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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

La bombe Eichmann au Festival Off d’Avignon.

Etrangement catalogué «comédie», « Je suis Adolf Eichmann » de l’auteur Finlandais Jari Juutinen et mise en scène par Marja-Leena Junker fait l’effet d’une bombe à retardement, d’un boomerang, dans la programmation foisonnante du Off. Autour d’un verre Place Pie, j’invite Clément, étudiant au Conservatoire de Rouen, à échanger sur cette oeuvre pour croiser nos regards. Nous n’avons ni le même âge, ni le même rapport à cette histoire (mon père a été prisonnier de guerre en 1942). Le consensus est immédiat : en ces temps troublés, cette pièce est majeure.
Il arrive. Il se présente le plus simplement du monde : « je m’appelle Adolf Eichmann ». Il pourrait être notre voisin de palier ou même notre collègue de travail. Il n’est pas tout seul. Cinq comédiens l’encerclent, tour à tour juge, collaborateurs nazis, présentatrice de talk-show, pute chez Cauet sur TF1, pasteur. Ces comédiens, parfois sur la corde raide, font preuve d’une belle générosité pour démontrer l’impensable : nous sommes tous des Adolf Eichmann en puissance.
Peu à peu, nous assistons, sidérés, à l’audience de ce nazi dans un cadre qui ne cesse de bouger, où s’entrechoquent jeu télévisé, procès à Jérusalem en 1961, réunion en 1942 à la conférence de Wannsee (il y fut décidé la solution finale). Si les passages d’un contexte à l’autre sont parfois maladroits, il n’en reste pas moins vrai que la démonstration a de quoi troubler : la société du diversement est tout aussi totalitaire que l’étaient les réunions entre nazis de l’époque (décisions arbitraires, humour potache, approches linéaires et cloisonnées). Pris dans de tels processus, Adolf Eichmann apparaît comme vous et moi et la pièce, tant dans sa structure, que dans le propos, nous éloigne d’une vision manichéenne du nazisme. Scandale ? Pas vraiment. La pièce démontre comment d’un positionnement de soumission, l’homme peut tendre vers la barbarie.
Les expressions quotidiennes entendues ici au travail (« moi, je ne fais qu’exécuter »), là dans les médias (« on va se marrer pour ne pas se prendre la tête ») résonnent comme autant de flèches empoisonnées dans le coeur de la démocratie. L’inhumanité n’est pas bien loin. Que sommes-nous actuellement en train de préparer ?
A la sortie du spectacle, le théâtre nous fait un beau cadeau, celui de se ressentir résistant.
Comme en quarante.
Pascal Bély
www.festivalier.net

 « Je suis Adolf Eichmann» de Jari juutinen, mise en scène par Maarja Leena Junker à Presence Pasteur jusqu’au 2 août 2008.
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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

Au Festival d’Avignon, le beau théâtre post-moderne d’Ivo Van Hove.

