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FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival d’Avignon,”Sympathy for the Devil”…Les Rolling Stones.

«Le Maitre et Marguerite» de Simon Mc Burney présenté dans la Cour d’Honneur divise les Tadornes. Pascal Bély est très réservé sur ce spectacle « qui mobilise la pulsion, la même qui nous conduit dans les pièges posés par le consumérisme le plus abject.».

Francis Braun a un tout autre avis.

Osmose entre la scène et les images. La Cour investie. A une rapidité insolente. Fulgurantes images. Le Bâton est levé, ce bâton que l’on nomme à présent Fenêtre, Porte ou Ouverture, passage obligé, symbole du chemin à gravir. C’est la Fenêtre écho à celles du Mur que Simon Mc Burney aura le talent de faire vivre, d’éclairer ou d’assombrir, de faire trembler ou de laisser se reposer. It’s a Google man utilisant Google Map.

Les images vont se cogner aux  histoires entremêlées. Paf, bang, je mets du sang en image, j’allume les fenêtres, tombe la neige,  j’explose le mur, merde voilà les pierres qui  tombent, c’est un peu facile, mais c’est l’effet escompté. Le monde en image est sur les côtés, les coulisses sont apparentes et les sous-titres très mal placés. Il va falloir jongler: on écoute OU on regarde. Là on ne lit pas, ou alors on lit et c’est dommage, les images s’en vont trop vite. On jongle et à regret on s’habitue. Satan, Woland et sa troupe, les Élites littéraires, Moscou en 1930, le Maitre qui se vend au Diable, l’Amour de Marguerite, Ponce Pilate et le Christ…..

Une allégorie philosophique que cette épopée tragique ou ironique. Épopée qui se balade entre désir de liberté et célébration des Créateurs, où le jour et la nuit chevauchent le Rêve et la Réalité, où le Bien et le Mal se joue l’un de l’autre. Sur le plateau de la Cour, les Péchés des hommes réunis devant nous vont  provoquer la mort innocente d’un Christ décharné…Des peintures classiques et incroyables sur les pierres, le Mur et les flancs. Il y a du Kantor chez Simon McBurney, il y a du Arturo Ui, il y a du Caravage chez lui…

Il est arrivé à faire de ces trois histoires une épopée intemporelle. Pas d’intériorité, pas de sensibilité effleurée. Tout reste extérieur, mais complètement intégré. De choses éparses, il en a fait un tout. Et c’est réussi. Beaucoup de spectaculaire contemporain, mais utilisé avec maitrise, brio et toujours juste.

Des images qui soutiennent et soulignent le propos. McBurney reste hors du temps. Je ne crois pas que ce soit un faiseur malgré ce qu’il annonce. Pas un faiseur en tant que “truqueur”, mais faiseur en tant que fabricant, artisan, créateur. Il maitrise et tient les ficelles. Sa grande habileté transforme l’univers classique en un monde actuel et intemporel.

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Le résultat fait qu’il y arrive avec succès. C’est là, l’utilisation de moyens techniques ingénieux,  dans des habitudes qui ne nous sont pas étrangères. Bien sûr, on se souvient de Roméo Castellucci, Thomas Ostermeier ou Guy Cassiers qui sont passés maitres en vidéo… Il a la connaissance de la magie de la technique. Il sait employer ces “artifices” intelligemment, les intégrer après les avoir digérés. On peut parler là d’intégration et non de superposition. Il y a enfin,  dans ce lieu, le TOUT totalement lié. En fait il y a l’osmose entre un texte et ses images.

Merveilleux crucifié, superbes chevaux qui s’envolent. Je garderai longtemps dans ma tête, ces allusions christiques, ces “peintures corporelles” vivantes et imagées. Je garderai longtemps présents, ses mouvements prolongés, ces tentatives horizontales sur scènes qui, subtilement s’envolent sur le mur vers nulle part. L’humain déshumanisé devient picturalisé sur un mur, un Homme en croix de chair et d’os écorché, mais aussi en image sublimée sur la pierre. Je garderai présente en moi cette croix vivante sur le plateau et sur le mur…Images florentines, images Burneysques et sensuelles…images écartelées, ensanglantées…

Simon McBurney recycle nos images et les métamorphose en une ligne droite, jamais cassée. Elles sont leur propre miroir sur des plans différents. C’est le plateau de la Cour dans les airs, c’est les coulisses sur les côtés, c’est le Mur qui se fracasse, ce sont les têtes qui vont tomber, c’est le sang qui éclabousse, c’est l’amour fragmenté. On s’attendait à un effondrement et se sont les pierres qui sont tombées.

Le talent de Simon McBurney réside dans la synthèse des multiples données littéraires de Boulgakov. L'”entité” ne devient qu’une grande  émotion “tragique”. Tatouée sur les pierres, la courbure d’un mouvement, cette intimité humaine dans un lieu si vaste, cette humilité humaine souffrante sous le regard de 2000 personnes, ces corps enlacés…McBurney a fait dans le fracas intime. Cette fresque fut complètement magnifique. Peut-être emportée plus  par la présence visuelle que par les mots criés en violence. Rien n’est artificiel. Rien ne se substitue aux propos. Force et densité se rejoignent dans cette folie meurtrière.

Un salut quand même au Chat perfide incarné, cruel parmi les cruels. Un salut aux Comédiens qui nous racontent cette histoire, salut à McBurney qui a embrassé la Cour pour se l’approprier, salut au décor minimal, à cette Table-Cercueil, à ce Bar ambulant, à ce lit-hôpital, lieu de toutes les analyses.

On pourrait parler de la Compassion, on pourrait parler de perfidie, on pourrait évoquer la haine et la manipulation. On pourrait parler histoire et géopolitique et enfin on pourrait parler de l’histoire réelle de ce Maître et de sa Marguerite!

