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Sidi Larbi Cherkaoui, appellation d’origine contrôlée.

Les chorégraphes belges font maintenant partie de la famille des amateurs de danse contemporaine. On reconnaît leur démarche, leur posture, leur engagement à nous accompagner dans la postmodernité. Nous avons confiance en eux depuis le temps qu’ils bouleversent notre regard sur le monde et nos habitudes de spectateur. Les Belges sont de notre époque et portent les nouveaux paradigmes.

Sidi Larbi Cherkaoui est de ceux-là. Avec « Origine », il poursuit le travail de son collègue Koen Augustijnen qui avec « Import / Export » nous gratifiait déjà l’an dernier d’une vision pour le moins percutante de la mondialisation. Ici aussi, l’orchestre joue une place prépondérante, une musique en toile de fond qui soutient le mouvement des danseurs. Pour cela, il convoque des femmes, poètes religieux du VIIIème et  XIIème siècle (l’Allemande Hildegarde de Bigen et l’Irakienne Rabi’a al-Adawiya) accompagnées de chants traditionnels maronites et Syriens. Pour reprendre les propos du sociologue Michel Maffesoli dans son dernier ouvrage, ( « Iconologies. Nos idol@tries postmodernes » chez Albin Michel) on aurait aimé qu’« Origine » « réordonne l’avenir à partir du passé, et ce, en s’appuyant sur une pensée du
présent
 ». Or, si l’impression immédiate d’après-spectacle est positive, l’?uvre ne résiste pas à une mise à distance.

 

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=xCmVtEl-hRg&w=425&h=355]

Ils sont quatre danseurs, symboles de la diversité culturelle, habités par différents personnages que l’on pourrait rencontrer aux quatre coins de la planète. Souvent seuls,  emprisonnés dans leur précarré, sans lien social, enfermés dans le couple, violentés par des systèmes totalitaires, métamorphosés par les coups de bistouri du commerce du corps, tout y passe. Les allers-retours entre l’intime, la relation, le contexte global sont incessants et confèrent à la chorégraphie de Sidi Larbi Cherkaoui une impression de mouvement, comme des effets d’images du logiciel Google Earth. Le décor compartimenté trouve ses ouvertures par des jeux d’ombres et de  lumières qui se prolongent dans des espaces imaginaires. Comme dans « VSPRS » d’Alain Platel, les chanteuses rejoignent les danseurs pour y insuffler de la compassion, une enveloppe d’empathie. Tout est lié et le corps dansé est le vecteur de ces emboîtements,  où la relation de couple entre en résonance avec la mondialisation des échanges des biens et des personnes.

Mais à trop vouloir dénoncer ce que finalement nous savons déjà, Cherkaoui trébuche lorsqu’un homme, debout sur une carte routière en papier, se voit envahi par des poubelles. Ce n’est pas le propos qui est en cause, mais la forme. Le trait, grossi, fait sourire face à tant de naïveté artistique !  « Origine » surprend après coup : Sidi Larbi Cherkoaui perçoit la mondialisation avec une approche très linéaire et réductrice. Il grossit différentes cases « locales » pour qu’un effet de loupe suffise à donner les propriétés du « global ». Il multiplie les éclairages, mais n’illumine plus, comme s’il ne pouvait restituer sur scène la complexité du monde. Sa pensée d’aujourd’hui s’appuie sur une mythologie passée qu’il peine à actualiser pour appréhender les enjeux. Il ne surprend plus. On applaudit, car « Origine » rassure dans nos inquiétudes, mais c’est un  beau sur-place. Pendant ce temps, d’autres artistes guident les spectateurs vers de nouveaux espaces pour penser autrement les changements d’échelle.

La danse de Sidi Larbi Cherkaoui s’est soudainement standardisée. C’est un des effets de la mondialisation, mais ce n’est pas la mondialisation.

Pascal Bély.

 ?????? « Origine» de Sidi Larbi Cherkaoui a été joué au Théâtre de l’Olivier à Istres le 14 mai 2008.


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Quelques artistes Belges sur le Tadorne:
Sidi Larbi Cherkaoui avec “
Zero Degrees
Alain Platel et “
VSPRS“.
Import Export” de Koen Augustijnen.
Anne Teresa de Keersmaeker, « Steve Reich Evening »

Johanne Saunier et Jim Claybourg avec Erase-E (X) parts 1,2,3,4,5,6“.
Isabelle Soupart avec “
K.O.D” et “In the wind of time


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Christian Ubl : bravo, :) , !