Chers lecteurs et lectrices du « Tadorne »,
Vous risquez de ne pas me lire jusqu’au bout tant je suis intarissable sur «Tragédies Romaines» d’Ivo Van Hove. Au Festival d’Avignon, on peut assister pendant six heures à du Shakespeare, tout en sirotant un jus de fruit au bar installé au fond de la scène, consulter ses mails et s’allonger sur les canapés pour s’assoupir (après tout, Shakespeare, cela peut fatiguer au bout d’un certain temps). Sans prendre garde, on peut voir César en découdre avec Brutus à côté de soi, et trembler de tout son corps de peur qu’il vous en mette une. Ce théâtre-là n’est pas français, mais néerlandais. Alors bien sur, il faut négocier avec le surtitrage quand les mots voltigent. Qu’importe si nous les attrapons parfois au vol. À l’issue de ce marathon théâtral (car cela en est un), Ivo Van Hove et sa troupe reçoivent une ovation de quinze minutes, dans la salle du Gymnase surchauffée. « Tragédies Romaines » sera l’un des moments inoubliables du Festival d’Avignon 2008.
Les trois pièces de William Shakespeare (« Coriolan », « Jules César » et « Antoine et Cléopâtre ») sont proposées à un rythme si soutenu que l’on se croit inclus dans la série américaine « 24 heures ». Entre les changements de décor, le spectateur n’a que cinq minutes pour s’aérer et se restaurer, l’?il rivé sur le compte à rebours des écrans de télévision avec un speaker en « big Brother » qui rappelle inlassablement les consignes. Le stress fait partie intégrante de la représentation et sa fonction de ne fait aucun doute : démontrer que le pouvoir est dans le jeu. Pour l’appréhender, autant immerger le spectateur dans l’arène à laquelle il participe, qu’il le veuille ou non. Surfer sur Internet, être passif, ou se déplacer dans le jeu contribuent aujourd’hui à la tragédie du pouvoir. Pari réussi. Je quitte le Gymnase du lycée épuisé par cette immersion.
Le plateau est un espace impressionnant structuré par des canapés, où des recoins permettent au spectateur d’observer la scène sur des écrans de télévision. Il peut aussi s’approcher des acteurs ; des gradins, sa posture est plus classique, mais il doit intégrer dans son champ de vision les allers et venues du public. Impossible donc ne pas appréhender le pouvoir dans toute sa complexité. En fond de scène, proche des coulisses, les spectateurs peuvent se restaurer, mais aussi assister au maquillage des comédiens, à l’arrière-cour d’un jeu qu’il ne voit jamais. Un studio de télévision est également installé pour retransmettre le journal d’information continue en direct des combats qui sévissent alors que Coriolan pactise avec Aufidius pour prendre Rome. Entre acteurs et spectateurs se dessine un interstice: théâtre et jeu de rôles,, fiction et réalité, immatérialité du vivant et mécanique immuable du pouvoir, monde réel et univers du virtuel.
Vous l’aurez deviné. Les références au quatrième pouvoir sont omniprésentes. Elles actualisent avec force les trois oeuvres de Shakespeare : il y a un désir évident de désacraliser le texte pour le mettre en résonance dans le médiatique (après tout il envahit notre vie tous les jours). Nous sommes étonnamment loin du gadget, car Ivo Van Hove accompagne l’élargissement de l’espace par un enchevêtrement magnifique de disciplines artistiques. Tout est filmé en vidéo, caméra sur l’épaule, comme des reporters d’image quand les protagonistes bousculent l’histoire. Le cinéma entre dans le champ théâtral quand il restitue la tragédie, ou vie privée et publique s’entremêlent, notamment avec la mère de Coriolan ou entre Antoine et Cléopâtre. On reste subjugué par la beauté des plans, par ce kaléidoscope d’images. Jamais je n’ai ressenti une telle intensité dramatique parce qu’elle nous est montrée à plusieurs niveaux en même temps (on peut passer de l’écran à la scène en fonction des enjeux. Jouissif !). Ivo Van Hove a réussi ce qu’aucun n’a osé faire : faire du cinéma au théâtre pour la télévision. Cela n’est possible qu’avec des acteurs exceptionnels dont le jeu transcende les frontières artistiques.
Ces enchevêtrements permettent au spectateur de comprendre le pouvoir non dans un lien qui serait exclusivement vertical, mais dans des jeux où trahison, loyauté, amour forment un tout.
Le théâtre d’Ivo Van Hove libère le public, donnent du pouvoir aux acteurs, revisitent les mythes à l’aube de la postmodernité (nous voilà rassuré, Sarkozy n’invente rien. Par contre, notre regard sur ce qu’il joue pourrait changer). Il réinvente la tragédie, celle au temps de l’Internet et de l’information en continu, où le moindre geste de l’homme privé résonne dans l’espace public pour lui donner sens, où le corps biologique s’immisce dans le corps institué, où la décision politique loin d’être rationnelle emprunte les voies de l’imprédictibilité et de l’irrationalité.
Six heures où le spectateur savoure le pouvoir qu’on lui offre. Celui de penser par lui-même (comment en témoignent les questions des spectateurs, captées sur Internet au cours de la représentation et qui défilent à la fin des applaudissements) et de participer à une aventure théâtrale où son immersion fait partie du jeu.
Ce soir, en quittant le Festival d’Avignon, j’ai le sentiment d’avoir basculé dans un nouvel espace théâtral.
Qu’attend donc le théâtre français pour poursuivre?

Pascal Bély
www.festivalier.net

“Tragédies Romaines” de William Shakespeare par Ivo Van Hove ont été jouées le 14 juillet 2008 au Festival d’Avignon. 
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Au Festival d’Avignon, l’arbre de Sidi Larbi Cherkaoui cache la forêt.

