En réponse à l’article « En attendant Barack » où je m’étonnais de la morosité de la rentrée théâtrale à Marseille, les lecteurs du Tadorne ont réagit pour s’inquieter de ma santé mentale et physique. Je le reconnais volontiers : si j’ai largement décris mes échapatoires, je n’ai pas suffisament illustré mon ressenti par quelques éléments du contexte.
Lionel Vicari l’a fait. Animateur à Radio Grenouille, libraire, il nous propose une analyse des programmations 2008-2009. Le débat est donc ouvert.
Pascal Bély.
Théâtre National de la Criée de Marseille : “SAISON SECHE”
La saison 2008/2009 de la Criée, délocalisation momentanée pour cause de travaux électriques mise à part, sera malheureusement conforme aux précédentes. La solide et indéboulonnable direction de notre cher TNM n’a pas l’air de vouloir s’accorder un peu de répit en la matière puisque la programmation est, une fois de plus, largement contestable.
Mais quid justement de cette programmation qu’on qualifiera sans hésitation de déprimante et de douteuse ? Dès l’annonce des « réjouissances » des questions reviennent incessamment : quel Mazarin établit le diagramme ? Quelle éminence décide ou ne décide pas du sort d’une saison à la Criée ? L’équipe elle-même n’en a-t-elle pas assez de (re)voir du déjà-vu ? Qui peut se satisfaire de cette donne ? Les têtes blanchies du devant de la salle qui s’assoupissent au bout d’une demie heure de chaque représentation ? Eux peut-être… Mais pas nous !
Autre chagrin « criesque », cette systématisation du directeur qui met en scène son spectacle et qui, au sein de ses murs, lui octroie un temps de diffusion incroyablement long. A la limite qu’un Olivier Py, vu le talent éclatant de l’homme, le fasse, on s’en réjouit. Mais qu’un Jean-Louis Benoit ouvertement à bout de souffle, embourgeoisé, si loin de ses aspirations du début, nous assène encore une de ses créations qui exhalent l’ennui pendant presque un mois (“De Gaulle en mai“du 07 au 31 octobre), là on dit stop. Qu’il laisse la place à d’autres qui ont l’envie, la passion, des choses à prouver. Qu’il se contente de diriger correctement le TNM… Ce sera déjà pas mal.
Mais là ne s’arrête pas la banqueroute, le naufrage présumé. En effet, 2008/2009 laissera le champ libre à la rengai… Pardon, à la tragédie puisque Corneille (“Le Cid” et “Nicomède” en octobre et novembre) et William Shakespeare (“Le Roi Lear “et “Richard III” en mai) coloniseront, artillerie lourde à l’appui, les espaces. On retrouvera aussi, au passage, un habitué des lieux – et non moins ami de la maison -, à savoir « l’immense, l’inimitable » Daniel Benoin. Le cuisinier nous a prévu deux platées, “Le Nouveau Testament” de Sacha Guitry et une adaptation du “Faces “de John Cassavetes (février). O joie ! Il faut aussi mentionner qu’à partir du 21 novembre, pour enrichir la Criée d’une irradiante fantaisie mensuelle, des soirées « cabaret » seront organisées. On sentait pourtant le Toursky en pole position pour ce genre de manifestations… Bref. Notons tout de même quelques curiosités : “Divino Amore” de l’Argentin Alfredo Arias (mars), ou encore “S’agite et se pavane” d’après Bergman (janvier).
Vous avez dit tragique ?
Théâtre des Bernardines de Marseille : “OH ! DE GAMME”
Le théâtre des Bernardines fait partie de ces théâtres marseillais qui laissent amplement perplexe. En règle générale, on ne comprend pas très bien ce qui s’y passe ni ce qu’on y subit. Déroutant mais pas perturbant (ni encombrant pour autant) puisque la large majorité des spectacles et des créations joués (et subséquemment subis) sont oubliés sitôt sorti des lieux. C’est un peu l’histoire du vent qui souffle sur les plaines, on attend patiemment que ça passe… D’un autre côté, comme on ne change pas une équipe qui gagne – c’est bien connu -, on ne voit pas pourquoi les Bernardines aurait modifié leur charte « expérimente à l’eau » et leur ligne de conduite à forte propension «intellectualisante».