Entre
eux et nous, ce fut un bel échange. Musclé, sincère, créatif et pour tout dire ressourçant. Eux, c’est le chorégraphe Christian Ubl, la danseuse Marion Mangin et le musicien Fabrice
Cattalano
, interprètes de « Klap ! Klap ! ».  Nous, c’est le public, assis dans la salle du 3bisF, lieu d’art contemporain de l’hôpital psychiatrique
d’Aix en Provence. Une heure pour interroger le sens des applaudissements, ce bruit qui résonne pour chacun d’entre nous, cette arme de destruction massive et passive, ce geste d’amour, cet acte
politique.
Entre nous, il y a tant à dire!  D’autant plus que nous avons changé. Nous ne sommes plus ce public uniforme et docile dont certains programmateurs rêvent encore.  Entre sphère réelle et internet, notre identité est multiple, nos attentes et nos désirs naviguent en permanence entre besoin de divertissement sécurisé (« ne pas se prendre la tête ») et recherche de sens (« sortir du quotidien »). Quant aux artistes, ils ne cessent d’interroger leur art, de s’ouvrir, d’introspecter de nouveaux champs pour créer de nouvelles formes. Jamais une profession n’a autant évolué que celle-là, où la relation avec le public est un centre de «gravité ».

« Klap ! Klap ! » est donc une ?uvre qui questionne notre lien avec les artistes, avec humour, créativité, délicatesse et profondeur. Pour cela, Christian Ubl pose un cadre contenant, jamais disqualifiant, qui autorise la parole, sans masque et avec respect. L’outil vidéo, subtilement utilisé, est ce miroir réfléchissant, cette glace sans tain, cet espace introspectif. Le son des applaudissements se fond dans une musique assourdissante, qui met en tension cette relation d’habitude si « molle », si convenue. Les corps  dansés traduisent la nature de cette interaction où le bruit de nos mains nourrit le déséquilibre, la prise de pouvoir, la manipulation de l’artiste, devenu un jouet le temps d’un salut final. Et l’on rit de voir cette relation aussi fade, quand viennent les applaudissements, au moment où notre époque développe des formes de communication de plus en plus circulaires.
Christian Ubl interroge, expurge sa peur, met en scène le sens de l’hystérie de ces applaudissements; il inclut le public dans le « jeu », lui signifie la signification de ses postures (même les plus passives dans un gradin !). Il nous interpelle sur la fonction de ces battements de mains qui deviennent, comme le statut de l’artiste, « objet » de convoitise d’une société qui place le divertissement bien au dessus de l’art (il suffit pour s’en convaincre d’observer l’attitude des spectateurs dans « Le grand journal » de Canal Plus où le corps n’est qu’une machine à ovationner au service d’une vision marchande de la culture, d’une approche descendante de la démocratie).
À mesure que « Klap ! Klap ! » avance, nous voilà donc liés, eux et nous, pour redonner une dimension nouvelle à ce geste, pour le complexifier, l’inclure dans une posture politique (quitte à enfiler des gants en latex et se protéger des propositions artistiques salissantes !). Avec Christian Ubl, applaudir devient un beau geste chorégraphique.
C’est un générique de cinéma qui clôt ce spectacle percutant. À mesure que défilent les noms, un entre-deux se met en place, un espace où le spectateur prend le temps de réfléchir sur le sens qu’il va donner à ses applaudissements. Et je me surprends à battre mes mains autrement, à leur faire jouer une musique différente, tout en me questionnant sur ce geste paradoxal dans le contexte de « Klap ! Klap ! ».
Mes mains n’expulsent plus, elles incluent.
Avec Christian Ubl, le spectateur est un artiste en devenir.

Pascal Bély

?????? «Klap! Klap!» de Christian Ubl a été joué le 16 mai 2008 au 3bisF d’Aix en Provence.
Crédit photo: © Matthieu Barret

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Christian Ubl sur le Tadorne, ;(
« ErsatZtrip »




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Au KunstenFestivalDesArts, « Appuyons sur la touche étoilée » de Rimini Protokoll.

Alors que beaucoup d’entre nous vont au bureau pour s’en échapper le soir venu et courir au théâtre, le KunstenFestivalDesArts de Bruxelles inverse les prémices.  Le spectateur est invité à pointer pour 14 heures dans un immeuble, par une douce chaleur printanière. L’hôtesse me guide vers le bureau 408. Le décor est tristement banal (canapé, ordinateur, photo au mur) et je me ressens piégé comme un animal en cage. Soudain, le téléphone sonne. Personne. Je m’assois. Cinq minutes interminables passent. Je scrute le plafond à la recherche d’une caméra de surveillance. Paranoid park ? Une nouvelle sonnerie. Je décroche. « Sarasi, de la société ESCON à Calcutta, enchantée.. ». Elle travaille dans un centre d’appel. Elle commercialise des portables pour la « middle class » en Australie. Considéré comme des comédiens par le collectif d’artistes berlinois « Rimini Protokoll », elle joue le scénario qu’on a écrit pour elle. Vendre du théâtre ou un téléphone est un jeu pour cette jeune Indienne.

