Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

Lisbeth Gruwez-Voetvolk danse l’égérie renouvelable.

L’ennui s’invite à la Comédie de Valence. Je lutte contre le sommeil.
Avec efficacité.
J’ai toute une panoplie de stratégies pour ne pas perdre la face : battements des orteils, n?uds dans les cheveux, mouvement du corps vers la rangée de devant. Pourtant, la danseuse et chorégraphe flamande Lisbeth Gruwez- Voetvolk sait y faire pour réveiller nos sens. L’ouïe est stimulée par deux rockers de part et d’autre  de la scène qui nous envoie leur dose de décibels à l’image d’une éjaculation musicale. La vue est cadrée par un éclairage centré, genre music-hall, pour chanteuse rock sur le déclin. Notre peau frisonne dès les premières minutes alors qu’elle danse de dos. On ne voit que lui, masse dansante, surface de divagation. Je revois la danseuse portugaise Sofia Fitas appréciée  l’an dernier à Marseille. Ce rapprochement jette le trouble et sème le doute.
Malgré tout, je m’égare agréablement dans les mouvements de son territoire qui se fait relief. Elle se sculpte, mais où va-t-elle ainsi ? Le temps la rattrape. C’est long. Comme dans un long striptease, elle finit par se montrer, mi-animale, mi-femme. Son corps se déploie comme il peut, se débat comme si la danseuse cherchait la chorégraphe. Elle semble s’abandonner et je me perds dans mes songes. Je me lasse vite d’une danse qui recycle les clichés où la femme hystérique trouve son salut dans un « I Wanna be loved by you » attachant et puéril.
Les deux rockers finissent par lui tourner le dos comme pour conjurer le mauvais sort que pourrait lui réserver le public. Mais sa bienveillance aura raison de ma somnolence. Lisbeth Gruwez- Voetvolk, égérie de Jan Fabre, fait dans le même consensus mou que son maître lors du dernier Festival d’Avignon.
Si l’époque est au recyclage, je refuse d’être un spectateur cloné.


Pascal Bély – www.festivalier.net

 
?????? “Birth of Prey” de Lisbeth Gruwez-Voetvolk a été joué le 5 décembre 2008 à la Comédie de Valence.


Revenir au sommaire
Consulter la rubrique danse du site.

 

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

La belle dérive de Russell Maliphant.


C’était le 19 juillet 2008. Des fillettes Roms sont retrouvées mortes, noyées puis allongées sur le sable. Nous étions près d’une plage de Naples. Recouvertes d’une couverture de survie à côté de baigneurs occupés à leur bronzage, l’image a fait le tour du monde. Ce fut un scandaleux enchevêtrement des corps qui glaça le nôtre. Cet événement m’est brutalement revenu lors de « Small Boats », chorégraphie du Britannique Russell Maliphant, créée en 2007 et présentée au Théâtre des Salins de Martigues, un samedi orageux de novembre dernier.

Ils sont six danseurs sur scène, séparés du public par un écran vidéo, à l’image d’un suaire où est projeté un long traveling de carcasses de bateaux dont l’amoncellement finit par créer un mur, une frontière entre pays riches et pauvres. Alors que la caméra introspecte les entrailles de ces navires du désespoir, nos danseurs apparaissent en fond de scène, tels des mirages d’un cauchemar éveillé, cherchant leur territoire. Ils sont les réfugiés, corps chavirés, expulsés, entassés. À mesure qu’ils s’approchent de nous, le vivant fait irruption derrière la toile : on aurait presque envie de les toucher. L’image reprend ses droits et nous voilà propulsés dans le contexte religieux de l’Italie : les corps des danseurs sont filmés dévalant les marches des églises, ou portés à plusieurs, comme crucifiés. La symbolique religieuse se projette sur la réalité dansée des naufragés sans-papiers, où le mat du bateau remplace la croix du Christ.

Russel Maliphant met donc en résonance les corps religieux et les immigrés à la dérive. La danse fusionne avec une symbolique usée jusqu’à la corde, mais ne la transcende pas. À travers ce dispositif scénique sophistiqué, Maliphant esthétise le malheur tel un peintre de la Renaissance italienne,  à l’image du pouvoir actuel qui encourage la visée « humanitaire » faute de vision politique globale et coordonnée. Si la danse s’articule à une vidéo projetée verticalement, elle peine à lui donner de la profondeur en l’absence de propos politique. « Small boats » promeut une danse épurée, belle, qui joue avec les symboles, les bons sentiments, mais positionne le spectateur en dehors, ne l’engage plus. On applaudit le tableau et le désir de ce chorégraphe de nous parler de ce monde. Mais on quitte le théâtre un peu vide. En cale sèche.

