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AUTOUR DE MONTPELLIER CONCERTS

Le printemps de Renaud Papillon Paravel.

Le fond de l’air est encore frais, mais le Théâtre La Vista à Montpellier allait vite me réchauffer.
Nous sommes une vingtaine de personnes, spectateurs habitués ou curieux, professionnels et amis du chanteur Renaud Papillon Paravel. Une toile de jute brune est tendue dans le fond de la scène, comme un film automnal. Il s’efface rapidement pour faire place au printemps de la poésie de cet artiste hors-norme.
Le guitariste rentre, puis le batteur, et arrive enfin celui que j’attendais, un jeune homme en pull, sans chapeau, ni artifices, aux courbes un peu rondes. Il commence à dévoiler sa voix douce et hésitante. Petit à petit, on le sent se détendre et couvrir l’espace de la scène puis celui de nos pensées.

Les textes se déroulent: le temps qui passe, l’enfance, les premiers frissons…Avec «Mon petit élément», il évoque le bébé dedans dans le ventre de son père-mère. Est-il le petit d’homme ou le petit en chacun de nous? Nous sommes parents d’un genre nouveau et je me questionne sur cette nouvelle génération.
Avec  «Marcher pieds nus sur un lego», les jeux d’enfants flottent en métaphore au-dessus de nos tètes, et je me souviens de ces moments de  liberté créatrice et structurante. Repensons de temps en temps à ce que nous faisons parfois vivre à nos enfants et écoutons-les avec attention…Ils le méritent bien.”Le bloc de lego” me fait mal. Il réveille une douleur et un sentiment de frustration.
À la veille des élections, “La rose” m’arrache le coeur face à la rapidité du temps qui passe et me chuchote de ne pas gaspiller une miette des bons moments, si éphémères. Agissons en ce printemps 2012 naissant !
La poésie des mots de Renaud Papillon Paravel s’imprègne dans mon corps. Je m’évade et retrouve ces premiers gouts pour les émotions du quotidien, toutes simples, pour ces questionnements de jeunes adultes sur la découverte de l’autre, du grand monde. Le public sourit, chantonne, vit…C’est un concert intimiste et tellement réconfortant.
Ce garçon m’inspire une profonde tendresse, car il s’ouvre à nous de façon amicale, très pudique, tout en étant bien vivant, et sensible. Les mots crus dans sa bouche ont un gout de madeleines, de déjà vu, de déjà ressenti. Une vérité que l’on n’ose pas s’avouer.
Ce garçon a 43 ans, et toutes ses dents pour nous sourire en entonnant ses pensées.
Le vin ce soir était mauvais, mais qu’importe, le renouveau du printemps était là, avec son lot de premiers émois….

Sylvie Lefrere, Le Tadorne.

Concert de Renaud Papillon Paravel au Théâtre  Lavista à Montpellier  (après présentation du programme du Festival Printival) le jeudi 8 mars 2012.

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AUTOUR DE MONTPELLIER THEATRE MODERNE

Sous chapiteau, le théâtre de Krystian Lupa claque.

Ce soir, nous avons fait des kilomètres vers un chapiteau, celui de la Sortie Ouest de Béziers dont les toiles claquent comme les voiles d’un bateau. Nous allons naviguer pendant trois heures, avec quinze jeunes comédiens, aventuriers, pirates, gueux, preneurs de risque. Nous ne savons pas encore que «Salle d’attente» par Kristian Lupa nous habitera pour longtemps.

