J’ai beaucoup ri. Je ne suis pas le seul. Le public du Théâtre de Cavaillon se lâche (un peu) lors de la dernière création de la chorégraphe sud-africaine Robyn Orlin, « Dressed to kill…killed to dress ». En parodiant les talk-shows (la télé est décidément partout sur scène en ce moment!), nous sommes spectateurs d’un défilé de mode d’un genre un peu particulier, mélangeant « Swankas » (ouvriers zoulous) et danseurs.
Tout commence par un concours un peu bête où le public tire au sort un numéro qui voit l’heureux élu (quand ce n’est pas un usurpateur !) se prêter à un cérémonial à la fois touchant et très décalé. Habillés de costumes où pas un seul pli ne part de travers, hommes et femmes consentent à une gestuelle très précise visant à nous montrer l’harmonie des couleurs entre une cravate et une chaussette, une chemise et un pantalon, une bague et une broche. Ils sont neuf à jouer au « bling – bling » dont deux blancs en animateur et gentil organisateur, ou pour le dire autrement, en juges et parties ! Quelques vidéos des coulisses et du contexte des participants se projettent sur le mur, pour nous inviter à aller au-delà des apparences. Ce que je fais, non sans difficulté. Progressivement, je me sens perdu dans cette mise en scène où mon attention cède lors du défilé pour se noyer dans les images d’un pays que je connais si peu. Robyn Orlin réussit, comme à son habitude, à brouiller les cartes, en interpellant le public dans sa posture. Incontestablement, nous sommes blancs et le contraste est saisissant entre la scène et nous. Le pouvoir semble toujours du même côté. Cette gestuelle, minutieuse, devient danse à mesure que la tension monte dans la salle : oui, nous rions, comme à la foire.
Mais Robyn Orlin n’en reste pas là. Elle opère ce qu’elle sait faire : dépasser les barrières, créer le mélange des genres, sortir du blanc, du noir, pour l’Arc en Ciel, transformer un défilé vertical en fête populaire ! Les voilà donc qui reviennent, ensemble, mélangés, comme une société démocratique, à retourner leurs vêtements, pour leur faire changer de fonction (un pantalon se mue en veste !), où les accessoires (serre-tête, ceintures) deviennent essentiels. Les corps évoluent comme des fresques vivantes, se métamorphosent en toile du peintre, défilent comme la pellicule du cinéaste. L’Afrique du Sud est palette tandis que le public du Théâtre de Cavaillon reste blanc. Étrange contraste! Je m’autorise alors quelques rapprochements entre Robyn Orlin et nous, qui finissent par produire un rire crispé. Notre société Française est décidément peu métissée dans les lieux culturels (et ailleurs), Sarkozy est toujours un « Swanka » bling – bling raté tandis que sa femme endosse son costume de Président.
Mon pays, coincé dans son corps social, se croit beau à porter des habits qui sentent bon la naphtaline.
C’est la ch’ti attitude, paraît-il.
Pascal Bély
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??????« Dressed to kill…killed to dress »deRobyn Orlin a été joué le 31 mars 2008 au Théâtre de Cavaillon.
Emma Dante nous vient de Sicile et le Théâtre Universitaire Antoine Vitez d’Aix en Provence est quasiment complet pour deux pièces d’une heure chacune, surtitrées en dialecte parlemitain, « Mishelle di Sant’Oliva » et « Vita Mia ». Cette soirée autorise tous les liens entre ces deux chefs d’?uvre, comme si Emma Dante réparait avec un fil et une aiguille les cicatrices (familiales) d’une région, la Sicile, mais peut-être aussi celles des spectateurs d’autant plus que différentes générations composent ce public chaleureux.
« Mishelle di Sant’Oliva » met en scène deux hommes (un père et un fils) qui, dès la première image, rembobinent une pelote, métaphore d’un film familial en accéléré, d’un fil qui se tend et se détent et finit par céder. Dans « Vita Mia », c’est un lit que l’on tire, étire et c’est toute une famille (une mère et ses trois enfants) qui tangue entre la vie et la mort. La tension est permanente dans ce théâtre-là, ou le lien entre le spectateur et les personnages est comme un élastique, prêt à vous gifler chaque minute. Ce soir, Emma Dante créée entre la scène et nous, un espace métaphorique où nous pouvons jeter notre pelote et nous cacher sous le lit. Comme au temps de notre enfance où plier maladroitement le linge avec notre mère, et se planquer était des actes de résistance, une manière de jouer à la mort, à la vie. C’est dans cet espace que nous tissons une histoire avec le père, Gaetano, pour nous lier ensuite avec cette mère : dans les deux pièces, Emma Dante force notre écoute pour entendre toute la complexité du lien de filiation, d’un amour à mort. Elle nous offre deux faces d’une même médaille (le père, la mère) que nous ne cessons « habituellement » de retourner pour rechercher celle qui nous éclaire le plus loin.