Pascal Bély
www.festivalier.net

 ?????? « Small boats» de Russell Maliphant a été joué au Théâtre des Salins de Martigues le 29 novembre 2008.


Revenir au sommaire Consulter la rubrique danse du site.

Russell Maliphant sur le Tadorne:

Russell Maliphant, chorégraphe lumineux.


Crédit photo: Johan Persson.

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

La « belle » seconde surprise de l’amour d’Alexandra Tobelaim.

La Compagnie Tandaim m’avait délecté avec ses « Pièces de cuisine » (ensemble de 12 textes courts écrits pour l’occasion par des auteurs contemporains d’après une recette) puis avec « Ça me laisse sans voix », merveilleuse métaphore sur l’être humain. Raison de plus, pour faire le long chemin qui me sépare d’Avignon jusqu’au « Théâtre Durance » de Château Arnoux pour assister à « La seconde surprise de l’amour » de Marivaux où la metteuse en scène Alexandra Tobelaim décrit cette pièce comme «un jeu ouvert. Marivaux s’efforçait de rendre la nature même du langage, le ton de la conversation en général. L’amour est aussi une histoire de corps. J’aimerais que le public puisse voir ce spectacle sans le son, sans la parole, et le comprenne, uniquement en regardant les acteurs se déplacer sur le plateau, simplement être ensemble. »

En ouvrant sa mise en scène sur des extraits de « Douleur exquise » de Sophie Calle, mis en son par Christophe Perruchi, Alexandra Tobelaim donne un souffle nouveau à Marivaux. Elle le veut contemporain. Elle l’arrache à nos représentations imaginaires et le transpose dans notre siècle où l’amour semble avoir fuit. Le sentiment amoureux et le sens du dialogue ne sont effectivement plus au centre de nos préoccupations. Comme pour entrer en résonance avec cette désertion, le plateau se présente comme un parterre de terre, représentation de ce que le corps est : un champ de bataille.

Les corps s’animent aux paroles de « Douleur exquise ». Enfermés dans un ensemble de boîtes représentant leur « moi », les protagonistes de cette joute verbale offrent les prémices de leur jeu au public. Il y sera évidemment question de corps : corps en souffrance, corps en joie, corps amoureux, corps esseulé…

La scénographie d’Olivier Thomas souligne l’enfermement physique que la parole peut avoir sur l’être. Bien plus forte que l’oralité, l’affliction est palpable sur le corps, elle est le résultat de cette ouverture : la perte de l’être aimé. N’en oublions pas pour autant l’intrigue divertissante de « La seconde surprise de l’amour » : la Marquise, veuve inconsolable, se lie d’amitié avec le Chavalier, malheureux comme elle. Au c?ur de ces deux douleurs, renaît le désir, inattendu, insoupçonné même par les intéressés.

Des dommages collatéraux vont être engendrés par cette situation, autrement visibles que dans le dialogue, puisque l’après-dialogue est représenté. Les corps en souffrance trouvent leur place dans ces magnifiques boîtes, sorte de compartiments humains, pour renvoyer le corps à ce que nous sommes destinés : la mort. Les corps heureux, eux, finissent par fouler cette terre où l’affrontement verbal et physique a eu lieu, et offrent une irrépressible démonstration de la nécessité de vivre.

La scénographie maîtrisée permet une conduite des comédiens frisant la perfection. Même s’il s’agissait de la première, le ton juste a été trouvé et la relation entre les six personnages ?uvre dans le bon sens. Le noyau même de la compagnie Tandaim (Alexandra Tobelaim, Olivier Thomas et Christophe Perruchi), sorte de trio gagnant, offre un Marivaux résolument contemporain.

Encore aujourd’hui,  les images défilent devant mes yeux, sans le son, sans la parole.

Laurent Bourbousson
www.festivalier.net

?????? « La seconde surprise de l’amour» de Marivaux par la Compagnie Tandaim a été joué au Théâtre Durance de Chateau-Arnoux (04) le 15 novembre 2008.


Revenir au sommaire Consulter la rubrique théâtre

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

La crise et le théâtre : l’Argentine explose.

