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EN COURS DE REFORMATAGE

A Uzès Danse, famous Alexandre Castres.

Quel bonheur d’avoir croisé le chemin d’Alexandre Castres, lors du Festival « Uzès Danse », avec sa création « Monsieur Zéro, famous when dead » créée dans le non moins select « Festival Temps Image » à La Ferme du Buisson !

Assis sur sa motte de terre, à pleurer son chien enterré, Monsieur Zéro cherche un projet pour nous proposer un spectacle. Il fouille, voit une idée germer, l’attrape et nous la formule : « je vais m’amuser à mourir ». Alliant vidéo-projections et mouvements, Olivier Castres nous emmène sur le terrain de la farce burlesque. Un parfum de Pippo Delbono flotte alors sur la scène…

Il saisit au bond toutes les facettes de l’absurde en nous comparant aux papillons, êtres éphémères qui peuplent nos jardins. Si notre fin est celle-ci, pourquoi se donner la mort ? En jouant différentes scènes de suicide, Alexandre Castres nous amuse et démontre l’absurdité de vouloir mettre fin à sa vie : « Même si la vie n’est pas drôle tous les jours, n’est-il pas bête de théâtraliser sa mort ? ». S’ôter la vie, même pour participer à un jeu de téléréalité intitulé « Night Shot » avec pour générique « Personal Jesus » des Depeche Mode, chanté en personne par Alexandre Castres, reste incohérent !

C’est alors que résonne la musique du film « Eyes Wide Shut » et nous voilà confrontés à l’image du suicidé par asphyxie. Moment d’une poésie suprême durant lequel l’homme se retrouve face à lui même, égoïste, s’ôtant le dernier souffle de vie en plongeant sa tête dans la terre comme pour s’enterrer et rester maître de son « après ».

Au travers de ses péripéties, Monsieur Zéro nous démontre que trop en faire en se donnant la mort empêche l’être de mourir proprement. Qu’allons-nous laisser alors comme image de notre personne ? Formulation absurde puisque si nous ne sommes plus, nous n’existons plus et notre image finit par s’effacer de la mémoire des connaissances.

Mais quand je n’existe plus, qu’est-ce qu’il advient pour mon être? Rien, le vide, le néant. Mais pourquoi ne plus vouloir être ? L’existence mène à la résistance. Résister à ne pas vouloir penser que l’on va oublier. Vivre.

Teinté de philosophie, le conte qu’Alexandre Castres nous a dévoilé est d’une poésie, d’une justesse absolue et aussi burlesque que notre vie. À travers ses yeux, je vois pointer une féroce envie de vivre et de rire aux éclats.

Alexandre Castres est un artiste en devenir.

À suivre de près, voire de très près.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

?????? « Monsieur Zéro, famous when dead » d’alexandre Castres a été joué le 18 juin 2008 dans le cadre du Festival Uzès Danse.

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EN COURS DE REFORMATAGE

Robin Decourcy, étonnant voyageur.


Le théâtre comme un refuge, une bulle pour s’arrêter. Net. Juste le désir d’une cassure. De rompre. Arrivés à la Friche Belle de Mai de Marseille, quelques minutes avant l’invitation de Robin Decourcy pour sa « Lettre au Mexique »,  nous sommes quelques-uns à caresser ce rêve de tout déposer, à l’image de ce spectateur assoupi dans un fauteuil de l’entrée. Une envie de confier à l’artiste la lourdeur de nos corps, pour tout lâcher. L’a-t-il prémédité pour avoir installé au premier rang quelques transats sur la scène? Aurait-il posé une oreille sur notre souffle coupé par la fatigue? Nous faisons face aux gradins vides. Timidement, il s’avance pour nous expliquer d’une voix hésitante le contexte de ce que nous allons entendre (des rushes sonores d’un voyage en Amérique Centrale). En nous souhaitant une belle « séance d’écoute », ses quelques mots résonnent dans une société atteinte de surdité. La lumière s’éteint.

