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A Montpellier Danse, Dominique Bagouet entre dans l’histoire.

La scène de la Cour des Ursulines est à l'image d'un chantier. Des gravats et des morceaux de plastique font office de décor comme si tout était à (re)construire. Ce soir, deux pièces de Dominique Bagouet (« Une danse blanche avec Éliane » et « F et Stein – réinterprétation ») s'y jouent pour peut-être tout remettre en chantier? C'est un moment important : je n'ai jamais connu ce chorégraphe, mais je me souviens de sa mort comme d'un tremblement de terre dans le milieu culturel et d'un choc pour les homosexuels frappé par le Sida. Je suis donc assis dans les gradins de ce lieu mythique où ma propre histoire (le souvenir de mes amis emportés par cette maladie) rencontre celle de Montpellier Danse qui doit tant à Dominique Bagouet.
Quand arrive Grégory Beaumont pour « Une danse blanche avec Éliane », accompagné de l'accordéoniste Jean Didion, j'ai le souffle quasiment coupé. Quinze minutes où le temps est totalement suspendu, où ses sauts d'ange font deviner ses ailes. C'est beau comme une danse intemporelle qui franchirait toutes les cloisons. Elle est intergénérationnelle et le Ballet de Lorraine assure la transmission avec brio. Nous sommes le public de Dominique Bagouet et je ressens intérieurement le bonheur d'être devenu un passeur.
3fesjga.JPG« F et Stein » est d'un tout autre registre. Le mot contemporain accolé à la danse prend tout son sens. Un guitariste de rock (surprenant Sven Lava) rencontre un chorégraphe (Christian Bourigault, ancien danseur de Dominique Bagouet). A deux, ils vont fusionner l'électrique et le fragile, la partition balisée avec le chaos des mouvements du corps. C'est une course poursuite haletante entre le sage et le fou, entre le fou et le délirant, entre le paysage et le territoire ! Dominique Bagouet donne au rock l'espace qu'il n'a peut-être jamais eu sur une scène, le plus souvent cantonné au groupe, aux projecteurs et à la foule en délire. Ce soir, le rock est l'énergie vitale, la danse est le sens pour ne pas mourir. La force de cette ?uvre n'est plus à chercher dans la beauté technique du geste (sur ce point, les puristes du mouvement sont déçus) mais dans cette co-construction où l'art émerge à chaque coin du plateau. Alors que tout est fini, je m'étonne d'être transporté par ce rock qui continue de se diffuser, à l'image d'un sablier renversé par la chorégraphie de Dominique Bagouet. Sublime.

Pascal Bély
www.festivalier.net


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??? “Solos pour Bagouet” ont été joués le 24 juin 2007 dans le cadre du Festival Montpellier Danse.

Crédit photo: Jean Gros-Abadie

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Montpellier Danse explore la FranceAlgérie.

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Il est plasticien et performer (Patrickandrédepuis1966) ; elle est chorégraphe (Christine Jouve). Ensemble, ils nous convient au Théâtre du Hangar pour l'ouverture du Festival « Montpellier Danse » et pour explorer un lien : celui de la France et de l'Algérie.
De chaque côté de la scène, comme en écho, toute une série d'objets posés à terre comme autant de reliques, de matières prêtes à être transformées pour expliquer la complexité de ce lien qui n'en finit pas de nous traverser intimement et collectivement. Cette recherche est d'autant plus « explosive » que la France n'a fait aucun travail introspectif lui permettant de construire un avenir commun avec ce pays pas tout à fait comme les autres.
La danseuse (troublante Antonia Pons Capo) et le performer s'accrochent pour créer ce nouveau territoire où le lien peut s'entendre, se voir, s'explorer. Ils le cherchent à l'image des deux drapeaux qu'ils superposent (et par miracle de l'art, le croissant algérien se fond dans le blanc, couleur de paix) pour rapidement les mélanger dans un geste de rage. Se succèdent alors des petites scènes où les objets se métamorphosent comme des bouts d'histoire qu'ils arrivent à nous rendent si contemporains. Mais l'ensemble de l'?uvre est celui d'un plasticien : les objets portent le sens, mais s'inscrivent peu dans un jeu relationnel incarné par la danseuse. L'espace-temps du spectacle vivant semble devoir se caler sur celui de la performance (où l'effet doit être immédiat pour passer à autre chose). C'est ainsi que la danse se fait objet et ne permet plus de toucher nos affects. Tout paraît sur la défensive dans un espace qui se réduit à mesure que le territoire s'explore. Est-ce à l'image d'un lien de plus en plus distancé entre la France et l'Algérie ? Est-ce le poids de l'histoire qui les empêche de se projeter dans un lien ouvert entre l'Europe et le Maghreb? Pris dans sa propre réduction, « France ? Algérie » pourrait poursuivre son travail avec les danseurs de l'autre rive. Nul doute que Montpellier Danse finira par relever ce fabuleux défi.

Pascal Bély
www.festivalier.net

Ps: autre regard à lire sur le blog “Danse à Montpellier”

?????? France – Algérie” de Christine Jouve et Patrickandrédepuis1966 a été joué le 24 juin dans le cadre de Montpellier Danse.

Crédit photo: François Lagarde

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D’Aix à Montpellier Danse, le souffle glacial de l’eldorado des Ballets Preljocaj.

Les Ballets Preljocaj ne manquent pas de courage : à vouloir présenter trois créations d'époques différentes la même soirée (1995, 1998 et 2007, pour “Eldorado”), le spectateur risque de chercher la cohérence, de repérer les évolutions. D'autant plus que ces trois ?uvres clôturent leur première année au c?ur du Centre Chorégraphique National, «Le Pavillon Noir ». Cette soirée sonne le bilan d'un Ballet enfermé dans sa tour d'ivoire, acquis à son public aixois qui lui pardonne tout (même la piètre qualité de la saison).