Qui n’a pas rêvé d’humaniser la relation avec le technicien d’une hotline d’Orange ou de Free basé au Maroc au moment où nous sommes pris d’angoisse alors qu’Internet bugue ? Qui n’a pas ressenti ce malaise de parler avec un Tunisien qu’on imagine incompétent parce qu’il manque d’empathie face à votre détresse d’Occidental matérialiste ? Le théâtre peut-il humaniser cette relation, mettre du rêve, de l’imaginaire dans une globalisation réduite à la sphère marchande et que nous percevons de plus en plus comme un espace contraint ? « On peut se tutoyer ? »…  « Qui es-tu ? »…« Parle-moi de toi ? » «Es-tu célibataire ? Marié ? ». Je suis sur la défensive à force d’entendre dans les médias que l’Inde est un pays émergent. Je prends l’échange de haut. Le jeu de rôles, ça me connaît…on ne me le fait pas. Je provoque pour choquer volontairement cette professionnelle de la manipulation, qui n’a pas la même culture que moi. Je résiste. Le théâtre n’est pas une marchandise qu’on ne peut standardiser. J’ai peur. Je suis décidé à imposer mon tempo. Sauf que la bouloire sur la petite table se met en marche alors que je n’ai rien demandé. Elle m’incite à m’asseoir sur le canapé pour me détendre avec un thé dont l’odeur évoque l’Inde.

S’ensuit un dialogue surréaliste sur les plus beaux moments de ma vie, sur mes regrets, mes désirs. De l’imprimante, sort une photo d’elle et de sa famille, une enceinte diffuse un bruit de vent. Elle actionne le rêve depuis Calcutta. Je baisse la garde et me laisse doucement porter par cette inconnue qui veut scénariser des bribes de mon existence, m’invite à goûter son pays tout en mâchant un bonbon caché sous le clavier, à ressentir ce petit vent venu d’Inde alors qu’un minuscule ventilateur se met en marche sous l’écran. Elle m’évoque son ami, son désir d’enfants, sa famille, sa paresse au travail. Je vis en direct l’ambiance de son bureau où les applaudissements (comme au théâtre !) ponctuent le brouhaha dès que quelqu’un de l’équipe réussit une vente. Un théâtre de Guignols se crée petit à petit dans nos bureaux respectifs. Entre intimité et globalisation, une relation artistique émerge. D’un monde où s’empilent des pyramides, nous inventons un interstice fait de passerelles ! Un nouvel espace théâtral s’immisce sur la toile internet alors que son visage apparaît à l’écran de l’ordinateur (je ne peux en dire plus). Je m’émerveille face à cette créativité qui nous relie, elle et moi, elle et le KunstenFestivalDesArts de Bruxelles. Je rêve de cette mondialisation qui n’a pas fini de nous faire découvrir ce que nous ne soupçonnons pas encore. Je comprends que tout va aller très vite dans ce monde ouvert et que notre posture de spectateur depuis peu habitué au théâtre de rue et aux performances,  se déploiera sur cette toile qu’on aurait tort de prendre seulement pour un espace majoritairement marchand.Le spectacle vivant a toute sa place pour insuffler de l’imaginaire dans ces nouveaux territoires.

Poussons les murs. Pas n’importe comment, ni avec n’importe qui. Inventons d’autres formes loin des standards des marchands. « Call cutta in a box » peut laisser un drôle de goût : celui d’une démarche expérimentale où le théâtre est gadgétisé et le spectateur manipulé. Mais reconnaissons que cela aide à réfléchir.

« Maintenant, vous pouvez raccrocher ».

Pascal Bély

www.festivalier.net

A lire aussi le compte-rendu de Peggy Corlin sur Rue.89

?????? «Call Cutta in a box” par Haug, Kaegi et Wettzel / Rimini Protokoll est joué jusqu’au 31 mai 2008 à Bruxelles dans le cadre du KunstenFestivalDesArts.
 

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Stefan Kaegi  sur le Tadorne avec « Mnemoark » au Festival d’Avignon en 2006

 

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Au KunstenFestivalsDesArts, la danse détachée d’Aydin Teker.

Le KunstenFestivalDesArts offre à Aydin Teker, chorégraphe d’Istanbul, l’un des plus beaux lieux culturels de Bruxelles, « Les Brigittines », vieille église transformée en salle de spectacle. Mais cet espace surprenant où passé et présent s’accolent ne peut sauver « Hars », rencontre entre une harpe et une danseuse, pièce décidément trop décalée avec le projet du Festival « au sein duquel des artistes partagent leur vision personnelle du monde avec des spectateurs prêts à remettre en question et élargir leur champ de perspectives ». 

Il faut attendre les dernières minutes pour ressentir la poésie d’une telle union (prévisible), lorsque l’artiste entre dans l’instrument. La voilà sirène et nous naviguons avec elle en mer instable. Tout aurait pu d’ailleurs commencer ainsi. Mais pour en arriver là, la danseuse (et harpiste) Ayse Orhon prend possession de l’objet, non pour y créer un espace de créativité, mais pour s’y imposer par la force. Elle en oublie qu’elle danse avec un instrument jusqu’à jouer quelques games approximatives qui se noient dans une partition non écrite pour elles. Etonant. C’est conceptuel, dénudé, froid et pour dire dépassé alors qu’à notre époque, les objets perdent dans l’espace artistique, leurs propriétés fonctionnelles. Ce n’est pas tant le lien mécanique entre la harpe et l’artiste qui nous intéresserait que la compréhension d’un tel processus. Que se joue-t-il quand l’homme entre en symbiose avec l’objet ? Et si la harpe était métaphore du portable, de l’Ipod, autant d’objets « fusionnels » ?  À aucun moment, « Hars » ne donne des clefs, mais se contente d’un espace où le vivant domine la matière.