Et bien ce sera pour plus tard, je ne veux pas effeuiller le propos…..d’autres l’ont fait, d’autres le feront.

Francis Braun, Le Tadorne

Le regard d’un autre Tadorne: Au Festival d’Avignon, l’effondrement.

« Le Maître et Marguerite » par Simon Mc Burney d
ans la Cour d’Honneur du Palais des Papes du 7 au 16 juillet 2012.

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES

Au Festival d’Avignon, Steven Cohen, vertigineux petit rat des camps.

Cette après-midi, sous la scène du Palais des Papes, il y a «l’origine». Il y a LE cimetière. Il y a notre conscience de citoyen européen, nos valeurs, même celles que nous piétinons. Sous la scène, il y a le pour quoi du théâtre. Il y a un journal qui page après page souffle aux comédiens LE texte qu’il ne faut pas oublier. Sous la scène, il y a le Camp, les bruits étouffés et les cendres des âmes torturées, des corps déchiquetés.

Sous la scène du Palais des Papes, je me suis engouffré pour en ressortir une heure après, frigorifié, vêtu de noir, poussiéreux. Endeuillé à jamais. Pour toujours.  

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Sous la scène du Palais des Papes, il y a un des «fils» cachés de Jean Vilar. C’est le chorégraphe Steven Cohen. C’est mon «pédé papillon». Depuis quelques années, il se pose régulièrement sur mon épaule. Il est juif et Sud-Africain. Autant dire qu’il est la part abimée de l’humanité dont il soulève le rideau noir pour créer son théâtre où la tragédie prend “corps”. Il a de grands yeux où les étoiles poursuivent leur danse quand le soleil tape. Il n’est pas tout à fait nu: il a juste une petite coquille transparente pour protéger son petit sexe de «pédé papillon» des oiseaux de mauvais augure. Dieu sait s’ils sont encore à l’affut. Steven Cohen est grand parce que nous sommes parfois trop petits pour voir loin. Sous la scène, il a creusé la question de l’Holocauste. Profondément.  Pour montrer ce que le cinéma n’a jamais pu filmer. Pour danser ce que le théâtre n’a jamais pu dire.

Une lumière orange le voit surgir du trou. Celui de l’origine du monde. Il renaît. L’humidité me prend à la gorge. Son cul apparaît. Il est visage, il est “Le cri” d’Edvard Munch. Combien de galeries a-t-il creusées pour arriver jusqu’à nous? Je sursaute tandis que des rats dans des canalisations transparentes assurent le tempo, par petits bruits bien ordonnés. Ils sont derrière moi: j’ai l’impression qu’ils effleurent ma nuque, prêts à me grignoter, à jouer avec mon «refoulé». Ils sont les bons petits soldats des basses besognes. Ils sont venus faire un petit tour sous la scène du Palais. En permission. Probablement de Syrie.

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Steven Cohen apparaît donc pour nous «livrer» le journal intime d’un jeune homme, écrit dans un camp de concentration. On en perçoit certains extraits sur deux petits écrans, semelles de ses immenses sabots de fer qui, telles des mâchoires, enserrent ses pieds. Collé à ses basques, il porte le poids de notre barbarie passée. Il s’approche, longe la rangée des spectateurs pour nous donner à lire sous ses pieds, ce livre tiré de la Bibliothèque Universelle. L’important n’est pas de déchiffrer les mots, mais de les ressentir par son corps, chemin éclairé et étincellant qui explore notre conscience. L’important, c’est que nous ressentions l’effroi quand le corps est pénétré par l’innommable; que nous écoutions ces paroles proférées même si c’était celles de Pétain, celles de la France. L’essentiel, c’est d’entrer par une caméra dans le corps de Steven Cohen pour y percevoir ce que l’homme barbare voit: des galeries creusées qui mènent vers la mort, des trous explorés pour trouver la formule efficace de l’extermination, des plis labourés pour semer la graine du chiendent. Je sens que je m’écroule sous le poids de cette scène où les pas des comédiens qui répètent plus haut« Le maître et Marguerite», résonnent  comme le bruit des bottes. Ils donnent la mesure pour annoncer l’arrivée des rats qui, munis de torches, inspectent l’usine à gaz que Steven Cohen a installée au fond de l’espace.

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Pour l’instant, ils ne nous ont pas trouvés. Je les observe, apeuré. Ils exécutent une danse macabre à partir d’aller-retour indécents. Peu à peu je m’enterre, je m’affaisse, je croule sous le poids de ces petits rats lumineux qui me disent aussi que la danse nous éclairera encore et encore parce que le corps est un trésor de mouvements à explorer, qu’il est le rempart contre les barbaries idéologiques.  Steven Cohen est notre (sur)vivant; il est ce corps universel offert à l’art. Je sens qu’il est la plus belle créature que le Palais des Papes n’a jamais engendrée. Qu’il est ce petit rat qui se faufilera souvent entre nos pattes pour gentiment nous faire trébucher. Et de sa main, il ne cessera de nous aider à nous relever. 

Parce qu’au-dehors, il y a foule pour venir voir les comédiens.

Pascal Bély, Le Tadorne.

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“Hommage , dédicace à STEVE COHEN , ses rats, sa lumière, sa nudité. Son ÉTOILE JAUNE, son KADDISH, son sous-sol, son constat … Rien de trop, juste. Pas de salut, il part du sous-sol, humble et discret.”

Francis Braun, sur la page Facebook du Tadorne.

Steven Cohen, « Sans titre pour raisons légales et éthiques », au Festival d’Avignon du 11 au 16 juillet 2012.

 

Steven Cohen sur le Tadorne:

Steven Cohen, pédé papillon.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Avignon OFF 2012 / «La femme placard».

Un plateau recouvert de vêtements d’homme pêle-mêle, une femme sur un canapé…Pendant soixante-cinq minutes, nous allons suivre ses émotions, en ayant les nôtres qui trotteront en parallèle.

