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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES

Au Festival d’Avignon, Raimund Hoghe, encore et toujours.

Pourquoi la dernière création de Raimund Hoghe a-t-elle à ce point déçu les festivaliers d’Avignon ? J’y ai pourtant retrouvé le talent, la délicatesse, et la créativité de ce chorégraphe exceptionnel. Je le connais depuis 2004, date à laquelle il présentait face au public bouleversé de Montpellier Danse, « Young people, Old Voices ». En juin dernier, Meinwärts provoquait la sidération. Depuis, il y vient chaque année comme un rendez-vous ritualisé avec les Montpelliérains. Je me sens familier de son univers fait d’objets posés sur scène, de métaphores qui s’emboîtent les unes des autres pour former le kaléidoscope de nos sensations. J’ai un profond respect pour cet artiste qui m’a familiarisé avec la lenteur des mouvements, avec l’émergence du sens par l’immobilité. Là où le public d’Avignon frissonne avec Roméo Castellucci, je tremble d’émotions pour Raimund Hoghe.
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Alors, que se passe-t-il avec « 36, Avenue Georges Mandel » présentée dans la jolie chapelle des Penitents Blancs ? C’est la dernière adresse où vécut Maria Callas, seule et malade. Hoghe y voit une « sans domicile fixe » qu’il incarne en portant la couverture de la Croix Rouge, en se glissant sous des cartons. Cette détresse est traduite par des gestes délicats qui, comme dans « Les éphémères » d’Ariane Mnouchkine, résonnent chez les admirateurs de la Callas et le public sensible à la question de l’hébergement précaire. Hoghe parcourt la scène, telle la diva, à la recherche de sa gloire perdue comme le fait un SDF avec les objets qu’il trimballe, témoignage d’un passé encore vivant. Les vêtements sont une seconde peau qu’il plie avec minutie pour les déplier avec grâce et endosser un nouveau rôle. C’est ainsi qu’il enfile un imperméable (où l’on devine qu’il est nu), tels ces hommes qui miment la Callas devant la glace. Bouleversant.
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Que ce soit pour la Callas ou un SDF, c’est la lenteur qui semble faire l’histoire : le processus de déchéance n’est pas aussi brutal et rapide que les médias voudraient nous le faire croire. Perdre son domicile, sa gloire, est un long processus, parfois indescriptible à l’?il nu.  C’est précisément cela qui hante les Français (plus de la moitié d’entre eux ont peur d’être SDF selon un sondage paru lors des dernières élections). Raimund Hoghe ne le traduirait-il pas à ses dépens ? Ce spectacle serait-il donc anxiogène ?

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L’arrivée du danseur Emmanuel Eggermont, tel un ange, fait baisser la tension (à cet instant précis, les spectateurs ne quittent plus leurs sièges). Avec sa rose à la main, on imagine  Barbara se dirigeant vers ses admirateurs. Mais plus vraisemblablement, il incarne le public de la Callas. Nous sommes donc sur scène pour entourer Hoghe, lui redonner nos habits, pour l’inclure à nouveau. Ce moment est magnifique, car cet ange fait (trop tardivement) le pont entre lui, elle et nous.  Il libère Raimund Hoghe d’un poids mythique, et de l’angoisse générée par la pauvreté. Le dernier regard entre les deux hommes est fulgurant comme un lien indestructible entre elle et nous, entre la dénuement et la gloire (il fallait tout de même oser ce rapprochement).
Alors, oui, « 36, Avenue Georges Mandel » est un chef d’oeuvre d’humanité, qui s’entend dans un lien quasi intime avec Raimund Hoghe. Je rêve qu’Avignon reconnaisse la stature de ce chorégraphe et que l’on cesse, pour se protéger, de faire référence à des clichés (que n’ais-je pas entendu ! « Il utilise le fait qu’il soit bossu », « ce n’est pas de la danse » ; « c’est un peu trop facile? »).

« 36, Avenue Georges Mandel »,
« Rue de la grange aux loups »,
Paris,
Nantes,
Callas,
Barbara,
« Chapelle des Penitents Blancs », Avignon?