Plongée en apnée : la respiration est haletante, j’entends des pas et le son coule sur moi, puis m’enveloppe. Rien n’arrête le voyage, car rien n’attache, tout me détache. Les amarres sont lâchées et je vois les gradins s’éloigner : le spectateur quitte son immobilité pour étirer son corps sur ce transat, élargir l’espace pour tout imaginer. Je divague. Il revient, torse nu. Son dos est une carte blanche, un territoire inexploré, à l’image d’une page où l’on poserait nos balises pour que tout soit possible. Il bouge lentement, se déforme puis disparaît. Le son s’amplifie pour ouvrir la scène. Les gradins, éclairés par l’arrière, prolongent le territoire de cette odyssée : tel un miroir réfléchissant, le spectateur se voit. La rangée de sièges vides devient par l’énergie de lampes de chevet, un espace cloisonné d’où j’observe la scène pour la première fois. Toutes ces petites cases font par la force du son, un territoire, celui du dépassement de soi.

Je (nous) vois assis, en face. Ce soir, nous sommes l’artiste de ce voyage où l’introspection est notre seul scénario. Notre bel homme n’hésite pas à s’asseoir, là où nous aurions dû être, entouré de ces deux lampes, comme s’il nous lisait le récit d’une vie. Mais nous n’entendons rien. Nous sommes déjà loin, dans un espace où je perds tout repère linéaire. Je navigue du global au local et me projette dans cet interstice où tous mes sens sont en éveil. De mon transat aux gradins, j’écoute, je m’écoute et ce sont ces allers-retours permanents qui font de « lettre au Mexique » une ?uvre rare, d’une intense fragilité, sensible au moindre mouvement du spectateur. Robin Decourcy n’impose rien, mais pose juste un cadre suffisamment flottant pour qu’un sentiment de très grande liberté m’habite, à l’image de la « machine » d’Heiner Goebbels présentée au  KunstenFestivalDesArts de Bruxelles  (« Stifters Dingue »).

 « Lettre au Mexique » est une ?uvre d’écoute active, une alchimie merveilleuse entre le son, le corps et l’espace.

Je n’en suis toujours pas revenu.

Pascal Bély www.festivalier.net

Lettre au Mexique”  de Robin Decourcy à la Friche Belle de Mai le 12 juin 2008 dans le cadre d’une fin de résidence à Euphonia.

  Photo: Robin Decourcy, 2006 photographie Vincent Leroux – http://www.tempsmachine.com/

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PETITE ENFANCE

“Pinocchio” par Joël Pommerat ou le parcours initiatique de la vie.

“Ce spectacle dénonce beaucoup de choses, notamment la justice et la société dans laquelle on vit.”  

Manon Bourbousson

Comment est le Pinocchio de Pommerat? À cette question, je serais tenté d’écrire: noir, très noir. Tant pas sa mise en scène, que par le sujet abordé, nous sommes loin des images édulcorées que tout un chacun a en sa mémoire d’un Pinocchio sorti d’une célèbre firme américaine. Ce conte vieux de 127 ans de Collodi nous projette dans ce que l’on peut appeler le parcours initiatique de cette marionnette devenu enfant.

Joël Pommerat prend appui sur ce récit pour expliquer aux enfants – car n’oublions pas qu’il s’agit d’un spectacle jeune public – la difficulté de devenir un être bon. Sa réécriture fait de notre Pinocchio un enfant contemporain, avec ses propres codes, son propre langage, dénonçant les travers de notre société. Et ils sont nombreux. Invités par une sorte de Monsieur Loyal, issu des cabarets, nous sommes entraînés dans ce récit à une vitesse folle.

C’est par une succession de tableaux et de noirs que Pommerat décide de nous dévoiler sa vision de notre monde et la difficulté de garder le cap pour être une personne respectable et respectée. La solitude qui ronge l’être (Gepetto se construit un fils pour ne plus être seul), la pauvreté (Gepetto qui ne peut lui offrir à manger), la banalisation du langage violent (un Pinocchio que l’on aimerait corriger tant les paroles envers son père sont blessantes), la société de l’image (que peut-on penser de moi si je n’ai rien de neuf), le sexe (les enfants sont confrontés au monde sexuel quotidiennement : dans la rue par les devantures des presses, à la télévision, sur internet), la naïveté des enfants face aux adultes (« viens, suis-moi, je t’emmène dans un lieu où tu joueras tout le temps »), la course à l’argent, l’oisiveté et les loisirs pour ne pas penser et réfléchir, le rejet des racines familiales pour briller en société (“je ne suis pas pauvre“), le racisme (combattre l’autre pour sauver une identité), la justice punitive à l’excès et l’imbécillité de l’humain. L’ensemble de ces tableaux compose le monde capitaliste et égoïste dans lequel nous vivons.