 

Tout débute avec « Annonciation », duo de vingt minutes crée en 1995. L'épisode de l'annonce faite à Marie, célèbre thème sacré de l'iconographie catholique, trouve ici une traduction osée par la confrontation de deux danseuses, de deux mondes, de deux approches du lien. L'une quasiment statufiée rencontre l'autre, ange provocant. Entre elles, l'amour côtoie la haine et ce paradoxe chorégraphie leurs interactions. La rencontre s'avère esthétiquement magnifique, mais la complexité des sentiments humains se perd dans ce contraste et finit par donner une sensation étrange d'enfermement. Dansée comme un rêve tel un ange, cette annonciation m'apparaît trop ancrée dans un réel un peu daté.

C'est un duo masculin qui s'avance pour « Centaures », crée en 1998. Ils sont torses nus et crânes glabres, à mi-chemin du cheval et de l'homme pour quinze minutes de lutte pour le pouvoir. Les formes sont inédites et le regard se perd à vouloir chercher l'homme ou l'animal. Mais les deux danseurs paraissent à côté comme s'ils empruntaient leurs gestes sans les habiter : leurs corps sont parfaits, mais l'émotion est contenue. Belle performance, mais la danse m'habitue généralement à plus d'engagements.

5E.JPG Il faut donc attendre la dernière création d'Angelin Preljocaj (« Eldorado – Sonntags Abschied-) pour donner à cette soirée une cohérence que je ne vais pas tarder à trouver. Ils sont douze danseurs, pris chacun dans la scénographie de l'artiste plasticienne Nicole Tran Ba Vang. La musique de Karlheinz Stockhausen confère à la scène un aspect « sectaire » effroyable alors qu'Angelin Preljocaj y voit la quête « d'un paradis perdu ». Cette scène fermée est l'objet d'agitations, de mouvements vides de sens, d'allers – retours pour l'occuper coûte que coûte. La danse est cruellement pauvre en l'absence de tout lien humain. Tout est symétrique, rationalisé, froid comme une mécanique où rien n'est en lien. Cette danse clive à la fois l'espace et les corps. Elle ne crée jamais le lieu de la rencontre, mais préfère les formes groupales vide de contenu. Les bras brassent pendant que les jambes enjambent. À ces corps désarticulés, s'ajoutent un décor et des costumes d'une telle laideur qu'il doit y avoir un sens caché. Mes voisins semblent pétrifiés devant ce spectacle glacial, prétentieux, qui nous exclut de toute réflexion. On se sent mal à l'aise pour ces danseurs manipulés comme des marionnettes, dans une absence de coordination entre la scénographe et le chorégraphe comme s’ils étaient pris dans une lutte de pouvoir pour s’arroger la paternité de la pièce.
Cet « eldorado » est le Pavillon Noir lui-même : à côté du sens, vide de tout projet artistique, métaphore de tout ce que l'on a pu voir lors de cette saison. Un lieu fermé à la controverse, à la danse qui questionne, à la nouvelle Europe. C'est un « eldorado » soutenu par un public peu regardant, car rarement guidé vers autre chose que son désir d'une danse divertissante.

C'est ainsi que deux ?uvres majeures d'Angelin Preljocaj sont ce soir coulées dans le moule d'un Pavillon, pris en otage par un artiste « institutionnalisé » qui n'a peut-être plus grand-chose à nous dire et qui cherche son « paradis perdu » alors qu'il a déjà tout.

Pascal Bély
www.festivalier.net

?????? “Annonciation” d’Angelin Preljocaj (1995)
?????? “Centaures” d’Angelin Preljocaj (1998)
?????? “Eldorado (Sonntags Abschied)” (création 2007).

Ces trois pièces ont été jouées au Pavillon Noir d’Aix en Provence le 26 mai 2007 et le 23 juin 2007 lors du Festival Montpellier Danse.

Crédit photo: J. C. Carbonne


Vous avez vu ce spectacle? Nous vous invitons à participer au palmarès du blog Scènes 2.0 en votant ici!

A lire mes regards sur les oeuvres proposées au Pavillon Noir au cours de la saison 2006-2007:

?????? “Empty Moves” Angelin Preljocaj
?????? « First Draft / Opus 8 » – Richard Siegal-
?????? “N” – Angelin Preljocaj.
?????? “Les 4 saisons’ – Angelin Preljocaj.Pavillon Noir.
??????Des gens qui dansentJean – Christophe Gallotta – Pavillon Noir.
?????? (« Est-ce que je peux me permettre d'attirer votre attention sur la brièveté de la vie ? » – Philippe Saire.
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« ErsatZtrip »- Christian Ub
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“Noces” – Angelin Preljocaj –
?????? “One more time / Un rêve” – Ballet d’Europe.
?????? “Metapolis II” – Fréderic Flamand.
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Et maintenant il colle son oreille au sol – Thierry Baë
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L’histoire des enfants des voisins d’à côté – Pascal Montrouge
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“Duplex – Josette Baïz

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Du Festival de Marseille à Montpellier Danse, la danse résiste.

Etant un non professionnel, cette période festivalière m’oblige à faire des choix à la fois culturels et économiques. À ce jeu, le perdant est sans aucun doute le Festival de Marseille (du 19 juin au 13 juillet). Le prix des places s'envole (frais de location de 2 euros par billet si vous passez par internet, 1 euro par téléphone) et la multiplication des « pass » (on se croirait à Carrefour) ne favorise guère la transparence. Ce festival semble toujours orienté vers une certaine classe de la population (je m'en étais ému, l'an dernier). Mais surtout, je cherche la cohérence de cette programmation malgré la création de Kelemenis, « Paso doble ». Mon choix n'est donc guère audacieux et s'appuie sur les valeurs sûres de ce festival (Larrieu, Pierre Rigal et Aurélien Bory, Heiner Goebbels). En conclusion, une programmation sans ambition et sans risque notable (à part si vous souhaitez vous aventurer vers le triste “Konnecting Souls” de Franck II Louise). On peut donc se rendre à Marseille, les yeux fermés et le portefeuille bien ouvert !  