Pascal Bély – Le Tadorne

« 36, Avenue Georges Mandel » de Raimund Hoghe a été joué le 22 juillet 2007 dans le cadre du Festival d'Avignon.
Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Le Festival d’Avignon, espace d’expérimentation raté du futur “104” de la Ville de Paris.

La Maison Jean Vilar propose deux expositions: au rez-de-chaussée, un espace est dédié à Fréderic Fisbach, l’artiste associé. Au premier étage, une installation pour célébrer le 60e anniversaire du Festival d’Avignon par une jolie série de portraits suspendus dans le temps et la projection d’un film sur Jean Vilar. Entre les deux, un escalier. C’est tout. Pas de pont, ni de passerelles. La Maison est fragmentée. Pourtant, Fréderic Fisbach est un conteur d’histoire (il aurait pu au moins nous raconter son parcours de festivalier au fil du temps). Il préfère accrocher sa prose dans des cadres vissés au mur, mettre un lit au centre (pour s’y coucher? Devant tout le monde?). Une installation nous permet de marcher sur des petits coussinets en caoutchouc et nous asseoir (ou s’allonger) pour écouter avec des casques les explications de Fisbach sur la genèse de ses pièces, sur ses tournées…L’endroit est idéal pour se reposer, mais vide de tout contenu. Quel peut bien être le sens de cette installation qui ne relie rien, ne suggére rien si ce n’est de la radio en conserve? En sortant, je suis un film sur la construction du “104” (un lieu d’art pour tous de la ville de Paris). Aucun intérêt. Aucun.
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Je quitte la Maison Jean Vilar pour le gymnase du lycée Mistral où Robert Cantarella (co-animateur du futur 104!) propose “Hyppolyte” de Robert Garnier . La jauge est minuscule (à peine 50 spectateurs). En entrant, j’ai la surprise de me trouver à nouveau dans un appartement (après le loft dans “Les feuillets d’Hypnos et le plumard de la Maison Jean Vilar, je me lasse de cette proximité!). Quelques casques sont posés sur les sièges, mais pas assez pour tout le monde (on y écoute la voix des acteurs accompagnée par une guitare électrique). Le musicien est d’ailleurs présent devant son ordinateur (je ne verrais jamais son visage) et un technicien filme la pièce (où il sera possible de la visionner sur grand écran dans une salle adjacente!). Vous l’aurez compris, nous sommes face à un déluge de moyens. Mais servent-ils au moins une recherche autour du théâtre? Donne-t-il au texte de Garnier (c’est une langue du 16e siècle) une force, une méta- compréhension… À moins qu’ils ne permettent aux comédiens de poser un contexte si porteur qu’ils innoveraient dans leur jeu sur scène (ou sur le lino, c’est au choix)?

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Rien de tout cela. “Hyppolyte” est ennuyeux, mal interprété (Nicolas Maury, déjà remarqué dans “les feuillets” est toujours aussi insupportable à écouter), où les objets de la vie moderne (un micro-ondes) ne servent strictement à rien si ce n’est à occuper un espace laissé vide par des comédiens qui clame leur texte avec application (c’est quand même une performance). Ils sont desservis par une mise en scène clostrophobique, entravée par le mobilier d’Ikea et surtout gêné par la présence d’un chien qui se contente de leur courir après (le sens m’échappe à la même vitesse que l’animal). Fatigué par ce théâtre prétentieux, je ne pense qu’à partir. Impossible. J’ai peur du chien et cela se voit. Je me contorsionne, ouvre un livre, penche la tête en avant, en arrière. Je souffre. Et j’ai toujours peur de ce chien pas du tout sympathique. Pourquoi n’ai-je pas de casque? A quoi rime cette discrimination? Mes questionnements volent haut…
Ainsi, je deviens le spectateur-acteur dont rêve tant Fréderic Fisbach.
En partant, je n’ose pas lui dire à quel point je me suis trouvé convaincant dans mon rôle.
Je cavale vers la sortie de peur de tomber sur le maître-chien.

Pascal Bély
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“Hyppolyte” par Robert Cantarella a été joué le 20 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

Warlikowski met fin au « silence des hétérosexuels » lors du Festival d’Avignon.