Fort heureusement, la fée veille sur Pinocchio pour lui faire entendre que l’on ne peut être si l’on n’est rien, que se mentir à soi-même à une limite, celle d’être toujours rattrapé par ce que nous fuyons. Être, verbe indispensable dans notre langage, est la déclaration de ce Pinocchio quand il renaît et devient le petit garçon pensant, réfléchi et réaliste.

J’aimerais être un de ces enfants découvrant ce spectacle pour déjouer les pièges que l’on me tend, grâce à cette belle leçon humaine.

Laurent Bourbousson.

Pinocchio” de Joël Pommerat a été joué le 28 mai 2008 au Théâtre des Salins de Martigues.

 

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EN COURS DE REFORMATAGE

Pour quoi le KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

Le KunstenFestivalDesArts de Bruxelles est LA manifestation culturelle la plus en avance sur son époque. C’est un subtil maillage entre performances, théâtres, danses, expositions si bien qu’à l’issue de vagabondages ici ou là, on en oublierait les formes pour n’en retenir que le sens. Au total, j’ai assisté à un tiers de la programmation, mais quelle excitation de s’ouvrir à tant d’artistes du monde entier ! Ils sont quelques-uns à  nous dire comment tourne notre planète et où nous allons. Le Kunsten nous guide pour changer de paradigme, pour réduire ces rationalités qui nous enferment afin d’éveiller notre imaginaire vers un futur de plus en plus proche.

« End » de Kris Verdonck ne dit rien d’autre quand il met en scène l’apocalypse pour nous inviter à interroger nos schémas répétitifs. Envoûtant. Toshiki Okada  avec « Freetime » a une nouvelle fois créé la surprise en démontrant comment nous pouvons devenir libres dans un contexte productiviste qui nous mène droit dans le mur. Beatriz Catani a étonné le public avec la lente agonie d’une blatte, métaphore de la fin d’une époque, où les individus réinventent leur vie pour se projeter autrement (délicieux passage où l’une des actrices ne veut employer que des verbes au futur !).

Où vont donc les nations dans un tel chaos ? Avec Amir Reza Koohestani, « Quartet : a journey to north » fut un moment théâtral délicat au c?ur d’un Iran déchiré entre modernité et religion. Sanglant. Michael Marmarinos avec « Dying as a contry » est resté englué dans une vision passéiste de la nation et n’a pas réussi à actualiser son propos à l’heure de la mondialisation. Pas plus d’ailleurs que la la chorégraphe turque Aydin Teker qui, avec « Hars », n’a pas compris les nouveaux liens entre l’homme et l’objet à partir d’un schéma franchement dépassé.

Mais pour changer, encore faut-il interroger notre rapport au savoir scientifique, à l’art théâtral. La performeuse américaine Rebekah Rousi a mis à mal notre désir de maîtriser les savoirs en nous proposant la plus longue présentation d’un PowerPoint du monde ! Au Kunsten, tout s’ouvre…La preuve ? Même un centre d’appel basé à Calcutta peut devenir avec le collectif Berlinois Rimini Protokoll un espace théâtral ; où quand la mondialisation crée de nouveaux territoires de l’imaginaire ! Dans le même mouvement d’ouverture, Heiner Goebbels avec « Stifters Dinge » nous a propulsés loin, très loin et si prés avec sa machine à réinventer le monde alors que les scientifiques affirment qu’il n’y a plus de territoires à découvrir ! Un pur chef d’?uvre.

Mais pour explorer ces espaces complexes de l’imaginaire, il convient de changer la relation entre l’artiste et le spectateur. Le japonais Zan Yamashita avec « It is written there » s’y est essayé en glissant entre lui et nous sa partition écrite chorégraphique, mais au final, nous avions l’impression de lire passivement un livre d’histoire. Dommage.