La crise sociale menace. Le PS se clive. La laïcité se fragilise. La démocratie vacille. Pendant ce temps, le théâtre français roupille avec Jean-Louis Benoit et son poussiéreux « De Gaulle en mai ». Le français Jean-Pierre Vincent est bien seul avec son « Silence des communistes », Joël Pommerat peine à nous faire trembler tandis que Stanislas Nordey fait du neuf avec du rance. En attendant, le flamand Guy Cassiers percute avec « Mefisto for Ever » (mais combien de théâtres auront -ils osés ?) et les Japonais s’immergent dans leur société tétanisée (Oriza Hirata, Toshiki Okada).

Quant à l’Argentine, elle exporte sa crise en Europe où débarquent sur scène des familles, à l’articulation du social, de l’économique et du politique. La faillite du pays en 2001 a bouleversé le milieu théâtral. En 2006, je découvrais Ricardo Bartis avec de « Mal en peor » lors du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles. Une famille, menacée de ruine, déterre les secrets comme autant de cadavres. Joué dans une maison, le public n’était qu’à quelques mètres des comédiens. Je me souviens de cette proximité comme d’un étouffement, accentué par le jeu très collectif des acteurs, où les mots mitraillent pendant que les corps souffrent, s’effondrent, se plaquent contre les murs. A l’issue de la représentation, souffle coupé, migraine tenace, je venais de vivre le pire des effets de la crise : perte des valeurs humaines, loi de l’argent et de la jungle, éclatement de l’unité.

Deux années plus tard, une autre famille se déchire avec « Espia a una mujer que se mata » de Daniel Veronese. Joué dans le minuscule Théâtre des Ateliers d’Aix en Provence sur une scène pour lilliputiens, l’étouffement me gagne à nouveau. Même procédé scénographique que Ricardo Bartis : une pièce de la maison familiale sert d’espace concentrationnaire, à l’image de la crise de 2001, où les Argentins ont bien failli disparaître, entraîné par une débâcle politique et morale. Ici, Veronese fait le parallèle avec la crise russe décrite par Tchekhov dans « Oncle Vania ». Si les comédiens sont exceptionnels dans leur engagement, la mise en scène peine à se renouveler : portes qui claquent, rebondissements à la limite du théâtre de boulevard, chaos indescriptible. L’espace toujours occupé permet aux mots d’alimenter des clivages tenaces entre tradition et modernité. On cherche l’air pour respirer un peu. En collant aux processus de crise, Daniel Veronese fait corps avec le propos, masquant trop souvent le jeu implicite entre les acteurs. Comme avec Ricardo Bartis, le public est trop dedans (certains sont même assis sur scène), accentuant un « théâtre réalité » qui répond au besoin du public français d’être touché émotionnellement.

L’Argentine Beatriz Catani a peut-être trouvé un juste équilibre avec «Finales», présentée au KunstenFestivalDesArts en mai 2008. Une descente aux enfers, métaphorisée par une blatte qui agonise sur scène. Nous ne sommes plus en famille, mais entre « amis », sorte de fratrie recomposée où l’on aurait perdu le lien de filiation. Ici, deux heures trente d’une épopée hallucinogène, poétique, chaotique à vous donner le mal de mer, où le réel est abstrait, l’imaginaire la réalité. Entre processus familial et phénomène de groupe, le spectateur a suffisamment d’espace pour repérer ce qui se joue en temps de crise existentielle. Plus à distance, Beatriz Catani se sert de cette blatte comme d’un objet flottant, à la fonction thérapeutique, comme si l’Argentine débordait de mots et de maux.

La blatte argentine n’est pas prête d’effrayer nos auteurs français. Faut dire qu’en matière d’insectes rampants, certaines institutions françaises ont d’excellents répulsifs.

Pascal Bély – www.festivalier.net


?????? Finales”  de Beatriz Catani a été joué le 25 mai 2008 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

?????? De mal en peor”  de Ricardo Bartis a été joué en mai 2006 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.
?????? « Espia a una mujer que se mata 
» de Daniel Veronese a été joué au Théâtre des Ateliers d’Aix en Provence le 22 novembre 2008.



Revenir au sommaire Consulter la rubrique théâtre


Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

Avec Eszter Salamon, Montpellier Danse l’hybridité !