 La cour du lycée Saint-Joseph accueille Krzysztof Warlikowski, pour « Angels in América I et II ». Ce metteur en scène polonais, habitué du festival d’Avignon, est un réconciliateur. En 2005, au coeur de la tourmente provoquée par l’artiste associé de l’époque (Jan Fabre), « Kroum » avait fait l’effet d’un baume apaisant. Aujourd’hui, il revient pour nous conter le roman de Tony Kushner sur les années sida dans l’Amérique de Reagan. Cette tragédie fait trembler les murs et les gradins, réveille le mistral glacial, et résonne dans cette France décidément bien trop calme.
En juin dernier, le Festival Montpellier Danse s’interrogeait et commémorait les victimes: comment le sida a-t-il influencé la danse ? Quel rôle joue-t-il aujourd’hui ? Comment alerter l’opinion publique sur le drame qui secoue l’Afrique ? Avignon prolonge le débat en inscrivant l’épidémie à l’articulation du politique et de l’intime. Curieuse coïncidence tout de même au moment où l’équipe de Sarkosy, néolibérale et puritaine, brouille les cartes, abat les cloisons pour clore les controverses et marginaliser un peu plus ceux qui pensent différemment. Le théâtre de Warlikowski est donc une bouffée d’oxygène qui repositionne la marginalité au coeur du progrès social, du processus créatif et invite les hétérosexuels (majoritaires) à cesser de considérer l’homosexualité à partir de leur moralité, qu’ils reconnaissent au Sida sa dimension sociale, politique et culturelle. Ces 5h30 donnent à cette tragédie les images d’un film de David Lynch, les métamorphoses d’un Roméo Castellucci, les rythmes d’un Joël Pommerat. Warlikowski réunit mes références théâtrales, incarne mon histoire face au sida dans le jeu exceptionnel des acteurs pour la restituer en fresque vivante
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Deux hommes s’aiment ; l’un est atteint du sida, l’autre pas. Plus loin dans la ville, un couple se déchire : l’un est attiré par les ballades dans les parcs pour y observer les hommes, l’une prend des cachets dans l’attente d’avoir un enfant. À côté de ces amoureux transits, un avocat, proche de l’équipe Reagan, a le sida qu’il dissimule en cancer, hanté d’avoir plaidé la peine de mort pour Ethel Rosemberg. Tous les acteurs de cette tragédie sont reliés, mais profondément isolés dans leur souffrance. Ils sont des marionnettes manipulées par les oligarchies religieuses, enfermés dans les jeux de leur caste professionnelle, prisonnier de leur idéologie. Qui tient les fils ? Comment s’en échapper ?  
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C’est là que Warlikowski démontre toute la puissance de son art : guérir du « sid’amour », c’est ouvrir les espaces de dialogue, libérer les peurs, tisser des liens de solidarité, laisser la place à l’inconscient pour qu’il fasse son travail d’introspection et de réparation. A l’image de l’unité de lieu (grande pièce aux murs argentés, au mobilier d’un ancien pays communiste, à la fois salle d’église et de réunion du parti) qu’il transforme en chambre d’hôpital, en pays imaginaire de l’Antartique, en coulisse de la mort pour mieux relier, élargir là où le sida enferme, cloisonne, tue à petit feu. La mise en scène de Warlikowski est une approche politique face à une maladie réduite par les hétérosexuels à la sphère de l’intime. Elle met en mouvement le lien que les malades ont tissé avec leurs proches: dire, mais pas tout, suggérer pour éviter le voyeurisme, donner du sens à l’inacceptable pour préserver la vie. Warlikowski a tout compris de cette maladie, de sa complexité, mais aussi des enjeux sociétaux : ce sont les minorités qui enclenchent le changement. Il ne simplifie rien, mais ouvre en permanence jusqu’à la scène finale où tous les acteurs assis face à nous, dissertent sur le sens de la vie, nous aident à nous réapproprier la question du sida, facilitent le passage de la fiction à la réalité (l’histoire est toujours en oeuvre avec ce virus).
Deux jours après, une spectatrice me confiera : « il ne faudrait pas réduire « Angels in América » à une pièce sur les homosexuels ». Qui lui parle de réduire ?

