toute» mauvaise surprise: Le lieu est peu confortable et l’espace scénique est très réduit, ce qui «enlève» un peu de force et de souffle à ce spectacle.

Mais, découvrir ou redécouvrir ce texte de Martin Sherman porté par de très bons comédiens est un vrai moment fort.

Bernard Gaurier, Le Tadorne

« Bent », mise en scène Anne Barthel avec Gérard Cheylus, Ludovic Coquin, Benoît Dagbert, Franck Delage, Jean Mathieu Erny, Georges Mathieu, Michel Mora, Frédéric Morel, Philippe Renon et Valentin Terrer. Au Théâtre du Rempart à 22H10 jusqu’au 30 juillet

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CONCERTS FESTIVAL D'AVIGNON

Jeanne Moreau, Etienne Daho…deux condamnés à aimer.

S’asseoir dans la Cour d’Honneur pendant le Festival d’Avignon, ce  n’est pas seulement assister à un spectacle, c’est aussi affronter le passé, faire résonner l’écho de la mythologie sonore et visuelle;  c’est aussi se remémorer, adorer,  oublier, accepter ou renier une histoire théâtrale parfois lourde à porter.

Ce soir, un des mythes est de retour….en mémoire et physiquement. Une icône qui raconte une autre icône. Un mythe des comédiennes  face à  un mythe littéraire : Jeanne Moreau et Jean Genet.

Ce soir elle va dire, elle va  parler, elle va réciter. Elle va donner sa voix à un plateau qu’elle a déjà arpenté au temps de Jean Vilar. Ce soir sera évoquée l’histoire d’amour, écrite par Jean Genet pour Maurice Pilorge.

La Jeanne, Mademoiselle Jeanne, la grande, la belle, l’adorée, la jamais critiquée, la Moreau sera la narratrice de mots magnifiques.

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A ses cotés, un homme de noir vêtu. C’est Étienne Daho.  Belle allure stoïque, peut-être  paralysé d’effroi, et sans doute très étonné d’être là. Devant nous, avec elle,  il y a  un chanteur de variété qui va s’accrocher aux pentes d’un texte érotique. Quand la musique Pop rejoint la dramaturgie. Quand la frivolité rejoint le désespoir.

Lumières éteintes, silence et l’orchestre se met en place. Re-silence et on attend de voir leur silhouette arriver sous les arches du Palais. Cheveux-costume blanc, petite taille grande sourire, crinière cendrée, elle irradie au bras du chanteur, portée comme une matrone égarée, ils sont ovationnés et admirés.  Silence, nous sommes aux abois. Suspendus.

Elle va dire un texte de Jean-Paul Sartre : “Genet, comédien et martyr », qui décrit l’homme Jean Genet,  double à la fois,  poète et voleur. On apprend que Jean Genet est emprisonné, pour vol à Saint-Brieuc et qu’il  est fasciné par Maurice Pilorge, emprisonné, lui aussi, pour meurtre de son amant. C’est à partir de là que le voleur va trouver son inspiration et voir la naissance du  “Condamné à Mort”.

Suit alors ce  texte érotique, aux mots argotiques imagés, une bite est un chibre, une bite est un pieu…des mots poignards que Daho parfois n’arrive pas toujours à enfoncer, tant il se retient! Des mots crus, images superbes-métaphores imagées, sexuellement sensuelles  et cruellement envoyées.

….Jeanne Moreau dit parfaitement la douleur, l’amour, l’attirance,  tandis que  le micro d’Étienne Daho semble mal réglé. De son bras gauche, à plusieurs reprises il dit à ses musiciens de tempérer le son. Après quelques minutes, tout va bien, et miracle, il est compréhensible, il articule, le texte est superbement chanté quoique parfois pas assez incisif. Étienne Daho devrait trancher plus profond. Daho devrait y aller, comme Genet y serait allé. On pense à Marc Ogeret, plus brutal dans la profondeur de sa voix, on pense à Michel Hermon (comédien-chanteur-metteur en scène) qui chante “Sur Mon Cou” comme personne.

On pense à Francesca Solleville….

On pense à Hélène Martin créatrice musicale de ce Poème….elle est sûrement dans la salle, émue, fière et attendrie.

Nous sommes dans un moment de grâce. Les Murs deviennent la Prison de Jean, Étienne devient Jean et on devine l’ombre de Maurice qui se balade dans les airs. Ce sont les murs gris qui nous enveloppent, Jeanne en est la Gardienne, la Mère, la Putain. Elle devient, par sa voix grave, l’héroïne d’un poème chevaleresque, cette ode au Torse, à l’homme désiré, aux Héros virils qui étaient à leurs heures de vulgaires Pédérastes.

 La voix de rocaille de Jeanne devient l’écho incarné de la grisaille du Palais. Sa virginité blanche va être dépucelée par le Pieu du Voleur.  On atteint presque l’Orgasme littéraire, Étienne bouge avec des coups de reins sensuels….on est bercé de viol, bercé de vol, bercé de magie érotique. Les pierres en deviennent sensuelles.

On voudrait se lever et rejoindre Le Blanc et Le Noir, chanter avec eux, se recueillir sur “son cou”….Regretter que ce ne soit pas plus long. Quand les feux de la rampe s’adoucissent, on se demande si Maurice Pilorge a vraiment existé ? ….Est-ce Fresnes ou Saint-Brieuc? Est-ce un rêve, un fantasme ou la réalité…cela importe peu. . Seuls Hélène Martin et Jean Genet  le savent, preuve en est le dépouillement violent de son interprétation quand elle a créé ce chant d’amour.

Le mythe Moreau était en corps là, incarnant-incarnée, le Chanteur-ombre noire  regard perdu adoré…un moment de magie pure….encore des Mots intenses, et un souhait avoué…que Le Condamné résonne pour toujours de sa puissance animale.

On se souviendra longtemps, en ce salut final, de ce  couple enlacé…. Elle, cachée derrière lui pour mieux l’enlacer….On ne voyait alors qu’une silhouette blanche et noire, le corps de l’un dans le corps de l’autre.
…Deux condamnés à aimer…
Francis Braun – Le Tadorne.
“Le condamné à mort” par Etienne Daho et Jeanne Moreau au Festival d’Avignon le 19 juillet 2011