Sidi Larbi Cherkaoui provoque l’événement du Festival d’Avignon, si l’on en croit la longue file d’attente de spectateurs à la recherche d’un billet à l’entrée du Lycée Saint – Joseph. « Sutra » fait du bruit, au sens propre comme au sens figuré.
Entouré de seize Moines du Temple Shaolin (dont un enfant), la chorégraphie est spectaculaire, loin d’être apaisante. C’est le vacarme d’une rencontre qui ne va pas de soi, entre une danse proche des arts martiaux et celle de Cherkaoui emprunte de contritions, d’un maillage de mouvements recueillis ici et là lors de ses voyages à travers le monde. Si l’articulation entre l’orient et l’occident est l’un des enjeux majeurs pour notre planète, force est de constater que Sidi Larbi Cherkaoui a du mal à dépasser le stade des présentations et qu’il semble bien seul, avec son orchestre classique caché derrière le rideau. À l’issue de la représentation, ce lien me paraît improbable sauf à concevoir que le terrain du religieux soit l’unique espace possible d’une rencontre pourtant déterminante.
   
 
Depuis « Origine », pièce vue au printemps dernier, la vision du monde de Sidi Larbi Cherkaoui n’a pas beaucoup bougé. Aux cases d’un immeuble imaginaire, se substituent des caisses en bois, dont une en fer pour « Larbi », comme aime à l’appeler l’enfant. Nous ne sommes effectivement pas tous fait de la même matière, mais de là à imaginer un tel déséquilibre, c’est un choc de civilisation. La planète est émiettée, éclatée : entre populations à la dérive, génocide, amputation des corps, me vient une image qui ne me quitte plus: l’agencement des caisses forme le Mémorial de l’Holocauste de Berlin dans lequel les touristes s’amusent parfois à cache-cache comme pour mieux conjurer l’angoisse. Ici, celle de Cherkaoui est palpable, tandis que les Moines l’expulsent avec leur danse aux allures guerrières, où la voix prolonge le mouvement.
Du mémorial, le chorégraphe Belge tente de multiples constructions dont certaines ne nous sont pas étrangères (le mur qui s’ouvre, le temple qui s’érige) mais l’ensemble est toujours précaire, fragile à l’image des caisses qui s’écroulent tel un jeu de dominos, où le monde ne tiendrait qu’à un fil. Je ne perçois pas comment nous allons vivre ensemble dans la globalisation, équilibrer spiritualité et démocratie, bois et fer. Même le changement d’habit (les moines arborent à un moment nos costumes «traditionnels») n’est qu’une parade. Je m’accroche à cette utopie d’un monde où nous serions unis dans la diversité, portée comme un étendard par Sidi Larbi Cherkaoui, mais je le ressens fatigué, à bout de son propos. Le tableau final, groupal, de toute beauté, voit notre homme se fondre tandis que la lumière éclaire sur le côté la scène et les caisses en modèle réduit. Revenu à une construction classique, la vision est statique : bloc contre bloc.
On se lève alors pour applaudir, comme un geste de survie. Mais une fois sorti, dans la rue balayée par un mistral glacial, je rêve d’un autre monde, plus féminin et moins guerrier. Le Festival d’Avignon a décidément bien du mal à nous le proposer.Pascal Bély
www.festivalier.net

  « Sutra» de Sidi Larbi Cherkaoui a été joué le 13 juillet 2008 au Festival d’Avignon.

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Festival Off d’Avignon/ Les recommandations du Tadorne.

Quelques coups de coeur sur le Festival « Off » d’Avignon :
Laurent Bourbousson, contributeur du Tadorne et amateur d’un théâtre engagé, humaniste, a vu et aimé :
1- «
Le bonheur de la tomate» mise en scène par Marie Pagès au Théâtre “Le Ring”
2- «
Petit-déjeuner orageux un soir de carnaval » de et par Eno Krojanker et Hervé Piron au Théâtre des Doms
3- «
Le mois de Marie» mis en scène par Fréderic Garbe pour “L’autre compagnie” au Théâtre des Halles.
4- “
Le jour où Nina Simone a cessé de chanter de Darina Al Joundi au Théâtre des Halles.
5- “
Je veux qu’on me parle – voyage en pays Calaferte” d’Alain Timar au Théâtre des Halles.