Chacune  des femmes du public pourra se regarder dans ce miroir sans teint. Comme dans la course d’Alice au pays des merveilles, avec ses frissons de plaisir, ses prises de risque et ses désenchantements. Une femme amoureuse, quoi de plus banal. Habillée dans une chemise d’homme, elle habite ce corps fusionnel. Elle est aveuglée…comme une toute petite fille, noyée dans ses croyances et ses espoirs. Dans notre distance de spectateur,  sa représentation de l’amour résonne tel un cliché, mais fait vibrer en nous une quête intérieure. 

Son questionnement autour du rangement, ce n’est pas pour nous, les autres femmes, mais très vite, par petites pointes, on ressent le liquide amer injecté lentement dans nos veines.  Notre corps s’échauffe, et nous commençons à nous tortiller sur notre siège. Le déroulement de la vie de cette femme, et si c’était nous de près ou de loin? Le théâtre doit nous faire rêver donc on résiste, on sourit…jaune. Après la vision d’un rangement de printemps, on se retrouve dans un sacré capharnaüm.

La position au premier rang nous rapproche de Patricia Kell, la comédienne. On se sent, dans cette proximité, sa “bonne copine”, à vouloir la conseiller. Lui dire, “mais pars!”.  Le cheminement du texte nous fait explorer plusieurs voies; celui de la femme soumise, puis celle qui se rebelle; la version masculine n’est pas négligée entre ses émois, ses atouts et ses faiblesses.

Nous sommes comme des dragons à multiples têtes,  suivant nos âges, nos humeurs. Au-delà d’un mobilier décrit, on se sent vivant, guerrier. La chemise tombe et la féminité reprend le dessus. Notre chair, notre sexe revivent enfin…Mais à quel prix? Famille, enfant, patrie, vous dites? Non, je ne suis pas enfant de Pétain, mais enfant des années quatre-vingt, vent de liberté qui rue dans ce 21ème siècle. Le couple est-il mort pour ouvrir la souveraineté de l’individualisme jouisseur? Ne sommes-nous pas des êtres singuliers et prisonniers de nos sensibilités? Malmenés ou aimés en famille, par les  enfants, les amants, et bousculés par le poids des institutions?

Mais la soif de rêve de liberté d’Alice réapparaît. L’énergie est plus forte. Pas de remords. Juste une mémoire pleine d’empreintes. «La femme placard» fera partie de mon intime et créera des passerelles vers «Le maître et Marguerite» de Simon McBurney vécu intensément dans la soirée au «In». Magie des grands écarts du festival.

Tout se relie… 

Sylvie Lefrere de Vent d’art vers le Tadorne.

“La femme placard”, mis en scène de Christian Garcia Reidt, à l’Albatros. Festival Off d’Avignon à 12h45 jusqu’au 28 juillet 2012.

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT Vidéos

L’indigne colonie de vacances de Régine Chopinot.

À la sortie de «Very Wetr !» de Régine Chopinot, nous sommes quelques spectateurs réunis à nous soutenir après ce que nous venons de voir. Nous sommes éberlués. Atterrés. Mon corps en tremble presque: rarement la danse n’est allée aussi loin dans un propos aux relents colonialistes, voire racistes. Car comment ne pas ressentir dans cette proposition l’inacceptable? Que se passe-t-il pour qu’une partie du public se prête à des applaudissements si complaisants? Comment écrire sur un spectacle que je n’aurai jamais dû voir?

Madame Chopinot a passé du temps en Nouvelle-Calédonie pour réussir à (re)venir vers nous avec onze danseurs. Ce qui frappe d’emblée, c’est le contraste entre elle et eux. Il ne cessera de s’amplifier tout au long du spectacle. Tous affublés de costumes de Jean-Paul Gaultier, on hésite entre rire et pleurer: que peut bien signifier ce déguisement grotesque? Reconnaissons que le couturier a eu la main très lourde sur Régine Chopinot : cuir de moto, fesse façon Robyn Orlin, et coiffe de paille style «Marie-Antoinette avant la décapitation». Cette dernière image me poursuivra jusqu’au bout. Concernant les autres danseurs, je suis frappé par la manière dont les corps des femmes sont traités : enserrés, empêchés de la tête au pied, plastifiés. Les hommes sont un peu mieux lotis pour qu’ils soient à leur aise dans leur montée aux arbres. Il faut ne rien comprendre à la danse, art de la métamorphose, pour la contraindre ainsi. Il faut ne pas entendre une culture pour la customiser de cette façon.

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C’est une prise de pouvoir. Presque assumée, voire revendiquée. Il y a Madame Chopinot qui lit un texte sur son IPAD: elle y évoque sa rencontre avec la culture kanake et enfile quelques perles sur la différence. Elle ne lit pas, mais se regarde dans un miroir où son petit doigt glissant lui donne la contenance offerte par l’outil technologique face à ceux qui ne l’ont pas. Elle se positionne à plusieurs reprises sur un tabouret. Elle n’a pas osé le trône. Mais son visage et sa gestuelle ne trompent pas lorsque son regard glacial et suffisant croise les interprètes qui se présentent face à elle comme à la Cour. Telle une reine déchue, elle s’accroche à ce qui lui reste de son pouvoir tandis qu’à l’extérieur, la danse contemporaine s’est depuis longtemps affranchi d’une telle relation descendante entre un chorégraphe et ses interprètes. Mais pas elle. Elle s’y croit encore. Jusqu’à ce chant sur «Madame Chopinot» qu’elle écoute avec jouissance. Le groupe est son deuxième miroir?