En validant mon ticket, un homme me tend un livret, « Six mois, un lieu », à la place de l’habituel prospectus. Le lieu, c’est le Centre Chorégraphique National de Montpellier. Six mois, c’est la durée que se donne Xavier Le Roy (chorégraphe associé pendant deux ans) pour inviter des artistes et stopper momentanément leur « nomadisme ». Il s’agit de prendre le temps de « remettre en question cette vie liquide qui devient la norme de notre société contemporaine, nous poussant à toujours plus de mobilité, de flexibilité, à changer, à produire sans cesse de la nouveauté ». Les cinquante pages qui suivent sont un vrai régal : on y décrit le processus de création à la fois transversal et articulé aux logiques verticales (la durée, le lieu). Ce fascicule contient les germes d’un nouveau paradigme de la création en phase avec les enjeux de notre époque qui requièrent une créativité pour « une pratique d’une éthique d’Open Source où les idées circuleront, se transformeront, de nouvelles idées émergeront en de nombreux endroits (souvent inattendus) ». Dans ce cadre, la chorégraphe hongroise Eszter Salamon présente « Dance ? 1/driftworks », qu’elle interprète avec Christine De Smedt.

Le spectacle est terminé. Elles sont deux, de dos, en sueur, toutes de blanc vêtu. Elles se tournent, nous sourient, s’avancent vers nous. Nous pouvons relâcher, déplier nos jambes, étirer nos bras. De la scène, elles observent nos corps se mettre en mouvement après nous avoir immobilisés pendant plus de soixante minutes. « Dance ? 1/driftworks » est une appellation étonnante pour ce spectacle hybride qui plonge le spectateur dans un étrange système d’interactions où la danse ni conceptuelle, ni narrative, explore un nouveau territoire qui dynamise notre regard critique. Eszter Salamon, surprend le public attentif de Montpellier Danse quand elle ne sidère pas.

Le premier tableau est fulgurant, où le contraste se fait lumière, où deux corps allongés sur le sol noir, l’un au-dessus de l’autre, frétillent tel un spasme, un spermatozoïde. Le mouvement de l’une, se prolonge dans les vibrations de l’autre. Des pieds à la tête, le corps danse, couché. Cette danse de l’imperceptible, de l’infiniment petit dans le corps complexe est belle, envoûtante, englobante. Je ne bouge déjà plus malgré la fatigue. Elles sont habitées par le propos pour se mouvoir ainsi, pour donner au corps cette fluidité prête à se métamorphoser. D’une musique douce naît le chaos qui les fait se lever. Du couché au debout, je pense au travail du chorégraphe Pierre Rigal, avec “Erection“. Je relie.

C’est alors qu’elles sautillent comme des femmes -robot où s’immiscent des mouvements issus du corps social (je revois « Publique » de Mathilde Monnier). On ne peut imaginer l’une sans l’autre, non qu’elle soit dépendante, mais dans une interdépendance : là où l’une se rigidifie, l’autre prolonge, élargit.

De l’intime au sociétal, « Dance ? 1/driftworks » se déploie dans un espace à trois dimensions où le corps est cette masse critique, où l’intrapsychique, l’émotionnel, le duo communiquant, le lien social forment un ensemble profondément relationnel dans cet espace aux frontières mouvantes et imprédictibles, au croisement du virtuel et du réel. Les corps s’articulent et se désarticulent en continu et font émerger des formes hybrides étonnantes où je me ressens propulsé  au carrefour du théâtre, de la danse, du chant, voire du cinéma !   Le corps chante par le cri et fait danser la voix. Entre animalité et humanité, le corps joué par Eszter Salamon est à la fois drôle, émouvant, empathique. La danse m’inclut enfin pour réveiller mon regard sur nos corps endormis par la modernité finissante. Surgit alors de mon imaginaire William Forsythe et sa création présentée lors du Festival Montpellier Danse l’été dernier (« Heterotopia »). Eszter Salamon met en mouvement mes images, mes ressentis, mes visions du corps dansant.

Je suis aussi ce spectateur de Montpellier Danse qui relie l’été et l’hiver. Le printemps s’annonce décidément très ouvert.

Plus que six mois, un lieu.

Pascal Bély
www.festivalier.net


Photo: © Herman Sorgeloos

?????? « Dance ? 1/driftworks »d’Eszter Salamon a été joué le 25 novembre 2008 dans le cadre de la saison Montpellier Danse et des projets “6M1L” du Centre Chorégraphique National de Montpellier. 


Revenir au sommaire

Consulter la rubrique danse du site.

Eszter Salamon sur le Tadorne:

Les femmes éclaireuses d'Eszter Salamon au KunstenFestivalDe
sArts.


Catégories
LES EXPOSITIONS

A Arles, lumineux Ambroise Tézenas.