Pascal Bély
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« Angels in América » par Krzysztof Warlikowski a été joué le  20 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

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FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival d’Avignon, Faustin Linyekula manque la rencontre.

Le chorégraphe congolais Faustin Linyekula est une belle personne. Je le ressens généreux, sensible, ouvert. Son corps traduit à la fois fragilité et force. Son regard, toujours bienveillant, accompagne sa voix douce et déterminée. Le Festival d’Avignon l’honore cette année avec deux propositions. Après “Dynozord: the dialogue series III qui ne m’avait pas convaincu, Faustin Linyekula récidive avec “Le festival des mensonges” à la salle de Champfleury. Un orchestre, des chanteurs, un bar géré par une association, des bancs tout autour d’une scène délimitée par des néons et des fils électriques posent le contexte de la soirée. L’ambiance est à la fois décontractée, mais concentrée, au coeur d’un théâtre, d’une fête organisée pour le public. Elle s’inspire d’une coutume des paysans de Patagonie qui, une fois par an, se retrouvent une nuit entière pour un concours de mensonges.
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Faustin Linyekula s’empare de cette tradition pour son pays, la République du Congo (ex-Zaïre), en Avignon. L’occasion est trop belle pour dénoncer, extraits sonores à l’appui, l’ensemble des mensonges, des crimes, perpétués par une classe politique locale et internationale. Ils sont donc trois danseurs (dont Faustin), une comédienne, un orchestre pour accompagner ces bonimenteurs. La danse, souvent à terre, entremêle les corps. Les néons s’interposent, barrent la route, clignotent comme autant de signaux d’alerte. Tout à la fois matériaux pour faire un feu et fluide électrique, ils envahissent le trio et finissent par l’engloutir. La comédienne évoque sa famille (surtout son père, fonctionnaire d’État) et son désir de voter, mais ses paroles tournent en rond comme un disque rayé d’autant plus que les voix de Mobutu, de Giscard brouillent les messages (c’étaient sûrement leur fonction à l’époque!). Soudain, alors que le trio se perd un peu dans la chorégraphie (sophistiquée) de Faustin Linyekula, la danse s’arrête: le public n’investit pas assez le bar! Or, consommer pendant le spectacle est la seule source de financement de la culture au Congo. Cette interruption, loin d’être anodine, renforce notre position “haute” vis-à-vis de l’Afrique (n’aurions-nous que celle-là? A qui vont donc les 25 euros de chaque place?). On nous culpabilise, à moins que Faustin Linyekula assume difficilement sa chorégraphie, plus proche de la danse contemporaine européenne qu’africaine. Nous sommes plusieurs à ressentir ce malaise: le contexte du spectacle flotte entre scène de théâtre et fête populaire (pour des blancs?) et finit par brouiller le propos artistique. Pourtant, l’un des derniers tableaux est époustouflant de beauté et de justesse: sur une longue table, avec des poupées cassées et désarticulées, les artistes simulent une rencontre au sommet entre tous ces menteurs. Le collectif finit sous la table, de nouveau englouti. Au lieu d’ouvrir sur un futur possible pour leur pays, ce final signe le désespoir de ces jeunes artistes dont le seul projet est de partir.
Comment pourrions-nous faire la fête avec un telle conclusion? Pour de nombreux spectateurs, la soirée, prévue pour se prolonger, se termine à l’image d’un Festival qui a bien du mal à nous retenir pour débattre collectivement d’autant plus que les habitants du quartier populaire de Champfleury sont cruellement absents. L’occasion était trop belle, tel “le théâtre des idées” organisé l’après-midi, pour transformer ce “festival des mensonges” en agora populaire sous l’arbre à palabres. Au lieu de cela, chacun repart chez soi pour enfermer à double tour sa vision d’un continent décidément trop loin de nous.
Faustin, revenez! 

Pascal Bély
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“Le festival des mensonges” de Faustin Linyekula a été joué le 21 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

Au Festival d’Avignon, Galin Stoev rejoint le monde des éphémères.