Pour aller sur la relation, le Kunsten nous a offert deux magnifiques espaces autour du dessin. Le premier avec Dan Perjovschi, dessinateur Roumain, présent dans la salle. Ses oeuvres poussent les murs, les frontières et remettent en mouvement ce que nous avons figé (l’idéal européen et la démocratie moderne sont ces thèmes de prédilection). Nous sommes au-delà de la caricature, au croisement de la poésie et des aspirations du citoyen déboussolé. Dan Perjovschi dessine nos désirs. C’est un artiste de l’utopie post-moderne. Fulgurant.

Avec l’artiste Valentine Kempynck, il faut accepter d’être soi-même le dessinateur. Dinant au restaurant du Kunsten où se côtoient acteurs, professionnels et public, un crayon tombe du plafond.  Instinctivement nous dessinons sur la table. Une jeune fille, habillée d’une robe tout en papier, incarne Celeste, prénom célèbre puisque domestique de Marcel Proust ! Elle tourne autour de nous, enlève les feuilles dessinées et les inclut dans un grand carnet à spirales qui sera suspendu dans l’entrée du bâtiment. Un cahier par jour de festival.

Koen est un jeune flamand. Il s’assoit face à nous et commence à nous dessiner. Celestin (un ami à moi) prend la pose inconsciemment. Koen l’interpelle : « C’est un dialogue ! ». Celestin s’empare de son crayon et à deux créent une belle ?uvre, en lien direct avec « End » de Kris Verdonck vu quelques heures auparavant:

En arrivant sur les lieux du Kunsten, le dessin de notre couple franco-néerlandais s’offre en premier au regard du spectateur. C’est cela la Belgique. C’est cela le Kunsten. Un festival de la métamorphose.

Pascal Bély

 

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Tous les articles du KunstenFestivalDesArts 2008:


??????
« Stifters Dinge » Heiner Goebbels
?????
Dan Perjovschi.

?????? « End » de Kris Verdonck
?????
« Freetime » de Toshiki Okada
??????  “Finales” de
Beatriz Catani
??????The longest lecture marathon” de
Rebekah Rousi

??????« Quartet : a journey to north » d’Amir Reza Koohestani.
??????
Call Cutta in a box” de Rimini Protokoll
??????
“Céleste” de Valentine Kempynck
??????
« It is written there » de Zan Yamashita

?????? « Hars » d’Aydin Teker
?????? 
« Dying as a contry » de Michael Marmarinos.



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La folie des grandeurs de Michael Marmarinos plombe le KunstenFestivalDesArts.

Dying as a country” de Michael Marmarinos est la super production du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles. Cent cinquante figurants à la fois sur scène, de l’entrée  à la sortie d’une grande salle, au c?ur d’une friche industrielle : voilà pour le décorum. La taille du plateau du Palais des Papes d’Avignon n’est rien à côté de cet espace mégalomaniaque et complètement inadapté au théâtre. Pour se rendre sur les gradins, le public double une longue file de figurants. Une fois assis et en attendant que tout le monde prenne place, nous subissons la logorrhée verbale d’une jeune comédienne prisonnière d’un petit carré dessiné sur scène. Un spectateur, excédé, hurle en quittant les lieux : « mais tu ne vas pas la fermer ! ». Ce cri de rage annonce le calvaire qui va suivre.

« Je meurs comme un pays » est un livre publié par Dimitris Dimitriadis en 1978 : il y décrit l’agonie d’une nation, en perte d’identité. Métaphore de la Grèce au temps de la dictature des colonels, ce texte universel pourrait s’appliquer à bien des Etats d’aujourd’hui. Michael Marmarinos le met en scène ou plutôt en espaces. Le spectateur doit sans cesse naviguer entre le texte mitraillé en sous-titrage, les écrans vidéo qui retransmettent les visages des figurants dans la file, le plateau découpé en plusieurs cases avec au fond, loin là-bas, une scène de théâtre. La nation, pour Marmarinos, c’est d’abord le nombre, le territoire, la file verticale. Sa mise en scène n’est pas sans rappeler la mégalomanie de certains dictateurs lors des défilés militaires. Il y a une volonté consciente d’impressionner le public, de le mettre en position passive où la forme envahit le fond. Les acteurs professionnels, noyés dans la masse, ne font que courir d’un bout à l’autre de l’espace en hurlant ce qui aurait dû être joué ! Tout n’est que distorsion, cloisonnement, envahissement. Ce n’est même plus du théâtre, mais de la mauvaise performance pour spectacle joué sur la pelouse d’un stade de football.