La scène représente un espace dévasté, de béton recouvert de graffitis. Table, matelas, chaises, objets épars, en bout de course. Sana et Mike cherchent leurs lignes de vie, pour s’injecter le produit à rêve. Ils disent s’aimer, mais se violentent. Le manque de lumière rend le geste difficile. Le vent qui s’engouffre sous les bâches de la salle accentue le climat glacial et tendu.
Des hommes évoluent autour; les mots et les corps expriment leur désespérance. Malgré des attouchements auto compulsifs, le plaisir ne vient pas, l’individu reste impuissant. Les insultent fusent, les mouvements explosent de violence. Ils semblent tous pris dans une forme d’écrasement, apathiques ou se jetant massivement comme des pierres. Une jeune femme, vêtue de rouge, style années quarante, bottes Western aux pieds, exprime une folie fragile. Elle est chaussée par le pouvoir libéral américain et reste momifiée dans cette couleur symbolique révolutionnaire, surannée. Ses mains tremblent, sa voix est fluette, mais ses yeux immenses écarquillent notre regard, ses mots questionnent telle une voix off et nous obsède comme une ritournelle. Elle apparait au dessus de nous, sur des écrans vidéo: elle est une  conscience déshabillée, plus gaie, plus libre, nous faisant des confidences sur son bonheur. Mais en dessous, tout devient sombre et les scènes de toxicomanie se répètent dans des lieux festifs. La vie perd son sens tant la mort est palpable. Même le téléphone portable de la jeune fille lui a été offert en cadeau de Noel anticipé, au cas où d’ici là, elle disparaitrait?Peu à peu, le temps posé par Krystian Lupa  nous échappe, mais l’histoire en plusieurs dimensions nous rattrape.
En premier plan, on ne peut s’empêcher d’entendre le désespoir de jeunes “adulescents” des années 80 devant la réalité et l’avenir. En second plan, une vision de l’idéal européen en miettes à l’heure où la Grèce s’accroche vaille que vaille. La jeunesse recherche le plaisir sur les décombres d’une civilisation européenne qui ne s’est jamais relevée de la Shoah. Elle hante notre «bonne conscience» guidée par une “social-démocratie» qui n’a rien trouvé de mieux que de vendre nos valeurs aux dures lois du marché qui n’égaleront jamais le plus grand crime que l’humanité n’ait jamais commis. Dès lors, Krystian Lupa met en scène nos grands corps malades accros aux substances qui libèrent nos imaginaires. À des degrés divers, nous sommes addicts de produits interdits ou autorisés, de normes et de manipulations injectées, qui se glissent insidieusement en nous. Sous nos yeux,  L’Homme se déconstruit.
Pendant l’entracte, nous ne pouvons sortir, abasourdis. Sous le choc. Nous échangeons avec deux spectateurs venus eux aussi de loin. Nous partageons cet engouement soudain pour des idées noires si bien explorées ce soir. Les comédiens jouent juste. Leur posture les habite d’autant plus que le corps intime évoque la douleur du monde. Chacun joue avec et pour l’autre avec liberté et respect au service d’un texte où la poésie n’écrase jamais, mais ouvre nos imaginaires.

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Nous abordons avec inquiétude la deuxième partie. Nous y perdons nos repères tant le temps semble filer autrement et nous échapper. Nous retrouvons la «bande» et sa galerie de personnages (le schizophrène, le chômeur, l’alcoolique, Johan, le travesti,…). Différents tableaux nous sidèrent parce qu’ils font référence à des scènes mythiques, fantasmées, symboliques. Elles puisent dans nos représentations, dans notre histoire, nos visions de notre  «civilisation». La scène où une vidéaste hésite entre film pornographique et cinéma d’auteur et doit se battre avec des êtres qui n’obéissent pas en dit long sur la marchandisation du corps et la perte du statut de l’artiste. Arrive un «Jésus commis voyageur» ensanglanté qui  vient  faire, pour la deuxième fois, son laïus, mais il est dépassé, débordé. Nous tressaillons alors qu’il s’injecte le produit à rêve dans les yeux. Pourquoi est-ce si insoutenable? Ce geste interpelle-t-il notre incapacité à être clairvoyant? Nous tremblons également alors qu’une femme et son caddie «débordant» se fait agresser par un homme épuisé en manque de sensation. Krystian Lupa relie tout: la société consumériste amplifie la violence faite aux femmes.
Mais peu à peu, les corps s’assagissent et les échanges se font plus construits; ils questionnent le sens de nos actes. Le deuxième acte nous inclut dans une «renaissance» là où le premier nous plongeait dans nos «inexistences». Les références à la Shoah sont plus explicites. Les images et les symboles aussi.  D’un théâtre «expressionniste», nous glissons vers un théâtre «impressionniste» (au sens où il «s’imprime» en nous). Lupa travaille notre conscience d’Européen à partir de tirades qui emportent nos imaginaires. 