Une envie simple. Celle de recroiser le regard d’Ambroise Tézenas, jeune photographe primé en 2006 lors du « Leica European Publishers Award for Photography », pour reconnaissance d’un formidable travail d’images saisies à Pékin. A l’époque, je n’avais pas retenu le regard sociologique dépeint dans cette ville en pleine activité précipitée pour accueillir les JO de 2008. J’avais gardé le souvenir d’une lumière qui émanait de ces clichés où la luminosité du soleil faisait foi sur une réalité de chantier, d’une projection d’identité offerte plus tard au monde. Je me souviens de cette autre lumière, happée en chambre 4×5, voile de pastels sombres, irréels, oniriques, féeriques, colorant la réalité quotidienne. Le peuple. De cette lumière feutrée, vos yeux interpellent le détail global d’une vie désenchantée qui ravit alors votre perception. Le contraste crée le merveilleux et vous voilà transporté dans cet ailleurs offert.

J’avais très envie de recroiser ce regard envoûtant qui m’avait emmenée dans ces univers qui échappent à mon environnement habituel. Et, pour la seconde fois, pleinement, je fus séduite. Effectivement, « le jour est brutal et bruyant » (titre de l’exposition sur Ambroise Tézenas en Arles), car chaque cliché saisi en nuitée, expose cette clarté filtrée, où les couleurs se poudrent faussement pour mieux nous fixer le vrai de ce qui échappe. Encore des paysages urbains, qui grâce à cette technique se lisent pareils à un calendrier de l’avent. Chaque centimètre de la photo se compose telle une saynète. Aucune forme humaine, mais des essences de vie, lettrée au travers de leur rythme d’activité. Là, une fenêtre allumée ;  un bureau vide éclairé. On regarde voyeur. Des plantes. Une table. Une chaise. Personne. Mais on ressent l’électricité d’un quotidien. Un centimètre d’existence pour en fixer un autre ici. Le jeu s’active sur l’échiquier de la façade du building photographié. Les lignes s’exposent pareilles à un théorème de géométrie afin de nous contraindre à reconnaître nos vies absurdes de répétition des jours. Je sublime la volonté de l’artiste de nous administrer le rêve pour décoller de cette dimension.

Reconnaissons que si chacun de nous ose poser simplement un regard  sur la magie des choses, alors la vie apparaît. Le jour est sûrement brutal, mais pas si bruyant.


Diane Fonsegrive – www.festivalier.net


Ambroise Tézenas, “Le jour est brutal et bruyant”. Exposition à la chapelle du Méjan à Arles, du 21 novembre au 31 décembre 2008.

A voir son magnifique site internet.

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

Tg STAN et son cabaret aléatoire.

Cela commence par une blague. Sorte d’entrée en matière décalée pour les cinq Dramuscules de Thomas Bernhard (drames minuscules). Le rideau tombe sur la scène, recouvrant les éléments épars sur le sol, comme pour nous terrasser. Avec le Cabaret tg STAN, le rideau ne s’ouvre pas !  

Avec “”Sauve qui peut” pas mal comme titre”, tg STAN reconsidère la place de l’individu dans la société, à partir d’une alternative : voir ailleurs si tout est mieux, ou bien rester, pour faire face ou pour ne pas réfléchir et tout prendre au pied de la lettre. En plaçant l’action dans un cabaret, lieu où tout est possible, tg STAN prend à contre-pied les écrits de Thomas Bernhard. Les interludes, sorte de coupures de pub, s’immiscent entre les textes. Pas question de se lever pour vaquer à ses occupations, mais plutôt rester assis pour tenter de digérer les mots.

Le rideau métaphorise alors la bassesse d’esprit de tout voir à sa hauteur sans déplacer le contexte. Il illustre de façon cohérente les saynètes qui se succèdent où la haine de l’être humain, jusqu’au déni de l’histoire, interroge le nationalisme et le nazisme.

Toutefois, je me questionne, non sur la pertinence des textes de Thomas Bernhard, mais plutôt sur leur mise en espace qui me tient à distance.  Le traitement des Dramuscules  ne permet pas de relier jeu de scène et texte si bien qu’en ce lieu, au Théâtre d’Arles, je me surprends à fermer les yeux, pour que l’écrit perdure et résonne encore en moi, sans les comédiens et sans les artifices.

N’est-ce pas la vraie force de cette proposition ?

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

?????? “”Sauve qui peut” pas mal comme titre” d’après les Dramuscules de Thomas Bernhard par le tg STAN joué au Théâtre d’Arles les 18 et 19 novmebre 2008.


A lire, une critique plus enthousiaste de Sarah Barreda sur “Clochettes“.

Revenir au sommaire Consulter la rubrique théâtre.