Dépassé par le « dispositif », le public assiste impuissant à cette interminable procession sans qu’une seule fois son imaginaire ne soit sollicité. Comme à chaque édition, le KunstenFestivalDesArts se perd souvent dans les grands espaces scéniques. L’équation binaire entre la taille et le territoire n’est-elle pas dans l’impasse ?

« Dying as a country » est un spectacle mort-né.

Pascal Bély


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 « Dying as a country » par Michael Marmarinos a été joué le 24 mai 2008 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.
Crédit photo:
© Alexandra Cool – Academie Anderlecht

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Au KunstenFestivalDesArts, Beatriz Catani cafarde.

Le petit théâtre L’L accueille le KunstenFestivalDesArts pour la pièce Argentine « Finales », de Beatriz Catani, . Pour prendre place, le public traverse la scène où sont déjà installés nos quatre protagonistes pour deux heures trente d’une épopée hallucinogène, poétique, chaotique à vous donner le mal de mer, où le réel est abstrait, l’imaginaire la réalité.

Tout commence avec une énorme blatte vivante qui fait son entrée sur scène, prête à enrayer la machine théâtrale. Une femme, la quarantaine, s’en approche et l’écrase délicatement avec un bout de papier. Tel un bibelot, elle la pose sur le rebord de la cheminée. Elle bouge encore. Souffre douleur, l’animal est symboliquement disséqué, prétexte pour interroger la mort, la fin, la disparition, le sens. Deux jeunes femmes et un homme accompagnent notre quadra dans cette veillée auprès de cet animal agonisant qui a survécu depuis la préhistoire, avec une belle endurance, à tant de métamorphoses . Elle est des notres en ces temps de réchauffement climatique pour son dernier show à Bruxelles, preuve s’il en est, que la capitale de la Belgique est le centre du monde.

Nos quatre acteurs vont tout oser pour décrire avec violence, tendresse, renoncement, avancement, la « fin » de tant d’histoires qu’elles finissent par nous étourdir. Nous sourions de nous entendre, de nous voir, lors de ruptures amoureuses, de conflits familiaux, où finalement nous passons le plus clair de notre temps à penser la fin comme un éternel recommencement. Ces quatre acteurs sont prodigieux dans leur engagement à ne jamais lâcher, même quand le pont ne mène nulle part, même lorsqu’on s’enferme dans un schéma répétitif, ou se cacher dans un placard est le seul refuge pour se protéger du regard de l’autre. Beatriz Catani donne à chaque interprète une profondeur psychologique étonnante, où le corps se débat en même temps que la blatte lutte contre la mort (les séances de masturbation collective ne sont pas qu’intellectuelles…). Ce n’est jamais caricatural parce que profondément humain. On est étonné de leur énergie à passer d’une histoire à l’autre sans que la mise en scène en souffre, comme s’il fallait ne rien perdre de ce temps suspendu où la blatte n’est pas encore morte. C’est dans cet interstice qu’ils repensent leur vie comme un long poème, quelquefois drôle, le plus souvent surréaliste. L’atmosphère est celle d’un rêve éveillé, d’un cauchemar où les personnages de notre existence se donnent rendez-vous pour revisiter nos névroses et régler quelques comptes ! Le plateau transpire comme lorsque nous luttons en pleine nuit. Nous pourrions tous nous incarner dans chacun d’eux, dans leur quête absolu de vouloir recommencer, de rechercher le sens là où il n’y ait pas a priori. On ne peut  toutefois s’empêcher de ressentir une Argentine qui souffre mais espère des jours meilleurs en puisant dans sa créativité les ressorts du renouveau.