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Ils dansent avec parfois un bruit de fond d’avion prêt à atterrir. Je pense aussitôt à ses descentes de chef d’État quand, au pied de la passerelle, des groupes locaux folkloriques font le comité d’accueil. Ce soir, Régine Chopinot orchestre de multiples descentes aux enfers. Elle ose tout, comme cette partie de foot entre hommes tandis que les femmes assurent l’ambiance…comme cette  montée sur le platane! Après qu’ils aient fait place nette, elle assume même un mouvement dansé décalé, bien occidental. À aucun moment, elle ne se mêle au groupe. C’est probablement sa vision de la différence: scénographier la frontière, sculpter l’espace pour que l’on n’oublie jamais la grande chorégraphe qu’elle fut, structurer le groupe autour de la tribu, organiser les déplacements dans le rectangle, en rang, pour danseurs obéissants.


Je suis au premier rang. Je vois leurs visages. Ils sont tristes. Leurs regards sont ailleurs. Ils ne sont pas là. Je n’ai aucune peine à imaginer ce qu’ils endurent ce soir à jouer cette danse sous les cocotiers face à un public majoritairement blanc qui trouve cela si exotique pour applaudir entre les scènes. Il n’y a aucun propos artistique: juste une démonstration brute de différents aspects d’une culture chorégraphique sans aucune dramaturgie sauf celle de saluer le grand retour de Madame Chopinot sur le devant de la scène. Il n’y a rien de ce qui fait un spectacle au Festival d’Avignon: une création, une prise de risque, une esthétique innovante au service d’un propos lisible et assumé. Rien. Juste une danse métamorphosée en folklore où ressurgissent nos relents colonialistes.

Madame Chopinot célèbre notre inconscient colonial. Avouons que c’est tristement bien fait.

Pascal Bély – Le Tadorne.

Pascal Bély, « Very Wetr !! » au Festival d’Avignon du 9 au 16 juillet 2012.

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FESTIVAL D'AVIGNON L'IMAGINAIRE AU POUVOIR

“Tragique Liban, vital Facebook.”

À mon arrivée dans la salle du Lycée Saint-Joseph, je comprends très rapidement qu’il n’y aura aucun acteur sur scène pour le spectacle des Libanais Lina Saneh et Rabih Mroué, «33 tours et quelques secondes». Le décor est en soi un objet «plastique» qui créé immédiatement la distance: un tourne-disque, une télé à terre, un bureau, des chaises, un mac, des téléphones. Je pense à tous ces espaces abandonnés en catastrophe, à ces lieux dans lequel il(elle) n’est jamais revenu(e).

Nous voici immergés dans l’appartement de Diyaa Yamout, 28 ans, militant des droits de l’homme libanais, qui décida de mettre fin à ses jours en octobre 2011. Dans une lettre, il confiait vouloir se libérer non pour des raisons psychologiques, mais politiques. Reste que les objets continuent de fonctionner, qu’ils lui survivent. Les deux téléphones (fixes et portables) ne cessent de sonner. On y entend la voix de Lina Saneh qui cherche Diyaa et s’empare de la bande du répondeur pour évoquer leur aventure d’un soir. À cet instant, on ne sait pas si elle sait. Ses paroles résonnent dans un ailleurs entre la mort d’une relation et celle qu’elle tente désespérément de ranimer.

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À peine raccroche-t-elle que le portable sonne intempestivement et vibre à l’arrivée de plusieurs SMS d’une amie palestinienne qui, longuement bloquée à l’aéroport de Londres pour avarie, finira par atterrir à Beyrouth sans pouvoir débarquer. Ses messages de colère, d’impatience semblent vains au regard de la disparition de Diyaa Yamout. Et pourtant; ses textes courts ont une intensité dramatique, car politique: être palestinien, n’est-ce pas ne jamais pouvoir décoller et atterrir ?

Pour occuper l’espace entre les SMS, deux écrans entrent directement en concurrence: la télévision et ses pratiques de racolage; la page Facebook du disparu et ses messages au caractère parfois douteux. Les deux médias mènent alors une guerre sans merci autour du suicide de cette personnalité publique connue pour son activisme face à une société libanaise morcelée, corrompue,  paralysée. Nous sommes clairement pris à partie. D’un côté Facebook  poursuit sa fonction: celle de relier des individus qui profitent de cet espace totalement démocratique pour poster des messages empreints d’émotions et de poésie dans les heures qui suivent la disparition de Diyaa, puis deviennent peu à peu plus politiques et conflictuels. Religieux et laïcs s’affrontent; partisans de sa cause et  opposants à sa «secte» s’invectivent. La page est une stèle funéraire où chacun appose son objet quand ce n’est pas un graffiti. La vie reprend ses droits, car Facebook libère la parole empêchée, d’où qu’elle vienne, sans filtre. Il ranime les passions, construit sa toile. Il est politique. À côté, la télévision parait bien ringarde avec ses codes de communication marketing. Elle est mortifère dans la façon dont elle contrôle le vivant. Objet de convoitise du capitalisme et du politique, elle porte les gênes d’une manipulation de l’humain au profit d’un système de pensée totalitaire.

Dans cette guerre médiatique, après une chanson de Jacques Brel, un objet s’est définitivement  arrêté: le tourne-disque. Lui seul fonctionne dans une relation intime avec son utilisateur. Il n’y aura plus jamais personne pour y poser délicatement le saphir sur l’objet noir du désir.

À la sortie, nous sommes plusieurs à nous interroger sur la finalité du spectacle. Certains y voient une dénonciation de Facebook tandis que d’autres s’inquiètent de l’absence d’acteurs dans un festival de théâtre. J’ai pour ma part ressenti la portée politique et psychologique du deuil de Lina Saneh et Rabih Mroué qui prend au Liban des dimensions qui nous sont étrangères. C’est le geste grave de deux artistes qui, modestement et courageusement, laisse l’espace virtuel occuper un espace théâtral. C’est en soi un «suicide» artistique, commentés par les spectateurs avec le même engagement vital que les réactions des amis et opposants de Diyaa Yamout.