Tandis que Sana évoque la cure de désintoxication, l’espoir surgit. Rien n’est inéluctable. Tout est possible si nous changeons. Krystian Lupa laisse le champ libre et ne s’aventure pas à donner les solutions. Il nous offre le regard de ses quinze comédiens qui s’avancent face à nous sur la chanson de LhasaI have a dream»). Ils viennent s’asseoir sur cet arceau de métal, comme sur une bordure d’autoroute. Nous rêvons de les embarquer dans notre fin de voyage, enveloppés par les paroles du fantôme de Lhasa.

Ces acteurs exceptionnels sont les quinze étoiles de notre étendard européen que nous hissons délicatement au sommet de ce chapiteau, confiants. Déterminés à vivre.
Sylvie Lefrere, Pascal Bély, Tadornes.
« Salle d’attente », librement inspiré de Catégorie 3.1 de Lars Noren, mise en scène de Krystian Lupa le samedi 3 mars 2012 à Sortie Ouest (Béziers).

Photo: Photos de Mario Del Curto

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AUTOUR DE MONTPELLIER DANSE CULTE

« Branle-bas » et pétards mouillés à Montpellier.

Le chorégraphe sud-africain Steven Cohen est de retour en France. Il est l’invité pour deux soirées, du Centre Chorégraphique National de Montpellier. Depuis sa dernière création « Golgotha » vue lors du dernier festival d’Automne de Paris,  il est mon « pédé papillon ». Juif, homo, blanc, il porte ce soir des chaussures à très hauts talons et une robe « arc en ciel ». Ses grands cils illuminent son visage orné d’un maquillage fait d’étoiles filantes. Il nous offre une « performance » et deux films.

En levant la tête, on l’entend arriver. Il danse sur la voûte de verre qui relie les ailes du bâtiment. Nous devons presque nous coucher dans le hall d’entrée, yeux rivés vers le ciel. Il est notre danseur étoile. Sur la pointe des pieds, il regarde la ville, mais il est emmuré, encerclé par l’Agora, future « cité internationale de la danse ». Montpellier n’est pas Vienne, capitale où il provoqua ses habitants en 2007 alors qu’il nettoyait le sol avec une énorme brosse à dents et un diamant dans le cul (en mémoire aux juifs humiliés par les Viennois qui pendant la seconde guerre mondiale devaient lustrer  les trottoirs et les rues avec cet outil minuscule). À Montpellier, Steven n’ira pas au-delà du Centre. À croire qu’une fois arrivée en France, sa danse n’est plus politique. Il est au coeur d’une institution qui, ce soir, le maintient en ses murs (Au CCN, la politique est dans le petit livret distribué à l’entrée où l’on peut y lire cinq lettres adressées à Brice Hortefeux, ministre à l’époque de l’immigration et de l’identité nationale.)

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Il danse sur ce « plafond de verre » qui sclérose tant la société française. Son corps colle, se relève, s’élance puis retombe. Mon « pédé papillon » a du plomb dans l’aile. Il peut toujours brûler son tutu, il n’est guère plus allégé, tout au plus, son sexe se transforme-t-il en lance-flamme qu’il agite avec l’énergie de son corps. Quitte à se regarder le nombril, autant descendre plus bas. La magie n’opère pas. Le discours se réduit à d’amusants mouvements qu’un jet d’eau dirigé depuis une fenêtre, anéantit. Mes voisines adolescentes rient, gênées. Je ne leur demande même pas de se taire. Et si Steven Cohen nous renvoyait l’image d’une société française emmurée dont l’endurance n’irait pas plus loin qu’une éjaculation contenue ?