Catégories
LES EXPOSITIONS

A Montpellier, quand l’Art Vidéo fait tourner la tête.

Nous vivons dans un monde d’image, où nous subissons le plus souvent l’absence d’esthétique, presque résignés. Mais à  l’ère du numérique, nous en produisons nous-mêmes, pour tenter de démocratiser le regard de tous. Certes, nous capitalisons l’image, mais dans quel espace et sur quel support ? C’est ainsi que l’Art Vidéo joue sa fonction, comme tente de nous la faire ressentir, l’exposition Vidéo, un art, une histoire (1965-2007)” au Musée Fabre de Montpellier.

Ces arts visuels de toutes les époques  du XXe sont pour moi le plus beau jardin d’acclimatation jamais offert, où l’on est propulsé à la croisée de plusieurs dimensions : nous, l’espace, l’image vidéo et l’artiste. Le contexte se démultiplie où l’art plastique accompagné de sa réflexion spatiale, s’articule avec la diffusion de l’image. L’exemple ludique de la caméra vidéo de surveillance illustre efficacement ce propos : on dédouble une image saisie dans son mouvement, d’une réalité passée d’action dans une réalité présente de visionnage. Nous sommes alors sur deux tableaux, compliquant le jeu en capturant celui qui visionne le regardé. Bienvenue dans un monde tridimensionnel, où l’on s’invente à l’infini de l’espace. Votre propre corps devient l’élément d’interface d’une extase sensorielle. Les yeux offrent à l’ouïe leur fonction et réciproquement. On perd les repères d’équilibre pour mieux certifier aux plus grands scientifiques que la copie semble révisable. Sol. Plafond. Miroir. Écran. Blanc. Noir. Couloirs. Chambres. La symétrie du champ de vision se donne là, en tout point, en toute ligne. Le propos de l’image est ici second, n’est important celle que l’espace suscitera en vous.

Et interminablement nous recréons le monde, comme l’artiste lui-même en son protocole a souhaité se rapprocher de cette nature qui lui pose inlassablement la même question: dans quel monde vit-on ?

Alors faites-vous plaisir! Allez regarder et jouer au musée Fabre un jour de grande déprime pour en ressortir plus vivant qu’en entrant.


Diane Fonsegrive- www.festivalier.net


“Vidéo, un art, une histoire (1965-2007)” au Musée Fabre à Montpellier.

Du 25 octobre au 18 janvier 2008.

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

Les forces motrices de Jeanne Balibar et Boris Charmatz.



Bouleversé. Transpercé. Bousculé. J’applaudis alors qu’une bonne partie du public se lève, sans un regard pour les artistes, maugréant des analyses incompréhensibles. Bienvenue au Théâtre de la Ville, sanctuaire de la danse parisienne, un lieu aussi inamical qu’un congrès du Parti Socialiste.
Avec « la danseuse malade », Jeanne Balibar et Boris Charmatz démontrent ce que l’on omet trop souvent: la danse est un art difficile, engageant, qui déforme, tord, essore, décolle, plie. Distancié de deux rangs seulement, je suis ébloui au sens propre, comme au figuré : rarement la danse ne m’a été évoqué de cette façon, avec autant de sincérité, de fragilité, d’humilité. Sans faire scandale, « la danseuse malade » fait rupture dans le consensus mou actuel qui entoure les spectacles chorégraphiques, où le “public consommateur” se questionne peu sur le processus oubliant que cet art se régénère à partir de sa transdisciplinarité.

Tout commence par une explosion sur la tête. Le corps disparaît presque dans la fumée.
Ça tousse dans la salle.
Déjà.
Un camion blanc avance, téléguidé du plafond par un cordon ombilical. Boris Charmatz et Jeanne Balibard sont au sol, qu’ils décollent comme un plasma ; ils fusionnent puis se séparent. Je ressens une naissance, celle d’une nouvelle représentation du butô, l’une des danses les plus caricaturées qu’il soit. J’y suis. Ils ne me lâcheront jamais : du plasma à mes tripes. Les corps explosent, se liquéfient ; se fluidifient. C’est beau. Impressionnant. Elle se dégage, monte dans le camion. Elle a pris froid ; tout ceci finit par la fragiliser ; elle est enrhumée. Parle du nez. Le corps parle toujours.
Nous voilà partis pour une conférence, où les mots de Tatsumi Hijikata « co-père » du buto, loin du bavardage, traversent le corps de Jeanne, prêt à se briser contre la vitre. Le camion véhicule le corps, mais peut à tout moment l’écraser, nous foncer dessus. Je le suis des yeux alors qu’il arpente la scène, avance, recule, tourne sur lui-même. Il nous éblouit et se fait danse. Les mots buttent, déchirent et le corps se cogne, à se prendre la tête.
Le butô vient du dedans, comprenez-vous ? C’est la danse des mots qui se heurtent au corps. Voyez-vous ?