À mon retour chez moi, j’ai cherché sa page Facebook. Elle semble ne plus exister. Pour remettre  le tourne-disque en marche, j’avais l’intention d’y laisser un message en réaction à la proposition d’aujourd’hui. Mais le diamant a disparu. J’ai cherché son visage sur Google. Aucun résutat.

Mais le théâtre est toujours là. Un saphir.

Pascal Bély, Le Tadorne

Lina Saneh et Rabih Mroué sur le Tadorne:

Le théâtre carbonisera-t-il Lina Saneh ?

« 33 tours et quelques secondes » de Lina Saneh et Rabih Mroué au Festival d’Avignon du 8 au 14 juillet 2012.

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Au Festival d’Avignon, l’effondrement.

À peine le spectacle «Le maître et Marguerite» du Britannique Simon McBurney a-t-il commencé dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes que je m’inquiète. Comment me concentrer sur la mise en scène alors que les surtitres sont aux deux extrémités du plateau et que je suis au centre? Quelle gymnastique vais-je devoir trouver pour vivre ce spectacle parce que Monsieur McBurney ne veut pas déstabiliser son gigantesque dispositif vidéo? La question serait sans importance pour une pièce facile à «lire». Sauf que «Le maître et Marguerite» est un roman complexe. Écrit par Mikhaïl Boulgakov, il connut plusieurs versions avant d’être définitivement publié peu après sa mort en 1940. Il restera longtemps interdit par le pouvoir soviétique. Et pour cause: ce pamphlet contre le totalitarisme communiste est composé d’incessants allers-retours entre plusieurs contextes. D’abord avec la vie d’un couple où “le maître” est un  écrivain torturé épris d’amour pour Marguerite, femme aimante et courageuse qui affronte la lâcheté du pouvoir. Puis avec un «collectif» d’écrivains revendiquant la liberté, car soumis aux caprices de la censure qui les mèneront vers la mort ou l’internement en hôpital psychiatrique. Et enfin avec Jérusalem à l’époque de Ponce Pilate où celui-ci ressentait un certain «trouble» dans sa relation de pouvoir avec Jésus. Simon McBurney renverse donc la commode de ce roman à tiroirs et m’invite à m’emmêler dans ses noeuds pour les dénouer, me nouer à nouveau et me relier. A ce jeu-là, ce n’est plus une gymnastique, mais une torture qui navigue entre plaisir, fascination et colère.

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Car ce metteur en scène a plusieurs cordes à son arc pour me séduire par un théâtre d’effets qui, telle une piqûre paralysante, me sidère avant que je reprenne conscience de mon regard critique. Il est un incroyable manipulateur qui articule comme par magie les mouvements de seize comédiens avec des décors d’une belle légèreté et des projections vidéos sur le mur de la Cour qui réduisent la distance avec la salle. Tout semble sur roulettes et donne l’étrange impression que chaque élément humain et matériel glisse, vole et qu’il est flambeau pour éviter toute rupture. On s’approche d’une fresque, d’un dessin animé, d’une performance picturale quand les corps nus mettent l’âme à nue, lorsque la crucifixion du Christ répond au désespoir de Marguerite. «Le Maître et Marguerite» est un espace symphonique où chaque acteur est élément d’une partition destinée à élever la conscience pour s’échapper d’un système totalitaire. Je reconnais là sa virtuosité qui m’avait emporté en 2010 au Festival d’Automne avec «Shun-Kin» où son génie de marionnettiste avait fait merveille.

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Je suis rapidement perdu, mais je me laisse porter par les images en 3D d’un Google Mapp de Moscou, par la neige qui balaie le mur, par ses métamorphoses jusqu’à son effondrement (les pierres du Palais nous tomberaient presque dessus). Mais l’ensemble m’éloigne un peu plus du jeu théâtral surtout quand la vidéo se substitue à la danse, quand la musique devient autoritaire. Des longueurs s’installent parce que le sens s’échappe: celui-ci a besoin de dépouillement jusqu’au nu (suffit-il de peindre le corps en bleu de Marguerite pour faire penser à Matisse?). Il requiert un espace mental pour laisser le spectateur interroger ses désirs et non faire diversion en permanence parce que Simon McBurney est à la peine pour s’y retrouver. Peu à peu, je passe mon temps à enlever le feuillage pour repérer une clairière dans une forêt aux multiples dimensions et y ressentir le corps du texte, la chair des corps au croisement de la religion, du pouvoir, de l’amour et de l’art. Peu à peu, le dispositif scénique m’assiège à l’image de la censure soviétique: «c’est ici qu’il faut voir», me gueule Mc Burney. La Cour est son IPAD géant qui finit par me glisser dessus. Ce déluge de moyens est un théâtre qui mobilise la pulsion, la même qui nous conduit dans les pièges posés par le consumérisme le plus abject. Simon McBurney est certes inventif, mais ce qu’il fait passer pour de l’innovation n’est qu’un recyclage d’images digérées par la société de consommation qu’il érige en système de pensée pour voir le beau.

A la perte du texte, est venue s’ajouter peu à peu la disparation ce qui fait corps entre la scène et moi.

Inqualifiable.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Le Maître et Marguerite » par Simon Mc Burney dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes du 7 au 16 juillet 2012.

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Au Festival d’Avignon, l’ennui comme seule violence.