Nous sommes ensuite invités à rejoindre le studio Bagouet pour la diffusion des deux films : le premier sur sa performance à Vienne, le second sur la femme de ménage de ses parents (et qui l’a en partie élevé) où il lui offre un strip-tease pour son dernier jour de travail. Elle a plus de quatre-vingt-cinq ans (voir un extrait dans la vidéo d’Arte).

Entre ces deux écrins militants, nous avons droit à un échange convenu à partir d’explications qui n’en finissent plus. Steven Cohen semble s’ennuyer. On aimerait ne plus entendre ses mots, juste le regarder, s’asseoir en cercle autour de lui, fermer les yeux. Pour que sa danse du déséquilibre et de la provocation, nous redonne le goût de la poésie qui gratte, celle justement qui  pousserait les murs de nos cloisons.

Pascal Bély- www.festivalier.net

Steven Cohen au Centre Chorégraphique National de Montpellier dans le cadre de « Domaines » ; les 7 et 8 avril 2010.

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AUTOUR DE MONTPELLIER Vidéos

« Pierre Rigal m’a presser ».

J’ai donc fait l’aller-retour express entre Aix en Provence et Montpellier pour ne rater sous aucun prétexte, la chorégraphie claustrophobe de Pierre Rigal, «Press» . Alors que la crise nous met chaque jour la “pression”, comment la danse peut-elle explorer ce ressenti ? Cet artiste hors du commun, nous a déjà habitués à prospecter des territoires réduits par nos systèmes de représentation.  Avec «Arrêts de jeu», il fit du football une pratique chorégraphique particulièrement étonnante. Avec «Érection», il transforma le passage de la position couchée à la posture debout en un beau mouvement complexe. Ce soir, son espace est celui d’une pièce de quelques mètres carrés, d’une chaise, et d’un bras articulé censé l’éclairer. Il m’évoque les minuscules caméras vidéo qui quadrillent nos villes. Son terrain de jeu ne cesse de se resserrer alors que le plafond descend et remonte, accompagné d’un grondement, tel un «plafond de verre» assommant les bonnes volontés dans les entreprises, les organisations syndicales et politiques.

Les quarante-cinq premières minutes sont de toute beauté. Notre homme tente d’ignorer cet espace qui veut le réduire. Il le transforme en caverne où il semble dessiner des figures rupestres. Son corps se prolonge par ses mains ; il se fond dans la matière. Sa silhouette est une apparition, une image furtive. Il est le danseur qui s’extirpe du corps. Je suis le spectateur qui se projette à travers ses mains. Moment d’autant plus sublime que mon regard pousse les cloisons. Pierre Rigal dépasse la pression matérielle en puisant dans l’immatérialité de l’art. Le propos pourrait paraître évident et pourtant. Il réussit là où tant de chorégraphes échouent : nous inclure pour nous dégager de la pression qui pèse sur le spectateur de danse.

Mais pourquoi ces quinze dernières minutes? Pierre Rigal quitte les parois pour interagir et jouer avec le bras articulé qu’il dévisse du mur. L’homme des cavernes devient l’homme-machine qui finit par se faire engloutir et disparaître. La danse colle à la proposition : la machine prend le pouvoir, s’introduit dans le corps, joue avec les affects. Pierre Rigal semble subir sa démonstration : il ne résiste pas à la pression d’avoir un propos explicatif, presque rationnel pour justifier la pertinence de sa danse.

Je me sens alors dans une posture d’évaluer sa performance physique et d’adhérer à ce consensus mou.

Retour express à la case départ.

Pascal Bély – Le Tadorne.

" Press" de Pierre Rigal a été joué le 24 mars 2009 dans le cadre de la saison de Montpellier Danse.