Heureusement, il reste l'incontournable « Montpellier Danse ». La  programmation me semble audacieuse et très ouverte (même si l’on peut oublier la dernière création d’Angelin Preljocaj). De beaux rendez-vous en perspective avec le magnifique Raimund Hoghe, la surprenante Mathilde Monnier, le créatif Christian Rizzo et la décalée Robyn Orlin. L'hommage à Dominique Bagouet est prometteur et des noms pourraient enrichir ma culture chorégraphique (Jouve, João Fiadeiro, Philipp Gehmacher, Buffard). Montpellier Danse reprend des couleurs après une édition 2006  morose. Il va falloir profiter de ce moment unique au moment où la danse semble déserter la programmation des grands théâtres de la région pour la saison 2007-2008.
Nul doute que mes migrations enrichiront le palmarès de Scènes 2.0.

La sélection du Tadorne.

Du 19 juin au 13 juillet, le Festival de Marseille.
 

Mercredi 20 juin / 22h00 – Daniel Larrieu – Waterproof.

Mercredi 27 juin / 20h00 – Pierre Rigal et Aurélien Bory – Arrêts de jeu.
Samedi 30 juin / 20h00 – Fabrice Lambert – Gravité.
Samedi 30 juin / 21h00 – MIchel Kelemenis – Pasodoble.
Jeudi 5 juillet / 21h00 – Heiner Goebbels – Max Black.
 
Du 23 juin au 6 juillet,  Festival Montpellier Danse.
 Dimanche 24 juin / 17h30 – Christine Jouve – France-Algérie
Dimanche 24 juin / 19h00 – Alain Buffard – (Not) a love song.
Dimanche 24 juin / 22h30 – Solos pour Bagouet / Une danse blanche avec Eliane – F. et Stein.
Lundi 25 juin / 19h00 – Christian Rizzo – B.c, Janvier 1545, Fontainebleau
Lundi 25 juin / 21h00 – Mathilde Monnier – Tempo 76
Mardi 26 juin / 19h00 – Philipp Gehmacher – Like there’s no tomorrow
Mardi 26 juin / 20h30 – Robyn Orlin – We must eat our suckers with wrappers on…
Vendredi 29 juin/ 19h00 – João Fiadeiro Où va la lumière quand elle s’éteint?
Vendredi 29 juin / 21h00 – Raimund Hoghe ? Meinwärts.
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« Waterproof » de Daniel Larrieu se coule dans le moule du Festival de Marseille.

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A l'image du Théâtre du Merlan, le Festival de Marseille vagabonde pour l'ouverture de sa programmation. Le rendez-vous est pris au Cercle des Nageurs pour célébrer le vingtième anniversaire de la création du chorégraphe Daniel Larrieu, « Waterproof ». La piscine est bondée : 28° dans l'eau, 30° dans l'air et je jubile de voir l'art investir des lieux improbables. Ils sont neuf danseurs que l'on distingue à peine et trois écrans vidéo comme autant d'intermèdes de ce voyage aquatique d'une heure.. Entre eux et nous, il y a l'eau, un univers artistique qui nous échappe, que nos sens habituels ne peuvent appréhender. Est-ce cette position étrange qui me tiendra éveillé alors que l'ennui n'a cessé de m'envahir?
Tout commence par l'immersion lente des corps. Je plonge. Ils fusionnent l'eau et le corps comme pris dans un liquide amniotique. On les perçoit à peine et les mouvements maintiennent le bassin dans une platitude déconcertante. Je suis déjà ailleurs et je me débats entre un monde et un autre. Magnifique.
Fin de la première séquence.
La  vidéo prend le relais pour nous montrer ce que l'on aurait dû voir : ils dansent sous l'eau et nous voilà réduits à des spectateurs de cinéma. L'alternance entre le bassin et l'écran casse le rythme et crée un malaise comme si Larrieu nous sortait de l'eau (il est grand temps de rentrer maintenant !). Mais la vidéo maintient suffisamment à distance pour que l'on puisse aller chercher ailleurs le sens de nos résonances.
L'ennui, c'est que l'eau a coulé sous les ponts depuis 1987, date de la création de « Waterproof ». Le sens semble se fondre dans un moule conventionnel alors que la danse a exploré depuis vingt ans tant de territoires. Est-ce cela qui donne à cette mise en scène l'aspect désuet d'une station balnéaire des années trente ?
Malgré tout, « Waterproof » reste une ?uvre essentielle. Elle maintient le spectateur dans un entre-deux, entre le réel et l'inconscient, dans une recherche de l'autre, de l'objet perdu. Ce qui tient éveillé, c'est cette recherche perpétuelle du sens à l'image du décryptage d'un rêve, d'un souvenir d'enfance qui remonterait à la surface, d'un lapsus qui nous plongerait dans la confusion.
C'est ainsi qu'à la sortie du bain, on se surprend d’être un peu mouillé, comme éclaboussé par tant de ronds dans l'eau.

?????? Waterproof” de Daniel Larrieu a été joué au Festival de Marseille le 20 juin 2007.

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D’Avignon à Paris, Joseph Nadj et Miquel Barcelo s’argilisent.

Deux chroniques sur une même oeuvre: l’une écrite lors du Festival d’Avignon en 2006, l’autre du Théâtre des Bouffes du Nord à Paris en juin 2007.

Il y a des moments dans une vie où l'on est fier de clamer : « J'y étais ». C'est la dernière journée du Festival, autant dire que le corps commence à lâcher, les jambes et la tête se font lourdes. Il fait 39° et le ciel me plombe alors que je marche vers l'Église des Célestins. « Paso Doble » du peintre espagnol Miquel Barcelò et du chorégraphe Josef Nadj est l'un des événements majeurs de la 60e édition du Festival d'Avignon.
La scène est faite d'un mur d'argile rouge, celle de Kanizza, ville natale de Nadj. À travers ce dispositif, le peintre accueille le chorégraphe pour qu'il «entre dans le tableau». Derrière ce mur, nos deux hommes en costume noir commencent à frapper. Le mur se transforme lentement comme une terre au printemps, retournée par des végétaux à la recherche du soleil.