“Genèse n°2”, par le Bulgare Galin Stoev, restera l’une des belles surprises du Festival d’Avignon. J’avais fait la connaissance de cette petite troupe à Marseille au printemps dernier pour “Oxygène où j’avais pu remarquer le potentiel (chaotique) créatif de ce collectif européen (composé de Belges, français, suisses) où déjà leur lien avec l’auteur russe Ivan Viripaev était prometteur. Aujourd’hui, Galin Stoev a mûri dans sa mise en scène, accompagné par trois acteurs magnifiques. C’est donc un jeune théâtre européen, ouvert vers la Russie, incluant trois musiciens sur scène et jouant avec la vidéo comme prolongement du texte. Ce processus d’ouverture alimente en continu cette pièce puisqu’elle est le fruit d’une rencontre entre Ivan Viripaev et Antonia Velikanova, patiente schizophrène. Elle lui a confié un texte, à lui d’y ajouter ce qui lui semble bon (il insère des extraits de leurs correspondances, des chansons comiques).
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Le résultat est époustouflant! Imaginez Dieu, la femme de Loth et le prophète Jean embarqués dans un combat de mots et de corps pour connaître enfin la vérité: qu’existe-t-il après la mort? À cette question se greffent en musique de fond, les rapports d’ Antonia Velikanova avec son médecin (Arkadii Ilyitch, nom qu’elle donne à Dieu dans son roman!). Nous sommes ainsi propulsés à plusieurs niveaux de lecture en même temps auxquels faudrait ajouter notre lien personnel à la religion, à l’au-delà. C’est toutes ces imbrications qui font de Genèse n°2 un petit bijou théâtral où le jeu magnifique de Vincent Lécuyer (Arkadii Ilyitch) emporte tout sur son passage. Au delà du lien à Dieu (finalement, est-il au centre de tout?), cette oeuvre nous embarque (spatialement?!) dans la schizophrénie où la religion tient une place de choix. La mise en scène épouse les contours de cette maladie comme le ferait un peintre face à son modèle: elle met en relief le rapport à Dieu, dessine en arrière-plan les liens verticaux entre le médecin et sa patiente, pose ici et là des touches de poésie. Le tableau s’anime tel film de cinéma en trois-huit, éveille notre regard d’enfant (l’imaginaire comme réponse au sectarisme religieux), nous plonge dans la douce musique de la déconstruction des mots.
On se prend nous aussi à rêver d’un autre monde et d’embarquer dans leur navette spatiale. La destination, certains d’entre nous la connaissent déjà: et si Antonia Velikanova était de la planète des éphémères, si chère à Ariane Mnouchkine?

Attendez-moi, j’arrive…

Pascal Bély
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Genèse n°2 par Galin Stoev a été joué le 20 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Au Festival d’Avignon, Superamas superpose.

Au gymnase Aubanel, le collectif franco- autrichien Superamas propose dans une indifférence polie “Big 3rd episode”. Cela aurait pu faire l’événement tant le style de cette proposition est étonnant, mais je cherche encore sa finalité. Je n’oublie pas que nous sommes au Festival d’Avignon.
Tout commence par une jolie chanson et les frontières se brouillent déjà. Certains spectateurs tapent dans les mains, d’autres ne bougent pas dans l’attente qu’il se passe quelque chose. Entre fond et forme, je choisis de rester à ma place: j’observe et je n’ai nullement envie de me laisser manipuler par des effets de style plutôt vains alors que je suis matraqué en longueur de journée par la publicité et autres pressions médiatiques bien pensantes. Superamas, collectif composé de quatre jeunes hommes et quatre (très) belles filles entreprennent donc de nous aider à réfléchir sur les vanités de notre époque. Pour cela, ils jouent en play-back les dialogues débiles de séries américaines qu’ils répètent, entrecoupées d’un film où le psychiatre Boris Cyrulnik évoque le lien amoureux dans le couple, d’un feuilleton sur la tournée américaine du collectif pris dans les filets d’une secte, d’un texte de Jacques Derrida. Ce zapping vise à brouiller les pistes (où sont le réel, la fiction, le médiatique, le théâtre?), à mettre en réseau des champs artistiques habituellement cloisonnés.