Romain, fidèle lecteur, nous recommande la programmation de « La Manufacture » qui s’inscrit selon lui dans « une véritable démarche de valorisation de la création » dont :
1- « Récits de Bain » par Marielle Rémy et Guillaume Servely.
2- « La mort du Roi Tsongor » par Laurent Gaudé.
Romain nous recommande également « Le diable en partage », pièce de Fabrice Melquiot jouée par la Compagnie HoCemo au
Théâtre Golovine.

De son côté, Yann, su site « Un air de Théâtre » nous recommande à La Manufacture «Borges Vs Goya» de Rodrigo Garcia par la Compagnie Akté.

Emmanuel nous écrit:

J’ai été voir « le rêve d’un homme ridicule » de Dostoïevsky à 23 heures au théâtre du Roi René, joué par la comagnie les Théâtronautes, c’est un très bon spectacle. Le comédien Fabrice Lebert a eu l’élégance de condenser en cinquante minutes le cheminement de cet homme qui renonce à se suicider après l’intervention d’une petite fille et d’un songe intrigant. C’est joué face public, projeté avec une grande intelligence de la parole. Comme il y a beaucoup de jeunes comédiens dans le OFF, en voila un qui a les épaules pour aborder un thème profond sans sombrer ni le masquer par une légèreté faussement empruntée. C’est peut-être parce qu’il semble bon danseur en certains endroits du spectacle, que son art de l’équilibre s’applique également à sa manière de jouer.

A noter l’atmosphère poétique de ce lieu, chapelle déglinguée qui sert toute l’année aux apprentis restaurateurs de tableaux anciens à s’exercer : enduits grattés, stucs, plâtres.

Pour ma part, je vous conseille d’aller voir à Présence Pasteur, «Je suis Adolf Eichman» par Jari Juutinen et “”Domestic Flight” de la Compagnie de Christophe Haleb au Théâtre des Hivernales.

A lire aussi les conseils de Martine Silber, journaliste au Monde, sur son blog.

Vous aussi, vous pouvez envoyer vos recommandations (argumentées !).
A bientôt.

Pascal Bély

www.festivalier.net

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Festival Off d’Avignon/ Au Théâtre des Halles, « le mois de Marie » en juillet 2008.

Tirée des « Dramuscules » de Thomas Bernard, la courte pièce « Le mois de Marie » pointe du doigt toute la médisance, la pauvreté et cruauté humaine que l’être peut avoir en son sein.
Au coeur de ce dispositif ingénieux, mis en scène par Frédéric Garbe, deux vieilles dames prennent possession de la parole et de leur village bavarois.
Gardiennes de la morale, pieuses comme on ne peut imaginer, le souffle du soufre se fait entendre par l’aspect le plus primitif: la peur de l’autre.  Nos deux vieilles (pour être courtois) vont donc se prendre au jeu de la surenchère et chercher l’erreur qui compromet un avenir radieux à la jeunesse allemande, à l’aube des années trente.
L’enterrement de ce « Pauvre Monsieur Geissrathner », mort dans un accident causé par un turc, donne l’écho aux prémices de ce racisme primaire qui fait encore acte aujourd’hui. « Lui est mort, pourtant si jeune, mais le turc est toujours en liberté, lui » répètent-elles en boucle.

Comme le venin, les paroles distillent le poison nauséeux de l’étroitesse d’esprit dit de village et finissent par agresser ce « pauvre Monsieur Geissrathner ». Nos deux Bavaroises, tels deux anges veillant sur leur village, illustrent la pensée unique des années après-guerre et avant-guerre. Cet entre-deux durant lequel elle fit son chemin pour arriver à la destruction humaine que l’on connaît. Les paroles agressives, cachées derrière le beau sourire de ces deux habitantes, fusent et attaquent ce que l’humain a de plus beau : la mixité.
Le ton décalé de l’échange permet de combattre cette cruauté par le rire et offre une image désuète du propos.

Une scène qui appartient au passé ? Pas si sûr.

Laurent Bourbousson
www.festivalier.net

photo: copyright L’Autre Compagnie

« Le mois de Marie» mis en scène par Fréderic Garbe pour “L’autre compagnie” au Théâtre  des Halles d’Avignon jusqu’au 1er août 2008.

 

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Au Festival d’Avignon, Roméo Castellucci n’entend rien.