Deux histoires où la vie et la mort s’entrechoquent, avec les masques de l’une pour vivre avec le déguisement de l’autre. Deux contes où le spectateur fait partie de la famille : d’un côté, français, nous reconnaissons Mishelle, ex-danseuse à l’Olympia de Paris, mariée à Gaetano, mais qui n’est jamais revenue un soir où elle partait « travailler ». Elle laisse en héritage les trottoirs de Palerme à Salvatore, fils unique dans son genre et travesti la nuit. De l’autre, nous sommes pris à témoin par une mère qui se plaint des comportements déviants de ces trois enfants. Elle finit, épuisée, par devoir choisir celui qui va mourir pour se coucher sur le lit de mort. Ce sera le plus jeune, Gaspare, fou de vélo et qui nous fait tourner la tête à force d’arpenter la scène. Dans ces deux pièces, l’histoire défile en accélérée où l’on joue à la mort pour vivre sa vie. Où le collier de la disparue et le vélo du jeune dernier se plient et se déplient pour entremêler la mort dans la vie. Où l’amour triomphe de tout pour éviter qu’un collier ne soit une corde pour se pendre, qu’un vélo ne soit un fauteuil d’handicapé de la vie pour ceux qui restent. Avec ces objets « flottants », Emma Dante joue avec les rites religieux pour les transcender. Elle donne aux spectateurs toutes les ficelles pour délier les n?uds formés par notre culture judéo-chrétienne. C’est sublime parce qu’elle passe par le corps. Son théâtre est chorégraphique comme si les mots ne suffisaient plus pour voir la vie par la mort, pour comprendre qu’un homme travesti n’a plus rien à cacher, qu’un fils mort peut faire revivre une mère en la délestant de sa robe noire pour une tenue de soirée rouge. Ce théâtre élargit tout ce que la religion réduit. Il redonne la vie aux morts pour s’en émanciper. Le dernier tableau, quasi mystique, provoque un silence religieux dans la salle : la mère est couchée, aux côtés de Gaspare sous un tissu blanc, pendant que les deux frères dorment sous le lit. Emu, je vois ce lit comme le divan. J’ai la pelote entre les mains.
Pascal Bély www.festivalier.net
??????“Mishelle di Sant’Oliva“et “Vita mia” d’Emma Dante ont été joués le 31 mars 2008 au Théâtre Antoine Vitez d’Aix en Provence.
Nos dirigeants semblent penser que l’éducation des jeunes français n’est pas une chose primordiale. Chaque année les moyens attribués par l’Etat à nos établissements sont plus faibles. Actuellement, devant la nécessité d’enseigner les matières obligatoires, dans des conditions toujours plus difficiles pour les enseignants comme pour les élèves, les moyens sont insuffisants pour maintenir les options facultatives dans notre lycée. Ainsi dans l’état actuel des choses la section facultative des arts plastiques, l’option théâtre, le russe et l’italien LV3 vont être supprimés à la rentrée prochaine. Nous avons réalisé deux vidéos qui doivent être diffusées le plus largement possible. Nous faisons appel à vous pour faire passer le message à tout votre carnet d’adresses. Il devient urgent que les français sachent dans quelle société ils vivent !
J’aurais tant aimé vous en dire du bien. J’aurais tant voulu quitter le Théâtre de Cavaillon, heureux, ému d’avoir retrouvé sur scène mes racines ouvrières, mon héritage familial et syndical. J’aurais pu vous écrire un joli petit papier sur « les vivants et les morts » de Julien Bouffier d’après le roman de Gérard Mordillat. J’aurais pu… Quatre heures, deux actes, dix comédiens (dont une journaliste vidéaste) et trois musiciens d’un groupe rock. Au final, je n’ai suivi qu’un acte, fatigué de ne voir que quelques acteurs, aux silhouettes projetées sur un écran en plexiglas, grâce à l’ingéniosité d’un dispositif vidéo qui diffuse différentes images superposées. La scène se limite aux quatre murs d’une usine de plastique vouée à la fermeture, transformable en appartement d’un jeune couple d’ouvriers, lui-même en crise économique et sentimentale. On passe de la cuisine à l’usine, du bureau du DRH au lit conjugal.