Die Ring des Saturn” («Les Anneaux de Saturne»), mis en scène par la Britannique Katie Mitchell, tourne essentiellement autour d’une fausse bonne idée. Le spectacle consiste en l’adaptation d’un roman de l’écrivain W. G. Sebald, récit mené à la première personne, plongé dans la conscience du narrateur-personnage sous forme de monologue intérieur. Le texte, sinueux, foisonnant, est de toute beauté, et l’on comprend aisément ce qui a pu pousser la metteuse en scène à l’adapter. Le narrateur évoque son errance le long de la côte anglaise au sud de la ville de Norwich, les réminiscences suscitées par la promenade (Première, Seconde Guerre mondiale, attaque des Hollandais au XVIIe siècle, etc.) mais aussi des considérations sur l’avenir de la planète, rendu incertain par les changements climatiques. Ces diverses pensées se muent en véritable investigation philosophique qui permet à l’auteur de développer sa théorie sur la relativité du temps (le passé est produit par la mémoire. Le futur consiste en nos désirs ou nos craintes. Seul le présent existe, nous dit-il). Elles font également basculer le récit à de nombreuses reprises dans le registre de l’étrange, lorsque la distinction entre réel et imaginaire se brouille pour le narrateur et les lecteurs-spectateurs.

La nature même du texte, abstraite, solennelle, pour ne pas dire austère, rend le pari de la mise en scène particulièrement risqué, tant il est aux antipodes de ce qui relève du spectaculaire. La mélancolie du propos, la monotonie de la prosodie, la quasi-absence de personnages, et surtout, le fait que tout n’est que projection, visuelle ou imaginaire, issue de l’esprit du narrateur (voire de l’auteur) rendent forcément difficile à résoudre la question de l’incarnation. C’est là justement que Katie Mitchell tente de déjouer les attentes. Alors que de nombreux metteurs en scène auraient conçu une mise en scène classique autour d’un comédien qui donnerait corps et voix à celle du narrateur, la Britannique cherche à éviter cette facilité : on trouve avant tout, sur scène, des “acteurs”, davantage que des comédiens. Par acteur, il faut entendre des personnes qui agissent, au sens propre du terme. Au premier plan, se trouvent des musiciens (pianiste, programmatrice), trois lecteurs qui se succèdent à intervalles réguliers pour donner voix au texte, et des “faiseurs de bruits” (parfois les mêmes que les lecteurs) qui tentent de recréer la perception auditive de ce qui est énoncé. Trois grandes images projetées en haut du mur se chargent de diffuser en noir et blanc la vision produite par le texte. Enfin, l’arrière-plan cache une chambre d’hôpital, où un homme (l’auteur? le narrateur?) est alité, immobile, le regard dans le vide. Tel un rideau de théâtre, une porte s’ouvre de temps à autre pour nous révéler cet espace. Le seul comédien n’a pas d’identité clairement définie, même si l’on peut supposer qu’il s’agit de Sebald, et il ne fait, pour ainsi dire, qu’acte de présence.

Par ce dispositif, Katie Mitchell a donc choisi de fragmenter la perception du texte et du monde pour éviter, sans doute, une sorte d’illusion référentielle, justement dénoncée par ce texte même. Le problème est qu’elle la retrouve comme malgré elle. Ce retour du refoulé est même particulièrement violent, hélas, pour le spectateur, la violence prenant ici la forme de l’ennui. L’écrit est omniprésent et pour les non-germanophones, la majeure partie de la pièce consistera à lire une traduction projetée sur deux grands écrans noirs situés aux extrémités de la scène. Lire le texte, donc, mais aussi entendre des bruits d’eau, de pas, de vent, de porte ouverte, fermée, etc., c’est-à-dire l’incarnation la plus littérale, la plus signifiante, la plus réaliste qui soit.

Outre le fait qu’il est difficile à la fois de lire et d’observer les “faiseurs de bruits” accomplir leur tâche (pourquoi alors les montrer sur scène ?), ce choix réintroduit un rapport au réel d’une grande naïveté. Qu’apporte par exemple le bruit d’une ouverture de canette à la mention de cet épisode dans le texte, si ce n’est l’impression dérisoire d’un dispositif inutile ? À deux reprises, les “faiseurs de bruits” cessent leur activité, se tiennent de profil et entament le même geste : le bras droit se soulève, la main vient masquer le regard. On en vient à se demander s’il ne s’agit pas là d’un signe adressé au public pour qu’il fasse de même. La vidéo n’est pas en reste, qu’elle diffuse des images produites en direct ou tournées auparavant. Ce dispositif visuel, déjà vu mille fois, erre dans les mêmes contradictions que déjà mentionnées: il tente de donner à voir le monde et le texte, filtrés par la poésie de l’image. Mais suffit-il d’un noir et blanc rendu flou par la pluie ou d’un plan fixe sur un regard perdu dans le vide pour faire ?uvre poétique ?

Peut-être aurait-il été plus intéressant de poser de façon scénique la question de l’univers mental du personnage, sans se soucier d’un théâtre à effets de réel. Il ne suffit pas de fragmenter un effet pour le faire disparaître : il faut inventer d’autres formes, d’autres façons de faire sentir l’errance, l’exil, thématiques à l’?uvre aussi bien dans la vie de Katie Mitchell (Britannique vivant à Berlin) et de W. G. Sebald (exilé allemand en Angleterre) que dans leurs productions.

Sylvain Saint-Pierre, Le Tadorne

Katie Mitchell sur le Tadorne:  Au Festival d’Avignon 2011, le théâtre crève l’écran.

“Les anneaux de Saturne” mis en scène de Katie Mitchell au Festival d’Avignon du 8 au 11 juillet 2012.

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Sale temps au Festival d’Avignon.

Le Festival d’Avignon suppose des prises de risques. Elles sont d’autant plus fortes qu’elles sont liées avec le positionnement de «l’artiste associé» qui ne vient généralement pas seul: accompagné de son réseau, le metteur en scène britannique Simon Mc Burney parsème cette année la programmation de propositions d’amis. Une d’entre elles ne franchirait probablement pas les jurys de nos chers programmateurs français. Et pour cause.