« Je m’appelle Roméo Castellucci ». L’homme s’habille, enfile une combinaison. Une meute de chiens se jette sur lui. Bienvenue dans l’«Inferno» de l’artiste associé du Festival d’Avignon 2008. Sur l’immense scène du Palais des Papes, j’assiste pendant plus d’une heure et cinquante minutes à une divagation nombriliste, tachetée de quelques références au texte de Dante, parsemée de beaux effets, pour ne retenir finalement qu’une performance. Nous sommes loin d’un théâtre qui éclaire sur le monde, mais recentré sur le petit territoire de l’artiste (aussi joli soit-il). «Inferno» sonne terriblement creux, mais c’est une œuvre en phase avec son époque où la forme est une «pensée». Avec Roméo Castellucci, Nicolas Sarkozy, Silvio Berlusconi et Hu Jintao peuvent dormir tranquilles.

«Inferno» est une succession de tableaux sur l’univers artistique de Roméo Castellucci. Après les chiens, un homme escalade la façade du Palais pour atterrir sur le toit (à noter le silence du public sidéré par l’exploit). Il pourrait dominer le monde, nous montrer ce que nous ne pouvons voir. Arrivé là-haut, il balance un ballon de basket à un enfant. Consternant.
Une troupe d’hommes et de femmes arpente la scène où chacun finit par zigouiller un proche. L’enfer, c’est les autres.
La bande-son ? Des bruits d’accidents de voiture. La torture en Chine, la dictature en Birmanie, l’enfer médiatique, ne doivent pas faire assez de tapage pour les oreilles manifestement obstruées de Castellucci.
Quoi d’autre ?
Des gosses enfermées dans un caisson transparent. La crèche, c’est l’enfer surtout pour les parents qui n’y trouvent pas de place pour leur cher chérubin.
Un piano qui brûle (référence à Dante j’imagine…les vrais rockeurs, eux, balancent leurs guitares).

J’oubliais Andy Warhol qui sort d’une voiture broyée (spot pour la prévention routière ?) pour signifier sa descente aux enfers. Quand l’art contemporain occupe la scène pour écraser les comédiens.
Imparable.
Stop.
Les images s’accumulent et je cherche toujours le propos. Roméo Castellucci est un homme libre, il a le panache de celui qui sidère par les formes. Il s’est affranchi de Dante pour explorer ses pistes. De cet espace de liberté exceptionnel, il n’en a rien fait. Le Festival d’Avignon a perdu une belle occasion de faire un peu de raffut alors que la démocratie vit des temps troublés en France, en Europe et dans le monde.
Au cours d’ «Inferno», me revient une image. Celle de Daniel Cohn Bendit apostrophant Sarkozy au Parlement Européen : «Vous êtes minable d’aller à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques ».
À mon tout petit niveau, je me suis senti un peu minable de payer 30 euros pour le spectacle raté d’un enfant gâté du Festival.

Pascal Bély – www.festivalier.net

 © Christophe Raynaud de Lage.

«Inferno» par Roméo Castellucci a été joué le 12 juillet 2008 au Festival d’Avignon.

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FESTIVAL D'AVIGNON LES JOURNALISTES!

Au Festival d’Avignon, Guy Cassiers et Fabienne Darge, critiques du Monde

Après le superbe « Méfisto for Ever » présenté en 2007 au Festival d’Avignon, le metteur en scène belge Guy Cassiers nous revient avec deux pièces (dont une création), « Wolfskers » et « Atropa, la vengeance de la paix ». Le tout forme une trilogie sur « pouvoir et monstruosité ». L’une m’a provoqué une violente migraine, tandis que l’autre m’a profondément engourdi. Simple hasard ou lassitude à l’égard d’une forme théâtrale qui atteint mes limites ?
Pour « Wolfskers », Guy Cassiers s’est inspiré des trois films du cinéaste Russe Alexandre Sokourov portant chacun sur Lénine, Hitler et Horohito. Réunis sur un même plateau, séparé par des cloisons virtuelles, nous passons d’un personnage à l’autre où, dans l’intimité de leur environnement personnel et social, nos trois hommes complotent, délirent sur la marche du monde, dorment et mangent. L’entourage de l’un finit par devenir celui du voisin. A l’exception des trois protagonistes principaux, les acteurs franchissent avec brio les frontières imaginaires. Telle une maïeutique, l’ensemble tisse la toile de la folie du pouvoir personnel. La scénographie est exceptionnelle : par un jeu de lumières et de vidéos, Guy Cassiers restitue le chaos psychologique des personnages, mais son propos est une impasse. Je ne vois plus rien dans cette intrication, comme si la mise en scène englobait le tout sans que l’on cerne les limites de chacun, leurs différences, et l’importance des contextes. Peut-on mettre au même niveau l’URSS de Lénine, le Japon de Horohito, l’Allemagne d’Hitler ?