« Finales » joue l’angoisse et en joue parfois un peu trop comme si Beatriz Catani ne pouvait freiner cette descente aux enfers (fallait-il faire si long ?) A la mort de la blatte , assis sur leur canapé à la regarder, la poésie s’invite à nouveau. Ils vont pouvoir imaginer l’ « après ». La lumière s’éteint. C’est fini.

Quand le théâtre se fait divan.

Pascal Bély

?????? Finales”  de Beatriz Catani a été joué le 25 mai 2008 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

  © Almudena Crespo – Academie Anderlecht

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Le théâtre Argentin sur Le Tadorne avec Ricardo Bartis.


 

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Au KunstenFestivalDesArts, Rebekah Rousi powerpointise, p, O, w, E, r, P, o, I, n, T, i, S, e?.

Mais jusqu’où peut bien nous emmener le KunstenFestivalDesArts de Bruxelles ? Après « Call cutta in a box » où, enfermé dans un bureau, je fus téléguidé en direct d’un centre d’appel Indien, je suis invité dans une université Bruxelloise pour assister à « la plus longue présentation PowerPoint du monde » par Rebekah Rousi, performer d’Adelaïde. Au total, 27 heures réparties sur trois jours (avec des plages horaires de 10h à 22h) pour l’un des grands moments du festival malgré un public clairsemé (le cours en anglais a dû en effrayer plus d’un et je me questionne sur l’absence des étudiants).

Habillée en maîtresse d’école ou en manager de chez l’Oréal (car elle le vaut bien !), Rebekah Rousi stupéfie son auditoire avec sa logorrhée verbale où les mots, les lettres du PowerPoint sont disséquées dans une rationalité poussée à l’extrême. Elle étire chaque phrase, chaque expression jusqu’à devoir entrer et sortir de la salle. Sa voix, prête à se briser, s’amplifie pour créer un contexte où l’absurdité devient une mélodie, une partition, un manifeste. Son cerveau fonctionne à plein régime, comme quand Google recherche des occurrences.

« Yes, yes, it issssssssss », « I’amm, I, A, M,. » « Ten, ..zero, one, two, three, ..”This is the point, I’m pointing to the point red. Red” sont des phrases cultes qui finissent par habituer le spectateur aux processus de déconstruction. Car, où allons-nous alors que nous sommes happés par ces mots, ces postures, ces torrents d’explications ? Que cherchons-nous ? Qu’il y a-t-il derrière ce désir d’assister à cette attraction de foire dans ce lieu d’éducation ? Il y a quelque chose de jouissif à voir la rationalité de l’enseignement poussé jusqu’?à son paroxysme. Tout questionne dans cette performance : notre passivité à rester là, malgré tout ; notre soumission aux mots, à l’explicatif même quand il n’y a plus rien à comprendre ; notre attitude de révérence quand nous entrons et sortons de la salle (je retrouve toute la gestuelle des élèves si respectueux de leur professeur !).

Rebekah Rousi décompose les mots pour recomposer une image, un mouvement, une sensation qui crée ces nouvelles voies pour apprendre et écouter la complexité. Avec force et empathie, elle nous guide vers le déconditionnement linguistique pour introduire d’autres constructions propices à penser à partir du sens. Avec obstination et talent, elle offre aux spectateurs, le cours qu’il leur manquait pour comprendre le langage artistique de ce KunstenFestivalDesArts décidément si postmoderne !

Pascal Bély

?????? The longest lecture marathon”  de Rebekah Rousia été joué les 23, 24 et 25 mai 2008 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

  © Almudena Crespo – Academie Anderlecht

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Au KunstenFestivalDesArts, Toshiki Okada en liberté conditionnelle.