«Refuse the Hour» (la négation du temps) du Sud-Africain William Kentridge étonne d’emblée: musiciens et acteurs palabrent pendant que nous prenons place. L’ambiance festive et les costumes colorés m’évoquent immédiatement la chorégraphe Robyn Orlin avant que l’image ne soit chassée par d’autres: celles de l’opéra loufoque «Via Intolleranza II» de Christoph Schlingensief joué en 2010 au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles où il s’amusait à comparer l’Europe Culturelle à l’Afrique créative. Une autre image percute: celle de l’installation vidéo de William Kentridge  pour la dOCUMENTA de Kassel qui m’avait particulièrement étonné le mois dernier. Elle y évoquait notre soumission au temps mécanique, celui de nos «urgences» à désirer inconsciemment faire exploser le temps du sens. La plupart des animations vues à Kassel sont intégrées à «Refuse the Hour», commande du Festival d’Avignon. Et puis il y a ce décor totalement fascinant: en levant la tête, un orchestre mécanique à l’envers avec tambours et trompettes trône prêt à faire tomber sur nos têtes une pluie de notes sur nos rêves de partitions. Je pense alors au piano majestueux d’Heiner Goebbels vu à Avignon il y a quelques années.

Me voici donc accueilli: reliant ce plateau animé avec de belles références, je suis prêt à me laisser aller pour entrer dans ce concert de mots et de sons nés des dialogues de William Kentridge avec le physicien Peter Galion, le compositeur Philip Miller, la chorégraphe Dada Basilo et la vidéaste Catherine Marburg. Mais je déchante très rapidement. À peine l’acteur s’avance-t-il avec son carnet nous pour faire sa leçon (elle traverse le temps des mythes, celui des colonies, de Paris,…) que je ressens l’impasse de la proposition. L’absence de dramaturgie ne permet pas d’articuler les différents langages (opéra, danse, installation, vidéo), se contentant de les accumuler. Ce qui ne peut-être «joué» sur scène est projeté à partir des vidéos de Kassel. On passe de l’écran à l’orchestre, de l’opéra à la danse, de la performance à la narration par une mécanique de la représentation très vite ennuyeuse: le temps de l’installation de Kassel peine à s’inclure au temps théâtral. Un comble pour une oeuvre censée nous faire réfléchir sur la relativité du temps scientifique qui s’impose à nous dans nos contextes…même au théâtre! William Kentridge «organise» la démonstration tel un «curator» d’une salle d’exposition d’arts pluridisciplinaires sauf que nous sommes assis, sans possibilité de nous mouvoir pour entrer dans le temps de la contemplation, de la divagation, de la danse partagée. Ne fallait-il pas envisager une performance participative avec les spectateurs? Rien n’encourage le rêve pour ressentir l’époque où, enfant, nous nous émerveillions à poser des questions incongrues pour y trouver des réponses imaginaires incomprises des adultes (entendu l’autre jour dans le train : «Dis maman, pourquoi une minute ne fait qu’une minute alors que ça passe trop vite»). De tout cela, je n’ai rien tant «Refuse the Hour» démontre, mais ne «joue» pas. L’oeuvre n’est qu’un cours récréatif à défaut d’être transcendant. Le temps s’allonge tellement que l’ennui n’en finit plus.

Cette proposition est  le fruit de l’orgueil: William Kentridge pense qu’il suffit de traverser les arts pour les imposer sur scène. Sauf que la scène n’est pas là où il croit la dompter.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Refuse de Hour » de William Kentridge au Festival d’Avignon du 7 au 13 juillet 2012.

A la dOCUMENTA de Kassel en Allemagne jusqu’au 16 septembre 2012.

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES Vidéos

“Tragédie” d’Olivier Dubois. Secoué.

À la sortie du Cloître des Carmes, je m’égare. C’est une sensation étrange tandis qu’à l’intérieur, mon corps vibre.  À la perte des repères spatiaux temporels, s’ajoute une immense joie, celle d’avoir approché de près ce qui fait lien entre les hommes. Je me sens tragiquement heureux, profondément capable.

«Tragédie» d’Olivier Dubois, pièce pour neuf hommes et neuf femmes, perturbe le paysage chorégraphique. Le nombre (à quand remonte une telle proposition groupale?), la nudité (on oublie enfin les stéréotypes sexués), la musique (composée par François Caffene loin du vrombissement habituel en danse contemporaine) déplacent mon regard vers un ailleurs, du détail d’une partie vers une métaphysique du tout. Comme si cette partition dépassait la rencontre entre l’intention du chorégraphe et le désir du danseur. Là où le metteur en scène Roméo Castellucci présent cette année au Festival explore un au-delà pour nous y propulser (plus rien n’est possible avec notre civilisation épuisée), Olivier Dubois part de la conscience du corps qui danse pour créer «l’image», celle qui pourrait faire «humanité» pour chacun d’entre nous. Là où, dans ce même Cloître des Carmes en 2010, l’Espagnole Angelica Liddell faisait saigner son corps intime pour évoquer notre destin commun, Olivier Dubois sculpte le groupe pour qu’émerge la conscience qu’un tout nous sauvera de notre tragédie de n’être qu’homme, entité sociale et sexuée.