À l’heure où l’objet s’inscrit dans des interstices dématérialisées, le Kunsten aurait pu nous offrir un spectacle pour  comprendre les ressorts de ces nouveaux attachements. Au lieu de cela, nous en sommes restés à la femme – objet.

Déroutant.

Pascal Bély – www.festivalier.net


?????? “Hars” de Haydin Teker a été joué le 11 mai dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

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?L’apocalypse now? de Kris Verdonck au KuntenFestivalDesArts.

Le metteur en scène et plasticien Kris Verdonck inaugure la 13ème édition du  KunstenFestivalDesArts, avec « End », ?uvre plastico-théâtrale autour de l’apocalypse. On ne ressort pas tout à fait indemne de cette immersion, d’un tel tremblement de terre.

Pour incarner ce cataclysme, Kris Verdonck crée un espace entre théâtre et installation pour y convoquer cinq personnages sur fond de nuages sombres. La neige noire qui tombe sur le plateau évoque tout à la fois Hiroshima et la pollution industrielle de nos villes. Une boucle incessante se met en place avec, dans le rôle principal, un messager enfermé dans une cage de verre qui traverse inlassablement la scène tout en récitant des dépêches d’actualités glanées sur internet, et dont le mouvement est accompagné d’un bruit de moteur. Autour de lui,  un homme tiré en arrière par un élastique tente d’avancer péniblement tandis qu’un autre, tel un OVNI, vole dans le ciel. Une femme marche en désarticulant son corps (performance subjuguante) alors qu’une autre traîne un cadavre dans une housse, tandis que le feu brûle une partie du sol. Pour accentuer ce contexte terrifiant, une machine déverse de ses hauts parleurs, des bruits et une musique quasi militaire. L’angoisse est décuplée quand le public découvre cet homme qui tombe du ciel pour se fracasser sur le sol, se relever puis retomber quelques instants plus tard. Le cycle dure ainsi pendant quatre-vingt-dix minutes. Comment ne pas ressentir dans une telle atmosphère, une métaphore des attentats du 11 septembre et plus généralement le dérèglement global d’une nature épuisée, qui rompt les amarres ? À croire que la machine d’Heiner Goebbels dans « Stifters Dinge » (présentée elle aussi au Kunsten) a explosé en vol, ne laissant derrière elle qu’un paysage de désolation, peuplé d’hommes robotisés qui auraient voulu la dompter.

Les lumières, l’environnement sonore et le déplacement des acteurs créent une atmosphère lancinante, répétitive, avec deux temps de la narration qui se téléscopent. L’un mécanique où ce défilé hypnotise : « End » tourne en boucle comme les dépêches qui se succèdent en bas de l’image de CNN. L’autre temps, plus abstrait, permet au spectateur de relier les personnages, de créer sa propre histoire, d’introspecter son rapport à un art si complexe. C’est la confrontation de ces deux espaces qui nous met en tension jusqu’à créer l’articulation entre la « mécanique » de la narration d’une catastrophe et la poésie des personnages, héros d’un conte, d’une mythologie. Kris Verdonk réussit l’imaginable : il statufie la fin de l’histoire et son théâtre anime ce qui est terminé. C’est la puissance de ce paradoxe qui nous plonge dans un niveau d’abstraction et nous permet de nous projeter dans l’apocalypse. Quelle prouesse de rendre cette fin inéluctable si proche tout en la maintenant dans un ailleurs !

« End » est un tableau magnifique, poétique, angoissant sur la fin programmée de l’humanité, où les bribes d’images que nous avalons quotidiennement formeront tôt ou tard un ensemble que nous n’aurons pas l’occasion de voir.

Pour autant, tout m’autorise à vous l’écrire : « j’y étais ».

Pascal Bély.


?????? End” de Kris Verdonck a été joué le 9 mai 2008 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

 

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Kris Verdonck sur le Tadorne:


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«Je tremble» (1), fresque impressionniste, par Joël Pommerat.

J’ai rendez-vous avec lui, avec eux. Je les reconnais quasiment tous depuis notre dernière rencontre mémorable lors du Festival d’Avignon en 2006. Lui, c’est Joël Pommerat, metteur en scène. Eux, de la compagnie Louis Brouillard, c’est peut-être vous, c’est sûrement une partie de moi, c’est à coup sûr un fragment animé de notre lien social. C’est une troupe de comédiens qui jouent avec nos maux, nos parts d’ombres et de lumières, pour remettre en mouvement ce que nous figeons, faute d’espace et de liens. « Je tremble » (1) m’essore, me plie et me déplie, comme un processus d’inclusion et d’exclusion permanent.