En repassant devant, nos deux hommes provoquent le chaos : avec les outils d'un jardinier céleste, il modifient le sol, le mur. Une musique sourde accompagne le travail : quand l'un soulève la terre comme s'il y avait la guerre, l'autre dessine de jolis traits comme au temps des cavernes. Deux hommes, deux époques, trois mouvements : le spectateur s'éblouit devant la métamorphose de l'?uvre. Le contraste entre la terre blanche et l'argile rouge, entre le sol et la terre, entre le terroir et les racines est éblouissant.
Petit à petit, le peintre et le chorégraphe jouent à se transformer : chacun pose sur l’autre une poterie en argile. En s'effondrant sur les visages, elles deviennent masque. Ils sont la création. C’est alors que le mur d'argile est une fresque vivante, habitée par des créatures venues tout droit de l'inconscient de l'adulte, de l'imaginaire de l'enfant, de la folie créative de l'homme.

Mais le peintre ne peut pas abandonner son statut : il dépose le masque, reprend les armes et transforme le chorégraphe en objet de sa création. C'est alors que le peintre fait du corps sa toile ; le chorégraphe ne bouge plus ; nous le distinguons à peine. J'ai peur pour lui, de le voir disparaître. Il est la toile.
Le peintre, tel un toréro, envoie ses piques. Avec un pistolet, il recouvre la fresque d'une peinture blanche : l'?uvre est immortalisé le temps de quelques minutes. Mais le peintre n'oublie pas sa promesse faite au chorégraphe d'entrer dans le tableau. Il faut préparer ce passage d'un monde à l'autre, de la vie vers la mort (l'?uvre est détruite après la performance). C'est alors que le corps reprend ses droits et la danse se fait mouvement, pinceau du peintre.
La musique élève l'?uvre et les deux hommes, ensemble, traversent le mur. Le temps d'un instant suspendu, l'Église des Celestins devient le temple de la création. La fresque est offerte au public d’Avignon.
Pour la première fois de ma vie, un chorégraphe et un peintre m'ont offert l'impensable : une peinture peut se traverser. Mon regard en a aujourd'hui le pouvoir.
Pascal Bély.
Festival d’Avignon 2006.

De retour du Théâtre des Bouffes du Nord, je me demande ce que je viens de voir ?Performance?…Argileuse ? ?J'avoue que ce n'est pas évident, tant ce que nous venons de voir est unique. Unique au sens où la « scénographie – sculpture » créée par Miquel Barceló et Josej Nadj est différente chaque soir. Unique aussi par le choix de cette mise en scène qui ne ressemble à rien de connu. Ai-je ce sentiment parce que j'ai assisté à une ?uvre réalisée sous mes yeux par deux « géants » de la scène artistique mondiale ? Je m'interroge. C'est vrai après tout. Est-ce que Paso Doble m'aurait autant plu s'il avait été interprété par deux parfaits inconnus ?
Oui, parce que le sens est partout. Colonisation d'une terre vierge, naissance, retour à la terre, découverte de l'altérité, négation de l'autre, parabole de l'acte créateur? Il y a tant à y voir, tant de sens à y trouver que j'aurais été sensible à ce Paso Doble s'il avait été interprété par deux inconnus.
Et pourtant. Le tandem fonctionne si bien. Le sourire narquois de Barceló quand il se présente couvert de terre aux spectateurs. Le sérieux de Nadj. Sa solennité.
Non, ces deux artistes sont bien géniaux. Au sens de génies. Surtout, leur duo est fécond.
Comme quoi le meilleur de l'art vivant est décidémen
t toujours dans la rencontre des disciplines! Voir même, dans la rencontre entre spectateurs et artistes. Puisqu'à la fin du spectacle, descendus de tous les balcons du Théâtre, les gens sont venus sur scène, pour toucher la terre, l'emporter, la photographier.
Les deux compères terreux, les deux terriens terreux, ne se sont pas enfouis dans les coulisses. Ils ont souri. Et, à son tour, Miquel Barceló les a photographiés.
Je retente une définition en deux mots. Echange. Magique.

Elsa Gomis – Paris.
Juin 2007.
 

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Tous les articles sur le KunstenFestivalDesArts 2007 de Bruxelles.


Le choc. Indescriptible. Magnifique. A voir, revoir, pour ne rien laisser passer de ces sept acteurs ? danseurs. S'approcher d'eux pour ne plus les perdre de vue, de Bruxelles à Aix en Provence. Programmateurs de tous les pays, unissez-vous et faites tourner Toshiki Okada et sa création « Five Days in March ». Parce que nous avons tous besoin de l'art pour saisir le sens de plus petit geste, de la plus infime expression collective de l'humain. Ils sont sept jeunes Japonais à nous raconter leur manifestation contre la guerre en Irak en mars 2003, prétexte pour nous immerger dans leur vie sexuelle et affective. À chaque mot, à chaque phrase correspondent un signe, une posture, un mouvement du bras, un sautillement du pied. Avec Toshiki Okada, le corps parle et c'est loin d'être un jeu de mots. C'est un jeu humain qui vous prend par tous les sens et qui déplace votre regard sur cette jeunesse déboussolée. Elle met tout au même niveau, de la guerre en Irak à la drague la plus élémentaire. La force de cette ?uvre c'est de ne jamais juger, mais de nous aider à comprendre, à les ressentir. Mais surtout, on se surprend à se regarder les observer, non comme des êtres curieux, mais comme nos contemporains d'un monde globalisé dont nous serions un maillon. La «chorégraphie théâtrale » de Toshiki Okada est un puissant regard sur la perte des anciennes idéologies structurantes au profit d'un pacifisme « émotionnel ».
À l'issue de cinquante minutes prodigieuses, le spectacle fait une pause. Je dois partir, l'?uvre d'Alvis Hermanis va débuter dans un autre théâtre de Bruxelles (bravo à l'organisation du Festival pour cette coordination malheureuse). La deuxième partie est donc une inconnue ; j'ai un goût d'inachevé.
Le délicieux goût des autres.