D’où nous viennent-ils donc pour qu’une telle force surgisse des profondeurs des coulisses du Cloître des Carmes, séparées de la scène par un rideau de fines lamelles noires, membrane perméable qui relie le vrai au beau. À l’appel de la danse, ils répondent, lentement, entre parade militaire, défilé de morts-vivants et procession fantomatique. Aux battements réguliers d’un tambour, j’entends leurs pas qui brisent mes armures. Cette marche est longue. Leur regard déterminé me bouleverse. Ils nous viennent de loin. J’en suis convaincu. Ils ont traversé l’Histoire et ne sont pas dupes: «Mais qu’avez-vous donc fait là ?» semblent-ils nous dire. Qu’avons-nous fait de notre humanité? Alors ils marchent, apparaissent puis disparaissent. À un, à deux, à plusieurs. C’est une partition pour régler le pas du «propos» et qu’il fasse mien. C’est enivrant: la répétition du mouvement ne vise rien d’autre qu’à questionner le sens de notre présence ce soir, métaphore du désir qu’il faut transcender. Que me dit ce mouvement, au-delà de cet homme, de cette femme? Comment percevoir au-delà du rideau? Notre humanité a besoin de temps pour se laisser approcher. Olivier Dubois n’est pas pressé: point de vidéo pour accélérer; point d’artifices pour faire illusion. Ici, l’humain travaille avec une pureté qui fait frémir.

Là où tant de propositions chorégraphiques me tombent dessus telle une incantation vers le désespoir, «Tragédie» honore l’histoire de la danse et nous offre une vision éclairée de notre destin commun (comment ne pas voir de derrière les rideaux, les âmes de Maguy Marin et de Pina Bausch chorégraphier les corps évanescents pour qu’ils surgissent sur le plateau, telles des âmes en peine d’un regard). Il y a cette belle lumière musicale qui fait apparaître des statues grecques posées dans un musée qu’il faut dépoussiérer. Elles s’y égarent et provoquent la tempête en sculptant le groupe de leurs déplacements horizontaux. Et miracle: la danse se fait horizon! Le groupe est corps tandis que tous ses mouvements donnent à chacun la conscience d’un sentiment d’appartenance au choeur. Celui-ci se confronte à son destin: se dépasser ou disparaître sous le poids des guerres fratricides. Le collectif repart au combat et ne lâche rien: il lui faut se libérer des empêchements moraux, religieux pour entendre autrement la souffrance et la métamorphoser vers des possibles utopies…

Olivier Dubois suggère alors qu’aux rapports normés entre homme et femme se substitue une humanité féminine capable d’affronter avec force sa survie. Il libère la créativité lors d’une transe où chacun puise dans l’énergie tellurique du groupe sa part d’humanité. De mon siège, je transe avec chacun. Traversé par le rock, musique des âmes en fusion, je m’approche, je tape des pieds, je tends mes bras. Je suis littéralement aspiré par un trou noir où une jeune femme aux rondeurs de paysage marin m’invite à rejoindre les profondeurs…D’où surgira la procession d’une humanité blessée à jamais par la Shoah. Car c’est ma tragédie.

Ma force.

Notre lumière.

Pascal Bély, Le Tadorne.

«Tragédie » d’Olivier Dubois au Festival d’Avignon du 23 au 28 juillet 2012.

Olivier Dubois sur le Tadorne:

La révolution « Rouge » d’Olivier Dubois revitalise la danse.

Au Festival d’Avignon : épidermiquement, Olivier Dubois.

«Révolution» d’Olivier Dubois : Boléro en marche pour onze fois une.

Olivier Dubois, cet empêcheur de tourner en rond.

Une journée avec Le Tadorne au Festival d’Avignon : la mise à nu.

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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON

Les Offinités du Tadorne au Off d’Avignon : le chemin se fait en marchant.

Pour cet été 2012, un souffle de renouveau se dessine pour les spectateurs Tadorne (rappel : en êtes-vous ?)…

Au point de départ, une étincelle. C’est une rencontre entre Pascal Bély, le Tadorne, et Christophe Galent, chargé de la communication au festival OFF d’Avignon, qui ouvre cette orientation.

A l’origine, l’été dernier, un partage de plateau entre Sylvie Lefrere et Pascal lors d’une rencontre avec le public sous les tentes du village du Off: il a été le curseur déclenchant l’élaboration de ce projet d’ «Offinités» (rappel ici). Depuis, tout va très vite.

Car il faut bien l’avouer: en France, c’est la première fois qu’un «opérateur culturel» fait à ce point confiance à deux spectateurs éclairés pour leur confier une partie de sa communication vers le public par l’animation d’une série de tables rondes. Sommes-nous à la croisée d’un changement de paradigme, nourri par le besoin d’un élan créatif  pour dynamiser un marché artistique prisonnier de ses corporatismes? N’est-il pas temps d’ouvrir des espaces à ces amateurs, qui ne sont plus consommateurs passifs, mais dans une quête de mise en réseaux avec d’autres spectateurs, en lien avec les différents professionnels et artistes ? Toutes ces questions vont rester ouvertes jusqu’en juillet.

monnier

Depuis quelques mois, nous nous sentons bâtisseurs dans l’élaboration de ces «Offinités» et passeurs puisqu’articulés avec la dynamique du projet global du Off telle qu’elle a émergé lors du colloque du 12 avril 2012 («Le off, une dynamique d’utilité publique»).

Puis ces dernières semaines,  la tension monte lentement. Le flux des écrits par mails, de contacts téléphoniques, de rendez-vous via Skype, de rencontres irrigue nos réflexions. Une mutation s’opère, comme si nous devenions à notre tour des opérateurs dans la démarche d’élaboration d’un espace de communication, avec des désirs de partage, de recherche, de co- construction…Après avoir pensé une organisation globale, nous structurons  de façon horizontale. La complexité se dessine, prend la forme d’un rubis cube et nous découvrirons, au fur et à mesure, les aléas de ces compositions surprenantes.

Avec le soutien de Christophe Galent, la recherche du sens irrigue ce projet pour réunir spectateurs et artistes avec le désir de réinventer des espaces pour un festival régénéré. Leur festival.

Pascal Bély,  Sylvie Lefrere. Tadornes. 

« Les Offinités du Tadorne » du 10 au 21 juillet 2012 au village du Off à Avignon.

Pour participer, nous contacter au 06 82 83 94 19 ou par mail pascal.bely@free.fr

Photo: Mathilde Monnier, “Tempo 76”.