Ce spectacle me ronge de l’intérieur : il me révèle des émotions nouvelles.
Mes mots butent.
Ces deux-là m’ont trimbalé dans le chaos.
Boris Charmatz a fait danser le théâtre.


Pascal Bély
www.festivalier.net


?
????? “La Danseuse malade”, de et par Jeanne Balibar et Boris Charmatz, a été donné au Théâtre de la Ville du 12 au 15 novembre 2008.
La blogosphére est inspirée: à lire deux regards sur “Un soir ou un autre” et sur “Images de danse
Même ARTE:

Catégories
PAS CONTENT

Saison théâtrale 2008-2009 à Marseille: vivement 2013 !

En réponse à l’article « En attendant Barack » où je m’étonnais de la morosité de la rentrée théâtrale à Marseille, les lecteurs du Tadorne ont réagit pour s’inquieter de ma santé mentale et physique. Je le reconnais volontiers : si j’ai largement décris mes échapatoires, je n’ai pas suffisament illustré mon ressenti par quelques éléments du contexte.
Lionel Vicari
l’a fait. Animateur à Radio Grenouille, libraire, il nous propose une analyse des programmations 2008-2009. Le débat est donc ouvert.
Pascal Bély.



Théâtre National de la Criée de Marseille : “SAISON SECHE”

La saison 2008/2009 de la Criée, délocalisation momentanée pour cause de travaux électriques mise à part, sera malheureusement conforme aux précédentes. La solide et indéboulonnable direction de notre cher TNM n’a pas l’air de vouloir s’accorder un peu de répit en la matière puisque la programmation est, une fois de plus, largement contestable.
Mais quid justement de cette programmation qu’on qualifiera sans hésitation de déprimante et de douteuse ? Dès l’annonce des « réjouissances » des questions reviennent incessamment : quel Mazarin établit le diagramme ? Quelle éminence décide ou ne décide pas du sort d’une saison à la Criée ? L’équipe elle-même n’en a-t-elle pas assez de (re)voir du déjà-vu ? Qui peut se satisfaire de cette donne ? Les têtes blanchies du devant de la salle qui s’assoupissent au bout d’une demie heure de chaque représentation ? Eux peut-être… Mais pas nous !

Autre chagrin « criesque », cette systématisation du directeur qui met en scène son spectacle et qui, au sein de ses murs, lui octroie un temps de diffusion incroyablement long. A la limite qu’un Olivier Py, vu le talent éclatant de l’homme, le fasse, on s’en réjouit. Mais qu’un Jean-Louis Benoit ouvertement à bout de souffle, embourgeoisé, si loin de ses aspirations du début, nous assène encore une de ses créations qui exhalent l’ennui pendant presque un mois (“De Gaulle en mai“du 07 au 31 octobre), là on dit stop. Qu’il laisse la place à d’autres qui ont l’envie, la passion, des choses à prouver. Qu’il se contente de diriger correctement le TNM… Ce sera déjà pas mal.

Mais là ne s’arrête pas la banqueroute, le naufrage présumé. En effet, 2008/2009 laissera le champ libre à la rengai… Pardon, à la tragédie puisque Corneille (“Le Cid” et “Nicomède” en octobre et novembre) et William Shakespeare (“Le Roi Lear “et “Richard III” en mai) coloniseront, artillerie lourde à l’appui, les espaces. On retrouvera aussi, au passage, un habitué des lieux – et non moins ami de la maison -, à savoir « l’immense, l’inimitable » Daniel Benoin. Le cuisinier nous a prévu deux platées, “Le Nouveau Testament” de Sacha Guitry et une adaptation du “Faces “de John Cassavetes (février). O joie ! Il faut aussi mentionner qu’à partir du 21 novembre, pour enrichir la Criée d’une irradiante fantaisie mensuelle, des soirées « cabaret » seront organisées. On sentait pourtant le Toursky en pole position pour ce genre de manifestations… Bref. Notons tout de même quelques curiosités : “Divino Amore” de l’Argentin Alfredo Arias (mars), ou encore “S’agite et se pavane” d’après Bergman (janvier).

Vous avez dit tragique ?