Pascal Bély
www.festivalier.net


?????? Five Days in March” a été joué le 19 mai 2007 au Kaaitheater Studio dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

Alvis Hermanis et le Nouveau Théâtre de Riga peinent à faire l'événement du KunstenFestivalDesArts malgré l'audacieuse mise en scène du roman « Ice » de l'écrivain russe Vladimir Sorokin. Le titre ne laisse aucun doute sur les intentions d'Alvis Hermanis : « A collective Reading of the book with the Help of Imagination in Riga ». Pour créer ce collectif, Hermanis s'appuie sur un dispositif scénique compliqué : une scène ronde telle une piste de cirque avec quatorze acteurs tout autour qui font une lecture du roman. Pendant que quelques comédiens jouent au centre, le public participe (silencieusement) à cette lecture collective en feuilletant deux albums photo et une bande dessinée. Ce qu'il ne voit pas sur scène, il peut l'imaginer à partir de ces albums. Enfin, pour traduire cette pièce jouée en Leton, les spectateurs ont un casque sur la tête d'où un homme en cabine (recruté à la commission européenne ?) semble lire un annuaire. Dès le début, ce dispositif est violent : la traduction est constamment en décalage, les albums photo sont d'une laideur (artistique ?) indéfinissable et la bande dessinée ne trouverait aucun acheteur dans les rayons pourtant fournis de la FNAC. A mesure des trois heures trente de spectacle, ces quatre niveaux de langage se désarticulent et me donne une céphalée indescriptible. A ma façon (sic), je participe à cette lecture collective d'autant plus que le sujet du roman est douloureux : Ice » évoque une secte de blonds aux yeux bleus désirant anéantir une société corrompue (la Russie ?) et retrouver un état purifié de ses parasites. C'est un univers de Science Fiction traduit avec tant de difficulté que l'on souffre aussi pour les comédiens. Si la lecture des chapitres du livre en révèle certains, le jeu est d'une pauvreté théâtrale déconcertante. Les objets sur scène rythment le tempo comme si les comédiens dépendaient de la complication décidée par Hermanis. Le contexte sectaire renforce la lourdeur et ferme un peu plus la mise en scène sur elle-même, laissant seul le public.
D'une lecture collective au départ, la pièce individualise acteurs et spectateurs. La secte a encore frappé.

Pascal Bély
www.festivalier.net

?????? “Ice. A collective reading of the book with the help of imagination in Riga” d’Alvis Hermanis a été joué le 19 mai 2007 au Théâtre National dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

A lire la critique de “Long Life” d’Alvis Hermanis (Théâtre Des Salins, Martigues, Novembre 2006)

Il y a des ?uvres que l'on ressent majeures parce qu'elles éclairent nos consciences, éveillent nos mémoires et construisent nos visions du futur. À la sortie du théâtre, je me sens investi pour communiquer sur ce que j'ai vu, un soir de mai 2007, au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles. Eszter Salamon, auteur ? metteuse en scène – chorégraphe nous présente «And then», performance sublime où danse, théâtre, chanson, musique, sons, vidéo forment un documentaire vivant dans lequel vos résonances font partie de l'histoire. Ce sont huit femmes de plusieurs générations qui s'appellent toutes Eszter Salamon, rescapées de la shoah, du com
munisme passé et du libéralisme actuel. Elles sont là, sur scène ou à travers l'écran vidéo, pour nous raconter des bouts de leurs histoires. Le maillage des mots et des vies produit alors une ?uvre magistrale.

Dès le début, nous sommes plongés dans un noir profond. Leurs silhouettes apparaissent comme des images subliminales où les personnages seraient ceux du théâtre de Joël Pommerat, présent en Avignon l'été dernier. Ce noir, quasi hypnotique crée un climat propice à l'écoute. La scène, prolongée par un écran vidéo, donne de la profondeur psychologique, du champ historique, une approche sociale aux histoires singulières de ces femmes. Elles ont toutes fait l'expérience de l'aliénation à un homme, au pouvoir politique, à la hiérarchie professionnelle et c'est par leur ténacité, leur humour et leur capacité à se distancier qu'elles ont pu s'émanciper. La force de cette ?uvre réside dans cette mise en scène où d'histoires sans lien, Eszter Salamon les relie, les maillent pour faire apparaître, tel un mirage, l'intergénérationnel puis une fratrie solidaire, une « soeurorité » combattante. C'est avec délice et émotion que l'on se laisse guider, pénétrer par tous les bruits de leurs corps magistralement restitués comme autant de froissements de l'intérieur de l'âme, de tumultes de l'histoire, d'ailes de papillon qui battent pour la liberté. Les gestes magnifiques de la vie quotidienne (arroser ses plantes, tournicoter avec sa chaise, danser sur son canapé) projetés sur l'écran vidéo, sont autant de chorégraphies d'un quotidien confiné et potentiellement libérateur. Ce sont le chant et la danse sur la scène qui donnent à ses images un prolongement par le spectacle vivant, porté par une nouvelle génération. C'est ainsi que sur sa trajectoire, le libéralisme violent rencontre la force créative de ces femmes qui ne sont pas prêtes à se laisser enfermer.
« And Then » est un mémorial vivant dédié aux femmes, pour l'humanité. C'est une ?uvre qui remet du sens là où la sphère médiatique réduit, là où le politique voudrait faire oublier (à l'instar d'un Nicolas Sarkozy toujours prompt à dénoncer la repentance), là où l'économique (avec la publicité) marchandise tout, même les symboles .
« And Then » est un chef d'?uvre parce qu'il fait de nous, simples spectateurs du KunstenFestivalDesArts, les frères et s?urs des 834 Eszter Salamon recensées sur la planète.
Restons groupés?