Cela n’échappe plus à personne. Le politique se fond dans la société du spectacle. Encore une fois au cours de cette saison théâtrale, un animateur (télévisé ?) ouvre le bal sur fond de rideau pailleté. Sur un ton décomplexé et détaché, il nous annonce qu’il va mourir ce soir, sous nos yeux. Puis se met à danser sur « Sex bomb ». Nous voilà donc positionnés en voyeur d’une tragédie humaine que nous feignons tous d’ignorer à force de fusionner le lien social dans le lien économique et médiatique. Joël Pommerat pose d’emblée le contexte  en insinuant, « regardez ce que nous avons fait de notre vivre ensemble ». Il accentue le malaise quand une jeune femme s’approche du micro pour hurler son besoin vital de rêver, de se projeter, de faire appel à son imaginaire. Elle finit par dénoncer le silence des intellectuels et des politiques.

S’ensuit alors une succession de tableaux qui en disent long sur la déliquécense du lien social. Joël Pommerat allume les projecteurs, les éteint puis remet la lumière là où nous aurions bien remis une couche de paillettes. Avec empathie, il nous montre une souffrance à la fois intime et sociétale, loin du misérabilisme marchand de nos médias et de l’humanisme calculé de nos politiques. Ce modèle que nous co-construisons depuis une vingtaine d’années fait souffrir parce que nous ignorons « le vivre ensemble », nous enfermons l’autre dans une lecture comportementaliste, nous marchandons notre corps, nous censurons l’utopie. Il ressent notre impuissance alors que nous sommes habités d’intentions honorables (issus des idéaux de mai 68) mais qui ne peuvent plus rien face à ce modèle économique destructeur du lien social groupal. La force de Joël Pommerat est d’offrir un bel espace à l’expression de cette souffrance tout en suggérant, par sa mise en mouvement des mots et des corps, que nous pourrions imaginer un autre futur en nous appuyant sur le collectif comme force transcendante. Il positionne constamment le spectateur dans un dedans – dehors troublant, entre introspection, interpellation, mise à distance, dans un mouvement perpétuel entre le « moi » et le « nous », propice  pour inventer nos utopies.

« Je tremble » (1) est la magnifique fresque d’un homme profondément à notre écoute. Joël Pommerat est un clinicien du sociétal, un peintre impressionniste d’une société déprimée. S’immerger dans son espace nécessite d’avoir confiance en lui. A lui aussi de croire en nous pour sortir ensemble de ce cauchemar.

Pascal Bély. www.festivalier.net

 “Je tremble” (1) de Joël Pommerat a été joué le 6 mai 2008 au Théâtre du Merlan de Marseille.

“Je tremble” (2) sera joué au Festival d’Avignon en juillet 2008 et présenté au Théâtre du Merlan au cours de la saison 2008 – 2009.

 

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Sylvain Groud bataille à mains nues.

C’est une « bataille intime » entre le sage et le fou, la pulsion de vie et de mort, le chorégraphe (Sylvian Groud) et le comédien (Brunon Bayeux), avec pour seules armes, le corps du danseur et les mots de l’écrivain Roland Topor. On pourrait y retrouver tous les éléments de la guerre de tranchées qui a occupé les partisans du théâtre avec ou sans texte lors du Festival d’Avignon en 2005 !

 

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=sg_ttQ0K8t4&w=425&h=355]

Trente-cinq minutes d’un combat plaisant à regarder, d’autant plus si l’on est intérieurement apaisé. C’est par la petite porte que l’on entre dans l’intimité de cet homme « dédoublé »: à le voir sentir ses vêtements au réveil, on ressent d’emblée une affinité avec cet « autre » si près du « je » ! S’ensuit une bataille joliment rangée, à l’image d’un « je » d’enfant, entre l’ordre et le désordre, l’audace et la peur, l’amour et la haine de soi. Il faut du temps à Sylvain Groud pour introduire la souffrance dans ce duo gentiment orchestré. J’attends Roland Topor pour être traversé.

C’est alors que la tension dramatique augmente, où les corps et les mots forment la sculpture étonnante d’une souffrance  sans fard et pourtant pudique. C’est peut-être cela, l’empathie dans l’art. En changeant d’échelle, la danse se fait englobante et donne aux mots de Topor un espace résonant. Et l’on se surprend à aimer cet homme qui nous promet de « faire attention » la prochaine fois, à affectionner cette danse humaniste parce qu’elle relie là où il y a clivage.

L’écrivain, le danseur et le comédien forment alors ce trio courageux dont on attendrait l’impossible, celui de mettre fin à la folie réductrice des hommes.

Pascal Bély

www.festivalier.net

 

  ?????? « Bataille intime» de Sylvain Groud a été joué le 5 mai 2008 au Pavillon Noir d’Aix en Provence.


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Sylvain Groud sur le Tadorne par Elsa Gomis au Festival Men’s alors!

Sur un théme similaire, à lire sur le Tadorne:
SX.Rx.rx” de Patricia Allio
Psychiatrie / Déconniatrie” de Serge Valetti.



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Avec Bertolt Brecht, le blogueur se dédouble.