« Les vivants et les morts » raconte la bataille du pot de terre (les ouvriers) contre le pot de fer (le groupe allemand). Tous les ingrédients d’une (longue) saga populaire sont réunis: histoires intimes et lutte collective, combats entre les bons et les méchants, tractations entre traîtres et fidèles, fusions entre amis – amants, empoignades entre amis-ennemis. J’assiste quelque peu surpris au tournage d’une série télévisée d’access prime time ! Le plastique est partout : dans l’histoire, entre les artistes et le public. La mise en scène est lourde, dépendante de l’outil vidéo qui se doit de produire ses effets. Les acteurs jouent pour la caméra et non pour le théâtre. Les retombées sont dévastatrices : l’histoire prend le pas, tout devient linéaire et l’on passe de case en case ; il ne manque plus que les coupures publicitaires. Les comédiens ne sont jamais convaincants, échappés d’un plateau de télévision. Le rideau de plexiglas masque la pauvreté de l’adaptation et de la mise en scène. Seule la vidéo sauve cette entreprise théâtrale malheureuse. Le vernis de la modernité ne peut cacher la vieillesse des jeux d’acteurs et la chorégraphie (genre « comédie musicale ») d’Hélène Cathala. Pourquoi de tels choix ? Pourquoi renforcer l’aspect guimauve d’un récit qui aurait mérité plus de mordant et de vraies prises de risque dans la mise en scène ? En adoptant les techniques de la télévision, Julien Bouffier est en phase avec son époque. Il ne lui reste plus qu’à poursuivre son adaptation pour les “Zeniths” et autres « Palais des Congrès ». Le théâtre ne peut plus rien pour lui.
Pascal Bély www.festivalier.net
??????« Les vivants et les morts» par Julien Bouffier Philippe Jamet a été joué le 29 mars au Théâtre de Cavaillon.
Peut-on confier le corps à n’importe qui, pour n’importe quoi ? « Elephant people » de Renaud Cojo est une oeuvre encore inclasssable. La liste des co-producteurs qui défilent sur l’écran est impressionnante (collectivités territoriales, scènes nationales, ministère, théâtre national, Adami, …):
Comment expliquer cette union « sacrée » pour une ?uvre aussi tragique sur la perte du sens ? Est-ce cela que l’on nous promet pour « démocratiser » le spectacle vivant ? Et que penser de cette formule publicitaire idiote trouvée dans le programme du Théâtre du Merlan pour présenter le spectacle de ce soir :”…Allons à la rencontre du monstre, celui qui est en chacun de nous ! ” Mais pour quoi nous parle -t-on comme cela? À défaut de diffuser le travail des chorégraphes (ils ne sont sûrement pas assez marketing), il est plus rentable de promouvoir la « pluridisciplinarité », mélange d’un groupe rock (avec tubes à la clef pour vendre la bande-son à la sortie), de vidéo , de théâtre (avec texte poétique pour rassurer l’intello de « Télérama » et des « Inrocks »), d’une « star » déchue de la télé-réalité pour faire tendance (ici, Vincent Mc Doom, ex « célébrité » de TF1). Par paresse (sûrement calculée), Renaud Cojo plaque au monde contemporain (la télévision) un thème porteur, « les monstres », qui soulevaient les foules dans les foires d’antan. Dans le rôle de l’animateur « monstrueux », un clone de Jean-Luc Delarue fait défiler les « monstres » d’aujourd’hui si « chers » à son émission. Quelle trouvaille ! Le tout joué et filmé façon talk-show avec vue sur les coulisses. On agite le plateau comme une bouteille d’Orangina afin de créer du désordre, un zapping dilueur de sens où les comédiens ne sont que des pantins téléguidés. À ce rythme, nous n’avons plus qu’à nous laisser porter dans cette parodie où tout est si facile à décrypter (plus c’est gros, plus ça passe !). Le plateau, sans cesse manipulé, rarement transcendé, est ramené à la portion congrue, envahi par l’orchestre et les machines, ce qui a pour effet de réduire l’effort d’une mise en scène. Renaud Cojo s’évite tout propos politique, préférant le limiter au lien « coupable » que nous aurions à ces monstres exhibés en longueur de journée dans les émissions de télévision. C’est de la sociologie sur scène, là où on aimerait y voir de l’art. Cette production permet de multiplier les financements, de rassurer les mécènes sur ses aspects métaphoriques et divertissants. Elle est donc pour l’instant en phase avec son époque : tout dans l’apparence, si peu dans la construction d’une pensée. « Elephant people » est un spectacle « monstrueux » : que l’on ose appeler cela « théâtre » est une insulte à l’intelligence du spectateur. Je mets le cap sur le KunstenFestivalDesArts de Bruxelles en mai. Pour oublier tout cela. Et ranger définitivement « Elephant people » dans des bocaux de formol des laboratoires des programmateurs français qui courent après la modernité sans jamais la précéder.