Pascal Bély
www.festivalier.net

?????? “And Then” a été joué le 19 mai 2007 au Beursschouwburg dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

Avec Mpumelelo Paul Grootboom, l'Afrique du Sud s'invite au KunstelFestivalDesArts de Bruxelles. Cet auteur et metteur en scène présente « Telling Stories », longue épopée de trois heures trente où le public est immergé dans l'univers bouillonnant des townships. C'est l'histoire d'un écrivain noir Madi (joué par Mandla Gaduka, magnifique) qui, désireux d'écrire une pièce de théâtre sur la criminalité dans les bidonvilles, fréquente un groupe de jeunes délinquants. Deux trajectoires vont donc s'entrecroiser et tisser une vue d'ensemble sur la dure réalité d'un pays en proie aux violences de toute nature. Mais une question s'impose rapidement : pourquoi nous présenter cette oeuvre dans le cadre du KunstenFestivalDesArts ? En quoi «Telling stories » incluse-t-elle de nouvelles formes artistiques ? Comment cette histoire peut-elle nous aider à imaginer un futur ? « Telling Stories » est un agréable divertissement, pertinent dans la programmation annuelle d'un théâtre. Cela explique sans aucun doute la gêne que l'on peut ressentir, coincé entre le désir d'applaudir la performance des acteurs, réservé sur la mise en scène et l'intérêt de l'histoire et franchement dépité sur le choix des programmateurs du Kunsten (cette pièce aurait-elle été sélectionnée produite de Bruxelles ou Paris?). La notice du Kunsten soulève une question : « à quel moment, le tout pour l'art ne se justifie plus d'un point de vue éthique ? Quand la (re) présentation de la violence tombe-t-elle dans le voyeurisme ». Euh?je ne vois pas le rapport ! En quoi «Telling Stories » répond-elle à ces questions ? Tout au plus, Mpumelelo Paul Grootboom a-t-il le talent de nous présenter une première partie enlevée, haute en couleurs, en rebondissements. Le passage de la vie de l'écrivain à son histoire fictive offre un cadre pertinent pour produire un excellent théâtre populaire, ponctué de moments musicaux standardisés (il y a quand même plus innovant que Norah Jones en bande-son !)
Après l'entracte, la pièce s'enlise dans l'histoire de l'écrivain. La vidéo s'englue dans le ridicule à vouloir nous montrer des scènes d'amour digne d'un mauvais film érotique de fin de soirée sur M6. Les bagarres dans un train, jouées au ralenti, sont un calvaire pour le spectateur qui se demande à quel moment cette séquence va se terminer. Ainsi, on se surprend à décrocher alors que le fond de l'histoire est toujours violent. Si dans la première partie, le lien entre l'écrivain et le contexte était flottant (instants radieux quand on ne sait plus où sont la fiction et la réalité, renforcé par le décor qui articule deux scènes, l'une en haut, l'autre plus bas), la deuxième s'approche d'un théâtre beaucoup plus traditionnel, à la narration linéaire avec une mise en scène sans surprise qui voit le temps s'écouler lentement.
Le pari aurait été de mettre en scène le questionnement des programmateurs du Kunsten, cité plus haut. À la place, on s’ennuie en se divertissant. C'est la force du projet du KunstenFestivalDesArts de nous faire vivre un tel paradoxe !

Pascal Bély
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?????? « Telling Stories » de Mpumelelo Paul Grootboom a été joué le 18 mai 2007 au KVS dans le cadre du Kunste
nFestivalDesArts de Bruxelles.


Le KunstenFestivalDesArts de Brxuelles prend soin de nous prévenir dans le document de présentation distribué au public : Richard Maxwell, metteur en scène et auteur américain, est un adepte des « facéties antithéâtrales », « statiques », avec un « style minimaliste » à « l'humour tranchant ». Avec « The end of réality », je fais donc mes premiers pas dans cet environnement théâtral inconnu jusqu'à ce jour?
Nous sommes dans un bureau de surveillance situé à Manhattan. Un écran vidéo restitue le quartier et nous projette dans une culture paranoïaque où tout est danger, même la psychologie des personnages (« Ce que j'apprécie chez toi c'est que l'on te comprend très vite », dit l'une des femmes à son collègue de travail). Ils sont tantôt en habits de sécurité, tantôt en tenue de jogging, mais toujours uniformisés. Ainsi, sphères privées et professionnelles fusionnent et finissent par provoquer un ressenti d'étouffement. Six acteurs s'affrontent dans ce huit-clos, renforcé par une mise en scène rationaliste où les mouvements vont d'un point à l'autre à l'image d'un réseau de communication mobile. Ils entrent et sortent de la pièce pour échapper au sens comme s'ils fuyaient leur inconscient, potentiellement dangereux. D'ailleurs, tout est sous contrôle : les bagarres sont jouées au ralenti (moment jubilatoire qui rend agresseurs et agressés particulièrement proches?) ; la relation amoureuse naissante entre deux officiers de sécurité se réduit à un jeu de drague de la sphère internet où les corps peinent à se toucher, presque contaminés. Toutes ces interactions en « diagonale » permettent quelques espaces libres que nos protagonistes s'empressent d'occuper : le dossier sur lequel on décrit les faits délictueux, le journal du jour (gratuit ?!) posé sur le bureau pour y lire leur traduction médiatique. La boucle est bouclée. Bien sûr, Richard Maxwell n'oublie pas de laisser quelques marges d'autonomie qui conduisent une officière à libérer un voyou sans que l'on en saisisse la raison !
Dans un tel climat de lourdeur, le spectateur s'ennuie (autour de moi, les têtes flanchent à défaut de tomber). Le minimalisme assèche, caricature beaucoup, linéarise tellement l'histoire qu'elle nous positionne en super caméra de surveillance. Le tout nous renvoie à notre condition d'humain aux moments les plus tristes de nos quotidiens quand nous rationalisons tout. Pendant une heure trente, je résiste en opérant des liens avec le contexte de l'élection de Nicolas Sarkozy. La mise en scène de Maxwell m'évoque les processus réducteurs que le nouveau pouvoir installe pour empêcher toute pensée globale d'émerger en se focalisant sur l'individu au détriment de toute approche collective. C'est peut-être là qu'il faut chercher la force de cette ?uvre : avec cette approche minimaliste, Maxwell crée un espace pour (re) penser notre société à partir de notre positionnement. Nous revoilà remis au centre, car seule la pensée complexe viendra à bout de la peur. Nous sommes bien au KunstenFestivalDesArts?