Pour cette soirée Brecht à la Minoterie de Marseille, Guy, blogueur d’ « Un soir ou un autre » a fait escale à Marseille après son voyage à Lisbonne. Nous étions deux oiseaux migrateurs à nous poser dans ce joli théâtre. Le canard Tadorne avait enfin de la compagnie…

Merci au Tadorne, c’est un animal d’une espèce très sociable, qui vous accueille volontiers sur ses territoires, qu’ils soient virtuels, ou bien terrestres. Comme ce soir à la Joliette, pour une fois l’air de Marseille y flotte aussi doux qu’à Lisbonne. Le long du port ont été abattus les taudis, et des tours surgissent de terre. La Minoterie résiste à la démolition pour perpétuer ici une mémoire de pierre, de bois aux couleurs chaudes et de théâtre populaire. Un lieu, forcement, pour jouer Brecht.

Comme son titre ne l’indique pas, « La bonne âme du Se-Tchouan » est une pièce écrite en Finlande par un écrivain allemand en partance pour Hollywood. Et les chinois ont ce soir un accent provençal prononcé. On en conclut que la fable racontée ici a valeur universelle. Qu’en tous temps il est tout sauf évident de choisir entre le bien et le mal, lorsque l’on est d’abord contraint par la misère. Confrontée à ce problème, Shen Tsé, pauvre prostituée au bon c?ur que les Dieux ont soudain gratifié d’un joli pécule, a trouvé une stratégie. Pour garder les moyens de faire un peu de bien, elle se dédouble en un cousin aussi imaginaire qu’impitoyables en affaires. Et lui cède la place, quand il s’agit d’assumer de dures positions à l’encontre de tous les miséreux qui s’abattent sur ses dollars comme une nuée de sauterelles.

Ce dédoublement de personnalité, source d’inépuisables rebondissements, en évoque un autre: celui qui affecte le Maître Puntila du même Brecht. Le meilleur des hommes quand il est ivre, le pire des patrons quand il est à jeun. Dans les deux pièces la leçon est la même: impossible de concilier morale humaine et propriété privée.

Mais la comparaison entre la version qu’Omar Porras avait donné de Puntilla en janvier dernier au théâtre de la ville, et la Belle Ame que l’on voit ce soir, embarrasse.

Toute l’énergie semble ici se disperser dans les transformations successives du décor, un superbe ensemble de palissades de bois que les acteurs ré-agencent en de nouvelles combinaisons scène après scène. On est vite étourdi par cet incessant jeu de construction, sans réussir à comprendre ce qui est mis en place. Alors même que quelque chose ne semble pas décoller suffisament, dans l’interprétation. C’est que le catéchisme social du lauréat du prix Staline 1955 se fait pesant à la longue, il aurait fallu mettre en jeu beaucoup (et à la fois) de folie et de précision pour le faire passer en force. Et réussir un équilibre plutôt antinomique entre empathie et cynisme. Mais ici on décroche. Distancié pour de bon, trés loin. Et toujours le décor n’en finit pas de se transformer, en vain, fait écran. L’encombrement de l’espace visuel nous épuise les yeux, au détriment du reste. L’affaire dure quand même deux heures trente, et on sent le Tadorne -qui pourtant a couru de bien plus longs marathons- piquer du nez à nos cotés. Réveillé par des interludes dissonants façon Kurt Weill, joliment soufflés par un trio de cuivres (il faut bien un peu meubler pendant que les palissades sont démontées). On est surpris de sentir soulagé à la dernière scène, alors seulement quand le plateau est nu et l’esprit dégagé.

On se lève, et -surprise ?- c’est à la pause que le meilleur théâtre fait irruption. D’un coup le Tadorne est bien reveillé. On lui rend la parole.

Guy. Un soir ou un autre

Je n’ai même pas le temps d’applaudir. La troupe démonte le décor, le plie, le case, le reconstruit. En un tour de magie (celui du théâtre !), les comédiens tombent leurs tuniques chinoises pour se vêtir de costumes de mariages. Alors que des salariés du Théâtre de la Minoterie apportent quelques friandises (savoureux sushis et autres combinaisons de fruits), nous voilà projetés dans l’opulence des bourgeois. Les artistes s’approchent pour nous parler et nous inclure dans un jeu de rôles étonnant où l’on couve le spectateur pour éviter qu’il ne se tire après les deux premières heures (décevantes) de la « Bonne ame du Se-Tchouan ». Le moment est délicieux, comme suspendu entre fiction et réalité. Après un quart d’heure, nous devons  redescendre sur la terre brechtienne pour « La noce chez les petits bourgeois ». Le théâtre n’attend pas.

La table du banquet de mariage est immense. Seraient-ils treize que cela ne m’étonnerait pas. Les insultes volent haut et bas, tout dépend d’où l’on regarde. Les costumes en couleurs forment une mosaïque d’humeurs où je me surprends à faire des combinaisons parfois hilarantes pour ne pas perdre le sens. Cette pièce, écrite par Brecht avant l’arrivée du nazisme, transpire la déchéance à l’image de ces meubles de salon qui s’émiettent comme autant de valeurs qui finissent sous le tapis une fois fait le ménage des convenances.