Donc, pour les huit mois de programmation 2008/2009, de octobre à mai, cela donne des titres comme toujours attrayants et qui sonnent bien à l’oreille (“Purgatory Party” “NICO Medea-Icon“, “My Space“), des auteurs dont on vante les mérites dramaturgiques – et on confirme vivement – tels que le cérébral Heiner Müller, l’idéologique Pier Paolo Pasolini, l’explosif Edward Bond, Elfriede Jelinek, ou encore Vaslav Nijinski, etc. En ce qui concerne les metteurs (et metteuses, la parité étant presque respectée) en scène, c’est déjà nettement moins fringant (Angela Konrad, Eva Doumbia, Alexis Forestier…), certains d’entre eux ayant effectué dernièrement des montages scénographiques particulièrement désastreux.
Alors qu’en sera-t-il du résultat ? Mieux ? Pire ? Les paris restent ouverts…
Théâtre du Gyptis : “UNIVERS IMPITOYABLE”
Après une saison 2007/2008 spécialement molle, le Gyptis n’a pas l’air d’avoir reconsidéré avec un ?il attentif sa programmation pour celle à venir. On se doute que ce ne sera pas la catastrophe absolue. Mais on suppose, dans un même temps, que ce ne sera pas l’Empyrée non plus. Sur le papier en tous cas. Et qu’est-ce qui peut bien nous faire supputer cela ? Voltaire, Rousseau, Alfred de Musset, Dallas, Marivaux, Camus, Molière… De grands noms certes, mais répétés et usés jusqu’à la corde. Voilà ce qui nous met en mauvaise posture. Pour Musset et ses “Caprices de Marianne “(novembre), après Jean-Louis Benoit il y a deux ans, c’est Françoise Chatôt qui s’y colle. Si le metteur en scène change, le texte et l’histoire, eux, non. Donc, comme pour “Le Gendarme et les gendarm
ettes” que M6 nous ressert tous les étés, on aura notre Musset. On aura aussi en mars notre Camus avec “Caligula” (au Gymnase il y a peu), notre “Seconde surprise de l’amour” de Marivaux (au Gymnase, encore, l’an passé), notre Molière (pas la même pièce mais auteur déjà au Gyptis en janvier 2008). On l’aura compris, la répétition n’est pas réservée qu’aux comédiens.
Théâtre de Lenche : “VOS GUEULES LES MOUETTES !”
On s’inquiétait, à n’en quasiment plus dormir, de savoir si oui ou non le Lenche et Ivan Romeuf allaient nous resservir du Tchékhov pour 2008/2009. Il faut tout de même savoir que ce théâtre est un haut lieu de vénération de Saint Anton… La réponse est évidemment oui. On peut, rassurés, se rendormir in pace. L’heureuse pièce élue cette année sera donc “La Mouette“. Elle sera jouée pendant presque vingt jours en février, à coup sûr par acte de charité pour ceux qui se décideraient au dernier moment. A part ça, la saison s’annonce quand même un peu remplie et certaines idées titillent notre curiosité, notamment cette carte blanche au Théâtre National Algérien qui aura lieu du 14 octobre au 08 novembre avec pas moins quatre spectacles dont une création – “Arrêt fixe“. “Le cas Quichotte” en décembre (un rêve de voyageur statique), “Les Oranges” en avril (chroniques algériennes sous occupation coloniale), Farce encore en avril (fusion critique de textes de Deleuze, Gattari et surtout Zinn) et Amado-Rimbaud en mai (hommage à la fulgurance définitive du plus grand poète) pourraient être, pareillement, de bonnes surprises.
Lionel Vicari.
A suivre, la saison du Théâtre du Merlan à Marseille et celle du Pavillon Noir à Aix en Provence.