Pascal Bély
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?????? “The end of réality” de Richard Maxwell a été joué le 17 mai 2007 au Théâtre Les Tanneurs dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

KOD-6.jpg« Hamlet revisited ». Tel est le slogan qui termine la présentation écrite de « K.O.D ». (Kiss of Death) d'Isabella Soupart proposé au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles. Cette création s'inscrit dans le prolongement d'« In the wind of time », franc succés de l'édition 2005. Isabella Soupart aurait pu innover dans la continuité de sa recherche, mais elle répète à l'infini ses nouveaux langages faits de mouvements chorégraphiques transversaux, de sons verticaux qui nous tombent dessus, d'images vidéos surplombantes censées nous donner un métacontexte. Ces enchevêtrements auraient pu faire de cet « Hamlet » revisité une fresque moderne. Ce n'est finalement qu'une mosaïque où les formes prennent le pas sur le fond, un labyrinthe où se perd le spectateur tant la multiplication des langages superpose au lieu de relier, à l'image d'une société médiatique toujours prompte à créer de nouveaux outils de communication sans que le sens en émerge.
C'est ainsi que « K.O.D» entretient avec le public un lien d'une extrême verticalité : dès qu'elle arrive à la limite d'un langage, Isabella Soupart nous en propose un autre sans que nous ayons la possibilité de nous approprier sa recherche. Le temps est en accéléré à quelques rares exceptions près, le temps d'une chanson. Le spectateur peut se ressentir en dehors, presque infantilisé et dans l'impossibilité de lâcher-prise. Bombardé de vidéos (d'une beauté troublante quand elle retransmet des visages en gros plan), de trouvailles sonores (souvent intelligentes), de sous-titres (bravo aux traducteurs), de danses (genoux à terre?un peu limité et surtout déjà vues dans « In the wind of time »), je finis par m'amuser de toute cette excitation. Isabella Soupart semble boulimique de métaphores, dépassée par la complexité qu'elle créée en faisant jouer par deux hommes le rôle d'Hamlet, en multipliant les scènes dans un même espace comme si l'une devait s'expliquer par l'autre. Elle finit par nous proposer une vidéo qui réinvente un autre décor comme si « l'ici et maintenant » ne suffisait pas : il est vrai que les objets (tables,sièges de bureau et mobilier d'Ikea) réduisent la danse, entravent le lien entre les personnages et le public. Relier le texte de Shakeaspeare avec les bribes d'interviews issus de documents de l'ex-union Sovétique n'est plus qu'un effet de style. Sortis de leur contexte, ils en perdent le sens tel un vulgaire « copier-coller » très prisé par les publicitaires. Cet « Hamlet » là n'éclaire plus : tout s'additionne, rien ne se multiplie?

Isabe
lla Soupart finit par jouer ce qu'elle voulait dénoncer. Pour asseoir son pouvoir d'artiste tout puissant face à un public déboussolé, elle manipule les formes, décontextualise les écrits de l'histoire, recycle les symboles de la littérature. Pris à ce jeu, « K.O.D » devient un agréable moment de divertissement, très tendance et visuellement impeccable… Nous sommes loin de l'esprit « Kunsten ».

Pascal Bély
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?????? K.O.D. (Kiss of Death)” d’Isabella Soupart a été joué le 16 mai 2007 au KVS – BOX dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

 

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EN COURS DE REFORMATAGE

Au KunstenFestivalDesArts, Toshiki Okada danse avec les maux.

-Michele-Rossignol023.jpg
Le choc. Indescriptible. Magnifique. A voir, revoir, pour ne rien laisser passer de ces sept acteurs ? danseurs. S'approcher d'eux pour ne plus les perdre de vue, de Bruxelles à Aix en Provence. Programmateurs de tous les pays, unissez-vous et faites tourner Toshiki Okada et sa création « Five Days in March ». Parce que nous avons tous besoin de l'art pour saisir le sens de plus petit geste, de la plus infime expression collective de l'humain. Ils sont sept jeunes Japonais à nous raconter leur manifestation contre la guerre en Irak en mars 2003, prétexte pour nous immerger dans leur vie sexuelle et affective. À chaque mot, à chaque phrase correspondent un signe, une posture, un mouvement du bras, un sautillement du pied. Avec Toshiki Okada, le corps parle et c'est loin d'être un jeu de mots. C'est un jeu humain qui vous prend par tous les sens et qui déplace votre regard sur cette jeunesse déboussolée. Elle met tout au même niveau, de la guerre en Irak à la drague la plus élémentaire. La force de cette ?uvre c'est de ne jamais juger, mais de nous aider à comprendre, à les ressentir. Mais surtout, on se surprend à se regarder les observer, non comme des êtres curieux, mais comme nos contemporains d'un monde globalisé dont nous serions un maillon. La «chorégraphie théâtrale » de Toshiki Okada est un puissant regard sur la perte des anciennes idéologies structurantes au profit d'un pacifisme « émotionnel ».
-Rebecca-Lee---Academie-Anderlecht014.jpgÀ l'issue de cinquante minutes prodigieuses, le spectacle fait une pause. Je dois partir, l'?uvre d'Alvis Hermanis va débuter dans un autre théâtre de Bruxelles (bravo à l'organisation du Festival pour cette coordination malheureuse). La deuxième partie est donc une inconnue ; j'ai un goût d'inachevé.
Le délicieux goût des autres.

Pascal Bély
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?????? Five Days in March” a été joué le 19 mai 2007 au Kaaitheater Studio dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

Crédit Photo: Michèle Rossignol.