Mais Superamas se piège lui-même: pour dénoncer la perte du sens de nos sociétés marketing, il utilise les mêmes ficelles qui justement nous le font perdre! Big 3rd episode propose une belle scénographie qui fait écran (c’est le moins que l’on puisse dire) à une réflexion globale sur la place de l’art dans un monde globalisé, en perte de repères idéologiques, où la philosophie ne sert même plus à élever les consciences. En ouvrant pour multiplier les angles de vue, Superamas pense que  le spectateur peut tisser lui même les liens porteurs de sens. Outre le fait qu’il surestime nos capacités de reliance dès que nous sommes happés par des jolies formes (sic), il suggère peu pour dépasser le paraître et la vacuité de l’esthétique. À eux seuls, Cyrulnik et Derrida n’ont jamais fait une oeuvre d’art, même reliés dans un réseau créatif!
Il ne suffit donc pas de dénoncer joliment, encore faut-il créer ces sublimes transpositions qui font parler d’elles, au-delà du Festival d’Avignon.

Pascal Bély
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Big 3rd episode de Superamas a été joué le 20 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES

Le corps à vif de Julie Guibert.

A 11h40, dans le jardin de la vierge du lycée Saint-Joseph, la danseuse Julie Guibert provoque la sidération. Le Sujet à vif, manifestation chorégraphique au coeur du Festival d’Avignon, sauve ainsi sa piteuse programmation. Remarquée dans la dernière création de Christian Rizzo à Montpellier Danse, « B.c, Janvier 1545, Fontainebleau », Julie Guibert propose un solo, Devant l’arrière pays du chorégraphe belge Stijn Celis. Avec l’allure d’une danseuse classique, elle opère sa mue tel un manifeste féministe au pays des machos. C’est impressionnant de précisions comme si tout était préparé avec minutie pour ne pas laisser d’espace à la prise de pouvoir d’un autre. Chaque geste est habité jusqu’au bout, chaque transformation endossée avec grâce et disgrâce. Julie Guibert danse pour assumer haut et fort (elle crie sans faire de bruit) son changement.
La danse trouve sa force provocatrice, sa raison d’être alors qu’elle est quasiment absente du Festival d’Avignon. Elle surgit avec l’énergie du rock, avec la détermination d’un chorégraphe décidé à donner à cette artiste hors du commun, le meilleur de son art. Je ressens la transmission de Stijn Celis comme si son parcours habitait le corps de Julie Guibert. Ces quarante minutes résonnent comme une ode au chaos créatif.
Devant l’arrière pays est déjà dedans pour n’être plus en dehors.

Pascal Bély
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Devant l’arrière pays de Stijn Celis a été joué le 21 juillet dans le cadre du “Sujet à vif” au Festival d’Avignon.

Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

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FESTIVAL D'AVIGNON

Avec “Machine sans cible”, la recherche décomplexée de Gildas Milin.