« Wolfskers » pose un problème éthique : peut-on expliquer la complexité des enjeux à partir d’une lecture psychologique dont la mise en scène de Cassiers laisse à penser qu’elle donnerait les clefs d’une compréhension globale (après tout Hitler pouvait être amoureux et aimer les crabes comme vous et moi) ? Je suis pris d’effroi quand le théâtre dévie notre regard vers des formes soignées au détriment du sens de l’histoire.

« Atropa, la Vengeance de la paix », dernier épisode du tryptique pose bien d’autres questions. En revisitant le mythe de la guerre de Troie en incluant les discours de George W.Bush, Donald Rumsfeld, du weblog de Riverbend (jeune femme Irakienne qui a écrit alors que Bush déclarait les affrontements « officiellement terminés »), Guy Cassiers et l’auteur Tom Lanoye offrent une occasion unique pour nous interroger sur la guerre, dont les raisonnements qui la sous-tendent sont intemporels. Pour Fabienne Darge, critique au journal « Le Monde », « le travail de Guy Cassiers travaille sur l’intensité du regard. Sur son ambiguïté, aussi, tant est poreuse chez lui la frontière entre vision réelle et vision mentale ». Est-ce cette porosité qui me brouille, qui me fait voir les acteurs comme statufiés (Agamemnon semble être de plâtre) ?
Pour Fabienne Darge, « Atropa » « donne un visage aux victimes, ces victimes qui la plupart du temps ne sont qu’une abstraction dans un journal télévisé ». Est-ce cette approche qui m’a engourdi, là où j’aurais voulu entendre le guerrier ? Comment expliquer mon insensibilité à la douleur de ces femmes qui parlent si doucement dans leur micro caché ?
Ne suis-je pas formaté par une forme verticale, donnée par le théâtre français, qui hurle pour appréhender le pouvoir alors que Guy Cassiers s’attache bien plus au groupe? Là où les mots doivent parler tout seul, j’attends le corps qui bouge à peine. Alors je m’accroche au décor (époustouflant notamment lors du dernier acte où l’environnement des tours explosées de 2001 est magnifiquement restitué), pour relier contexte mythologique et notre époque. Peine perdue, je suis déjà loin. Le théâtre de Guy Cassiers ne donne rien facilement. Il travaille la posture du spectateur, comme savent si bien le faire les artistes flamands. Sans vision complexe, on ne voit de leur théâtre qu’une dimension réductrice.
Force est de constater que ce vendredi 11 juillet, ma porosité s’est transformée en muraille.

Pascal Bély
www.festivalier.net
Crédit Photo : Christophe Raynaud de Lage.

Wolfskers”  de Guy Cassiers a été joué le 6 juillet 2008 dans le cadre du Festival d’Avignon.
Atropa, la vengeance de la paix”  de Guy Cassiers a été joué le 11 juillet 2008 dans le cadre du Festival d’Avignon.

 

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Festival Off d’Avignon/ “Le Bonheur de la tomate”, un concentré d’humanité.