Théâtre des Bernardines de Marseille : “OH ! DE GAMME”

Le théâtre des Bernardines fait partie de ces théâtres marseillais qui laissent amplement perplexe. En règle générale, on ne comprend pas très bien ce qui s’y passe ni ce qu’on y subit. Déroutant mais pas perturbant (ni encombrant pour autant) puisque la large majorité des spectacles et des créations joués (et subséquemment subis) sont oubliés sitôt sorti des lieux. C’est un peu l’histoire du vent qui souffle sur les plaines, on attend patiemment que ça passe… D’un autre côté, comme on ne change pas une équipe qui gagne – c’est bien connu -, on ne voit pas pourquoi les Bernardines aurait modifié leur charte « expérimente à l’eau » et leur ligne de conduite à forte propension «intellectualisante».

Donc, pour les huit mois de programmation 2008/2009, de octobre à mai, cela donne des titres comme toujours attrayants et qui sonnent bien à l’oreille (“Purgatory Party” “NICO Medea-Icon“, “My Space“), des auteurs dont on vante les mérites dramaturgiques – et on confirme vivement – tels que le cérébral Heiner Müller, l’idéologique Pier Paolo Pasolini, l’explosif Edward Bond, Elfriede Jelinek, ou encore Vaslav Nijinski, etc. En ce qui concerne les metteurs (et metteuses, la parité étant presque respectée) en scène, c’est déjà nettement moins fringant (Angela Konrad, Eva Doumbia, Alexis Forestier…), certains d’entre eux ayant effectué dernièrement des montages scénographiques particulièrement désastreux.

Alors qu’en sera-t-il du résultat ? Mieux ? Pire ? Les paris restent ouverts…



Théâtre du Gyptis : “UNIVERS IMPITOYABLE”

Après une saison 2007/2008 spécialement molle, le Gyptis n’a pas l’air d’avoir reconsidéré avec un ?il attentif sa programmation pour celle à venir. On se doute que ce ne sera pas la catastrophe absolue. Mais on suppose, dans un même temps, que ce ne sera pas l’Empyrée non plus. Sur le papier en tous cas. Et qu’est-ce qui peut bien nous faire supputer cela ? Voltaire, Rousseau, Alfred de Musset, Dallas, Marivaux, Camus, Molière… De grands noms certes, mais répétés et usés jusqu’à la corde. Voilà ce qui nous met en mauvaise posture. Pour Musset et ses “Caprices de Marianne “(novembre), après Jean-Louis Benoit il y a deux ans, c’est Françoise Chatôt qui s’y colle. Si le metteur en scène change, le texte et l’histoire, eux, non. Donc, comme pour “Le Gendarme et les gendarm
ettes
” que M6 nous ressert tous les étés, on aura notre Musset. On aura aussi en mars notre Camus avec “Caligula” (au Gymnase il y a peu), notre “Seconde surprise de l’amour” de Marivaux (au Gymnase, encore, l’an passé), notre Molière (pas la même pièce mais auteur déjà au Gyptis en janvier 2008). On l’aura compris, la répétition n’est pas réservée qu’aux comédiens.



Théâtre de Lenche : “VOS GUEULES LES MOUETTES !”

On s’inquiétait, à n’en quasiment plus dormir, de savoir si oui ou non le Lenche et Ivan Romeuf allaient nous resservir du Tchékhov pour 2008/2009. Il faut tout de même savoir que ce théâtre est un haut lieu de vénération de Saint Anton… La réponse est évidemment oui. On peut, rassurés, se rendormir in pace. L’heureuse pièce élue cette année sera donc “La Mouette“. Elle sera jouée pendant presque vingt jours en février, à coup sûr par acte de charité pour ceux qui se décideraient au dernier moment. A part ça, la saison s’annonce quand même un peu remplie et certaines idées titillent notre curiosité, notamment cette carte blanche au Théâtre National Algérien qui aura lieu du 14 octobre au 08 novembre avec pas moins quatre spectacles dont une création – “Arrêt fixe“. “Le cas Quichotte” en décembre (un rêve de voyageur statique), “Les Oranges” en avril (chroniques algériennes sous occupation coloniale), Farce encore en avril (fusion critique de textes de Deleuze, Gattari et surtout Zinn) et Amado-Rimbaud en mai (hommage à la fulgurance définitive du plus grand poète) pourraient être, pareillement, de bonnes surprises.

Lionel Vicari.

A suivre, la saison du Théâtre du Merlan à Marseille et celle du Pavillon Noir à Aix en Provence.