Pascal Bély www.festivalier.net
??????« Elephant people» de Renaud Cojo a été joué le 28 mars 2008 au Théâtre du Merlan de Marseille. Préférons leKunstenFestivalDesArtsà Bruxelles du 9 au 31 mai 2007.
Depuis juillet dernier, la radio musicale de Radio France, FIP, est de retour à Marseille sur le 90.9. En octobre 2000, le sinistre PDG de l’époque, Jean-Marie Cavada, avait enlevé à ce joyau du service public plus de la moitié de ses émetteurs en France. Malgré la mobilisation sans précédent de ses auditeurs, FIP se repliait sur ses quatre fréquences restantes (Bordeaux, Paris, Nantes, Strasbourg). C’est donc avec une certaine émotion que je réponds à l’invitation de FIP de rencontrer son équipe lors d’un forum organisé par la FNAC. Une trentaine d’auditeurs dans la salle pour écouter les explications de Dominique Pensec, directrice. Mais c’est l’animatrice Isabelle Duthil Lafrance et le programmateur Armand Pirrone qui suscitent l’attention. Leur regard ne trompe pas : ils aiment leur radio et en porte les valeurs. Ce sont de beaux artisans du Service Public, ouverts vers les richesses de ce monde global, attentif à l’égard des auditeurs. À leur façon, ils participent à la modernité d’un service public que certains oiseaux de mauvais augure voudraient réduire à la sphère marchande. A la fois remparts et passerelles, ils contribuent depuis plus de trente ans, à pérenniser une radio unique au monde. On le sait peu, mais FIP concourt à la diversité musicale dans ce pays. C’est une radio de développement durable. Pour que la fête soit entière, FIP a offert aux auditeurs marseillais un concert gratuit au Dock des Suds dans le cadre du festival musical « Babel med music ». Trois artistes invités (la chanteuse vietnamienne Huong Thanh, l’Indienne Pura Fé et les Marseillais de Massilia Sound System), reflet de la richesse de la programmation de cette radio, ancrée dans le local pour embrasser le global, à l’image de la scène où nos deux animateurs symboliquement repliés dans un coin, protègent, observent et commentent pour la radio les prestations des artistes. C’est Huong Thanh qui ouvre la soirée et surprend la salle par sa musique et sa voix. La mondialisation des échanges nous permettra progressivement d’apprivoiser la complexité d’un chant que l’on pourrait comparer au jazz. FIP est donc là pour nous rappeler que nous n’en avons pas fini de découvrir ces nouveaux territoires musicaux. Quand arrive l’Amérindienne Pura Fé, nous sommes prêts à nous laisser guider par la puissance de sa voix, par l’ingéniosité d’une partition entre blues et pop. Elle est impressionnante dans son engagement vocal, mais aussi dans sa détermination à nous chanter un « Summertime » mixé, à l’image d’un monde ouvert qui ne renie pas les cultures locales. En écoutant Pura Fé, je repense au Thibet et à Éric Pachet, journaliste à FIP, qui lors de ses flashs horaires de deux minutes, nous a souvent interpellés sur la situation dans cette province, bien avant le tapage médiatique actuel. Car FIP informe aussi. Autrement. Ses flashs sont autant de notes dans la partition du monde musical d’Armand Pirrone.