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EN COURS DE REFORMATAGE

Au KunstenFestivalDesArts, Alvis Hermanis s’entête.

-Michele-Rossignol064.jpgAlvis Hermanis et le Nouveau Théâtre de Riga peinent à faire l'événement du KunstenFestivalDesArts malgré l'audacieuse mise en scène du roman « Ice » de l'écrivain russe Vladimir Sorokin. Le titre ne laisse aucun doute sur les intentions d'Alvis Hermanis : « A collective Reading of the book with the Help of Imagination in Riga ». Pour créer ce collectif, Hermanis s'appuie sur un dispositif scénique compliqué : une scène ronde telle une piste de cirque avec quatorze acteurs tout autour qui font une lecture du roman. Pendant que quelques comédiens jouent au centre, le public participe (silencieusement) à cette lecture collective en feuilletant deux albums photo et une bande dessinée. Ce qu'il ne voit pas sur scène, il peut l'imaginer à partir de ces albums. Enfin, pour traduire cette pièce jouée en Leton, les spectateurs ont un casque sur la tête d'où un homme en cabine (recruté à la commission européenne ?) semble lire un annuaire. Dès le début, ce dispositif est violent : la traduction est constamment en décalage, les albums photo sont d'une laideur (artistique ?) indéfinissable et la bande dessinée ne trouverait aucun acheteur dans les rayons pourtant fournis de la FNAC. A mesure des trois heures trente de spectacle, ces quatre niveaux de langage se désarticulent et me donne une céphalée indescriptible. A ma façon (sic), je participe à cette lecture collective d'autant plus que le sujet du roman est douloureux : Ice » évoque une secte de blonds aux yeux bleus désirant anéantir une société corrompue (la Russie ?) et retrouver un état purifié de ses parasites. C'est un univers de Science Fiction traduit avec tant de difficulté que l'on souffre aussi pour les comédiens. Si la lecture des chapitres du livre en révèle certains, le jeu est d'une pauvreté théâtrale déconcertante. Les objets sur scène rythment le tempo comme si les comédiens dépendaient de la complication décidée par Hermanis. Le contexte sectaire renforce la lourdeur et ferme un peu plus la mise en scène sur elle-même, laissant seul le public.
D'une lecture collective au départ, la pièce individualise acteurs et spectateurs. La secte a encore frappé.

Pascal Bély
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?????? Ice. A collective reading of the book with the help of imagination in Riga” d’Alvis Hermanis a été joué le 19 mai 2007 au Théâtre National dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

A lire la critique de “Long Life” d’Alvis Hermanis (Théâtre Des Salins, Martigues, Novembre 2006)

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Crédit Photo: Michele Rossignol.

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OEUVRES MAJEURES

Les femmes éclaireuses d’Eszter Salamon au KunstenFestivalDesArts.

Il y a des oeuvres que l’on ressent majeures parce qu’elles éclairent nos consciences, éveillent nos mémoires et construisent nos visions du futur. À la sortie du théâtre, je me sens investi pour communiquer sur ce que j’ai vu, un soir de mai 2007, au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles. Eszter Salamon, auteur-metteuse en scène – chorégraphe nous présente «And then», performance sublime où danse, théâtre, chanson, musique, sons, vidéo forment un documentaire vivant dans lequel vos résonances font partie de l’histoire. Ce sont huit femmes de plusieurs générations qui s’appellent toutes Eszter Salamon, rescapées de la shoah, du communisme passé et du libéralisme actuel. Elles sont là, sur scène ou à travers l’écran vidéo, pour nous raconter des bouts de leurs histoires. Le maillage des mots et des vies produit alors une oeuvre magistrale.
Dès le début, nous sommes plongés dans un noir profond. Leurs silhouettes apparaissent comme des images subliminales où les personnages seraient ceux du théâtre de Joël Pommerat, présent en Avignon l’été dernier. Ce noir, quasi hypnotique crée un climat propice à l’écoute. La scène, prolongée par un écran vidéo, donne de la profondeur psychologique, du champ historique, une approche sociale aux histoires singulières de ces femmes. Elles ont toutes fait l’expérience de l’aliénation à un homme, au pouvoir politique, à la hiérarchie professionnelle et c’est par leur ténacité, leur humour et leur capacité à se distancier qu’elles ont pu s’émanciper. La force de cette oeuvre réside dans cette mise en scène où d’histoires sans lien, Eszter Salamon les relie, les maillent pour faire apparaître, tel un mirage, l’intergénérationnel puis une fratrie solidaire, une « soeurorité » combattante. C’est avec délice et émotion que l’on se laisse guider, pénétrer par tous les bruits de leurs corps magistralement restitués comme autant de froissements de l’intérieur de l’âme, de tumultes de l’histoire, d’ailes de papillon qui battent pour la liberté. Les gestes magnifiques de la vie quotidienne (arroser ses plantes, tournicoter avec sa chaise, danser sur son canapé) projetés sur l’écran vidéo, sont autant de chorégraphies d’un quotidien confiné et potentiellement libérateur. Ce sont le chant et la danse sur la scène qui donnent à ses images un prolongement par le spectacle vivant, porté par une nouvelle génération. C’est ainsi que sur sa trajectoire, le libéralisme violent rencontre la force créative de ces femmes qui ne sont pas prêtes à se laisser enfermer.
« And Then » est un mémorial vivant dédié aux femmes, pour l’humanité. C’est une oeuvre qui remet du sens là où la sphère médiatique réduit, là où le politique voudrait faire oublier (à l’instar d’un Nicolas Sarkozy toujours prompt à dénoncer la repentance), là où l’économique (avec la publicité) marchandise tout, même les symboles .
« And Then » est un chef d’oeuvre parce qu’il fait de nous, simples spectateurs du KunstenFestivalDesArts, les frères et soeurs des 834 Eszter Salamon recensées sur la planète.
Restons groupés…
Pascal Bély
www.festivalier.net

“And Then” a été joué le 19 mai 2007 au Beursschouwburg dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.