Après le coup de foudre pour « Five days in march » présenté en 2007 au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles, le metteur en scène japonais Toshiki Okada et sa troupe de jeunes acteurs reviennent avec « Freetime ». Leur démarche corporelle, concentrée et légère, est à l’image de cette langue théâtrale qui plonge le public dans l’étonnement, le questionnement voire la sidération. L’expression mainte fois entendue, « entrer dans la pièce»,  prend un sens tout particulier ce soir à Bruxelles. Cette écriture est en émergence, qui loin d’être posée définitivement sur le papier, semble évoluer en fonction du regard du spectateur. Ici, le plus petit mouvement du corps, la plus infime variation de la voix est un battement d’aile de papillon qui participe à la dynamique de l’ensemble. Écrire sur « Freetime » est alors un exercice particulièrement difficile, car comment rendre compte de l’infiniment petit dans une écriture aussi complexe ? Je ne compte plus les ratures et les ronds dans mon cahier de festivalier.

Le décor pose d’emblée l’espace relationnel des acteurs et la surface de divagation du spectateur. La scène, pas plus grande qu’une chambre d’enfant, est la salle d’un restaurant familial japonais, un « famire » : il n’émerge du plateau que la partie haute des chaises et des tables. Six comédiens, aux corps contraints et aux histoires personnelles corsetées, vont habiter cet espace réduit, comme après une inondation ou un tremblement de terre. Ce décor d’une subtilité incroyable reflète le désir d’Okada d’articuler la société japonaise, où la liberté se mesure en nombre de minutes, avec la structure familiale.

Une cliente arrive ; elle s’accorde ses trente minutes quotidiennes avec pour compte à rebours, un rond qu’elle dessine à l’infini sur son carnet à spirales. À l’issue du temps réglementaire, la feuille est un trou noir dans lequel mon regard plonge, quasiment paralysé par le jeu de ces acteurs. Clients et propriétaires du lieu s’immiscent dans l’imaginaire de cette femme pour goûter à cette liberté si chèrement gagnée sur une société industrielle japonaise qui standardise l’imagination et les modes de pensée. À mesure que « Freetime » avance, les histoires s’entrechoquent et « dessinent» un territoire où le spectateur erre d’un acteur à l’autre, se perd, retrouve le fil et s’intègre dans les nouveaux liens sociaux désirés par Okada.. Ces « trente minutes » remettent en dynamique ce que la société a figé et la mise en scène épouse ce long processus.

Toute la première partie dégage une atmosphère comprimée, où les liens entre acteurs s’étirent doucement. Il faut attendre l’entracte pour que le temps soit transcendé, que les mouvements du corps et la musique des mots créent un nouveau groupe social. Okada dessine une fresque humaine, dans une société étouffante où l’on semble manquer d’air.

Il permet au spectateur de s’offrir, lui aussi, ses trente minutes de liberté. Certains ont préféré partir à l’entracte. Je suis resté.

On ne refuse pas une telle invitation même pour apprendre à faire des ronds dans l’eau.

Pascal Bély.


?????? Freetime” de Toshiki Okada a été joué le 24 mai 2008 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.
Photo © Geert Van Den Eede – Academie Anderlecht

 

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Toshiki Okada sur le Tadorne:
Five days in March palmé en 2007!


 

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Voyage en pays Calaferte par Alain Timar.

« Bienvenue chez les Freaks », tel pourrait être un des sous-titres de la nouvelle création d’Alain Timar : «Je veux qu’on me parle – voyage en pays Calaferte ». La galerie de portraits à laquelle nous convie le magicien Timar prend naissance à travers l’?uvre du romancier et poète, Louis Calaferte. Écrivain contemporain mal connu, incompris et souvent ignoré, son écriture évoque l’univers des petites gens, leur difficulté à dire.

Sous mes yeux, le décor me rappelle le cirque. Alors, je prends place dans le plus grand chapiteau du monde : notre vie. En parlant de l’être humain, avec des mots simples, Louis Calaferte donne à réfléchir sur notre condition. Les saynètes se succèdent comme des numéros de clowns. Je revois cette femme désireuse de dire quelque chose d’important aux passants mais personne pour y prêter attention ; de la petite fille fière de son papa qui est chasseur, mais malheureuse de voir les animaux morts ensanglantés ; d’un enfant se demandant « comment c’est sous terre et ce que l’on y fait ? » et l’autre de répondre « on fait le mort » dans une angoisse palpable ; des deux traiders hyperspeed réfléchissant à l’après, à la fameuse lumière qui appelle à l’autre côté, spéculant sur ce que cela peut être, mais que de toute façon, on n’en sait rien ; du bonhomme qui nous rappelle que l’on finit tous sous terre et que nous l’avons tous dans le cul ; du marché de l’offre et de la demande et sa dynamique spéculative (tout cela pour un chapeau !!!).