Je ris, mais le niveau de tension est paradoxalement assez bas et la mise en scène de Haïm Menahem met à distance le contexte de l’époque. Il n’en profite d’ailleurs pas pour actualiser le propos, préférant s’en tenir aux bruits, à la fureur, aux corps désarticulés comme langage d’un groupe social à la dérive. Certes, mais le tout me paraît distancié à l’image de cette table qui nous éloigne, comme si Haïm Menahem semblait gêné par toute cette opulence de mots et de corps et pour tout dire un peu dépassé par le chaos généré par sa mise en scène. Cette frénésie qui n’autorise aucun temps mort ouvre le champ aux comédiens pour déployer leur talent quitte à laisser le public sur le côté. Étrange paradoxe que d’assister à ce mariage en lointain spectateur.

J’aurais bien aimé que l’on ne m’enlève pas le pain de la bouche.


Pascal Bély – www.festivalier.net

  ?????? La bonne âme du Se-Tchouan” et “La noce chez les petits bourgeois”  de Bertold Brecht, mise en scène par Haïm Menahem au Théâtre de la Minoterie de Marseille jusqu’au 17 mai 2008.

 

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Et vive le théâtre italien! A lire l’
article sur la dernière création de Pippo Delbono.


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EN COURS DE REFORMATAGE

« Gaff Aff » de Martin Zimmerman et Dimitri de Perrot nous cartonne.

Ainsi va le monde. À toute vitesse. Sur  la platine d’un tourne-disque, l’homme moderne court après la montre, tourne autour de lui-même, attaché – case à la main, à l’image d’un doudou tenu en laisse, sous les impulsions d’un DJ. Ainsi va le monde, au rythme du marché, où tout n’est que carton, matière manipulable et si fragile.

Martin Zimmerman, chorégraphe et artiste de cirque, créé avec le musicien Dimitri de Perrot, « Gaff Aff », spectacle atypique, attachant, même s’il ne tient pas toutes ses promesses. Cet homme moderne prend un peu trop de temps à se montrer intelligent. Pendant trente minutes, il n’est pas très futé, souvent maladroit, parfois grossier à la limite de la Bigard’attitude. Le public s’amuse, colle au propos et applaudit les prouesses. La performance engloutit par moments le sens sous des tonnes de galipettes. Il est sur la corde raide. Nous aussi. Comme par un effet miroir, j’ai du mal à rire de nous. Bien joué ! Alors, j’attends qu’il finisse de tourner, de se payer notre poire. Le décor est fait de cartons, sorte de pâtes à modeler de nos désirs uniformisés par le marché. Tout à la fois immense et minuscule, il multiplie les angles de vues où je me perds, entre réseau virtuel et réalité mécanique, où l’on change de disque à toute vitesse, à la recherche de fantasmes jamais comblés. Ce plateau devient alors un jeu d’enfant pour le spectateur qui peut, à sa guise, laisser son imaginaire déambuler sur les sillons d’une mise en espace ingénieuse et futile. Je reste fasciné par la créativité de ces deux interprètes qui, avec trois morceaux de cartons, réinvente un monde désenchanté avec un corps désarticulé et de la musique mosaïque. Magie de l’art. Toute puissance et impuissance de l’artiste en situation de précarité.
Il y a chez Martin Zimmerman, un côté un peu vieillot, entre Charlin Chaplin et Jacques Tati. Ce décalage entre notre époque et le jeu de l’acteur agace et attire, mais qu’importe, je suis au cirque, entre trapèze illusoire, sauts redondants et clown fatigué. Le nouveau monde épuise, clone à l’infini, fusionne individu et entreprise pour former un homme symbiotique qui répète à défaut d’innover. J’ai la tête qui tourne et je m’engouffre dans la relation entre le danseur et le DJ, entre l’art et l’homme moderne !

Il faut attendre un ciel étoilé projeté sur des murs de carton pour rêver un peu. Pour imaginer un autre monde et jouer au chat et à la souris à l’heure où les écrans plasmas et les téléphones portables sont en veille. Mais tout va si vite. Au temps de l’internet, la nuit du poète se raccourcit. Revoilà notre homme à prendre frénétiquement une chaise pour la femme de sa vie. À trop défoncer les murs de sa prison pensés par TF1 et construits par Ikéa, il ne lui reste plus qu’à éteindre la lumière et à nous laisser, seul, inventer de nouveaux espaces. « Don’t Worry, be happy » résonne dans le théâtre. Un peu facile, mais tellement rassurant dans ce monde en carton pâte.

Sous les pavés en mousse d’Ikéa, réinventons nos utopies…

Pascal Bély – www.festivalier.net

 


?????? « Gaff Aff” de Martin Zimmermann et de Dimitri de Perrot a été joué au Théatre du Merlan à Marseille le 26 avril 2008.


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EN COURS DE REFORMATAGE

A Aix en Provence, j’enterre «Peeping Tom».