«Cet enfant » de Joël Pommerat ne facilite pas l’écriture. Depuis mardi dernier, je remets au jour suivant ce que d’habitude j’honore le lendemain du spectacle. Depuis, l’?uvre s’éloigne peu à peu. Ma créativité est bloquée et la mise en scène de Joël Pommerat me rend mutique.
Je revois encore cet orchestre rock, derrière un rideau flouté, composé des comédiens (ce dont j’ignore tout au long de la représentation !). Cet écran de fumée, métaphore d’un f?tus, d’où jaillit une musique maladroite entre différents tableaux (souvent pas plus de dix minutes), où sont mises en scène et en lumière les réflexions d’habitants d’un quartier. Comme Ariane Mnouchkine dans « Les éphémères », Joël Pommerat fait résonner la parole de ceux que l’on n’entend jamais. Ici, ils nous parlent de filiation, ce lien si complexe. Cette ?uvre est un « accouchement » de mots, de plaintes et de colères. Par le texte et les mouvements des acteurs, il souligne l’urgence d’écouter ces femmes et ces hommes qui souffrent dans leur fonction parentale. Il nous donne à voir cette France où tout semble décalé (des parents qui positionnent leur progéniture en adulte, un intergénarionnel bousculé par la crise économique). Nous sommes propulsés à la frontière de l’intime et du social, de l’individuel et du collectif. Joël Pommerat joue avec cette confusion, accentuée par cet orchestre qui n’est ni dedans, ni dehors, à l’image d’un pays qui feint d’ignorer la crise que traverse les familles tout en ne cessant d’en promouvoir les valeurs de solidarité à longueur de discours médiatiques et politiques. Quelque que soit son âge,« L’enfant » par Joël Pommerat, , ne sait plus où il doit aller. Les valeurs censées le guider sont un recyclage usé de principes judéo-chrétiens. J’observe la scène de loin comme si j’étais aussi derrière un rideau. C’est beau et lourd à la fois, comme à la fin d’une séance chez le thérapeute.
Aujourd’hui, je ne suis l’enfant de personne. Je n’ai plus envie d’en parler.
Pascal Bély. www.festivalier.net
??????“Cet enfant” de Joël Pommerat a été joué le 18 mars 2008 au Théâtre de Cavaillon.
Assis au premier rang, nous sommes quatre à ne plus pouvoir nous lever. Éblouis par ce que vient de nous offrir Pippo Delbono. Apeuré et curieux de revenir vers vous, chers lecteurs, après cette épopée imaginaire entre la vie et la mort. Comment vous décrire ce que me fait cet homme à chacune de ses créations? Comment évoquer « ma plus belle histoire d’amour » théâtrale? Barbara aurait-elle traversé le plateau ce soir du Théâtre du Merlan, robe noire sur décor à fond blanc, pour nous chanter « la mort » dont le refrain me revient comme une invitation à unir ces deux artistes?
« Qui est cette femme qui marche dans les rues,
Où va-t-elle, Dans la nuit brouillard où souffle un hiver glacé, Que fait-elle? Cachée par un grand foulard de soie, À peine si l’on aperçoit la forme de son visage, La ville est un désert blanc, Qu’elle traverse comme une ombre, Irréelle,»
Pippo Delbono serait-il lié à Barbara ? Elle chante, il danse. Elle clame le «sid’amour à mort», il convoque sur scène sa troupe pour «Questo Buio Feroce», fresque théâtrale inspirée du roman de Harold Brodkey, écrivain américain mort du sida. Dans mon imaginaire, elle lui chante «Mes hommes». Ce soir, il l’a rejoint, en dansant sur Aznavour,
«Emmenez-moi au bout de la terre Emmenez-moi au pays des merveilles Il me semble que la misère Serait moins pénible au soleil»
Pippo Delbono signe là sa plus belle oeuvre. Est-ce la dernière? «Questo Buio Feroce» serait-il le prologue de ses «Récits de juin» présentés au Festival d’Avignon en 2006 pour nous transmettre son patrimoine de l’humanité ? Je fais donc parti du voyage, entre obscurité et lumière, de l’épilogue au prologue. Il m’en coûte d’avoir mal aux yeux face à ce décor tout blanc. Mal au coeur, quand un homme très amaigri se lève puis se couche avec son masque de beauté. Ils défilent tous, éclopés, exclus, qui attendent leur tour, celui de baisser la garde, pour y aller.
Enfin.