C’est un groupe de sept acteurs, circulant dans un environnement tout blanc, où sur les murs des photos et dessins de papillons sont posés telles des radiographies (de notre métamorphose en chenille?). À terre, des canettes de bière au graphisme papillonné forment une oeuvre d’art contemporain. Avec « Machine sans cible », l’auteur et metteur en scène Gildas Millin soumet sa troupe à une expérience grandeur nature devant un public dont on ne sait plus à la fin ce qu’il fait là… Il s’agit de disserter entre amis sur « l’amour et l’intelligence ». Magnifique trouvaille que celle de proposer au groupe une telle reliance : l’irrationnel à la pensée, l’individuel au collectif, le passionnel à la construction. Nous pourrions égrainer à l’infini les combinaisons possibles. Il n’y a donc rien d’étonnant à voir le groupe élaborer des stratégies d’évitement pour contourner la question (ils en font des tonnes et finissent par lasser un peu). Le leader se prend lui-même les pieds dans le tapis et même s’il paraît touchant de naïveté, on aurait préféré qu’il fasse preuve d’un peu plus d’intelligence dans sa manière d’accompagner l’équipe. Millin semble lui aussi contaminé par ces effets de scène plus proche du café théâtre qui n’apportent pas grand-chose, si ce n’est de remplir du vide.
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Il faut donc attendre (cela fait peut-être parti du processus) pour que les acteurs dévoilent leurs intentions. Inviduellement, ils tentent de répondre à la question et entrent quasiment tous dans un état de confusion où le bégaiement fait langage, où la transe communique sur l’émotionnel. Aucun n’est ridicule, mais Millin (présent sur scène) contrôle en positionnant les autres acteurs comme spectateur du solo. J’ai l’étrange sensation qu’il y a un écran entre nous et ce qui se joue. Alors bien sûr, la langue déconstruite de Millin n’est pas celle de Novarina. Il faut attendre que le corps parle pour prendre la mesure du chaos. C’est la talentueuse danseuse et comédienne Julia Cima (repéré aux Hivernales, chez Boris Charmatz) qui donne à son solo une puissance phénoménale : son corps traduit l’articulation entre « l’amour et l’intelligence ». Magnifique.
Malheureusement, la danse va progressivement s’effacer pour faire place nette au robot. Celui-ci pourrait-il réagir aux messages mentaux d’amour en modifiant sa trajectoire ? Le groupe tente l’expérience….à chacun de se faire sa réponse. L’irrationnel au coeur du rationnel méritait un texte plus travaillé plutôt que ce «n’importe quoi » censé être en soi un acte porteur de sens. Je m’ennuie ferme jusqu’à l’imprévu : la petite amie d’Adrien (joué par Milin) vient d’avoir un accident de voiture. Le groupe fuit, vers à l’hôpital. Seul, il danse, crie, proche de la folie et de la raison. C’est un très beau numéro d’acteur, mais qui n’ouvre pas comme si Gildas Milin se perdait dans son dispositif, dépassé par ce qu’il produit. Je reste en rase campagne, incapable d’applaudir cette performance d’acteurs, dépité face au résultat alors que « Machine sans cible » porte en elle les ressorts de l’intelligence. Au final, une oeuvre « ovni », expérimentale, assumée. Pas sûr d’y voir plus clair à l’heure où l’amour se débat dans une société numérisée, ipodée, portabilisée à outrance. On patine, mais reconnaissons à Gildas Milin de mettre en scène avec créativité ses recherches d’artistes. 

 

Pascal Bély
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Ps : on préfere « L’homme de février » programmé un peut partout en France et notament à la Scène Nationale de Cavaillon au cours de la saison 2007-2008.

« Machine sans cible »de Gildas Milin a été joué le le 17 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Au Festival d’Avignon, “L’échange” poussiereux de Julie Brochen.

Le Cloître des Célestins accueille Julie Brochen et son Théâtre de l’Aquarium pour « L’échange »  de Paul Claudel. Le décor fait de planches, de bidons, de tapis et de linges étendus sur une corde, évoque la précarité. En fond de scène, un étrange musicien (Fréderic Le Junter), crée un environnement sonore à partir d’instruments pour le moins originaux, tel un scaphandrier plongé dans les profondeurs obscures de la musique contemporaine. À lui seul, il va donner à cette pièce ennuyeuse les raisons qui justifient sa programmation dans le Festival d’Avignon. Car, pour le reste…
Deux couples (Marthe – Louis Laine / Thomas Pollock – Lechy Elbernon), socialement et culturellement différents, vont s’affronter lors de jeux de séduction et de pouvoir, où alliances et coalitions brouillent les cartes pour mieux les redistribuer. L’argent sert de monnaie d’échange pour posséder l’autre, mais conduit le quartet à sa perte. Nous sommes au coeur d’une tragédie jouée avec les rites d’un opéra à partir d’une mise en scène aussi lourde que le poids d’un secret. file-3955W.jpg
J’attends patiemment que la pièce se termine pour quitter au plus vite cet espace clostrophobique. Tout est incohérent : à l’intensité du drame, Julie Brochen y répond par une distance physique incompréhensible entre les acteurs (la scène est si longue que notre regard ne suffit même pas pour suivre les liens). Tout se joue aux extrémités du plateau, rarement au centre, d’où l’étrange sensation que l’oeuvre s’incarne « à la marge ».  Le Cloître est utilisé pour produire des effets « sensationnels » en totale contradiction avec le décor comme si Julie Brochen hésitait entre une scène de théâtre et l’espace d’un opéra ! Dans le rôle de Lechy, l’actrice Cecile Péricone habite laborieusement le rôle de la rivale réduite, par des effets de voix appuyés insupportables, à une méchante commère. Les autres rivalisent de gesticulations pour donner de la consistance, mais je les ressens vide de l’intérieur. Ce quartet ne fonctionne pas : je ne vois ni les couples, ni les amants. J’assiste à des chemins parallèles qui ne croisent jamais. Le tout est tellement à distance que mes affects le sont aussi, restreignant mon écoute aux mots de Claudel, noyés dans le jeu rigide des comédiens.
Le tout est figé, ampoulé, ennuyeux comme un repas dans une bonne famille bourgeoise. J’entends le travail de Julie Brochen, mais je ne trouve pas d’engagement chez les acteurs comme s’ils étaient à côté pour scruter les réactions du public à leur jeu égocentré.
« L’échange » s’avère être une pièce à sens unique. J’ai connu des théâtres plus circulaires.
Pascal Bély
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« L’échange » par Julie Brochen a été joué le 16 juillet dans le cadre du Festival d’Avignon.