Comment parler d’insertion, de racines, d’humanité, d’amour, de non-communication au travers d’un plan de tomates ? Après avoir vu “Le Bonheur de la tomate” de Bernard Da Costa, mis en scène par Marie Pagès dans son propre lieu (« Le Ring » est une des théâtres avignonnais à l’année), j’ai la clé pour faire les liens.
Clémentine, vivant retirée de la ville et même de sa vie, croise le chemin de Kim, qui trouve refuge dans sa plantation de tomates, histoire de souffler un peu, après avoir fait le mur du centre de rééducation dans lequel il a été placé. De parole en parole, nos deux protagonistes vont se découvrir et apprendre à s’écouter.
De Kim, archétype de la jeune délinquance immigrée, qui évoque toute sa haine de l’ordre établi (« tu n’es rien, tu n’arriveras jamais à rien ») à Clémentine, ancien professeur radiée de l’Education Nationale pour avoir « tabassé » un de ses élèves qualifié de « difficile », se profilent deux parcours identiques. L’amour, fondation de notre être, brille par son absence chez ces deux-là. Et justement, pour pallier ce manque, Clémentine en donne de l’amour à ses tomates. Tout en métaphores et paraboles, Clémentine va mener Kim sur le chemin de la raison, de la réconciliation avec la vie, avec sa vie et surtout avec lui-même.
Kim dénonce ce qui se passe dans ces centres, ces éducateurs qui jugent à sa place de ce qu’il doit être, comme si lui ne pouvait décider de son avenir. Il remet en cause cette obéissance non voulue, se revendique marginal. Je pense alors à la loi de prévention de la délinquance : comment insérer des jeunes délinquants, qui se trouvent être dans un processus de déconstruction, en les plaçant dans des centres de rééducation fermés et pointer du doigt que leur futur n’est rien ? Une façon inhumaine de croire à la supériorité de la loi, face à des problèmes qui puisent leur solution dans la communication et l’explication du sens de la vie. Certes, cela relève de l’utopie pour certains, mais pourquoi penser que ces jeunes ne comprennent rien et n’ont pas de désirs. Est-il plus facile de les laisser à la dérive que de les faire réfléchir sur leur monde ? Dans notre pays, en phase de se transformer en société dite de loi dure (il suffit de voir les propositions qui se succèdent à un rythme soutenu), la première solution semble déjà bien utilisée.
Que vont devenir des petits plans de tomates, piqués lors du premier échange de Clémentine et Kim ? Résistent-ils au désir de Kim d’échapper aux règles de vie ?
Sommes-nous prêts à être leur tuteur ?
Réponse au “Ring“. Allez-y sans gants.

Laurent Bourbousson
www.festivalier.net

?????? « Le bonheur de la tomate» mise en scène par Marie Pagès au Théâtre “Le Ring” à Avignon jusqu’au 4 août 2008.

 

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Au Festival d’Avignon, « Airport Kids » perd la partie.

Avec “Airport Kids“, Lola Arias et Stefan Kaegi invitent le public à s’immerger au coeur de la mondialisation. Je suis un habitué. Dans «Call Cutta in a box» présenté au KunstenFesitvalDesArts de Bruxelles en mai dernier, j’étais enfermé dans un bureau où, en direct d’un centre d’appel basé en Inde, une opératrice tirait les ficelles d’un théâtre virtuel. Il y a deux ans, « Mmenopark» dénonçait les conséquences de la mondialisation vue par des amateurs suisses de modélisme. Il y a quinze jours, au Festival de Marseille, dans “Cargo Sofia – Marseille“, j’étais transporté «telle une pastèque» dans un camion rempli de 45 voyageurs qui pendant deux heures, de Marseille à Vitrolles, nous a fait voyager entre Sofia et Marseille, au coeur du réseau des routiers mondialisés. Au Festival d’Avignon édition 2008, me voilà maintenant convié dans un sous-sol d’aéroport. Mais cette fois-ci cela se passe dans un théâtre où je suis normalement assis.
Une heure quinze avec neuf gosses de 7 à 14 ans, qui ont la particularité d’être «portables», c’est-à-dire de parents agents économiques mondiaux qui rayonnent de Lausanne vers l’ensemble de la planète. La mondialisation est un théâtre très fragile : ces enfants ne sont pas des comédiens. À chaque instant, tout peut se casser la figure.
Si au départ cette fragilité m’amuse, elle fatigue sur la durée, car elle appauvrit progressivement le propos. Du théâtre pour enfant, nous passons rapidement vers le jeu de rôles d’adultes, plaisant à regarder au demeurant, mais éthiquement contestable. Le plus troublant est la permanence de ce processus quelque soit le concept que développe Stefan Kaegi dans chacune des ?uvres mentionnées plus haut. Il y a une forte distorsion entre le beau témoignage de ces enfants (comme ceux des routiers, de l’opératrice et des personnes âgées suisses) et la capacité du dispositif à transcender le propos. On reste souvent collé à une réalité qui a du mal à nous donner les enjeux complexes de la mondialisation.
Stefan Kaegi et Lola Arias font un beau zoom (scénographie parfaite, alternance de moments poétiques et de rappels sur la mauvaise santé psychologique de ces gosses de riches) mais la focale me paraît toujours étroite. Il est à ce sujet intéressant de faire référence à Edgar Morin, auteur de la théorie sur la complexité qui déclarait sur le site internent Nonfiction.fr: «Non seulement une partie est dans un tout, mais aussi le tout se trouve à l’intérieur de la partie, comme par exemple la totalité du patrimoine génétique se trouve dans chaque cellule, y compris de notre peau, ou encore la société en tant que tout est présente par l’éducation, la culture, le langage dans l’esprit de chacun…tout est dans tout et réciproquement”. Or, les parties décrites par Kaegi et Arias ne me donnent pas les propriétés du tout. Pour résumer, la partie ne parle qu’aux parties! Alors, on salue à chaque fois la créativité des acteurs-amateurs, la manière dont ils sont mis en scène dans leur fragilité, manipulés pour la «bonne cause» : la méchante mondialisation face au gentil public d’Avignon.
À mesure que le jeu se déroule, je ressens le paradoxe: la globalisation réduit, casse, mais elle permet à Kaegi d’être dans une «hyper créativité». À sa façon, à force de comprendre certains processus réducteurs de la mondialisation, Kaegi les fait vivre à son public.
Dans «AirportsKids», tout nous est donné. Manque peut-être notre partie.
Pascal Bély – Le Tadorne.
“Airport Kids” de Lola Arias et Stefan Kaegi a été joué le 6 juillet 2008 dans le cadre du Festival d’Avignon
“Cargo Sofia – Marseille” du collectif Rimini Protokoll et de Stefan Kaegi a été joué le 4 juillet 2008 dans le cadre du Festival de Marseille.
«Call Cutta in a box” par Haug, Kaegi et Wettzel / Rimini Protokoll a été joué du 9 jusqu’au 31 mai 2008 à Bruxelles dans le cadre du KunstenFestivalDesArts.