Je les reconnais tous. Je m’accroche à mon siège pour ne pas chialer. Tel un thérapeute, Pippo est là, en coulisse, devant, en arrière pour nous soutenir et nous donner la bonne distance. C’est ainsi qu’il nous offre «My way», la «plus belle chanson du monde», chanté par cet homme beau et maigre comme un arbre prêt à refleurir en bouquet de roses rouges. Avec Pippo, la mort est un chemin qui se fait en marchant… C’est alors que ce blanc immaculé se teinte des couleurs de toute une vie, d’ombres et de lumières, d’histoires de sexe et de drogues, de contes et de légendes, de chansons et de danses. Pippo convoque notre imaginaire pour stimuler notre regard d’enfant, pour lâcher prise.
Enfin.
Avec Pippo, entre vie et mort, c’est la Dolce Vita où nos utopies et nos rêves les plus fous sont parés des plus beaux costumes d’un carnaval venitien, où nous jouons à cache-cache avec la mort. C’est sublime.
Il faut y aller. Elle attend, avec toute la force d’un groupe décidé à en découdre. Qu’importe ! Nous sommes au théâtre, espace de l’immortalité. Elle n’a plus qu’à reculer. L’artiste choisit, déterminé. Pippo danse, se couche religieusement puis se relève. Plus de masque, il offre son corps à la danse, à cet art de l’éphémère, pour devenir un ange.
Enfin.
“Dis quand reviendras-tu?”
Pascal Bély, Le Tadorne.
Certainement que tout va me sembler fade après «Questo Buio Feroce» de Pippo Delbono, moment intime où se lie le fantasmagorique et le réel.
Même si le déclic de cette oeuvre est la lecture d’un livre de Harold Brodkey, la place que tient la vie du metteur en scène dans ce spectacle est tout simplement grandiose. J’avoue avoir peur à l’idée qu’il pourrait s’agir de sa dernière création tant son imaginaire est mis à nu.
Comme avec tous ses spectacles, Pippo nous convie à partager un moment. On ne sait pas jusqu’où il nous emmène, peut-être au pays des merveilles, où tout ce qui peuple sa vie habite la nôtre.
C’est sur le plateau baigné d’une blancheur immaculée que l’humain va se succéder, faible et vil, capable du pire comme du meilleur.
Des scènes de torture en tant de guerre, de l’appel de numéro au guichet de la mort (nous sommes peu de choses !), de la maladie qui nous frappe tous, des contes qui baignent notre enfance où l’on s’identifie au héros ou à l’héroïne, nous sommes tous avides de pouvoir, si petit soit-il, afin de vivre le mieux possible dans cette jungle.
Mais lorsque, touchés par le sceau de la mort (« Me vois-tu ? Je disparais »), nous devons faire face à l’irréversible, alors nous nous retranchons dans notre monde où l’on espère trouver des merveilles.
Pippo Delbono, le bienfaiteur, dévoile, dissèque, expose l’abject comme le subtil sous mes yeux remplis de larmes.
« La Rabbia » et « Questo Buio Feroce » programmés dans le même temps par le Théâtre du Merlan est d’une coordination parfaite avec un fil conducteur : trouver sa force pour avancer.
Pippo a trouvé la sienne, c’est sa danse majestueuse. Laurent Bourbousson.
« Questo Buio Feroce » de Pippo Delbono a été jouée à la Scène Nationale du Merlan les 14 mars 2008.
“On ne peut pas rester insensible au théâtre de Pippo Delbono, ce metteur en scène est un génie.” C’est l’affirmation que j’ai réussi à formuler vingt quatre-heures après avoir vu « La Rabbia ».
Vingt quatre-heures, c’est long mais nécessaire. Plongé dans le mutisme le plus complet à la fin de la représentation, le silence et les images ont été mes seuls compagnons. “La Rabbia” (rage en français) bouleverse, émeut, fait rire, met le doigt là où ça fait mal : en résumé, elle remue les tripes.
“La vérité n’est pas dans un seul rêve, mais dans de nombreux rêves“. C’est avec cette phrase que Pippo Delbono nous entraîne dans son sillage où l’on croisera Pasolini, Rimbaud, Genet et Charlie Chaplin.
Entre l’onirisme et la réalité, la cruauté et la bonté, le beau et le laid, le chaud et le froid, je me laisse ensevelir, engluer dans ces contradictions.