 

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CONCERTS

En attendant Avignon, The Arcade Fire maintient le feu sous contrôle aux Nuits de Fourvière.

Il faut que je prenne l’air. Après le massacre de René Char par Fréderic Fisbach avec « Les feuillets d’Hypnos » au Festival d’Avignon, j’ai besoin de lâcher un peu. Une autre manifestation d’envergure, « Les nuits de Fourvière » à Lyon propose LE concert de l’année : le groupe « The Arcade Fire » revient enfin en France après l’annulation de sa tournée au printemps dernier. Plus de 4000 personnes prennent place dans les Arènes et forment un patchwork coloré magnifique. Je me sens un peu décalé, comme un expatrié. Je tente avec quelques voisins de les informer sur le Festival d’Avignon. Bide.
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La scène est immense. Plus rien à voir avec celle de Bruxelles ou de Nantes, où j’ai eu le privilège en 2005 d’assister à leur premier concert européen. Ils commençaient à faire la une des journaux et j’étais le spectateur attentif de leur ascension. J’aime ce groupe pour le pari qu’ils ont osé faire : donner au rock des airs symphoniques baroques à partir d’instruments insensés, appuyés par des arrangements chaotiques. « The Arcade Fire » est surtout un collectif habité par la scène : je ne me sens pas tout a fait dans un concert classique. Ils vont au-delà de la musique comme un comédien ou un danseur transcenderait les mots, le geste. Cette impression « cosmique », hors du temps, s’est renforcée avec leur dernier album, « Neon Bible ». Il y souffle une énergie étrange où leur musique est emprunt de religiosité conférant à l’ensemble une atmosphère hypnotique.
Pour l’heure, il faut garantir l’ambiance face à ce public hétérogène dont la majeure partie découvre pour la première fois ce groupe en concert, médiatisé par la presse culturelle. Après le premier titre (le magnifique « Haïti »), Regine Chassagne et le groupe surprennent en interprétant « poupée de cire, poupée de son ». La filiation à Gainsbourg est assumée. Légitime. Stupéfiant. Ennivrant. Ce sera la seule surprise de ce concert comme si Arcade Fire assurait ses acquis. Les chansons du premier album (« Funeral ») enfièvrent les Arènes tandis que l’atmosphère du second a du mal à se faire ressentir sur cette immense scène malgré la scénographie sophistiquée (trop peut-être, elle finit par perdre sa singularité dans cet espace). J’ai l’étrange impression qu’ils peinent à articuler ces deux opus : ils semblent manifestement ne pas être conçus pour être dans le même concert ! Le tout est saccadé et je ne retrouve plus l’originalité d’un groupe qui, chronomètre en main, assure les 90 minutes syndicales sans extrapoler en dehors de la scène (comme à Nantes ou nous avions terminé avec eux dans le bar du coin !).
Parce que ce concert est une pause pendant Avignon, il ne pouvait être une rupture dans mon cheminement. Je l’ai vu avec mon regard de festivalier. « The Arcade Fire » finira donc bien un jour par investir un théâtre où leur histoire sera leur plus belle mise en scène.

Pascal Bély.
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