Je prends peur, car je réalise que sous ces personnages se cache notre monde. Je ris (jaune) de me voir, de nous voir, mais je quitte la salle le sourire aux lèvres avec cette envie de tout bousculer : tout n’est pas encore joué, il nous reste des partitions à écrire et nous devons, “petites gens“, reprendre les choses en main. Le monde est à l’image de l’homme et son évolution necessite notre métamorphose.

Comme la vie et ses paradoxes, à la gravité de la situation, la mise en scène répond par la drôlerie et le burlesque. Les numéros s’enchaînent parfaitement les uns aux autres avec toujours le même fil conducteur : l’humain. Finalement, nous sommes tous des freaks.

Du théâtre à réfléchir et qui nous pousse à agir. Du théâtre militant ?

Laurent Bourbousson.


?????? “Je veux qu’on me parle – voyage en pays Calaferte” a été joué du 21 au 25 mai 2008 au Théâtre Des Halles Avignon. Sera repris durant le festival Off dans ce même théâtre.

 

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Avec « Le dragon bleu », le vaudeville “made in China” de Robert Lepage.

Le dragon bleu” du Québequois Robert Lepage est une immersion, en surface, de la Chine d’aujourd’hui. Tout dans cette production n’est que réduction pour spectateur amateur de modélisme. À l’heure où la Chine bouleverse l’équilibre du monde, je m’étonne qu’une vision aussi étroite de ce pays puisse trouver un écho positif chez les acteurs culturels.

Pierre Lamontagne est un artiste résident à Shanghai où il tient une galerie. Ce détail, s’il est mentionné sur la plaquette du spectacle, est loin d’être évident sur scène. Pour résumer, Pierre Lamontagne vit dans un petit duplex. Claire, ex-camarade d’École des Beaux Arts de Pierre, est publiciste montréalaise. Elle vient en Chine pour adopter un enfant. Pierre l’accueille chez lui et puis…vous devinez la suite…après un verre…Sa demande d’adoption ne fonctionnera pas. Mais Pierre a une petite amie artiste, Ling,  qui est enceinte de lui, mais il ne le reconnaît pas…vous imaginez la fin…Claire, Ling, l’enfant, Pierre. Mais Robert Lepage n’exclut rien ; il veut faire « confiance à l’intelligence du spectateur » en nous offrant trois alternatives à la fin du spectacle.

Pour masquer la faiblesse du texte et du scénario, Robert Lepage ne lésine pas sur l’esthétique. Comme dans un dernier spectacle sur la Chine vu dernièrement à Marseille, le changement constant de décor amplifie l’impression de survol de la psychologie des personnages. Certaines scènes, où sont reproduites des ballades en vélo, donnent l’étrange sensation d’assister à une mauvaise production d’Hollywood des années cinquante. Rien n’est crédible dans cette histoire où les relations n’ont pas beaucoup de surface, coincées dans la mécanique du décor et les effets de style. Robert Lepage se perd à nous décrire la place de l’artiste en plein boom économique Chinois d’autant plus qu’il peine à relier toutes ces informations à l’histoire de Claire. Là où le metteur en scène Français Joël Pommerat excelle à faire du décor un élément inclut dans la chronique sociale, ici les lumières et les objets illustrent plus qu’ils ne transcendent le propos. Le décor, bien trop descendant, ne nous emmène que trop rarement sur la relation.

« Le dragon bleu » est un « théâtre de séduction » mais dont la machine à rêver ne fonctionne pas tant l’histoire est linéaire. Seule la fin prête à sourire comme si Robert Lepage s’autorisait cette pirouette d’artiste gâté !

La vision de la Chine par Robert Lepage est le gentil calque de nos représentations dépassées.

Pascal Bély

 

?????? «Le dragon bleu» de Robert Lepage a été joué le 24 mai 2008 au MC2 de Grenoble.

Crédit photo: © Photo : Erick Labbé

 

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