Du personnage “enfantin” de Charlot au “Dictateur”, des séances de torture à Rafaella Carrà, de l’amour au déchirement, de la vie à la mort, Pippo Delbono sert toutes les dimensions du mot “rabbia” à travers ses souvenirs.
La rage est une canne sur laquelle on s’appuie tous. Que l’on soit bon ou mauvais, elle fait son chemin, se découvre cruauté ou bonté.
La voix de Pippo résonne à coup de “Dis-moi que tu m’aimes, dis-moi que tu m’aimes, dis-moi que tu m’aimes, dis-moi que tu m’aimeras pour toujours“. Mais il n’y a pas que cela, il sait “les noms des responsables du massacre de Milan du 12 décembre 1969“, et surtout que “derrière les nuages, il y a le soleil“.
Le soleil brille quand il est question de mimer des chansons des années 60, des chanteurs à la mode de l’époque.
Cette rage de vivre qu’a Pippo, donnée au public comme un cadeau universel, est belle.
Parce que vivre est un ensemble d’antagonismes que nous côtoyons, nous finirons tous avec nos petits anges et trouverons le salut auquel nous avons droit.
Laurent Bourbousson – www.festivalier.net
“La rabbia” de Pippo Delbono a été jouée à la Scène Nationale du Merlan les 11 et 12 mars 2008.
La chanteuse Claire Diterzi investit pour la deuxième fois la Scène Nationale de Cavaillon. À l'automne dernier, elle y était en résidence pour préparer son spectacle. Son album ?Tableau de chasse?, sorti en début d'année, est une traversée féerique au milieu d'?uvres d'art, repérées ici ou là dans les musées (de Rodin à Fragonard en passant par Allen Jones). Ce concert, très attendu, renouvelle le genre et ouvre la musique vers la vidéo où fusionne l'?uvre d'art avec l'univers loufoque et tourmenté de Claire Diterzi. Habillé en peau de vache (!), elle débarque sur scène, déterminée à en découdre, entourée de deux superbes choristes échappées d’un gospel, d'une bassiste au regard transperçant, d'une violoniste rêveuse et d'un batteur, icône d'une publicité de Jean-Paul Gaultier. Ensemble, ils forment un aréopage de féministes avec la ferme intention de moderniser un musée archéologique! Si les guitares sont brandies comme des phallus triomphants chez les hommes, elles sont ici des instruments portées comme des bijoux, à l'image d'une musique qui brille par son ingéniosité et ses sonorités inattendues.
Nous sommes dans une Scène Nationale et Claire Diterzi regrette l'apathie d’un public bien callé sur son fauteuil. Elle n'a peur de rien quand elle nous apostrophe à la limite de l'insulte. ?Cavaillon, vous êtes mous!? dit-elle, droit dans les yeux.
Sauf votre respect Claire, je suis au théâtre?Et il me plaît de ne pas me trémousser devant vous. Bien au contraire. Je vous ressens comédienne chez Martial Di Fonzo Bo quand vous faîtes la ?bimbo?, chanteuse et danseuse provocante chez Alain Buffard lorsque vous dansez lumineuse dans ce décor tout blanc, choriste bulgare quand vous le suppliez de pouvoir ?garder le chien? après la rupture. Claire, il me plaît de vous voir au Théâtre, dans votre décor en carton-pâte meublé de canapés Ikéa et d'une table restée trop longtemps au grenier. Car vous dépoussiérez tout sur votre passage même quand vous imitez la ?vieille chanteuse? pour en faire la ?Nouvelle Star? de M6! Je suis heureux d'être avec vous, dans ce théâtre, lieu du rassemblement où ?la musique adoucit les m?urs?. Vous nous faites un bien fou quand vous titillez notre oreille avec cette voix dont on se demande si elle ne vient pas des profondeurs de notre imaginaire! Car je vous vois même en profiter, lors des ?repas de famille?, pour monter sur la table et chanter les secrets enfouis sous des tonnes d'album photos jaunies. Claire, gardez-vous d'investir les Zenith ou d'autres salles aux relents de tabac froid. Faîtes comme Barbara, chantez ?Oh! Mes théâtres!? et vous verrez, nous serons ?votre plus belle histoire d'amour?, votre plus beau ?tableau de chasse?. Nous sommes si doux. Comme des agneaux.
Pascal Bély www.festivalier.net
Claire Diterzi en concert au Théâtre de Cavaillon le 7 mars 2008.