 

Avec « Le sous-sol », le collectif Belge « Peeping Tom » s’incruste dans la terne programmation du Pavillon Noir, Centre Chorégraphique National d’Aix en Provence. Avec ce partenariat, « Les amis du Théâtre Populaire » auraient pu réussir l’exploit de bouleverser les lignes droites, de bouger les espaces bien définis de ce Centre qui protège son précarré, comme les Chinois surveillent leur flamme olympique. J’avais acheté mes billets à la FNAC où il était indiqué « 19h30 ». Mais « le spectacle commence à 20h30 » me dit avec dédain, l’ouvreur du Pavillon. Certes, mais le « 3bisF », lieu d’Art Contemporain situé à quelques centaines de mètres, programme à 21h, la Compagnie NÖ (une danse à partie d’un diptyque de cordes). Je comptais m’y rendre. Ce que j’avais cru comme une coordination entre les trois structures, n’en ai finalement pas une. Le modèle concurrentiel fait rage, même dans une toute petite ville de 140 000 habitants. Ces ?uvres auraient pu entrer en résonance à partir de passerelles qui suscitent l’imagination du spectateur et des artistes. Par paresse, on continue d’ériger des murs.
J’attends pendant près d’une heure. L’ouvreur pose sur les tables du bar, le journal culturel gratuit « Zibeline ». C’est tout de même étrange : une institution distribue un média dont le rôle serait précisément de dénoncer les aberrations citées plus haut ! Mais « Zibeline » est un « partenaire média » du Pavillon Noir. La boucle est bouclée. Dans ce contexte de filiation, où est la liberté de la presse ? Journalistes et structures culturelles sont quasiment consanguins. Toute proportion gardée, je repense aux leçons de démocratie que nous donnons à la Chine…
Je lis donc l’interview de « Zibeline » avec Sophie Joissains, 9ème adjointe à la Culture de la Mairie UMP d’Aix en Provence. Elle a appris la politique sous les jupes « panthérisées » de sa mère, magistrat de la ville depuis 2001. La République bananière n’est pas bien loin. Et qu’affirme-t-elle alors que débute son mandat ?
« La culture est sans doute un des domaines où les affaires sont le moins « politisées », c’est-à-dire partisanes. Les différences entre les politiques culturelles des villes ne correspondent pas aux couleurs politiques des mairies. Parfois, mais pas constamment, la gauche à tendance à saupoudrer les subventions, à confondre l’associatif social et le culturel, voire à faire du clientélisme – mais aucun parti n’est à l’abri de ces pratiques. Je reste attaché à une politique culturelle de projets, avec des normes de qualité visant à l’excellence, qui n’oublie pas de toucher un public large en gardant une politique tarifaire basse comme le Grand Théâtre de Provence ou le Pavillon Noir… ».
Traduisons : la culture n’est pas politique sauf avec la gauche. Quant à la droite, le langage du management des services fait office de pensée politique ! « Zibeline » retranscrit tels quels les propos sans chercher leur sens caché ! Qu’entend Mme Joissains par « normes », par « qualité » ? Que peut bien vouloir dire « politique culturelle de projets », si ce n’est d’encourager les acteurs à entrer en concurrence ? Qu’est-ce donc « l’excellence » appliquée à l’art ? C’est terrifiant. Voilà une jeune adjointe qui nous promet de gérer la culture comme elle le ferait avec un réseau de transport en commun ! Qu’elle ne s’inquiète pas trop : le Pavillon Noir semble déjà être un pôle d’excellence…

 

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C’est avec ces mots que j’entre dans le théâtre pour «Le sous-sol ». Me voilà six pieds sous terre. Ouf, je quitte le monde « normalisé » de l’UMP ! La scène, recouverte de terre, voit déambuler des morts-vivants où la notion d’âge n’a plus d’importance. Les ancêtres, aussi célèbres soient-ils, côtoient les anonymes sans passé, ni futur. Les vieux copulent longuement avec les jeunes. Les corps s’enlacent comme des vers de terre. Mais l’ensemble est lourd comme de la terre sous les pieds qui empêche d’avancer ! Il n’y a rien de nouveau et c’est ennuyeux. Si le contexte change, Peeping Tom n’invente rien. Les êtres s’articulent avec un modèle (la provocation, l’obscénité) qui fatigue à force de ne pas se renouveler. La danse se fait « boue » là où j’aurais aimé qu’elle soit langage ! Le sous-sol ne fait ni rêver, ni peur, car il ne se passe rien de transcendant. Je me surprends à regarder vers le haut du décor où un homme immobile s’appuie contre son arbre. J’étouffe d’ennui avec cette terre qui recycle du déjà vu (la folie chez Alain Platel dans « VSPRS », la vieillesse « rajeunie » chez Pina Bausch avec « Kontakthof »). Il n’y a rien de scandaleux dans cette proposition. Les « normes de qualité » sont respectées et « Le sous-sol » est un « projet » qui s’inscrit dans le désir « d’excellence » de l’UMP. Le public d’Aix en Provence ne s’y trompe pas en applaudissant chaleureusement la troupe.
Je quitte le Pavillon Noir ; je fais des liens comme pour mieux résister à la norme. En rentrant chez moi, je glisse un DVD de la série « Six Feet Under ». Chef d’?uvre télévisé où une famille de croque-morts nous accompagne vers l’au-delà avec humour noir, émotions et rebondissements.
Excellent.

Pascal Bély

www.festivalier.net

 

?????? « Le sous-sol » de Peeping Tom  a été joué le 25 avril  2008 au Pavillon Noir d’Aix en Provence dans le cadre de la programmation des “Amis du Théâtre populaire”.


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