 

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La 25ème heure du Festival d’Avignon: “Guardamunt 55′” ou la folie de Nijinski.

La 25ème heure est un moment dans la nuit durant lequel, abîmé par la fatigue de la journée, le spectateur se laisse envahir, pénétrer, par ce qu’il voit ou décide de s’endormir sur son siège. Pour cette première 25ème heure du Festival, j’ai pris le parti d’être Nijinski, danseur étoile qui se consacra à l’écriture dans sa villa de Guardamunt avant d’être interné. Et pas n’importe quel Nijinski, celui du collectif «pEqUOd».
Effectivement, celui qui n’a pas croisé « Les Cahiers » de Nijinski ne saura reconnaître le travail méticuleux et la belle performance de l’ensemble que constituent Bénédicte Le Lamer et Pascal Kirsch.
Pendant près d’une heure (la durée est dans le titre), les paroles de Nijinski prennent place dans les sous-sols de l’école d’art. Des balbutiements d’enfants aux grandes envolées mystiques, Bénédicte Le Lamer nous livre de par sa voie la version des écrits de Nijinski, plus précisément celle du poème « Au Hommes » et d’un extrait de son journal.
Me laissant envahir par le son obsédant et strident du saxophone et bercer par les chuchotements et autres cris, je suis guidé dans la folie nijinskieste si bien retranscrite et prends plaisir à écouter ce que j’avais lu six ans auparavant pour des besoins universitaires.
Aux paroles, se joint la présence de Didier Le Lamer, assis sur sa chaise, le regard dans le vide. Tel un Nijinski, il exécute par la suite quelques étirements si chers au danseur afin de réveiller son corps, puis ira se coucher comme pour signifier sa mort.
« Cahiers » de Nijinski retrace, à mon sens, la perte de l’individu qu’il a été. Devenu autre, il n’a pas d’autre choix que de se nier lui-même jusqu’à parler à la place de Dieu et combattre sa folie qui le pousse à écrire que « Mort est mort, et je suis vie
Je suis vie, et tu es mort
Ayant vaincu la mort par la mort
Je suis mort, et tu n’es pas vie
».
Traduire “Guardamunt 55‘” par l’écrit relève du défi ou bien… de la folie.
Laurent Bourbousson
www.festivalier.net

Guardamunt 55′” de Bénédicte LeLamer et Florent Manneveau a été joué dans la nuit du 8 au 9 juillet 2008  au Festival d’Avignon.

  © Christophe Raynaud de Lage.